Texte intégral
RTL - 7h50
Le 3 septembre 2003
J.-M. Aphatie - Bonjour X. Darcos. Hier, c'était la rentrée, ça s'est plutôt bien passé. Vous êtes soulagé ce matin ?
- "Nous sommes assez contents que cela se soit bien passé, mais vous savez les jours de rentrée, techniquement, cela se passe généralement à peu près bien, parce que c'est une grosse machine l'Education Nationale, qui sait mettre des professeurs devant des élèves, et les répartir dans des classes. C'est maintenant que la rentrée est faite que les choses commencent."
Ca s'est bien passé, mais qu'y a t-il dans la tête des professeurs ? Au hasard des lectures, j'ai relevé, lundi, dans le journal Libération, ces propos de Judith Bernard, qui a 31 ans, qui est professeur de Lettres à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. "Raffarin se fout des profs - dit-elle -, il a obtenu ce qu'il voulait. On s'est fait haïr par l'opinion publique. Certains ont perdu jusqu'à 50 % de leur salaire, et on arrive aujourd'hui complètement démotivés". Judith Bernard, vous êtes son employeur, Xavier Darcos, que lui dites-vous ce matin ?
- "Je lui dis qu'on ne peut pas jeter la pierre au Gouvernement lorsque, après des mouvements de grève très très soutenus, il applique la loi pour ce qui concerne les prélèvements des jours non travaillés."
On va y revenir.
- "Mais que, dans le même temps, en appliquant la loi, toute la loi, rien que la loi, le Gouvernement n'a pas l'intention de faire une guérilla aux professeurs français, aux enseignants. Et que, contrairement à ce que pense cette collègue de Bobigny, non seulement il n'a pas l'intention de montrer un ostracisme quelconque, mais il sait qu'il faut renouer avec eux. Il faut renouer avec eux pour une raison simple d'ailleurs : c'est que, lorsqu'on a des mouvements comme ceux qu'on a eus au printemps dernier, c'est qu'il y a forcément des raisons profondes, beaucoup plus profondes que le conflit avec telle ou telle personne, ou que la crispation sur le fait de savoir si une catégorie de professionnels va être décentralisée ou pas. Il y a une question beaucoup plus profonde. Et en conséquence..."
Une question au malaise d'ailleurs.
- "Oui, enfin..."
Est-ce que le grand débat que vous organisez a notamment pour objet d'essayer de scruter ce malaise. Peut-il vous apporter - ce grand débat - des éléments de connaissance sur l'Education et sur les enseignants que vous ne possédez pas aujourd'hui ?
- "Nous savons à peu près ce que c'est que l'Education Nationale. Mais hélas ! le regard objectif ne suffit pas. C'est une maison qui ne travaille que dans la matière humaine. Ce sont des gens qui parlent à des gens. Ce sont des adultes qui parlent à des jeunes. Tout ça se fait dans un contexte extrêmement affectif, où la relation "interpersonnelle" est très très forte. Il ne suffit pas de savoir, en chiffres et techniquement, ce qu'est le monde du ministère de l'Education Nationale pour pouvoir en juger utilement. Donc, je disais - je reprends ma phrase - en conséquence, je crois qu'il fallait absolument que le Gouvernement rappelle, non seulement aux professeurs, mais à la nation, que ce qui se joue à l'école c'est ce qu'il y a de plus important pour un pays comme le nôtre ! Nous n'avons à vendre que notre intelligence. La marchandisation de l'école inquiète les professeurs, mais il ne s'agit pas de ça. Il s'agit d'être dans le marché du savoir. Il s'agit de tirer notre épingle du jeu. D'où le grand débat, en effet, qui n'est nullement une réponse tactique momentanée pour répondre à des difficultés propres au printemps. Il s'agit d'appliquer tout simplement le programme du Gouvernement, tel qu'il avait été annoncé dès l'origine, tel qu'il avait été proposé par le candidat Chirac. Nous avions promis ce grand débat, non pas seulement pour savoir ce qu'est l'Education Nationale, car - je le répète -, on peut le savoir, mais pour arriver à trouver un consensus, ce qu'on appelle aujourd'hui "un diagnostic partagé" par tous les citoyens sur leur Ecole. Mettons-nous d'accord sur ce qui va et ce qui ne va pas, et une fois qu'on aura ce consensus, avançons. Sinon, on aura toujours l'impression qu'on joue un camp contre un autre, ou la société contre les professeurs, ce qui est évidemment absurde !"
Vous parliez d'un contexte très affectif. Cette affectivité-là, au fond, L. Ferry la concentre beaucoup. Certains enseignants le comparent aujourd'hui à C. Allègre. "Sans doute Luc Ferry, disent-ils, est-il dévoué à la cause de l'Education Nationale, mais il est maladroit, il parle trop vite, c'est un peu difficile de l'avoir comme ministre". Cette comparaison de L. Ferry avec C. Allègre, vous en dites quoi ?
- "Non, je crois que les conditions ne sont pas du tout les mêmes. C. Allègre..."
Les conditions... mais les personnages ?
- "Les personnages non plus ! Claude Allègre, est quelqu'un de très impulsif, très exposé, qui considérait qu'il fallait imposer à toute force ses réformes, qui d'ailleurs n'étaient toutes absurdes. Claude Allègre connaissait bien les besoins de réformes du ministère. C'était plutôt une question de méthode qu'une question de fond."
Et ce n'est pas pareil pour L. Ferry ?
- "On peut nullement dire ça de L. Ferry qui, d'abord est un homme absolument charmant."
Ce n'est pas contesté.
- "Qui n'est pas un colérique. J'étais au ministère à l'époque de Claude Allègre, je peux faire la différence je vous assure. Mais de toute façon comparaison n'est pas raison. Je crois que la discussion avec les ministres du passé, avec Claude Allègre et Jack Lang, est un peu sans intérêt au fond ! Et je crois qu'il faut arrêter de ressasser, et penser au futur. Ce que je vois, c'est que Luc Ferry a une véritable pensée sur l'Ecole. Que le diagnostic d'ailleurs, qu'il a porté, avec C. Haigneré et moi-même, sur la situation aujourd'hui de l'école française n'est guère discuté. Simplement, que les réformes sont difficiles, parce qu'il s'agit de s'adresser à un public de fonctionnaires très important - plus d'un fonctionnaire sur deux en France travaille à l'Education Nationale. Et surtout de toucher à un sujet qui concerne tout le monde. Tout Français, à quelque âge qu'il ait, est concerné par l'école. Il y a 60 millions de spécialistes de l'Ecole en France. Et dès que vous touchez à un problème scolaire, eh bien vous avez évidemment quelqu'un qui privativement vous dit : oui mais moi, ça ne m'arrange pas, moi j'ai un avis, j'ai une petite fille qui fait ceci, j'ai une cousine qui fait cela. Ma femme s'en occupe. Tout le monde a un avis, et personne finalement n'arrive à trouver finalement un accord. D'où, ce que demande J.-P. Raffarin à juste titre : ayons, d'abord, un diagnostic partagé et ensuite proposons des réformes."
