Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur les chantiers prioritaires de la Présidence française de l'Union européenne, Paris le 9 mai 2000.

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Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Cher(e)s collègues,
Au-delà de ses dimensions proprement institutionnelles, sur lesquelles j'aurai l'occasion de préciser les positions du Parti communiste, la présidence française du Conseil de l'Union européenne doit être l'occasion d'un vaste débat public et citoyen, sur le devenir de
l'Europe.
C'est en effet de la vie quotidienne des peuples de notre continent qu'il s'agit et de leur capacité à vivre ensemble dans un environnement sécurisé, pour ouvrir les voies du développement et du progrès social.
Et je veux voir dans notre débat d'aujourd'hui un appel adressé en ce sens aux Françaises et aux Français.
La présidence française ne règlera pas, en six mois, des problèmes lourds, dont certains -comme la réforme des institutions, ou l'élargissement- exigent encore de longues négociations, plutôt que la précipitation ou le passage en force. Il ne s'agit pas non plus
d'entretenir l'illusion que la France, seule, pourrait imposer ses vues à ses partenaires.
Mais il convient qu'elle affirme l'ambition d'imprimer sa marque sur le cours de la politique européenne. Il convient qu'elle impulse des priorités et fasse avancer, dans les domaines qui lui paraissent cruciaux, des idées et des propositions nouvelles pour l'avenir.
Trois raisons commandent de conforter cette ambition.
La première, c'est que la présidence française va se dérouler sous le regard de l'opinion publique. Il est donc de la responsabilité de toutes celles et tous ceux, investis dans la vie politique comme dans l'animation de la vie sociale, de favoriser dans le pays la discussion des enjeux européens, en relation avec les attentes sociales et les exigences démocratiques qui s'y expriment.
Cela est d'autant plus nécessaire que le sentiment grandit, non sans raison selon lequel l'Europe est coupée des citoyens et de ce qui fait leur vie. L'abstention massive aux élections européennes en est un révélateur particulièrement préoccupant.
La deuxième raison, c'est l'intérêt et l'importance que revêt pour beaucoup d'Européens -et bien au-delà- l'originalité de l'expérience de la gauche plurielle en France.
Tous les efforts des communistes visent à contribuer à ce que le gouvernement engage les grandes réformes de structures susceptibles de répondre aux attentes du pays. Et c'est avec la même volonté constructive que nous formulons des propositions pour que la France agisse afin que les décisions européennes soient en résonance avec les attentes et les exigences du mouvement social.
Enfin, cette ambition nous est imposée par les difficultés mêmes que rencontre la construction européenne, par la crise qui la frappe, et qui affecte son dessein.
Les doutes s'affirment publiquement. 50 ans après les discours fondateurs, 10 ans après la chute du mur de Berlin, la construction européenne poursuit sa trajectoire sans la dynamique d'un projet susceptibles de mobiliser les peuples du continent.
La construction européenne est, en vérité, frappée d'inertie institutionnelle.
La montée des exigences sociales et citoyennes; la critique grandissante du libéralisme; l'impérieuse nécessité de rapports nouveaux avec les autres pays du continent, bloquent ou font craquer les cadres établis. C'est bien un élan radicalement nouveau qu'il faut à la construction de l'Europe; pour lui redonner du sens; pour affronter le défi de l'élargissement; pour peser dans la mondialisation autrement que par la course avec le modèle ultralibéral d'outre Atlantique. Ce nouvel élan, l'Europe ne le trouvera qu'en donnant la priorité au social et en faisant de la participation démocratique le critère de la construction institutionnelle et politique.
Je ne me réjouis nullement des graves carences actuelles. Tout au contraire.
Ainsi, à contrario de certains propos apaisants, j'estime la situation de l'euro particulièrement préoccupante. Parce que je sais trop qui paierait, à terme, les effets d'une croissance freinée ou enrayée par les effets de la course aux taux d'intérêt et par les pressions exercées sur les dépenses sociales et le pouvoir d'achat.
