Interviews de M. José Bové, porte-parole de la Confédération Paysanne, à Europe 1 le 8 août 2003 et à "Libération" le 11 août 2003, sur la tenue du rassemblement altermondialiste "Larzac 2003".

Prononcé le

Circonstance : Rassemblement altermondialiste "Larzac 2003", sur le plateau du Larzac du 8 au 10 août 2003

Média : Emission Forum RMC Libération - Europe 1 - Libération

Texte intégral

Elizabeth Martichoux .- La justice vous a libéré il y a quelques jours, à la faveur de l'aménagement de votre peine, certains disent "au nom de l'intérêt général" et dans la foulée, vous présidez la plus grande manifestation antigouvernementale du moment sur le plateau du Larzac. Est-ce que ce n'est pas un peu surréaliste ? Est-ce que vous ne faites pas de la provoc ?
José Bové .- "J'ai été libéré parce que mon dossier juridique le permettait. Des milliers de condamnés à moins d'un an de prison, aujourd'hui, sont dans la même situation que moi, donc bénéficient d'un chantier extérieur. Aujourd'hui, j'ai un chantier à mi-temps à l'extérieur pour faire la promotion du Larzac et l'autre mi-temps, je le voue à mon syndicat, comme c'est marqué dans les documents qui ont été remis au juge. Effectivement, ce rassemblement a lieu, si j'avais été en prison, il aurait eu lieu de la même manière ; j'aurais simplement témoigné par écrit au lieu de témoigner oralement. Mais pour moi, ce qui compte aujourd'hui, c'est que ce rassemblement soit un succès et que les gens soient accueillis le mieux possible sur le Larzac."
Quoi qu'il en soit, vous êtes libre, vous voilà le porte-parole de toutes les contestations. Si jusque-là, on percevait bien la ligne de vos combats anti-OGM, anti-OMC en particulier, à l'occasion de ce rassemblement altermondialiste "Larzac 2003", vous espérez recevoir les intermittents, les adversaires de la réforme des retraites, les enseignants en colère. Est-ce que ce sont des batailles de même nature ?
- "Très curieusement, on peut faire un parallèle avec ce que nous avons vécu sur le Larzac il y a 30 ans. Quand nous avons organisé le premier rassemblement en 1973 contre l'extension du camp militaire, nous avions organisé un rassemblement pour soutenir notre combat et quelques mois avant ce rassemblement, les ouvriers de Lip, à Besançon, ont occupé leur usine et ce rassemblement, en plus d'être un rassemblement contre l'extension du camp militaire, a été un rassemblement Lip-Larzac, ouvrier-paysan même combat. Aujourd'hui, nous sommes un peu dans la même situation puisque cela fait près d'un an que nous préparons ce rassemblement contre le sommet de l'OMC, pour dire que nous refusons cette mondialisation néolibérale. Et au printemps, un certain nombre de mouvement sociaux ont éclos, et ces mouvements sociaux - que ce soit sur les retraites, que ce soit les enseignants ou que ce soit les intermittents du spectacle - ont une préoccupation commune, c'est-à-dire qu'ils refusent que leur activité soit transformée en marchandise."
Vous ne pouvez pas exclure qu'il y ait derrière des revendications catégorielles qui n'ont pas grand-chose à voir avec la défense de l'accès aux médicaments des pays les plus pauvres que vous défendez contre les Etats-Unis. On se demande quel est le lien... C'est la contestation, l'opposition à ce que tout soit marchandise ? Mais ce n'est pas tout à fait la même chose !
- "Les débats qui vont avoir lieu, vont tourner tous autour de l'OMC. Il y a 5 grands débats qui vont avoir lieu, un qui commence cet après-midi sur les mécanismes généraux de l'OMC et qui vont expliquer aux gens présents en quoi l'OMC est dangereuse. Il y aura un débat très important sur l'accord général sur le commerce des services, où l'on va parler aussi bien de l'éducation, de la santé que des problèmes liés à cette marchandisation des services qui touchent aussi l'environnement. Il y aura un grand débat sur la souveraineté alimentaire et aussi la logique des brevets, que soit en agriculture ou sur les médicaments. Et à côté de cela, il y aura plein de petits débats thématiques qui permettront à chacun de s'exprimer. Aujourd'hui, ce qui est important, c'est de comprendre que la logique qui est à l'oeuvre au niveau international, a aussi, au niveau local, des répercussions."