La direction de l'UNEF, le syndicat étudiant, fait une conférence de presse ce matin : les droits d'inscription en hausse, les aides au logement réduites. Voilà qui fâchent les étudiants. Craignez-vous un nouveau front ?
- "Nous allons bien voir ce que dit l'UNEF. Les augmentations qu'ils évoquent pour ce qui concerne les inscriptions sont de toute façon marginales. On peut dire, en gros, que les études supérieures en France sont gratuites. Ce qui n'est pas le cas partout ! Premièrement. Deuxièmement, pour ce qui concerne l'APL, puisque c'est de cela dont il s'agit, l'Aide Personnalisée au Logement..."
Oui, qui a l'air de causer quelque émoi chez les étudiants.
- "Tout ceci n'est pas complètement réglé. Et là aussi je pense, nous sommes un petit peu à la marge. Certes, il faut être vigilants sur toutes ces questions. C'est un monde très réactif, c'est un monde qui peut s'embraser très vite, et c'est vrai que, lorsque les étudiants ou les plus jeunes sont mobilisés, il est beaucoup plus difficile de reprendre les choses en main parce que, là, on n'est plus dans le rationnel !"
Dernière question X. Darcos : Le Canard Enchaîné du 9 juillet, indiquait que le Conseil Municipal de Périgueux, où vous siégez comme premier adjoint, a décidé de baptiser l'une des rues de la ville du nom d'Y. Guéna, lui-même ancien maire de Périgueux, mais il est toujours vivant puisqu'il préside le Conseil Constitutionnel. Alors, cet honneur sans doute mérité est-il compatible avec la distance et la réserve qui doivent présider aux relations entre un membre du gouvernement, vous, et le président du Conseil Constitutionnel, susceptible de sanctionner votre action ?
- "Oui. D'abord je ne suis pas maire de Périgueux, je suis premier adjoint."
Premier adjoint, c'est ce que j'ai dit.
- "Je pense qu'Y. Guéna était heureux que nous puissions faire un petit signe en sa faveur, au moment où il va bientôt quitter les fonctions de Président du Conseil Constitutionnel au milieu de l'année prochaine. Il a été maire de Périgueux pendant vingt-sept ans. Nous allons donner son nom à une place. Je ne crois pas qu'il y ait là, de ma part, une flagornerie excessive, qui pourrait induire l'idée que la ville de Périgueux cherche à se couvrir auprès du Conseil Constitutionnel. Je crois que tout le monde trouvera que notre attitude est non seulement normale, mais qu'un signe de reconnaissance vis-à-vis d'un grand serviteur de l'Etat n'est jamais malvenu."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 septembre 2003)
RMC Info - 8h35
Le 4 septembre 2003
J.-J. Bourdin - Concernant votre budget, ça y est, les arbitrages sont faits : + 2,8 % pour l'Education nationale en 2004. Est-ce que tous les départs à la retraite seront remplacés ?
- "Oui, le budget prévoit le remplacement des enseignants, autant qu'il est nécessaire. Le budget dont nous parlons, d'ailleurs, c'est celui de l'année prochaine, donc, pour l'instant, la question ne se pose pas. Ce n'est pas tant le problème des enseignants eux-mêmes qui a fait débat, que celui de l'assistance éducative, qui est plutôt difficile dans la période que nous connaissons, puisqu'il y a un passage du dispositif des anciens aides-éducateurs, qui étaient des emplois-jeunes, au nouveau dispositif, où ils s'appellent les "assistants d'éducation". Il y a donc là une période de transition qui complique un tout petit peu le passage de relais. Mais pour le reste, les choses ne vont pas trop mal."
Le budget de l'Education a augmenté de + 25 % ces vingt dernières années, mais le nombre de jeunes qui sortent de l'école sans qualification ne baisse plus, le taux de chômage des moins de 25 ans est le plus élevé des pays développés...
- "Le budget n'a pas augmenté de 25 %. Entre 1987 et 2003, il a doublé. Ce qui a augmenté de 25 %, c'est le nombre de professeurs, tandis que dans le même temps, nous perdions 500.000 élèves. Donc les chiffres sont beaucoup plus importants que ceux que vous dites. Non pas du tout qu'il nous faille le regretter, c'est très bien que le budget de l'école soit le premier budget de la Nation, il faut continuer. Mais il nous semble tout de même que, lorsque l'on donne ces chiffres, on se rend compte que l'investissement éducatif ne produit pas proportionnellement des résultats qualitatifs à la même hauteur. Donc c'est toute la question qui est posée. Non pas du tout qu'il faille reculer de la moindre manière sur l'investissement, sur le budget, mais [il faut] se poser la question de l'efficacité du système."
Le jour férié supprimé, le lundi de Pentecôte, est une suggestion du Premier ministre. Les enfants iront à l'école ce jour-là, si ce jour férié est supprimé ?
- "Si le jour férié est supprimé..."
Vous y êtes favorable ?
- "En tout cas, je crois que tout ce qui permet à la société d'assumer elle-même les moyens par lesquels on règle les problèmes, n'est pas mal, parce qu'il y a quand même une tendance très forte, dans la société française, peut-être plus chez nous qu'ailleurs, de considérer que tout est de la responsabilité des gouvernants, que c'est à eux de s'occuper des personnes âgées, c'est à eux de voir si les personnes âgées sont laissées seules chez elles, c'est à eux de lutter contre la canicule, c'est à eux de lutter contre tout... Je ne dis pas que le Gouvernement ne doit pas prendre ses responsabilités, bien sûr qu'il doit les prendre. Mais l'idée qu'il y ait une conscience collective, face aux évènements, face aux difficultés, que chacun doive apporter sa pierre, sa touche, sa part, n'est pas absurde. Donc l'idée de travailler un petit peu plus pour régler le problème de la montée en puissance des personnes âgées - je rappelle qu'en 2040, un Français sur trois aura plus de 65 ans -, l'idée que tout le monde prenne cela un peu en charge me paraît tout à fait naturelle et saine."
Le contexte économique aujourd'hui, avec le chômage qui augmente, les déficits publics qui se creusent, la France qui s'endette, l'Assurance-maladie qui est presque en faillite, Bruxelles qui veut nous sanctionner, J. Lang et L. Ferry qui se chamaillent, un peu ridicules ...
- "En tous les cas, il faut cesser de ressasser, il faut regarder devant soi."
Mais ridicule, cette chamaillerie ou pas ?
- "J. Lang a été très incisif, il a fait plusieurs articles tout à fait désobligeants pour le Premier ministre. Il est tout à fait normal qu'on réagisse, cela fait partie du jeu politique. Mais franchement, l'école de la Nation a d'autres besoins que des querelles privatives entre des ministres actuels et anciens."