Après tant de promesses et de sacrifices demandés au nom de la monnaie unique, il est temps de rediscuter des choix effectués en matière monétaire, ainsi que du rôle et des pouvoirs de la banque centrale. Il faut reposer avec force la nécessité de substituer à une politique monétaire et de crédit ultra-libérale, un pacte faisant de l'investissement dans l'emploi, la formation et les dépenses sociales, de réelles priorités.
A cet égard je ne partage pas la satisfaction affichée au sommet de Lisbonne où les vieilles recettes libérales, l'ont emporté. Cependant, les questions du plein emploi, de la sécurité d'emploi, de l'investissement dans la formation et les capacités humaines pour répondre aux défis de la révolution informationnelle s'y sont imposées.
Les tensions entre ces exigences du développement humain, et la pression à la précarité généralisée et à la baisse du coût du travail n'en sont que plus révélatrices.
C'est pourquoi j'ai la conviction que la présidence française doit être l'occasion de faire entendre une voix originale dans ce concert néo-libéral, une voix en phase avec les attentes des opinions.
Je pense à la question déterminante des services et des entreprises publics. Il s'agit d'opposer aux pressions dérégulatrices de la Commission, leur nécessaire développement et leur modernisation.
L'opinion et les salariés des secteurs concernés y seront particulièrement attentifs. Et le débat actuel en Europe sur les conséquences de la libéralisation et des privatisations, une position offensive de la France sera comprise et appréciée.
De même en matière de développement du secteur ferroviaire et routier, de sécurité maritime, de santé publique, de sécurité alimentaire. De même encore pour ce que sera la position française face aux projets de dérégulation de la Poste.
Sur un autre plan, mais dans le même esprit, l'occasion est favorable pour relancer la proposition d'une taxe " Tobin " sur les mouvements de capitaux.
Dans notre vision de l'Europe, social et démocratie sont absolument inséparables.
Sur ce plan, la méthode d'élaboration de la Charte des droits fondamentaux sera révélatrice de la volonté politique d'associer réellement les citoyens au projet européen.
L'Europe étouffe sous l'accumulation des faits accomplis institutionnels, des traités et directives élaborés sans les peuples.
Une telle charte ne peut donc être seulement déclarative. Elle doit contenir l'affirmation de valeurs démocratiques et humanistes communes, les droits sociaux, le refus de toutes les discriminations et des inégalités. Elle n'y prendra que plus de sens face aux ambitions affichées par l'extrême droite dans plusieurs pays de l'Union européenne et en Europe centrale. Je veux, à ce propos, saluer ici la remarquable mobilisation populaire réalisée en Autriche contre la coalition honteuse conclue entre les conservateurs et le populiste Haïder.
La charte ne peut avoir vocation à supplanter les textes fondamentaux de la République.
Comme d'autres déclarations fondatrices elle doit avoir une force morale et politique. Elle ne sera légitime que si elle intègre les droits nouveaux auxquelles aspirent les citoyennes et les citoyens d'Europe.
Transparence, démocratie, souveraineté: tels sont les principes qui doivent régir la réforme des institutions en discussion dans la Conférence intergouvernementale. Je m'en tiendrai, pour l'heure, à ce que je considère comme essentiel. Qu'il faille adapter les institutions à un fonctionnement à 20, 25 ou 30 états et notamment en étendant les votes à la majorité qualifiée, c'est une évidence, dès lors qu'on s'inscrit dans la construction du projet européen. A deux conditions cependant.
D'abord que certains domaines, comme la défense et d'autres qui touchent au cur de la souveraineté, ne soient pas concernés.
Ensuite en permettant à tout état d'invoquer une clause de sauvegarde s'il juge que ses intérêts essentiels sont mis en cause. Ces conditions sont de principe. Elles sont aussi gages d'efficacité parce qu'elles tiennent compte de la nature spécifique de la construction européenne, et de l'indispensable articulation entre réalités nationales et union.
