Interview de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à "Radio France internationale" le 19 mars 2003, sur la position française dans la question irakienne, le rôle de la francophonie à l'échelle internationale, notamment comme contrepoids à la puissance américaine, et sur les suites du coup d'Etat du général Bozizé en Centrafrique.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Nous sommes dans la semaine de la Francophonie. C'est demain la Journée de la Francophonie. En charge de ce dossier, vous êtes un des hommes qui dirigent la diplomatie française, alors allons tout de suite au dossier irakien : depuis l'annonce par George Bush de cet ultimatum sur l'Irak qui expire dans une vingtaine d'heures, la presse mais aussi les hommes politiques anglo-saxons ne ménagent pas leurs critiques vis-à-vis de la France. Hier par exemple devant les députés britanniques, Tony Blair a expliqué que, si les Nations unies n'étaient pas parvenues à s'unir, ce que la menace du veto français a empêché, ça a empêché peut-être Saddam Hussein de se soumettre. Qu'est-ce que vous pensez de cette analyse qui renvoie à la France la responsabilité de la guerre ?
R - C'est une analyse que nous ne partageons pas, bien évidemment. Ce qu'il faut observer, c'est qu'il n'y a pas actuellement au Conseil de sécurité des Nations unies, et d'ailleurs aussi sur le plan général aux Nations unies, de majorité pour soutenir la position des Américains et des Britanniques. Alors, dans la situation actuelle qui est naturellement extrêmement tendue compte tenu de la gravité des problèmes, et avec des opinions publiques qui sont quand même très secouées par tout cela, et en particulier en Grande-Bretagne, on peut très bien comprendre que, sur le plan politique, le Premier ministre britannique cherche à présenter les choses de cette manière et cherche à nous renvoyer la responsabilité sur ce sujet. Mais la vérité telle que tout le monde, je pense, peut l'observer, c'est que nous avons depuis le début défendu la logique qui était celle des Nations unies elles-mêmes. Le Conseil de sécurité a pris une résolution, la 1441 - maintenant, tout le monde commence à la connaître ! - qui dit très clairement que c'est aux inspecteurs qui sont chargés d'assurer, de vérifier le désarmement de l'Irak, de dire si, oui ou non, ils sont en mesure d'exercer leur mission.
Q - Mais cette politique n'est pas allée à son terme.
R - Elle est interrompue parce que les Américains ont décidé de l'interrompre.
Q - Et donc la responsabilité de cette interruption, contrairement à ce que dit Tony Blair, n'incombe pas à la France ?
R - C'est tout à fait notre avis.
Q - A quoi va servir le débat aujourd'hui à l'ONU auquel Dominique de Villepin, le ministre des Affaires étrangères, va participer ?
R - Je ne peux pas vous dire à l'avance comment va se passer cette réunion.
Q - Mais quel est l'objectif ?
R - Je pense que les Américains et les Britanniques auront renoncé à proposer une autre résolution, comme ils l'avaient envisagé un moment, puisqu'ils se sont, je crois, résignés à l'idée qu'ils n'auraient pas de majorité pour la faire accepter. Donc cette réunion va examiner la situation ainsi que les conséquences à tirer du déclenchement de cette offensive.
Q - Pierre-André Wiltzer, c'est donc la semaine de la Francophonie, au-delà des aspects culturels et linguistiques dont on reparlera, quel peut-être le rôle de la Francophonie dans ce débat sur le rôle de l'ONU, dans ce débat sur la guerre en Irak ?
R - Je crois que la Francophonie, - on s'en rend compte dans ces circonstances -, incarne aussi, beaucoup plus que précédemment d'ailleurs, un certain message sur la conception du monde. Pour les pays de la Francophonie qui sont eux-mêmes extrêmement divers - ces 56 pays sont très différents les uns des autres - il y a quelques principes fondateurs communs, en particulier celui que les cultures, les croyances, les religions, les langues aussi, bien entendu, doivent être respectées et qu'un monde unifié, unipolaire, dominé par une seule puissance, une seule idée serait un monde dangereux.
Q - La Francophonie, est-ce que c'est un pôle d'opposition à l'unilatéralisme américain ?
R - C'est un contrepoids dirais-je, plutôt qu'un pôle d'opposition, parce que ce n'est pas quelque chose d'agressif, c'est quelque chose qui doit équilibrer ce qu'on sent menacé, c'est-à-dire le risque d'une économie dominante qui entraîne aussi une culture dominante.
Q - Le soutien des 56 membres de la Francophonie à la France a-t-il été total ces dernières semaines ?
R - Nous n'avons pas fait de pointage parce que ce n'est pas l'ONU, la Francophonie, mais j'ai quand même le sentiment que, très largement, l'ensemble des pays francophones partagent la même position sur ce sujet.