On est d'accord ! Vous avez touché les enseignants au porte-monnaie et la rentrée se passe bien ?
- "Nous avons essayé d'appliquer la loi de la manière la plus simple et sans violence particulière. Quand on fait un jour de grève, on a un "précompte" comme on dit, on n'a pas payé pour un trentième du mois. C'est traditionnel. Les professeurs ont fait beaucoup grève pour certains d'entre eux et, du coup, cela fait des sommes importantes, que nous étalons. Mais nous ne cherchons nullement à faire une sorte de pression ou de répression en appliquant la loi : on applique la loi, c'est tout."
A propos de "36 heures", l'émission de politique-réalité : vous y iriez, vous, passer 36 heures avec des Français ?
- "Certainement pas. Je trouve, en ce qui me concerne - je parle là, vraiment, de manière privée - qu'il y a une trop grande confusion entre la vie privée et la vie publique. Un homme politique est un homme politique, qui prend des responsabilités, qui prend des engagements. Je ne vois pas l'intérêt pour les Français de le voir en slip ou en pyjama, en train de papoter avec des gens qu'il ne connaissait pas quelques jours avant. Tout ne présente, à mon avis, aucun intérêt politique."
Les personnels TOS de l'Education nationale travailleront pour les collectivités locales à partir du 1er janvier 2005 ?
- "Ils travailleront pour des établissements scolaires, ils travailleront, comme ils le font aujourd'hui, dans le cadre du service public..."
Mais ils seront rattachés aux collectivités locales ?
- "Oui, ils seront rattachés aux collectivités locales, mais il a été prévu, comme vous le savez, parce qu'ils étaient un peu inquiets sur leurs missions, de créer un cadre d'emploi leur donnant un statut qui garantisse qu'ils resteront dans les établissements scolaires, qu'ils rempliront les missions qui sont les leurs aujourd'hui et que nullement ils ne pourraient être mutualisés et envoyés ici ou là. Donc toutes les garanties sont données à ces personnels, pour que leur mode de fonctionnement et leurs missions soient préservés."
Le primaire, c'est là où le bât blesse en cette rentrée, c'est plus difficile parce qu'il y a plus d'enfants, tout simplement. La maternelle : êtes-vous partisan d'une scolarisation précoce à deux ans ?
- "Je me suis toujours exprimé sur cette question avec beaucoup de prudence. Il faut que cette décision soit prise dans l'intérêt des enfants. S'il est dans l'intérêt de l'enfant qu'il soit pré-scolarisé - parce qu'on parle de pré-scolarisation à deux ans, ce sont de tous petits bouts de choux -, parce qu'il n'y a pas crèche, parce qu'il est mal entouré, parce qu'il a besoin d'un soutien affectif ou social plus fort, faisons-le. Ce que nous constatons simplement, c'est qu'aujourd'hui, à peu près un tiers des enfants sont pré-scolarisés, à deux ou à trois ans. Ils le sont souvent dans les quartiers plutôt favorisés et que dans les endroits où on en aurait le plus besoin, cela ne se fait pas forcément. Et surtout, on scolarise souvent à deux ans, non pas du tout parce que l'on se dit que c'est bien pour les petits, mais parce que cela permet de ne pas fermer les classes et que c'est une variable d'ajustement de la carte scolaire. Donc, oui à la scolarisation à deux ans, à condition que cela soit fait dans l'intérêt des petits enfants de France. Cela dit, je rappelle que normalement, pour être scolarisés, il faut savoir dire son nom et être propre. Et je voudrais qu'on me montre beaucoup d'enfants de deux ans qui savent dire leur nom et qui sont propres !"
Sur le redoublement en CP, quelle est votre position, parce qu'il y a un débat autour de ce redoublement ?
- "Actuellement, le CP est à l'intérieur d'un cycle, le cycle des apprentissages fondamentaux et, en principe, on évite de faire redoubler les enfants à l'intérieur d'un cycle, parce qu'il y a une unité de formation. Cela dit, comme l'a dit très justement L. Ferry, il ne faut pas non plus s'enfermer dans des espèces de principes étroits. Si les professeurs, les instituteurs considèrent que c'est l'intérêt du jeune de recommencer un CP, ou de le recommencer sous une autre façon, puisque maintenant on fait des CP dédoublés ou des CP renforcés, eh bien, faisons-le. Mais n'instituons pas comme principe qu'on ferait redoubler de manière systématique le CP, parce que commencer sa carrière d'élève par un redoublement, ce peut être évidemment un stimulant, mais ce peut être aussi un élément un peu décourageant."
L'apprentissage de la lecture est un vaste problème dans notre pays. Doit-on abandonner la méthode globale ?
- "Oui, c'est d'ailleurs plus ou moins fait. Les professeurs utilisent des méthodes très mixtes, très variables. Ils s'adaptent beaucoup."
Syllabiques ou autres ?
- "Syllabiques ou autres, mais enfin, ils mélangent un peu les méthodes en fonction des besoins des élèves, de leur milieu, de leur aisance naturelle, de leur capacité d'apprendre, il y a une grande variété. Ce sont moins les méthodes maintenant qui sont en cause - cela a été longtemps les méthodes, à juste titre, comme vous le disiez -, que tout simplement des enfants qui sont plus dispersés, qui arrivent nombreux, qui ne sont pas habitués à se concentrer, qui très tôt sont dans un univers où on communique par la télévision, où on a d'autres moyens de connaissance. Du coup, la concentration sur l'apprentissage de la lecture est un petit peu plus difficile pour eux."
Question de Philippe, un auditeur, professeur des écoles en Haute-Garonne : Je voulais vous poser une question en forme de boutade : simplement, à part nos salaires, qu'avez-vous retenu des derniers mouvements de grève ? Que vous ont-ils appris, sur les enseignants notamment ?
- "Vous savez, les enseignants, je crois pouvoir dire que je les connais un petit peu, étant moi-même enseignant depuis 1968, ayant rempli toutes les fonctions possibles et imaginables - professeur de collège, professeur de lycée, inspecteur etc. Ce que j'ai appris et que peut-être j'avais mal perçu - là, je veux bien reconnaître qu'il fallait que je révise un peu -, c'est à quel point les métiers avaient évolué et étaient finalement ressentis par beaucoup de nos collègues comme de plus en plus pénibles, alors que dans le même temps, nous ne donnions pas suffisamment - je dis "nous", j'allais dire "la Nation française" - de signes aux professeurs du fait que c'est eux qui remplissent le métier le plus utile au monde. La France n'a que son intelligence à vendre, le marché du savoir est la clé de la réussite française. Nous n'avons donc peut-être pas aperçu cela assez, nous avons peut-être été un peu trop à distance de ces difficultés et nous avons laissé se créer un ressentiment."
Cela va être le fond du débat sur l'école ?
