Interview de M. Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, dans "Le Parisien" du 26 août 2003, sur son soutien au gouvernement à propos de la polémique sur le décès des personnes âgées pendant la canicule, la remise en cause des 35 heures et sur l'appartenance de l'UDF à la majorité.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Président du groupe UDF à l'Assemblée, Hervé Morin défend Jean-François Mattei, pourfend les 35 heures et décrit la France comme une société " délabrée ", " égoïste " et menacée de n'être plus demain qu'un simple " Disneyland ".
Député de l'Eure, Hervé Morin, proche de François Bayrou, est, depuis un an, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale.
Y a-t-il eu, dans la gestion de la crise de la canicule, des dysfonctionnements, voire, selon le mot de Martine Aubry, une " faillite " du pouvoir ?
Hervé Morin. Quand la France tourne au ralenti, il est clair que la réactivité de l'administration est plus faible. Le gouvernement aurait dû informer davantage les Français des risques que pouvait provoquer ce qui reste une catastrophe naturelle. De là à considérer qu'il y a eu des dysfonctionnements majeurs, non. C'est une mauvaise polémique. Le PS n'a pas eu de décence.
Réclamez-vous la démission de Jean-François Mattei ?
Je m'affirme, au contraire, solidaire de lui. En France, c'est vrai, nous vivons globalement un régime d'irresponsabilité politique qui tend à faire toujours porter le chapeau à d'autres. Mais, dans le cas précis, rendre Mattei responsable du drame, même s'il a commis une erreur de communication, certainement non.
Comment réagissez-vous en apprenant qu'aujourd'hui encore il y a quelques centaines de corps qui n'ont été réclamés par personne ?
Ces corps qui attendent, cela démontre l'état de délabrement de la société française. Délabrement de toutes les solidarités tandis que, à l'inverse, les communautarismes progressent aux dépens de l'Etat républicain. Creuset républicain, intégration, valeurs : ce ne sont plus que des mots rituels qui ont perdu tout sens et que les politiques rabâchent.
Vous voulez dire que, quand on n'est pas pris en compte par sa " communauté ", on est largué ?
Oui. Même les solidarités familiales ne jouent plus. C'est d'une tristesse totale de constater que des " vieux " meurent et que, même après leur mort, personne ne s'en préoccupe. Nos sociétés modernes veulent, il est vrai, nier la mort. Alors, quand la mort arrive, on met en cause notre système de santé. On ne doit pas mourir : c'est donc que le système est fautif !... Pourtant, quels que soient les aménagements que nous apporterons au fonctionnement de ce système - dont personne, à ce jour, ne peut dire s'il a ou non contribué à aggraver le nombre des morts du mois d'août -, il est une évidence : nous sommes tous mortels.
Y aura-t-il d'autres canicules ? Où ? Et quand ?
Nul ne le sait. Mais la réponse est oui, sur le moyen terme. On a vécu la tempête de 1999, puis la canicule de 2003. Ces deux événements climatiques sont-ils liés à l'effet de serre ? Il est urgent de sortir, en tout cas, de notre schizophrénie qui consiste à consommer sans cesse plus d'énergie produisant de plus en plus de gaz à effet de serre en feignant d'oublier que nous devons faire en sorte que la planète reste vivable. La France a vocation à prendre la tête de ce combat mondial, et vital. Sinon, on court à la catastrophe. J'attends du gouvernement des actions déterminées.
De crise en crise, l'addition pour le budget de l'Etat s'aggrave et les déficits se creusent...
C'est simple : dès que le la France connaît une crise, un ministre surgit et dit : " Je fais une loi " ou " Je donne de l'argent ". Comme si c'était la réponse à tout. Et, en plus, on n'en a plus les moyens.
Le gouvernement met en cause les 35 heures. N'est-ce pas commode ?
Pas du tout !... J'ai été le porte-parole de l'UDF à l'époque des 35 heures. Depuis, la France dérape. Outre que les 35 heures ont provoqué une révolution culturelle dramatique en accélérant le déclin de la valeur travail et qu'on aura beaucoup de mal à s'en relever, l'addition, au-delà des dysfonctionnements qu'on vient de vivre dans les hôpitaux, est colossale : elle doit tourner autour de 30 milliards d'euros. On aurait pu les consacrer à de vraies priorités. Je trouve d'ailleurs ahurissant, après une campagne où l'on ne rencontrait pas un électeur partisan des 35 heures, qu'on n'ait pas eu le courage de toucher sérieusement à ce dossier. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le dire au moment de la " réforme Fillon " : cette situation est dingue.
La France doit-elle revenir sur les 35 heures ?
Elle y reviendra tôt ou tard. La France, depuis vingt ans, décline : tous les indicateurs le montrent. Il y a un moment où il faut dire aux Français la vérité. Et cette vérité, c'est qu'ils s'enferment dans un pays qui s'affaiblit, et qui est de plus en plus égoïste. Parce que l'on ne se préoccupe pas de l'environnement, décisif pour l'avenir de la planète. Parce qu'on s'endette à tour de bras, sur le dos de nos enfants et petits-enfants. Parce qu'on laisse les personnes âgées mourir seules. Parce qu'on laisse les pays pauvres mourir du sida. Jamais on ne dit aux Français la vérité, sans pessimisme ni catastrophisme : souhaitent-ils, oui ou non, que la France devienne demain le Disneyland des pays développés ? Assez d'illusions entretenues sur la grandeur de la France. Disons-nous les choses en face. Les Français sont capables individuellement d'être des responsables. Eh bien essayons de les rendre responsables collectivement.
Est-il possible de baisser les impôts ?
Il ne faut pas se polariser sur les 3 % de déficit dès lors qu'on met en place les réformes qui nous permettront de sortir de l'ornière. Mais prendre des mesures qui accentueraient l'endettement, déjà exponentiel, du pays, ce n'est évidemment pas le moment.
Souhaitez-vous que les jours de grève ne soient pas payés ?
Oui. On fait une grève, on l'assume. En tous domaines, les citoyens doivent redevenir responsables.
Où en est l'UDF ?
Nous faisons partie de la majorité, même si nous avons toujours en tête la fêlure de l'an dernier lorsque l'UDF, candidate à participer activement à l'action de réforme du gouvernement, s'est entendu répondre qu'elle ne devait plus exister et qu'on allait la faire disparaître. Cela ne s'oublie pas. Sur le fond, nous regrettons que n'aient pas été engagées, dans les cent premiers jours, les réformes majeures qui restent souhaitables et possibles. Maintenant, c'est plus difficile avec un pays à l'épiderme tellement sensible. Pourtant, les réformes, on en a besoin quand une grande partie des citoyens n'a plus le sentiment d'avoir un destin commun. Ils vivent les uns à côté des autres, mais ne partagent plus grand-chose sinon, peut-être, le journal de 20 heures. Les Français ont même tendance à avoir peur les uns des autres. La société est tellement cloisonnée que le communautarisme est en train de faire des ravages. Ce qu'il faut donc, c'est leur redonner l'envie de vivre ensemble et de partager un projet commun, où chacun aurait un avenir. Et cela commence par une " opération vérité ".
Propos recueillis par Dominique de Montvalon
(Source http://www.udf.org, le 27 août 2003)