Q - Ils s'opposent donc quand même à certains principes défendus par Georges Bush ?
R - En tout cas, ils souhaitent que la diversité soit respectée, que l'identité des peuples soit respectée.
Q - Est-ce que vous craignez, Pierre-André Wiltzer, que le torchon brûle et qu'il y ait des conséquences lourdes entre la France et les Anglo-saxons ?
R - Il y a en ce moment une période de tension, bien entendu, c'est vrai, il ne faut pas le cacher, mais en même temps il ne faut pas la dramatiser. Nous n'avons pas la même analyse sur ce sujet, mais comme on l'a dit et c'est une constante du gouvernement français, le président de la République lui-même l'a répété avec force, les Américains, les Britanniques et ceux qui les suivent sont nos amis et nos alliés. Il y a en ce moment un désaccord sur ce point. Nous n'allons pas envoyer de force militaire pour participer à l'opération en Irak mais nous continuons bien entendu à être des alliés des Américains.

Q - Et si les troupes américaines et britanniques sont attaquées par des gaz, par des produits chimiques ou biologiques, est-ce que la France participerait à ce conflit ?
R - Alors là nous retombons dans la question fondamentale qui est en cause, c'est-à-dire justement les armements de destruction massive. Si l'Irak utilise ce genre d'instruments, bien entendu cela change tout.
Q - Cela change tout quoi pour la France ?
R - Cela change tout, c'est-à-dire que nous estimons en effet que notre devoir de solidarité s'exercera et que nous serons au côté des Américains et des Britanniques. Mais pour le moment, rien ne nous a montré, de ce que les inspecteurs ont pu faire comme travail d'investigation, que ces armements existaient et seraient utilisables.
Q - Pierre-André Wiltzer, je voudrais également que l'on parle de la Centrafrique où le général Bozizé a pris le pouvoir le week-end dernier. Il a dit hier, y compris sur l'antenne de Radio France Internationale, qu'il souhaitait que les soldats français, qui sont venus sécuriser l'aéroport de Bangui, restent. Est-ce qu'ils vont rester ?
R - Les soldats français sont venus pour assurer la sécurité de nos concitoyens, de nos compatriotes qui sont là, à Bangui et dans la région, ainsi que des étrangers.
Q - Des Américains y compris d'ailleurs, il y a eu une demande de Washington
R - Oui, il y a effectivement quelques citoyens américains qui sont là, et c'est normal d'ailleurs. Ils ne sont pas là spécialement à la demande de M. Bozizé.
Q - Est-ce qu'ils vont rester comme il le souhaite ?
R - Ils resteront jusqu'à ce que la situation soit un peu stabilisée, qu'on sache un peu vers quoi va s'orienter ce pays qui vient d'être, - je le redis, cela a été dit officiellement par le gouvernement français -, victime d'un coup d'Etat militaire qui est pour nous tout à fait inacceptable.
Q - Ce délai peut-il être long ?
R - Je suis incapable de vous le dire. Nous sommes en train de travailler avec les pays de la région, de la CEMAC pour effectivement faire tout ce qui est possible pour le retour au calme en Centrafrique et à un fonctionnement démocratique normal. Cela passe par un vrai dialogue national qui n'a pas réussi à se mettre en place au cours des dernières semaines malgré un certain nombre d'efforts faits par les uns par les autres, par nous aussi, et qui doit d'urgence s'organiser.
Q - Par exemple, le général Bozizé souhaite que la CEMAC puisse permettre de sécuriser Bangui et de sécuriser la région et il dit que la France pourrait y participer. Est-ce qu'on pourrait voir quelque chose comme ce qui se passe en Côte d'Ivoire avec les troupes de la CEDEAO et les troupes françaises ?
R - Les situations ne sont pas tout à fait identiques comme vous le savez. Ce qui est sûr, c'est que nos forces sont là-bas ainsi que celles de la CEMAC pour assurer, autant que possible, une sécurisation de la capitale et du pays. Mais bien entendu, ce n'est pas destiné à durer. Il faut que ce pays retrouve le plus vite possible une organisation, la capacité d'assurer lui-même sa propre sécurité. Nous n'allons pas être là simplement pour faire le travail à la place des autres.
Q - Et faire de la formation militaire aux Centrafricains ?
R - Oui, nous avons déjà entrepris de faire de la formation des militaires centrafricains en diverses circonstances et ça pourrait reprendre quand il y aura un gouvernement légal en Centrafrique.
Q - Pensez-vous que le général Bozizé a l'intention de donner rapidement le pouvoir aux civils ?
R - Eh bien! Il faut le souhaiter. Je n'ai pas d'indication particulière mais il faut le souhaiter.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mars 2003)