- "Pas seulement, mais en tous les cas, il faut que nous nous souvenions qu'il faut rendre aux professeurs leur honneur, leur place, leur légitimité, qu'il faut être plus attentif à la mission essentielle qui est la leur."
[...]
Question de Marie Laure, une auditrice, professeur d'espagnol dans un collège de l'Essonne : Selon un sondage Sofres, 76 % des professeurs trouvent leur formation en inadéquation avec leur métier. Comment comptez-vous y remédier ?
- "Comme vous le savez, il y a, sur le chantier, un réforme complète des IUFM et de la formation. Il y a d'ailleurs une première étape qui a été donnée. Je crois que la formation des enseignants, il ne faut pas renoncer complètement à l'aspect professionnel, il ne faut pas du tout renoncer au faut qu'il y ait des écoles professionnelles que sont les IUFM, mais fondamentalement, la théorisation des pratiques, en pédagogie, a montré ses limites. On sait très bien que le métier d'enseignant suppose de bien connaître sa discipline, mais surtout aussi d'être capable d'être très tôt en relation avec des élèves. Du coup, tout ce qui s'est fait dans les IUFM sous forme de théorisation, de conceptualisation, de pédagogie transversale, il faut bien reconnaître que cela ne sert à peu près à rien..."
Vous allez réformer tout cela ?
- "Il le faudrait, parce que cela ne sert à peu près à rien..."
C'est un chantier à ouvrir ?
- "Le chantier de l'IUFM a été ouvert, a été commencé d'ailleurs, nous commençons déjà à y travailler. L. Ferry a déjà fait une communication en Conseil des ministres à ce sujet. Et cette réforme doit continuer."
Question de Marie-Jo, auditrice dans le Gers, secrétaire, mère d'une enseignante : "Comment se fait-il qu'un enseignant ou une enseignante, puisse être nommé aussi loin de son domicile, avec trois enfants de cinq, quatre et deux ans ?"
J.-J. Bourdin : C'est votre fille, qui travaille à 70 km de chez elle ?
Marie-Jo : "Oui."
- "70 km, là encore, je vais être cruel en vous répondant cela : ce n'est pas si extraordinaire. Le problème est simple : les professeurs qui rentrent dans le métier, ils prennent les postes qui sont vacants. Ceux qui ne sont pas vacants, on ne peut pas demander aux professeurs qui en place de partir parce que quelqu'un d'autre va arriver. Donc, c'est tout le problème du mouvement que vous posez là. Soit, du mouvement départemental, pour ce qui est des professeurs du Premier degré, soit du mouvement national, qui est encore plus compliqué, pour ce qui est des professeurs du Second degré, et sur lequel, je dois dire, nous n'avons pas beaucoup de solutions. Il est absolument inévitable que les professeurs qui entrent dans la carrière prennent les postes vacants, et parfois, cela ne leur va pas complètement au plan de la géographie. C'est tout à fait désolant, je le sais."
Marie-Jo, du Gers : "Oui, mais enfin, elle ne rentre pas dans la profession. Il y a 11 ans qu'elle est maître-auxiliaire.
- "Ah oui, [Teseder, phon.] c'est autre chose. Oui, 70 km c'est peut-être beaucoup, mais alors vraisemblablement, elle doit quand même très rapidement pouvoir se rapprocher, elle n'est déjà pas très très loin, du moins il faut l'espérer."
Clément, auditeur du Val de Marne, cadre commercial : Une question toute simple : on parle souvent des rythmes scolaires. Monsieur le ministre trouve-t-il normal qu'un enfant de 14 ans, en classe de 3 ème ait 32 heures de cours, six jours sur sept, lundi, mardi, mercredi matin, jeudi, vendredi et samedi matin ? Ce qui fait qu'avec les heures de préparation, il travaille en moyenne entre 45 et 50 heures, soit largement plus que l'heure de travail normale d'un cadre commercial ou d'un salarié normal, actuellement ?
- "Je vais vous faire une réponse imprudente, parce que certainement on va en entendre parler, mais je pense que vous avez raison. Je pense que le système français accable de trop d'heures, mal distribuées dans la journée, les élèves de France. Et que, plus on monte d'ailleurs curieusement dans la formation, plus on va de l'école primaire au lycée, et plus les heures s'accumulent, alors qu'on devrait penser au contraire, que plus l'enfant progresse et plus il est autonome, plus il peut utiliser l'informatique, plus il peut utiliser des ressources documentaires pour travailler par lui-même, et qu'il faudrait alléger tout cela. D'autant que nous savons par de nombreuses statistiques, que la corrélation entre le nombre d'heures et la performance scolaire n'est pas absolue. On n'a pas besoin de faire beaucoup beaucoup d'heures pour forcément bien réussir. C'est toute la question des disciplines."
Vous allez, là aussi, engager une réforme ?
- "Absolument. Dans le grand débat, le problème du temps scolaire, le problème de l'organisation scolaire, des horaires, des services sera certainement évoqué. Et je suis heureux de voir que des parents commencent à s'en alarmer parce que j'ai toujours été d'avis qu'en France, les élèves ont trop d'heures."
Stéfanie, auditrice de la Drôme, aide éducatrice : "Je suis aide-éducatrice, c'est ma dernière année, je finis en avril, j'aimerais bien que le contrat soit prolongé jusqu'en juin pour finir l'année scolaire..."
- "Ce sera le cas."
Stéfanie : "C'est bien, parce que vis-à-vis des élèves, c'est bien de finir ce qu'on a commencé. Je voudrais savoir pourquoi on n'a pas renouvelé le dispositif aide-éducateur [...] alors qu'on commence à être performant. Je pense qu'on aurait pu être intégrés à l'Education nationale ?"
- "C'est une question qui n'est pas seulement celle de l'Education nationale, qui est celle des emplois-jeunes en général. Cela dit, ce que vous dites, est vrai. C'est-à-dire que, nous avons, là, des personnels qui ont commencé à rendre des services, qui se sont formés, qui se sont adaptés au métier, et c'est tout à fait dommage de voir que cette expérience disparaît. J'espère, pour vous, et je crois qu'il faut que nous y veillons, que vous pourrez être versée dans le statut des assistants-d'Education, de sorte de continuer à rendre ce service."
Stéfanie : Je pensais qu'on ne pouvait pas passer d'emploi aide-éducateur à assistant-d'Education...
- "Cela dépend de votre âge, de votre formation. Ce que nous essayons de faire comprendre, c'est que le plus souhaitable pour des personnes comme vous, c'est d'essayer de passer maintenant nos concours ou d'essayer de faire intégrer par des [?] dans des fonctions..."
Stéfanie : C'est ce que j'essaye de faire.
- "C'est la meilleure solution, parce que, de fait, le dispositif des assistants-d'Education se substitue maintenant aux aides-éducateurs parce que les aides-éducateurs étaient des emplois-jeunes, et que désormais, ce statut n'existera plus."
[...]