J'insiste parce qu'au niveau franco-français, c'est important. On va dire que vous êtes vraiment au carrefour de toutes les contestations sociales. On dit déjà que vous annoncez une rentrée chaude, donc vous êtes, d'une certaine façon, au coeur de l'ambiguïté. Vous l'assumez ou pas ?
- "Je n'ai aucune ambiguïté. Ce qui est clair, c'est que va se réunir sur le Larzac, cet été, l'ensemble des acteurs du mouvement social. Ce qui est important, c'est de bien montrer aujourd'hui qu'il y a une vraie autonomie du mouvement social et que ce mouvement social n'est à la remorque de personne et qu'il ne cherche pas un relais à tout prix pour agir. Donc, il y a une véritable expression sociale. Ensuite, ce que nous demandons, ce que les politiques assument leurs responsabilités par rapport aux revendications du mouvement social. On nous a dit que ce n'est pas la rue qui décide, alors qu'on organise de vrais débats ! Et moi, je demande de manière très forte à M. Raffarin d'organiser, tout début septembre, dans la première semaine de septembre, un grand débat sur l'Organisation mondiale et commerciale. Quelle va être la position de la France à Cancun, à la mi-septembre ? Est-ce que M. Raffarin soutient P. Lamy dans ses propositions ? Est-ce que la France va continuer à soutenir la réforme de la politique agricole qui est un suicide pour les paysans européens et qui est une catastrophe pour les paysans d'Afrique ? Tous ces débats doivent avoir lieu. J'espère qu'après notre rassemblement, M. Raffarin organisera ce débat public, parce que depuis que l'Organisation mondiale du commerce existe, il n'y a pas un gouvernement, ni de gauche ni de droite, qui a organisé ce débat."
Vous êtes en tout cas, maintenant, aujourd'hui - que vous le vouliez ou non d'ailleurs ; peut-être que vous ne le voulez pas -, un leader derrière qui se rallient de nombreuses forces d'extrême gauche. R. Donnedieu de Vabres, porte-parole de l'UMP, déclare à nos confrères du Point que "vous utilisez des armes extrêmement violentes qui sont celles de votre combat politique au sein de l'extrême gauche". Que veut-il dire ?
- "Je lui laisse ses propos. Je crois qu'aujourd'hui, nous avons fait la preuve que le mouvement social a sa propre expression, qu'il n'a pas besoin d'être à la remorque de tel ou tel parti. D'ailleurs, nous ne le cherchons pas."
Ils sont invités au "Larzac 2003" les partis de gauche ; PS, PC, les Verts en particulier.
- "Nous n'avons invité personne. Simplement, nous avons laissé un espace libre ; il y a plus d'1 kilomètre de stands qui sont proposés, plus de 200 associations - syndicats, mouvements ou partis -, se sont inscrits pour tenir leur stand. Et effectivement, la totalité des partis de gauche aura un stand parce qu'ils ont envie de réfléchir et de savoir ce que le mouvement social est en train aujourd'hui d'élaborer."
Vous avez conscience qu'ils courent derrière vous, et depuis longtemps
déjà...
- "Je crois qu'aujourd'hui les partis de gauche, gouvernementaux notamment, ont besoin de se positionner de manière claire. Aujourd'hui, ils sont au milieu du gué. Sont-ils partisans de cette mondialisation néolibérale ou disent-ils qu'il faut mettre un frein ? Ce qui m'inquiète, c'est qu'en 1999, L. Jospin n'a pas eu le courage de dire "non" à ce qui allait se négocier à Seattle. Aujourd'hui, je voudrais savoir quelle est la position très claire du PS sur cette question, qui est une question centrale, et qui est un véritable clivage pour tous les partis, qu'ils soient de gauche ou de droite, parce que je ne pense pas qu'à l'UMP il y ait une unanimité sur ces questions."
Vous espérez donc aller en septembre à Cancun, au Mexique. Faire échec à ce sommet, cela passerait par quoi, cela se traduirait par quoi ?
