Conférence de presse de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sur le problème de la lutte contre le terrorisme et la position française concernant l'Irak, à Doha (Qatar) le 3 mars 2003.

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Circonstance : Conseil ministériel conjoint réunissant les Etats de l'Union européenne et ceux du Conseil de coopération des Etats du Golfe (CCEAG) à Doha (Qatar) le 3 mars 2003

Texte intégral

Merci à vous toutes et à vous toutes d'être ici présents. D'abord, je tenais à vous dire combien je suis heureux de revenir ici au Qatar puisque j'étais venu, en décembre, faire une tournée des pays de la région du Golfe et j'y retrouve un certain nombre des interlocuteurs avec qui j'avais sympathisé.
Aujourd'hui à Doha, je représente la France au Conseil ministériel conjoint qui réunit les Etats membres de l'Union européenne et ceux du Conseil de Coopération des Etats du Golfe, afin d'approfondir notre dialogue politique. Nous avons traité les sujets, comme vous avez pu le voir ce matin, de manière habituelle. Un communiqué conjoint a été publié à l'issue de la réunion. On a abordé bien sûr le sujet de l'Iraq, les évolutions de cette crise qui nous concernent tous, les récents développements qu'a connu le CCEAG, la question de l'élargissement européen, de l'euro, le processus de paix au Proche-Orient, le terrorisme, les Droits de l'Homme
Pour ma part, je suis intervenu sur le problème qui concerne particulièrement la France, bien entendu mais aussi tous les autres pays, qu'est le terrorisme.
La France a été l'une des premières victimes du terrorisme notamment au milieu des années 80 puis 90 et nous avons eu, pour mémoire, à Karachi , 11 Français qui ont été tués et l'attaque du pétrolier " Limbourg " en octobre dernier.
Comme vous le savez, la France a été à l'origine de la résolution 1373 qui a été adoptée après les attentats du 11 septembre et a organisé le 20 janvier de cette année, une réunion du Conseil de sécurité au niveau ministériel pour relancer la lutte contre ce fléau. Le 20 janvier, une résolution, à l'unanimité, a été votée qui est la 1456. Aujourd'hui, j'ai tenu à souligner les efforts des Nations unies et de l'Union européenne pour lutter contre le terrorisme et son financement. J'ai souligné, par ailleurs, combien nous refusons tout amalgame entre Islam et terrorisme.
En ce qui concerne l'Iraq, la position française est connue et partagée par de nombreux pays. L'enjeu de la crise iraquienne dépasse l'Iraq. Il s'agit de régler collectivement un problème de prolifération et de faire de ce règlement un modèle pour les autres crises.
La résolution 1441 a proposé une méthode de règlement pacifique par les inspections. Celles-ci donnent des résultats. Il convient donc de les poursuivre, de les renforcer, comme nous l'avons proposé.
Le temps est encore aux inspections et non à une seconde résolution. La guerre ne saurait être qu'un ultime recours. Ses conséquences sur l'Iraq, sur la région et sur le monde entier seraient considérables. Bien sûr, dans ce contexte, la France prend acte de la décision de l'Iraq de détruire les missiles Al-Samoud. Cette décision est conforme à la demande faite par les inspecteurs des Nations unies et constitue une étape importante dans le processus du désarmement pacifique. Ceci confirme que les inspections donnent des résultats.
Nous sommes très attachés à la concertation avec nos partenaires arabes et aujourd'hui est une bonne occasion d'entretenir ce dialogue. En ce qui concerne la position de la France, je me permets de rappeler le discours que le président Chirac a tenu aujourd'hui à Alger : "l'Iraq doit faire plus, coopérer davantage et plus activement. Nous devons maintenir sur lui une forte pression pour parvenir ensemble et dans la paix à l'objectif que nous sommes fixés."
Parallèlement à cela, j'ai eu la possibilité de discuter pratiquement avec tous mes homologues du Golfe que j'avais rencontrés il y a quelques mois et nos analyses sont toujours convergentes sur les questions régionales. Nous partageons les mêmes préoccupations.
J'ai été reçu ce matin par son Altesse le Cheikh Ahmad Ben Khalifa Al Thani et nous avons bien sûr, tous les deux, eu la possibilité de faire un large tour d'horizon. Nous partageons nombre d'analyses et de positions communes.
Comme chaque fois entre les Qatariens et les Français, nous pouvons constater l'excellence des relations entre nos deux pays.
Q - La position de la France est claire. Il y a un refus de la guerre mais les Etats-Unis avec la Grande-Bretagne, qui est membre de l'Union européenne, insistent sur l'option de la guerre. Comment entrer dans cette guerre alors que vous venez de parler effectivement des conséquences néfastes d'une telle guerre sur la région et sur le monde dans sa totalité ?