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 septembre 2003)
Le 3 septembre 2003
J.-M. Aphatie - Bonjour X. Darcos. Hier, c'était la rentrée, ça s'est plutôt bien passé. Vous êtes soulagé ce matin ?
- "Nous sommes assez contents que cela se soit bien passé, mais vous savez les jours de rentrée, techniquement, cela se passe généralement à peu près bien, parce que c'est une grosse machine l'Education Nationale, qui sait mettre des professeurs devant des élèves, et les répartir dans des classes. C'est maintenant que la rentrée est faite que les choses commencent."
Ca s'est bien passé, mais qu'y a t-il dans la tête des professeurs ? Au hasard des lectures, j'ai relevé, lundi, dans le journal Libération, ces propos de Judith Bernard, qui a 31 ans, qui est professeur de Lettres à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. "Raffarin se fout des profs - dit-elle -, il a obtenu ce qu'il voulait. On s'est fait haïr par l'opinion publique. Certains ont perdu jusqu'à 50 % de leur salaire, et on arrive aujourd'hui complètement démotivés". Judith Bernard, vous êtes son employeur, Xavier Darcos, que lui dites-vous ce matin ?
- "Je lui dis qu'on ne peut pas jeter la pierre au Gouvernement lorsque, après des mouvements de grève très très soutenus, il applique la loi pour ce qui concerne les prélèvements des jours non travaillés."
On va y revenir.
- "Mais que, dans le même temps, en appliquant la loi, toute la loi, rien que la loi, le Gouvernement n'a pas l'intention de faire une guérilla aux professeurs français, aux enseignants. Et que, contrairement à ce que pense cette collègue de Bobigny, non seulement il n'a pas l'intention de montrer un ostracisme quelconque, mais il sait qu'il faut renouer avec eux. Il faut renouer avec eux pour une raison simple d'ailleurs : c'est que, lorsqu'on a des mouvements comme ceux qu'on a eus au printemps dernier, c'est qu'il y a forcément des raisons profondes, beaucoup plus profondes que le conflit avec telle ou telle personne, ou que la crispation sur le fait de savoir si une catégorie de professionnels va être décentralisée ou pas. Il y a une question beaucoup plus profonde. Et en conséquence..."
Une question au malaise d'ailleurs.
- "Oui, enfin..."
Est-ce que le grand débat que vous organisez a notamment pour objet d'essayer de scruter ce malaise. Peut-il vous apporter - ce grand débat - des éléments de connaissance sur l'Education et sur les enseignants que vous ne possédez pas aujourd'hui ?
- "Nous savons à peu près ce que c'est que l'Education Nationale. Mais hélas ! le regard objectif ne suffit pas. C'est une maison qui ne travaille que dans la matière humaine. Ce sont des gens qui parlent à des gens. Ce sont des adultes qui parlent à des jeunes. Tout ça se fait dans un contexte extrêmement affectif, où la relation "interpersonnelle" est très très forte. Il ne suffit pas de savoir, en chiffres et techniquement, ce qu'est le monde du ministère de l'Education Nationale pour pouvoir en juger utilement. Donc, je disais - je reprends ma phrase - en conséquence, je crois qu'il fallait absolument que le Gouvernement rappelle, non seulement aux professeurs, mais à la nation, que ce qui se joue à l'école c'est ce qu'il y a de plus important pour un pays comme le nôtre ! Nous n'avons à vendre que notre intelligence. La marchandisation de l'école inquiète les professeurs, mais il ne s'agit pas de ça. Il s'agit d'être dans le marché du savoir. Il s'agit de tirer notre épingle du jeu. D'où le grand débat, en effet, qui n'est nullement une réponse tactique momentanée pour répondre à des difficultés propres au printemps. Il s'agit d'appliquer tout simplement le programme du Gouvernement, tel qu'il avait été annoncé dès l'origine, tel qu'il avait été proposé par le candidat Chirac. Nous avions promis ce grand débat, non pas seulement pour savoir ce qu'est l'Education Nationale, car - je le répète -, on peut le savoir, mais pour arriver à trouver un consensus, ce qu'on appelle aujourd'hui "un diagnostic partagé" par tous les citoyens sur leur Ecole. Mettons-nous d'accord sur ce qui va et ce qui ne va pas, et une fois qu'on aura ce consensus, avançons. Sinon, on aura toujours l'impression qu'on joue un camp contre un autre, ou la société contre les professeurs, ce qui est évidemment absurde !"
Vous parliez d'un contexte très affectif. Cette affectivité-là, au fond, L. Ferry la concentre beaucoup. Certains enseignants le comparent aujourd'hui à C. Allègre. "Sans doute Luc Ferry, disent-ils, est-il dévoué à la cause de l'Education Nationale, mais il est maladroit, il parle trop vite, c'est un peu difficile de l'avoir comme ministre". Cette comparaison de L. Ferry avec C. Allègre, vous en dites quoi ?
- "Non, je crois que les conditions ne sont pas du tout les mêmes. C. Allègre..."
Les conditions... mais les personnages ?
- "Les personnages non plus ! Claude Allègre, est quelqu'un de très impulsif, très exposé, qui considérait qu'il fallait imposer à toute force ses réformes, qui d'ailleurs n'étaient toutes absurdes. Claude Allègre connaissait bien les besoins de réformes du ministère. C'était plutôt une question de méthode qu'une question de fond."
Et ce n'est pas pareil pour L. Ferry ?
- "On peut nullement dire ça de L. Ferry qui, d'abord est un homme absolument charmant."
Ce n'est pas contesté.
- "Qui n'est pas un colérique. J'étais au ministère à l'époque de Claude Allègre, je peux faire la différence je vous assure. Mais de toute façon comparaison n'est pas raison. Je crois que la discussion avec les ministres du passé, avec Claude Allègre et Jack Lang, est un peu sans intérêt au fond ! Et je crois qu'il faut arrêter de ressasser, et penser au futur. Ce que je vois, c'est que Luc Ferry a une véritable pensée sur l'Ecole. Que le diagnostic d'ailleurs, qu'il a porté, avec C. Haigneré et moi-même, sur la situation aujourd'hui de l'école française n'est guère discuté. Simplement, que les réformes sont difficiles, parce qu'il s'agit de s'adresser à un public de fonctionnaires très important - plus d'un fonctionnaire sur deux en France travaille à l'Education Nationale. Et surtout de toucher à un sujet qui concerne tout le monde. Tout Français, à quelque âge qu'il ait, est concerné par l'école. Il y a 60 millions de spécialistes de l'Ecole en France. Et dès que vous touchez à un problème scolaire, eh bien vous avez évidemment quelqu'un qui privativement vous dit : oui mais moi, ça ne m'arrange pas, moi j'ai un avis, j'ai une petite fille qui fait ceci, j'ai une cousine qui fait cela. Ma femme s'en occupe. Tout le monde a un avis, et personne finalement n'arrive à trouver finalement un accord. D'où, ce que demande J.-P. Raffarin à juste titre : ayons, d'abord, un diagnostic partagé et ensuite proposons des réformes."