Une même approche, progressive et attentive aux réalités -sociales, politiques, historiques, culturelles- devrait animer les démarches qui conduisent à l'élargissement.
Entre inconscience faussement naïve et catastrophisme paralysant, il faut trouver les voies de la construction de l'Europe de l'après guerre froide. Le statu quo est explosif. Tous les récents rapports constatent la montée de la pauvreté dans ces pays et l'aggravation des inégalités.
La mise à l'écart aussi bien que le passage en force nourrissent les frustrations et la démagogie populiste.
J'en ai l'intime conviction: le destin de l'Europe, se joue dans notre capacité et notre courage à redéfinir les règles de l'élargissement, dans un esprit de dialogue entre partenaires égaux. Aux dogmes ultralibéraux des privatisations, de la réduction des dépenses sociales, du sacrifice du secteur public, il faut substituer des critères de développement, à partir des besoins des populations, et de leurs acquis.
La Conférence européenne offre un cadre institutionnel pour ce dialogue. La présidence française ne pourrait-elle pas proposer l'organisation d'un sommet réunissant les pays de l'Union européenne et les pays candidats, pour marquer l'esprit nouveau d'un élargissement maîtrisé ensemble?
Cet esprit nouveau, contestant les dogmes ultralibéraux et la domination des marchés, devrait animer la relance du dialogue euro-méditerranéen, lors du bilan de Barcelone, à l'automne.
J'y vois, pour ma part, une priorité avec trois axes: redéfinir des relations qui ne sauraient se réduire à une zone de libre échange; poser la perspective de l'annulation de la dette et d'une redéfinition des finalités des crédits et des aides; associer, de part et d'autre de la Méditerranée, les sociétés civiles au processus engagé à Barcelone.
Et au passage je veux réaffirmer à ce propos qu'il convient de faire droit à la légitime exigence de tous les étrangers vivant sur notre sol de décider -y compris par leur vote- de l'avenir de la construction européenne.
En avançant de telles propositions, le Parti communiste ne fait qu'appeler à mettre en cohérence des décisions politiques avec les attentes et les espoirs exprimés si fortement par les mouvements sociaux, en France et en Europe.
Les Français, et particulièrement les jeunes, pensent que l'Europe les expose aux effets de la mondialisation libérale -dont nous savons, après Seattle, après Washington, l'ampleur du rejet qu'elle suscite-au lieu de les en protéger. Beaucoup voient dans l'Europe le moyen de
contrebalancer l'influence dominante des Etats-Unis, y compris en matière de sécurité. Mais que d'efforts, encore, il reste à accomplir.
On est bien loin d'une capacité des Européens à traiter par eux-mêmes de leur sécurité, dans ses dimensions politiques et militaires sans subir la pesante tutelle des Etats-Unis et de l'OTAN. Et de la même façon en ce qui concerne l'exigence universelle de désarmement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs, faute de décisions démocratiquement élaborées, l'Europe peut s'enliser dans un marché sans âme, coupé chaque jour davantage des préoccupations de ses peuples.
Face aux marchés, il faut donner la priorité au développement humain dans toutes ses dimensions. C'est la seule voie réaliste pour relever les immenses défis de notre époque. L'Europe traverse aujourd'hui une crise dont les fondements se trouvent dans la fuite en avant néo-libérale ou social-libérale. Ceux qui voient aujourd'hui dans Tony Blair le chantre de l'avenir de l'Europe ne feront, j'en suis certain, que fermer un peu plus les perspectives d'une construction européenne de progrès économique et social, de paix, de co-développement, de partage des cultures et des savoirs.
Pour leur part, les communistes ne ménageront pas leurs efforts pour mettre au cur de leurs initiatives le recul des inégalités et l'intervention d'un mouvement populaire, social et civique, dont la dimension européenne est aujourd'hui le facteur décisif d'efficacité et de raisons d'espérer au service de la construction européenne.
(Source http://www.pcf.fr, le 17 janvier 2001)