- "Pour qu'il y ait un accord à l'OMC, il faut que l'ensemble des pays présents - les 146 pays présents -, soient tous d'accord. Cela veut dire qu'aujourd'hui, il faut qu'il y ait un accord sur l'agriculture, sur les services, sur les brevets, sur la libéralisation des investissements. Il ne peut pas y avoir d'accord s'il n'y a pas d'accord sur tous les points. Je pense que ceci est très dangereux, et c'est pour cela que les mouvements sociaux internationaux vont se retrouver à Cancun et qu'ils vont continuer le travail qu'ils ont déjà amorcé, avec énormément de pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, pour qu'il y ait des pressions sur l'Europe et les Etats-Unis notamment, pour faire changer les règles du jeu. On ne peut pas accepter aujourd'hui que l'OMC structure les relations entre les pays et entre les différentes sociétés civiles."
Parce que c'est cela que vous dénoncez essentiellement, le fait que, à votre avis, l'OMC tire les ficelles derrière les souverainetés nationales ?
- "Il est clair aujourd'hui que l'OMC impose, par l'ouverture des marchés, par l'extension de la logique marchande à tous les services, une logique qui fait qu'un pays ne peut plus décider. Et que le politique, de cette manière-là, perd complètement sa capacité à organiser les sociétés. Ceci est très dangereux parce que c'est la fin du politique, c'est la fin du débat démocratique, et ce sont les multinationales, ce sont les marchés qui vont décider. Je préfère, par exemple, par rapport au débat de cet automne sur la Sécurité sociale, qu'on renforce le système de la Sécurité sociale plutôt qu'on cède aux différentes assurances privées la possibilité de passer des contrats et que des gens aient des protections privées. Je pense que cela est très dangereux. C'est un exemple très concret des menaces que fait peser cette logique d'ouverture des marchés."
Il faut que le juge d'application de peines vous donne le feu vert pour que vous puissiez vous rendre à Cancun. Quel est votre pronostic ? Vous en avez déjà parlé un peu avec elle ?
- "Je vais être convoqué certainement bientôt, la semaine prochaine, par le juge d'application des peines de Millau, puisque le dossier est transféré sur Millau. Je vais donc me rendre chez le juge et je lui apporterai mon accréditation pour le sommet de l'OMC, puisqu'il faut être accrédité pour aller à ce sommet, et c'est elle qui décidera si elle me laisser quitter le territoire français pour me rendre à ce sommet. Si la réponse est négative, je participerais aux mouvements de contestation en France, qui auront lieu pendant le sommet. Néanmoins, j'espère."
Mais votre sentiment est que vous aurez ce feu vert ?
- "Je ne veux pas faire de pronostic, ce sont les magistrats qui décideront. De la même manière que ce sont les magistrats qui ont décidé de me remettre en liberté. Je fais confiance aux magistrats, aujourd'hui, pour assumer le droit face à des décisions parfois de basse politique, comme celle qui a consisté à m'enlever en hélicoptère le 22 juin."
Un petit mot de l'organisation pratique : il fait une chaleur, une canicule qui accable toute la France. Sur le plateau du Larzac, ça ne doit pas être non plus extrêmement frais. Qu'avez-vous prévu ? On attend entre 20 et 200.000 personnes, il en faut des bouteilles d'eau !
- "On a une chance extraordinaire hier après-midi : on a eu un orage sur le site qui a duré une heure. Ce qui fait qu'il n'y a plus de poussière qui vole. On est actuellement dans une situation, à ce niveau-là, très favorable. Néanmoins, on a prévu en eau, énormément d'approvisionnement puisqu'on a déjà fait rentrer sur le site plus de 200.000 bouteilles d'eau minérale. On a aussi plusieurs dizaines de milliers de litres d'eau dans des camions-citernes, et il y a d'autres boissons qui sont aussi prévues. Donc, tout est fait pour que les gens soient accueillis le mieux possible. Hier, nous avons fait le tour du site avec le préfet de l'Aveyron et le commandant des pompiers du département, pour voir, effectivement, que tout notre système de santé fonctionne bien et puisse répondre en cas d'insolation. Donc, nous avons actuellement plus de 300 bénévoles santé, entre les médecins, les infirmières et les aides-soignants qui sont venus bénévolement apporter un coup de main."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 août 2003)