La direction de l'UNEF, le syndicat étudiant, fait une conférence de presse ce matin : les droits d'inscription en hausse, les aides au logement réduites. Voilà qui fâchent les étudiants. Craignez-vous un nouveau front ?
- "Nous allons bien voir ce que dit l'UNEF. Les augmentations qu'ils évoquent pour ce qui concerne les inscriptions sont de toute façon marginales. On peut dire, en gros, que les études supérieures en France sont gratuites. Ce qui n'est pas le cas partout ! Premièrement. Deuxièmement, pour ce qui concerne l'APL, puisque c'est de cela dont il s'agit, l'Aide Personnalisée au Logement..."
Oui, qui a l'air de causer quelque émoi chez les étudiants.
- "Tout ceci n'est pas complètement réglé. Et là aussi je pense, nous sommes un petit peu à la marge. Certes, il faut être vigilants sur toutes ces questions. C'est un monde très réactif, c'est un monde qui peut s'embraser très vite, et c'est vrai que, lorsque les étudiants ou les plus jeunes sont mobilisés, il est beaucoup plus difficile de reprendre les choses en main parce que, là, on n'est plus dans le rationnel !"
Dernière question X. Darcos : Le Canard Enchaîné du 9 juillet, indiquait que le Conseil Municipal de Périgueux, où vous siégez comme premier adjoint, a décidé de baptiser l'une des rues de la ville du nom d'Y. Guéna, lui-même ancien maire de Périgueux, mais il est toujours vivant puisqu'il préside le Conseil Constitutionnel. Alors, cet honneur sans doute mérité est-il compatible avec la distance et la réserve qui doivent présider aux relations entre un membre du gouvernement, vous, et le président du Conseil Constitutionnel, susceptible de sanctionner votre action ?
- "Oui. D'abord je ne suis pas maire de Périgueux, je suis premier adjoint."
Premier adjoint, c'est ce que j'ai dit.
- "Je pense qu'Y. Guéna était heureux que nous puissions faire un petit signe en sa faveur, au moment où il va bientôt quitter les fonctions de Président du Conseil Constitutionnel au milieu de l'année prochaine. Il a été maire de Périgueux pendant vingt-sept ans. Nous allons donner son nom à une place. Je ne crois pas qu'il y ait là, de ma part, une flagornerie excessive, qui pourrait induire l'idée que la ville de Périgueux cherche à se couvrir auprès du Conseil Constitutionnel. Je crois que tout le monde trouvera que notre attitude est non seulement normale, mais qu'un signe de reconnaissance vis-à-vis d'un grand serviteur de l'Etat n'est jamais malvenu."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 septembre 2003)
RMC Info - 8h35
Le 4 septembre 2003
J.-J. Bourdin - Concernant votre budget, ça y est, les arbitrages sont faits : + 2,8 % pour l'Education nationale en 2004. Est-ce que tous les départs à la retraite seront remplacés ?
- "Oui, le budget prévoit le remplacement des enseignants, autant qu'il est nécessaire. Le budget dont nous parlons, d'ailleurs, c'est celui de l'année prochaine, donc, pour l'instant, la question ne se pose pas. Ce n'est pas tant le problème des enseignants eux-mêmes qui a fait débat, que celui de l'assistance éducative, qui est plutôt difficile dans la période que nous connaissons, puisqu'il y a un passage du dispositif des anciens aides-éducateurs, qui étaient des emplois-jeunes, au nouveau dispositif, où ils s'appellent les "assistants d'éducation". Il y a donc là une période de transition qui complique un tout petit peu le passage de relais. Mais pour le reste, les choses ne vont pas trop mal."
Le budget de l'Education a augmenté de + 25 % ces vingt dernières années, mais le nombre de jeunes qui sortent de l'école sans qualification ne baisse plus, le taux de chômage des moins de 25 ans est le plus élevé des pays développés...
- "Le budget n'a pas augmenté de 25 %. Entre 1987 et 2003, il a doublé. Ce qui a augmenté de 25 %, c'est le nombre de professeurs, tandis que dans le même temps, nous perdions 500.000 élèves. Donc les chiffres sont beaucoup plus importants que ceux que vous dites. Non pas du tout qu'il nous faille le regretter, c'est très bien que le budget de l'école soit le premier budget de la Nation, il faut continuer. Mais il nous semble tout de même que, lorsque l'on donne ces chiffres, on se rend compte que l'investissement éducatif ne produit pas proportionnellement des résultats qualitatifs à la même hauteur. Donc c'est toute la question qui est posée. Non pas du tout qu'il faille reculer de la moindre manière sur l'investissement, sur le budget, mais [il faut] se poser la question de l'efficacité du système."
Le jour férié supprimé, le lundi de Pentecôte, est une suggestion du Premier ministre. Les enfants iront à l'école ce jour-là, si ce jour férié est supprimé ?
- "Si le jour férié est supprimé..."
Vous y êtes favorable ?
- "En tout cas, je crois que tout ce qui permet à la société d'assumer elle-même les moyens par lesquels on règle les problèmes, n'est pas mal, parce qu'il y a quand même une tendance très forte, dans la société française, peut-être plus chez nous qu'ailleurs, de considérer que tout est de la responsabilité des gouvernants, que c'est à eux de s'occuper des personnes âgées, c'est à eux de voir si les personnes âgées sont laissées seules chez elles, c'est à eux de lutter contre la canicule, c'est à eux de lutter contre tout... Je ne dis pas que le Gouvernement ne doit pas prendre ses responsabilités, bien sûr qu'il doit les prendre. Mais l'idée qu'il y ait une conscience collective, face aux évènements, face aux difficultés, que chacun doive apporter sa pierre, sa touche, sa part, n'est pas absurde. Donc l'idée de travailler un petit peu plus pour régler le problème de la montée en puissance des personnes âgées - je rappelle qu'en 2040, un Français sur trois aura plus de 65 ans -, l'idée que tout le monde prenne cela un peu en charge me paraît tout à fait naturelle et saine."
Le contexte économique aujourd'hui, avec le chômage qui augmente, les déficits publics qui se creusent, la France qui s'endette, l'Assurance-maladie qui est presque en faillite, Bruxelles qui veut nous sanctionner, J. Lang et L. Ferry qui se chamaillent, un peu ridicules ...
- "En tous les cas, il faut cesser de ressasser, il faut regarder devant soi."
Mais ridicule, cette chamaillerie ou pas ?
- "J. Lang a été très incisif, il a fait plusieurs articles tout à fait désobligeants pour le Premier ministre. Il est tout à fait normal qu'on réagisse, cela fait partie du jeu politique. Mais franchement, l'école de la Nation a d'autres besoins que des querelles privatives entre des ministres actuels et anciens."