R - Pour nous, la guerre n'est pas inévitable. Nous sommes très attachés à l'unanimité aux Nations unies. Et aujourd'hui, les Nations unies se sont positionnées sur la résolution 1441 qui a organisé une méthode qui, à nos yeux, porte ses fruits. Nous ne sommes pas dans une logique de guerre malgré les troupes qui sont nombreuses dans cette partie du monde.
Q - Au siècle dernier, avant les années 50, on avait souvent recours à l'usage du veto. Mais ces dernières années, c'est une tendance où l'usage ou le recours au veto est moins fréquent. Alors pourquoi la France n'a pas, jusqu'à maintenant dit clairement, affiché clairement sa position quant à l'usage ou pas du veto ? Est-ce qu'elle attend quelque chose avant ce veto ?
R - D'abord, puisque vous faites un parallèle par rapport aux années 50, le contexte international était bipolaire. Aujourd'hui, il ne l'est plus. Donc forcément dans toutes les relations multilatérales, les discussions ne se font pas de la même manière et on voit très bien, au fil du temps, les alliances qui ont évolué parce que le contexte international évolue. En ce qui concerne notre position par rapport au veto, nous ne sommes pas dans une deuxième résolution. Le président Chirac l'a dit très clairement : "nous n'avons pas encore utilisé ou exploré toutes les possibilités de la 1441". Or, la 1441 a aussi dans sa structure la nécessité de deux étapes. Il n'y a pas d'automaticité dans l'action. Il y a l'obligation de venir devant le Conseil en cas d'échec des inspecteurs, ce qui aujourd'hui n'est pas le cas.
Q - Vous avez pris note de la proposition émirienne ce matin. Que pensez-vous de cette proposition en tant que France et l'Union européenne ?
R - Je constate que la position des Emirats est une position qui n'a pas été reprise par la Ligue arabe. Je constate également qu'elle n'a pas été approuvée par les groupes du pays du Golfe. Ils en ont pris note.
Q - Vous allez l'étudier ?
R - Nous n'avons pas à l'étudier. C'est plutôt à Saddam Hussein à l'étudier.
Q - Qu'arriverait-il si les Etats-Unis déclaraient la guerre et trouvaient des armes de destruction massive en Iraq ? Que serait la position de la France dans ce cas ?
R - Vous savez, avec des "si" on peut faire beaucoup d'hypothèses. Donc, je vais rester sur la résolution 1441, sur les rapports de MM. Blix et El Baradeï, ce qu'ils nous expliquent sur le nucléaire, sur le balistique, sur le biologique et sur le chimique. Et nous sommes là sur des séquences qui sont très rythmées puisque toutes les deux à trois semaines, ils viennent au Conseil de sécurité faire état de l'avancement de leurs travaux et on voit manifestement que ceci apporte des réponses, que des armes sont détruites.
Q - Permettez-moi de vous poser la question franchement. Il y a ceux qui affirment, manipulés, poussés en cela par les Américains, que la position française n'est pas dictée par les principes mais par des intérêts. Qu'est-ce qui explique une telle position française ?
R - Les intérêts, ce sont les intérêts économiques ? Je vais vous donner quelques chiffres parce que je les ai lus avec beaucoup d'intérêt. Je crois que la part de l'Iraq dans le commerce extérieur français est de 0,3 %. J'ai balayé le volet économique mais je veux revenir sur le problème moral et du droit. Nous croyons en la puissance des Nations unies. Nous croyons en sa légitimité. Nous sommes attachés à cet endroit qui incarne la démocratie internationale et qui représente l'ensemble de la Communauté des nations. Nous souhaitons que ce que nous croyons au juste soit débattu là-bas et décidé tous ensemble là-bas. C'est notre morale, c'est notre histoire, c'est notre culture. L'Iraq en 2001 n'a représenté que 0,2 % de nos exportations et 0,3 % de nos importations. Vous voyez, j'ai bonne mémoire. Et parmi les fournisseurs de l'Iraq, nous sommes en baisse constante depuis 1996.
Q - Mais ce que l'on entend, ici ou là dans les couloirs, ce que l'on lit dans les journaux, c'est que la France voudrait une part bien précise du "gâteau iraquien", elle et l'Allemagne et qu'elle n'entrerait dans la guerre, qu'elle ne participerait à la guerre que si cette "part du gâteau" est fixée, est assurée ?
R - Vous savez, l'on peut dire beaucoup de choses. Notre position n'a pas évolué depuis avant le mois de septembre où le débat s'est engagé aux Nations unies. Si c'était un débat sur nos intérêts, il est vraisemblable qu'il n'aurait pas été mené du tout de la même manière. Il faut voir l'évolution d'autres pays, d'ailleurs, qui ont évolué pour des raisons qui sont les mêmes mais qui ne correspondent pas à notre éthique./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mars 2003)