Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur l'approche interdisciplinaire des phénomènes hydrologiques et de l'eau, Paris, le 15 septembre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque de l'Académie des sciences sur l'eau, Paris, du 15 au 17 septembre 2003

Texte intégral

Monsieur le Chancelier,
Madame et Monsieur les Secrétaires Perpétuels,
Messieurs les Président et Vice-président de l'Académie des Sciences,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse de me trouver parmi vous à l'Académie des Sciences pour prendre connaissance de vos travaux sur les questions de l'eau, auxquelles j'attache, comme l'ensemble du Gouvernement, une très grande importance.
L'eau, cette molécule si simple, est une condition existentielle de notre monde vivant. Elle représente l'essentiel de nos cellules ; elle couvre la plus grande partie de notre planète ; sans elle, point de vie animale ou végétale ! Elle rythme et régule nos climats ; elle modèle les continents .
Condition de la vie, l'eau est aussi la condition du développement économique. Nous avons sans doute parfois tendance à oublier que pour une grande partie de l'humanité, la maîtrise des ressources en eau est la principale préoccupation. C'est la condition de la survie bien sûr mais aussi celle du développement d'une agriculture et d'une industrie dans lesquels l'eau est l'élément fondamental.
Les difficultés que nous avons connues cet été sont venues nous rappeler que pour nos sociétés développées, à l'époque de l'Internet, de la conquête spatiale ou du génome, l'eau devait rester, avec l'énergie, une préoccupation majeure et un objet permanent de recherche. Crues et précipitations exceptionnelles, inondations ou à l'inverse sécheresses, les évènements de ces dernières années ont montré toute la vulnérabilité de nos sociétés face à des phénomènes climatiques aussi brutaux et imprévisibles.
Je remercie donc l'Académie des Sciences d'avoir pris l'initiative de cette manifestation, qui montre à nos concitoyens que la communauté scientifique sait se mobiliser sur les questions essentielles à son avenir.
Le programme de votre colloque est très riche et je regrette de ne pouvoir le suivre en totalité, tant les thèmes abordés me paraissent pertinents et d'actualité.
Je voudrais simplement insister sur trois points qui seront l'objet de vos travaux et sur lesquels l'apport de la communauté scientifique peut être essentiel.
Comprendre les phénomènes, leur cause et leur ampleur : voilà la première réponse que la science peut apporter à nos concitoyens.
En quoi les phénomènes climatiques s'inscrivent-ils dans une tendance au réchauffement ou sont-ils des événements accidentels ? Cette question des relations entre le changement global et les évolutions locales a donné lieu à une forte mobilisation.
Or, le premier facteur d'évolution de notre planète, est l'action de l'homme lui même. Apprécier l'impact des activités humaines sur les modifications des phénomènes naturels est donc un des enjeux majeurs. Mesurer, comprendre et expliquer, c'est aussi mieux alerter et prévenir.
Une des grandes missions de la communauté scientifique est de s'attacher à comprendre ces phénomènes hydrologiques, dans leur complexité, leur variabilité et leurs aléas.
Prospection, protection et exploitation de la ressource en eau, aménagement du milieu, maintien ou reconquête des équilibres des systèmes aquatiques, souvent modifiés par les activités humaines, toutes ces questions nécessitent une approche interdisciplinaire, alliant les sciences physiques, les sciences de la terre et les sciences de la vie aux sciences humaines.
Je connais l'intérêt de notre communauté scientifique pour ces sujets.
Dès 1978, le CNRS avait créé un programme interdisciplinaire de recherches sur l'environnement, devenu le programme "environnement, vie et société", dont le volet "grands fleuves" sera évoqué ici.
L'extension récente de la mission de l'Institut National des Sciences de l'Univers vers les préoccupations d'environnement, en y incluant les sciences sociales, va dans le même sens. L'INRA, l'IRD, le CEMAGREF, l'IFREMER, le BRGM, METEOFRANCE ont conduit des démarches similaires dans le domaine de l'eau ou de l'environnement. Des programmes nationaux comme le programme national de recherche en hydrologie, celui sur les zones humides ou celui sur l'environnement côtier ont également contribué aux succès de la recherche sur l'eau.
Je me réjouis de voir que ce colloque réunit aujourd'hui non seulement la majorité des organismes de recherche français œuvrant dans le domaine de l'eau, ainsi que des chercheurs des universités, mais aussi des chercheurs et conférenciers étrangers. C'est le gage de la réussite de vos travaux et un témoignage de plus que la recherche moderne, notamment sur des sujets comme l'eau qui mettent en jeu notre planète, doit se concevoir dans toute sa dimension pluridisciplinaire et avec le souci constant de partager et d'échanger le savoir.
Le deuxième point, c'est qu'à l'heure où nos concitoyens attendent beaucoup de la science et de la recherche, il n'a jamais été aussi urgent et important que la recherche mette toute la puissance de ses connaissances au service de la prédiction des phénomènes et de leur anticipation.
C'est en montrant sa capacité à anticiper des questions qui ont des répercussions immédiates sur notre vie de tous les jours, que la science peut conforter son rôle au sein de nos sociétés.
J'ai, de ce point de vue, noté avec une immense satisfaction que les thèmes que vous abordez accordent autant d'importance aux enseignements du passé, qu'à l'analyse du présent ou à l'anticipation de l'avenir.