On est d'accord ! Vous avez touché les enseignants au porte-monnaie et la rentrée se passe bien ?
- "Nous avons essayé d'appliquer la loi de la manière la plus simple et sans violence particulière. Quand on fait un jour de grève, on a un "précompte" comme on dit, on n'a pas payé pour un trentième du mois. C'est traditionnel. Les professeurs ont fait beaucoup grève pour certains d'entre eux et, du coup, cela fait des sommes importantes, que nous étalons. Mais nous ne cherchons nullement à faire une sorte de pression ou de répression en appliquant la loi : on applique la loi, c'est tout."
A propos de "36 heures", l'émission de politique-réalité : vous y iriez, vous, passer 36 heures avec des Français ?
- "Certainement pas. Je trouve, en ce qui me concerne - je parle là, vraiment, de manière privée - qu'il y a une trop grande confusion entre la vie privée et la vie publique. Un homme politique est un homme politique, qui prend des responsabilités, qui prend des engagements. Je ne vois pas l'intérêt pour les Français de le voir en slip ou en pyjama, en train de papoter avec des gens qu'il ne connaissait pas quelques jours avant. Tout ne présente, à mon avis, aucun intérêt politique."
Les personnels TOS de l'Education nationale travailleront pour les collectivités locales à partir du 1er janvier 2005 ?
- "Ils travailleront pour des établissements scolaires, ils travailleront, comme ils le font aujourd'hui, dans le cadre du service public..."
Mais ils seront rattachés aux collectivités locales ?
- "Oui, ils seront rattachés aux collectivités locales, mais il a été prévu, comme vous le savez, parce qu'ils étaient un peu inquiets sur leurs missions, de créer un cadre d'emploi leur donnant un statut qui garantisse qu'ils resteront dans les établissements scolaires, qu'ils rempliront les missions qui sont les leurs aujourd'hui et que nullement ils ne pourraient être mutualisés et envoyés ici ou là. Donc toutes les garanties sont données à ces personnels, pour que leur mode de fonctionnement et leurs missions soient préservés."
Le primaire, c'est là où le bât blesse en cette rentrée, c'est plus difficile parce qu'il y a plus d'enfants, tout simplement. La maternelle : êtes-vous partisan d'une scolarisation précoce à deux ans ?
- "Je me suis toujours exprimé sur cette question avec beaucoup de prudence. Il faut que cette décision soit prise dans l'intérêt des enfants. S'il est dans l'intérêt de l'enfant qu'il soit pré-scolarisé - parce qu'on parle de pré-scolarisation à deux ans, ce sont de tous petits bouts de choux -, parce qu'il n'y a pas crèche, parce qu'il est mal entouré, parce qu'il a besoin d'un soutien affectif ou social plus fort, faisons-le. Ce que nous constatons simplement, c'est qu'aujourd'hui, à peu près un tiers des enfants sont pré-scolarisés, à deux ou à trois ans. Ils le sont souvent dans les quartiers plutôt favorisés et que dans les endroits où on en aurait le plus besoin, cela ne se fait pas forcément. Et surtout, on scolarise souvent à deux ans, non pas du tout parce que l'on se dit que c'est bien pour les petits, mais parce que cela permet de ne pas fermer les classes et que c'est une variable d'ajustement de la carte scolaire. Donc, oui à la scolarisation à deux ans, à condition que cela soit fait dans l'intérêt des petits enfants de France. Cela dit, je rappelle que normalement, pour être scolarisés, il faut savoir dire son nom et être propre. Et je voudrais qu'on me montre beaucoup d'enfants de deux ans qui savent dire leur nom et qui sont propres !"
Sur le redoublement en CP, quelle est votre position, parce qu'il y a un débat autour de ce redoublement ?
- "Actuellement, le CP est à l'intérieur d'un cycle, le cycle des apprentissages fondamentaux et, en principe, on évite de faire redoubler les enfants à l'intérieur d'un cycle, parce qu'il y a une unité de formation. Cela dit, comme l'a dit très justement L. Ferry, il ne faut pas non plus s'enfermer dans des espèces de principes étroits. Si les professeurs, les instituteurs considèrent que c'est l'intérêt du jeune de recommencer un CP, ou de le recommencer sous une autre façon, puisque maintenant on fait des CP dédoublés ou des CP renforcés, eh bien, faisons-le. Mais n'instituons pas comme principe qu'on ferait redoubler de manière systématique le CP, parce que commencer sa carrière d'élève par un redoublement, ce peut être évidemment un stimulant, mais ce peut être aussi un élément un peu décourageant."
L'apprentissage de la lecture est un vaste problème dans notre pays. Doit-on abandonner la méthode globale ?
- "Oui, c'est d'ailleurs plus ou moins fait. Les professeurs utilisent des méthodes très mixtes, très variables. Ils s'adaptent beaucoup."
Syllabiques ou autres ?
- "Syllabiques ou autres, mais enfin, ils mélangent un peu les méthodes en fonction des besoins des élèves, de leur milieu, de leur aisance naturelle, de leur capacité d'apprendre, il y a une grande variété. Ce sont moins les méthodes maintenant qui sont en cause - cela a été longtemps les méthodes, à juste titre, comme vous le disiez -, que tout simplement des enfants qui sont plus dispersés, qui arrivent nombreux, qui ne sont pas habitués à se concentrer, qui très tôt sont dans un univers où on communique par la télévision, où on a d'autres moyens de connaissance. Du coup, la concentration sur l'apprentissage de la lecture est un petit peu plus difficile pour eux."
Question de Philippe, un auditeur, professeur des écoles en Haute-Garonne : Je voulais vous poser une question en forme de boutade : simplement, à part nos salaires, qu'avez-vous retenu des derniers mouvements de grève ? Que vous ont-ils appris, sur les enseignants notamment ?
- "Vous savez, les enseignants, je crois pouvoir dire que je les connais un petit peu, étant moi-même enseignant depuis 1968, ayant rempli toutes les fonctions possibles et imaginables - professeur de collège, professeur de lycée, inspecteur etc. Ce que j'ai appris et que peut-être j'avais mal perçu - là, je veux bien reconnaître qu'il fallait que je révise un peu -, c'est à quel point les métiers avaient évolué et étaient finalement ressentis par beaucoup de nos collègues comme de plus en plus pénibles, alors que dans le même temps, nous ne donnions pas suffisamment - je dis "nous", j'allais dire "la Nation française" - de signes aux professeurs du fait que c'est eux qui remplissent le métier le plus utile au monde. La France n'a que son intelligence à vendre, le marché du savoir est la clé de la réussite française. Nous n'avons donc peut-être pas aperçu cela assez, nous avons peut-être été un peu trop à distance de ces difficultés et nous avons laissé se créer un ressentiment."
Cela va être le fond du débat sur l'école ?
