Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur l'enseignement professionnel, la coopération transfrontalière en matière d'enseignement, la politique européenne d'éducation et l'hommage à la personnalité de Georges Pompidou, Montpellier le 19 septembre 1996.

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Circonstance : Déplacement à Montpellier le 19 septembre 1996. Inauguration du Lycée Georges Pompidou

Texte intégral

Le lycée polyvalent que nous inaugurons aujourd'hui me paraît traduire un bel exemple de coopération réussie entre l'État et la Région du Languedoc-Roussillon dans le domaine de l'Éducation, première priorité de la Nation (la collectivité nationale a dépensé 563 milliards de francs pour son système éducatif en 1995). Cette coopération se fait dans le cadre des lois de décentralisation qui confient aux Régions non seulement une mission de programmation (schémas régionaux) mais aussi de gestion et d'investissement, notamment pour les lycées.
Je tiens à souligner la politique courageuse et dynamique du Conseil Régional du Languedoc-Roussillon dans ce domaine capital pour l'avenir de notre Nation et de votre Région. Cela devrait permettre à notre jeunesse d'entrer avec toutes les chances de réussite dans le XXIe siècle qui sera celui de la mondialisation des échanges économiques, sociaux et culturels.
Ce magnifique lycée, à la forme originale de cadran solaire, a représenté un investissement de 100 MF de la part de la Collectivité Régionale. Il a été construit pour 1 765 élèves, il en accueillera à cette rentrée 945. Il est doté de 23 personnels administratifs et de 70 enseignants. Sa particularité pédagogique sera d'accueillir une section européenne "espagnole" dans le secteur professionnel. Il est le fruit d'un partenariat réussi, de sa conception jusqu'à sa réalisation. En effet non seulement cette coopération ne se limite pas à financer la part qui revient à chacun (l'État, dans cette région, dépense chaque année près de 9 milliards) mais aussi à déterminer d'un commun accord les structures de formation en tenant compte des besoins des professions et de l'aménagement du territoire régional. Car toute formation doit être axée sur l'insertion professionnelle.
D'ailleurs, il est significatif que le lycée Georges Pompidou assure à la fois des enseignements généraux et technologiques mais aussi professionnels, confortés par trois BTS tertiaires. Il garantit ainsi à l'élève une meilleure orientation et la possibilité de changer de filière, dans le même établissement, en fonction de l'évolution de son projet et l'évaluation de ses résultats. La conception ancienne du lycée professionnel étroitement replié sur ses ateliers a donc utilement évolué et s'en trouve revalorisée ipso facto : cette "polyvalence" est d'ailleurs rendue nécessaire par le développement des technologies nouvelles.
Ces technologies devraient permettre à l'Académie de Montpellier de tirer toute la substance du Traité franco-espagnol relatif à la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales qui est en cours d'examen au Parlement. Il devrait servir d'appui pour une véritable politique transfrontalière en matière d'éducation et de formation. Cette Académie doit faire la politique de sa géographie. Il s'agit de mettre en uvre la déclaration de Barcelone du 28 novembre 1995 établissant un partenariat global euroméditerranéen en commençant par faire travailler ensemble la jeunesse du pourtour de la Méditerranée.
Cet établissement sera de plus un bel exemple de l'ouverture à la dimension européenne non seulement par sa section européenne mais aussi par ses formations de secrétariat trilingue ou de commerce international. Cette politique européenne d'éducation permettra donc aux élèves de l'Académie d'être les véritables ambassadeurs de notre francophonie dans les pays d'Europe concernés et peut-être d'y trouver un emploi.
Mais ce lycée séduit également par sa conception architecturale. Sa forme circulaire qui s'intègre parfaitement dans ce site d'exception, ouverte sur l'environnement, concilie à la fois protection et accueil. Protection contre les tensions et les violences du monde extérieur qui troublent parfois la sérénité de nos établissements scolaires. Mais aussi accueil qui intègre la diversité des élèves, quelles que soient leurs caractéristiques. Ces locaux neufs allient aussi fonctionnalité et symbolisme, modernisme et tradition. Je salue donc cette alliance particulièrement réussie.