Ayant eu le privilège d'observer depuis l'espace la planète bleue, je suis particulièrement frappée par deux domaines dans lesquels les progrès, scientifiques ou technologiques, peuvent aujourd'hui donner aux chercheurs cette capacité d'anticipation.
Le premier domaine est celui de la modélisation.
Notre planète est un système qui se révèle sans cesse plus complexe et en perpétuelle évolution. Son état actuel nous semble à l'équilibre alors qu'il est le résultat d'une combinaison subtile de processus transitoires complexes dont les échelles de temps peuvent être très variées.
Reproduire cet état, le relier aux évolutions passées, reconstruire parfois ces évolutions passées pour mieux ensuite prévoir et anticiper l'avenir : c'est là un pari extraordinaire dont j'ai la conviction que nous pouvons le gagner.
La recherche a toujours eu pour objectif d'affronter et de maîtriser cette complexité croissante qui résulte du couplage de données issues de disciplines différentes et de la combinaison des différentes échelles de temps et d'espace.
Mais les progrès de la modélisation permettent d'envisager qu'elle soit non seulement un outil d'intégration des données mesurables et des lois scientifiques mais aussi un médiateur de toutes les connaissances et qu'elle puisse aider l'expertise, la décision, voire la formation.
Le second domaine est celui des systèmes d'observation et d'information.
Les événements que notre pays vient d'affronter montrent l'importance que chacun doit accorder à l'interprétation des données scientifiques : leur collecte, leur fiabilité, leur mise en relation avec des sources de nature différente, la capacité à les traiter sont des enjeux importants pour développer les méthodes de représentation des phénomènes et de prédiction des évolutions.
Les dispositifs de surveillance mis en œuvre par nos organismes finalisés ont, à cet égard, une double vertu : d'une part, enrichir la mémoire des événements et nous sensibiliser à la vulnérabilité de certains territoires ; d'autre part, constituer un système d'alerte opérationnel pour l'action publique.
Le troisième grand enjeu scientifique sur lequel je souhaite m'arrêter est celui de la capacité que peut donner la science à maîtriser l'avenir.
Comprendre est bien sûr essentiel. De même qu'anticiper. Mais il s'agit aussi de mettre ses connaissances au service des besoins, présents et à venir, de l'humanité.
Un des principaux enjeux est ainsi de faire face à l'augmentation des besoins en eau et des risques de pénurie.
L'accès à l'eau potable pour tous est évidemment un enjeu crucial. On estime que près de 1,5 milliards d'habitants de la planète, soit un sur quatre, n'ont pas accès à l'eau potable et que 2,5 milliards ne sont pas raccordés à un réseau d'assainissement. Ce qui soulève des questions économiques, sociales et politiques mais aussi scientifiques et techniques relatives à la qualité, à la salubrité et à l'assainissement.
La biologie, l'écologie, l'agronomie et l'hydrologie sont mobilisées sur cette question, par exemple pour mettre au point de nouvelles espèces végétales et de techniques d'irrigation plus économes en eau.
La compétition pour les usages de l'eau et notamment celle entre les usages agricoles de l'eau et l'approvisionnement en eau potable des populations est également un phénomène important que nous devons prendre en compte : aujourd'hui, l'agriculture consomme presque les trois quarts de l'eau disponible.
Enfin, la couverture des besoins alimentaires issus de la croissance démographique concerne particulièrement les zones tropicales écologiquement fragiles et soumises à des aléas pluviométriques extrêmes.
Dans tous ces domaines, les apports scientifiques sont incontournables pour mieux évaluer l'impact des changements climatiques et des évolutions techniques des pratiques agricoles.
J'ai d'ailleurs demandé à votre Institution de préparer une étude sur les effets des phénomènes extrêmes dans le domaine de l'eau et sur la façon de s'en prémunir. Ce rapport devra nous aider à définir notre politique dans ce domaine.
Car l'expérience prouve que nous ne nous préparons pas assez à l'éventualité d'événements paroxystiques.
Enfin, vous débattrez mercredi des enjeux de santé publique liés à l'eau. La recherche scientifique a, dans ce domaine, un rôle très particulier à jouer concernant les éléments en trace contenus dans les eaux, qu'ils soient d'origine naturelle ou artificielle.
Leur simple quantification est souvent une prouesse scientifique.
Mais la détermination de leur effet sur la santé humaine est un défi bien plus grand encore, tant notre connaissance des effets cumulatifs sur le long terme des faibles doses est encore balbutiante et tant la recherche épidémiologique est délicate à mettre en uvre.
Nos concitoyens attendent nos réponses, ils souhaitent comprendre et trouver auprès de la science les éléments qui les rassurent ou les mettent en garde ; ils souhaitent conforter cette confiance dans le savoir qui fait écho au besoin de sécurité de notre civilisation moderne.
Pour leur apporter ces réponses concrètes, intelligibles, sûres, votre rôle est décisif et rôle de l'Académie des Sciences est essentiel.
Mesdames et Messieurs,
Vos travaux sont le socle sur lequel je souhaite, au sein du Gouvernement, m'appuyer pour la définition de nos priorités de recherche.
Je vous souhaite donc des échanges particulièrement fructueux, dont je serais heureuse de lire la transcription dès qu'elle aura été publiée.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 15 septembre 2003)