- "Pas seulement, mais en tous les cas, il faut que nous nous souvenions qu'il faut rendre aux professeurs leur honneur, leur place, leur légitimité, qu'il faut être plus attentif à la mission essentielle qui est la leur."
[...]
Question de Marie Laure, une auditrice, professeur d'espagnol dans un collège de l'Essonne : Selon un sondage Sofres, 76 % des professeurs trouvent leur formation en inadéquation avec leur métier. Comment comptez-vous y remédier ?
- "Comme vous le savez, il y a, sur le chantier, un réforme complète des IUFM et de la formation. Il y a d'ailleurs une première étape qui a été donnée. Je crois que la formation des enseignants, il ne faut pas renoncer complètement à l'aspect professionnel, il ne faut pas du tout renoncer au faut qu'il y ait des écoles professionnelles que sont les IUFM, mais fondamentalement, la théorisation des pratiques, en pédagogie, a montré ses limites. On sait très bien que le métier d'enseignant suppose de bien connaître sa discipline, mais surtout aussi d'être capable d'être très tôt en relation avec des élèves. Du coup, tout ce qui s'est fait dans les IUFM sous forme de théorisation, de conceptualisation, de pédagogie transversale, il faut bien reconnaître que cela ne sert à peu près à rien..."
Vous allez réformer tout cela ?
- "Il le faudrait, parce que cela ne sert à peu près à rien..."
C'est un chantier à ouvrir ?
- "Le chantier de l'IUFM a été ouvert, a été commencé d'ailleurs, nous commençons déjà à y travailler. L. Ferry a déjà fait une communication en Conseil des ministres à ce sujet. Et cette réforme doit continuer."
Question de Marie-Jo, auditrice dans le Gers, secrétaire, mère d'une enseignante : "Comment se fait-il qu'un enseignant ou une enseignante, puisse être nommé aussi loin de son domicile, avec trois enfants de cinq, quatre et deux ans ?"
J.-J. Bourdin : C'est votre fille, qui travaille à 70 km de chez elle ?
Marie-Jo : "Oui."
- "70 km, là encore, je vais être cruel en vous répondant cela : ce n'est pas si extraordinaire. Le problème est simple : les professeurs qui rentrent dans le métier, ils prennent les postes qui sont vacants. Ceux qui ne sont pas vacants, on ne peut pas demander aux professeurs qui en place de partir parce que quelqu'un d'autre va arriver. Donc, c'est tout le problème du mouvement que vous posez là. Soit, du mouvement départemental, pour ce qui est des professeurs du Premier degré, soit du mouvement national, qui est encore plus compliqué, pour ce qui est des professeurs du Second degré, et sur lequel, je dois dire, nous n'avons pas beaucoup de solutions. Il est absolument inévitable que les professeurs qui entrent dans la carrière prennent les postes vacants, et parfois, cela ne leur va pas complètement au plan de la géographie. C'est tout à fait désolant, je le sais."
Marie-Jo, du Gers : "Oui, mais enfin, elle ne rentre pas dans la profession. Il y a 11 ans qu'elle est maître-auxiliaire.
- "Ah oui, [Teseder, phon.] c'est autre chose. Oui, 70 km c'est peut-être beaucoup, mais alors vraisemblablement, elle doit quand même très rapidement pouvoir se rapprocher, elle n'est déjà pas très très loin, du moins il faut l'espérer."
Clément, auditeur du Val de Marne, cadre commercial : Une question toute simple : on parle souvent des rythmes scolaires. Monsieur le ministre trouve-t-il normal qu'un enfant de 14 ans, en classe de 3 ème ait 32 heures de cours, six jours sur sept, lundi, mardi, mercredi matin, jeudi, vendredi et samedi matin ? Ce qui fait qu'avec les heures de préparation, il travaille en moyenne entre 45 et 50 heures, soit largement plus que l'heure de travail normale d'un cadre commercial ou d'un salarié normal, actuellement ?
- "Je vais vous faire une réponse imprudente, parce que certainement on va en entendre parler, mais je pense que vous avez raison. Je pense que le système français accable de trop d'heures, mal distribuées dans la journée, les élèves de France. Et que, plus on monte d'ailleurs curieusement dans la formation, plus on va de l'école primaire au lycée, et plus les heures s'accumulent, alors qu'on devrait penser au contraire, que plus l'enfant progresse et plus il est autonome, plus il peut utiliser l'informatique, plus il peut utiliser des ressources documentaires pour travailler par lui-même, et qu'il faudrait alléger tout cela. D'autant que nous savons par de nombreuses statistiques, que la corrélation entre le nombre d'heures et la performance scolaire n'est pas absolue. On n'a pas besoin de faire beaucoup beaucoup d'heures pour forcément bien réussir. C'est toute la question des disciplines."
Vous allez, là aussi, engager une réforme ?
- "Absolument. Dans le grand débat, le problème du temps scolaire, le problème de l'organisation scolaire, des horaires, des services sera certainement évoqué. Et je suis heureux de voir que des parents commencent à s'en alarmer parce que j'ai toujours été d'avis qu'en France, les élèves ont trop d'heures."
Stéfanie, auditrice de la Drôme, aide éducatrice : "Je suis aide-éducatrice, c'est ma dernière année, je finis en avril, j'aimerais bien que le contrat soit prolongé jusqu'en juin pour finir l'année scolaire..."
- "Ce sera le cas."
Stéfanie : "C'est bien, parce que vis-à-vis des élèves, c'est bien de finir ce qu'on a commencé. Je voudrais savoir pourquoi on n'a pas renouvelé le dispositif aide-éducateur [...] alors qu'on commence à être performant. Je pense qu'on aurait pu être intégrés à l'Education nationale ?"
- "C'est une question qui n'est pas seulement celle de l'Education nationale, qui est celle des emplois-jeunes en général. Cela dit, ce que vous dites, est vrai. C'est-à-dire que, nous avons, là, des personnels qui ont commencé à rendre des services, qui se sont formés, qui se sont adaptés au métier, et c'est tout à fait dommage de voir que cette expérience disparaît. J'espère, pour vous, et je crois qu'il faut que nous y veillons, que vous pourrez être versée dans le statut des assistants-d'Education, de sorte de continuer à rendre ce service."
Stéfanie : Je pensais qu'on ne pouvait pas passer d'emploi aide-éducateur à assistant-d'Education...
- "Cela dépend de votre âge, de votre formation. Ce que nous essayons de faire comprendre, c'est que le plus souhaitable pour des personnes comme vous, c'est d'essayer de passer maintenant nos concours ou d'essayer de faire intégrer par des [?] dans des fonctions..."
Stéfanie : C'est ce que j'essaye de faire.
- "C'est la meilleure solution, parce que, de fait, le dispositif des assistants-d'Education se substitue maintenant aux aides-éducateurs parce que les aides-éducateurs étaient des emplois-jeunes, et que désormais, ce statut n'existera plus."
[...]
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 septembre 2003)