Mais il y a bien plus. L'inauguration d'aujourd'hui, par un heureux concours de circonstances, intervient à l'orée de l'Automne Malraux, qui marque le vingtième anniversaire de la disparition de cette grande figure.
Faut-il en effet rappeler combien les noms de Malraux et de Pompidou sont liés ?
Georges Pompidou fut certes conseiller municipal de Cajarc, député du Cantal, Premier ministre, Président de la République. Rien d'étonnant à ce que la stature de l'homme d'État domine dans les mémoires.
Mais pourtant... Comment ne pas se souvenir que le fils d'instituteur de Montboudif, l'élève des lycées d'Albi et de Toulouse, de l'École Normale Supérieure, le professeur agrégé de lettres à Marseille puis à Paris, n'a jamais renoncé à servir la littérature tout en servant la France ? En 1955, il publie donc un ouvrage consacré à André Malraux, précédant la fameuse Anthologie de la poésie française publiée en 1961. Il est heureux que l'occasion me soit ainsi donnée, en inaugurant ce lycée, de rappeler la contribution de Georges Pompidou à la connaissance de Malraux dont les cendres vont prochainement entrer au Panthéon.
Chacun sait qu'en 1958, après la traversée du désert, Charles de Gaulle a fait de Georges Pompidou son Directeur de Cabinet avant de la choisir comme Premier ministre en avril 1962, en remplacement de Michel Debré, disparu cet été. Chacun sait aussi que Charles de Gaulle fit de Malraux son Ministre en 1945-46, son Ministre d'État en 1958 et le fameux Ministre de la Culture de 59 à 69. Il est réjouissant de constater que la ville de Castelnau-le-Lez dispose désormais de son centre culturel André Malraux, d'un lycée Georges Pompidou.
L'un des messages forts que notre jeunesse d'aujourd'hui peut lire dans l'itinéraire d'une vie comme celle de Georges Pompidou réside justement dans ce lien entre la culture et l'action, entre la littérature et l'engagement dans la cité, entre l'amour de l'art (comme l'atteste le Centre Georges Pompidou à Beaubourg) et la responsabilité politique.
La culture, la maîtrise du patrimoine ancien, la curiosité pour la nouveauté dans tous les domaines de la création sont les plus sûres garanties d'être vraiment, pleinement en prise avec le monde complexe d'aujourd'hui, et en mesure d'agir sur lui en y trouvant sa place.
Un autre message que les jeunes et les moins jeunes peuvent utilement méditer en considérant l'uvre de Georges Pompidou, c'est le souci, dont il avait fait une sorte de devise, de la continuité et de l'ouverture. Devenu Président de la République, il sauvegarda l'héritage gaullien : participation et régionalisation à l'intérieur, rejet des blocs à l'extérieur, tout en amorçant la coopération politique européenne parallèlement à l'union économique et monétaire. Cette volonté d'ouverture sur le monde (Georges Pompidou est le Premier chef d'État occidental à se rendre à Pékin en 1973) reste d'une vive actualité devant les tentations du repliement sur soi, de la fermeture, de l'exclusion, que ces temps difficiles rendent attrayantes pour ceux qui se laissent prendre à de telles illusions.
L'ultime message de Georges Pompidou s'adresse à chacun de nous : celui d'un homme qui, face à la maladie, ne démissionna pas. Ce courage tout personnel s'est certainement trempé au contact de sa culture classique de grand humaniste. Ainsi s'est-il souvenu de ce roi de Phrygie, appelé Gordias, et de son char. Un nud inextricable attachait le timon de ce char au joug. Au lieu de tenter vainement de le dénouer, Alexandre le trancha. Et l'insurmontable fut surmonté. Le nud gordien, écrit en 1969 et paru en 1979, est le titre du dernier ouvrage de Georges Pompidou. Il nous rappelle à la détermination face à la complexité.
En définitive, Georges Pompidou était sans doute du même avis que Jean Jaurès qui déclarait en 1903 devant les lycéens d'Albi : "ce qui reste vrai à travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies, c'est qu'il faut faire le plus large crédit à la nature humaine. C'est qu'on se condamne soi-même à ne pas comprendre l'Humanité si l'on n'a pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables".
Tel est le message d'espoir que je souhaiterais que vous fassiez vôtre. Aujourd'hui et demain.