Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "Europe 1" le 19 juin 2003, sur le coût des grèves dans les entreprises publiques de transport et leurs conséquences sur l'emploi et l'équipement, sur le paiement des jours de grève, sur les résultats de l'enquête parlementaire sur Air Lib.

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Média : Europe 1

Texte intégral


J.-P. Elkabbach-. A propos des grèves dans les transports : elles sont peu suivies, ce matin, c'est ce que vous pouvez confirmer ?
- "Je peux confirmer que le métro marche vraiment à 95% environ, que les bus marchent aussi à 95%, et les RER à 100%. A la SNCF, il y a environ deux TGV sur trois, il y a quelques ennuis dans certaines régions, notamment le Sud-Est. Mais à part cela, globalement, effectivement, cela fonctionne et les voyageurs peuvent aujourd'hui prendre le train et le métro."
C'est-à-dire que, pour les quatre syndicats qui ont organisé cette énième journée de mobilisation, c'est un non-succès ou alors carrément un échec ?
- "Je ne veux pas humilier qui que ce soit. Simplement, c'est que la justification de la grève n'était pas évidente de la part de ceux qui ont lancé le mot d'ordre. Du coup, dans leur grande sagesse et dans leur grande logique, les agents de la RATP ou de la SNCF, n'ont pas suivi parce qu'ils n'ont pas trouvé motif à faire grève."
Avez-vous évalué le coût de ces grèves de mai et juin 2003 pour les entreprises publiques de transport ?
- "C'est assez effrayant, autour de 200 millions - et je parle en euros -, c'est-à-dire l'équivalent en emplois de peut-être, entre 500 et 1.000 emplois qui sont gagés, peut-on dire, sur des pertes pareilles. C'est quand même dramatique. Cela veut dire que la SNCF, à la fois, pourra moins renouveler son parc, pourra moins embaucher ou renouveler le personnel qui part à la retraite. Et donc, tout cela se paye par quelqu'un : par le contribuable, et en même temps, par la SNCF et par le service public."
Mais qui va compenser ? Vous dites "le contribuable", c'est général. Mais est-ce que la SNCF et la RATP peuvent augmenter les tarifs, pour rattraper ces 200 millions pour la SNCF - et au passage, combien pour la RATP, vous avez évalué ?
- "En tout, cela fait environ 200 millions d'euros pour la SNCF et la RATP. Mais on ne rattrape jamais, ce qui est perdu est perdu. On est déjà à la moitié de l'année. Je vous rappelle que la SNCF est en déficit d'exploitation. L'année dernière, elle avait perdu 300 millions d'euros environ, et qu'à cette perte de l'année dernière va s'ajouter la perte due aux grèves. Et tout cela va faire que le trou de la SNCF va probablement s'agrandir et que, naturellement, c'est le contribuable..."
L'Etat...
- "L'Etat. Et en même temps aussi, la modernisation de la SNCF, qui va manquer de moyens et qui par conséquent va en souffrir."
Donc, ce sont des emplois, des équipements en moins. Alors, vous rassurez les syndicats, vous venez de dire "l'Etat". C'est vous qui allez compenser ?
- "Nous, nous ne compensons pas automatiquement, parce que la SNCF a une capacité d'endettement mais relativement faible. Pourquoi ? Parce que tout ce qui est infrastructure est passé à RFF - Réseau ferré de France. Et tout ce qui est équipement et infrastructure est "logé" peut-on dire, dans cette structure qui s'appelle RFF."
Cet échec va-t-il rendre moins urgent et peut-être même inutile, un service minimum garanti dans les transports ? Ou alors, si ce n'est pas la loi, est-ce que par la négociation, on peut obtenir un système particulier - je ne sais pas ? -, pour les heures de pointe dans les transports ?
- "C'est une question très intéressante, qui est effectivement d'actualité. Je le lis dans les journaux, je l'écoute à la radio. Mais néanmoins, s'il y avait eu..."
C'est une promesse électorale du candidat J. Chirac et puis des élus...
- "Oui, mais pour l'instant, vous avez remarqué qu'au cours des trois grèves que l'on a connues - cette semaine, aujourd'hui, la semaine dernière, au début du mois de juin - les services assurés par la SNCF et par la RATP, ont été à chaque fois supérieurs à ce qu'ils pourraient être avec une loi rendant obligatoire le service minimum. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de loi pour encourager, voire obliger les partenaires sociaux à négocier, contractuellement, pour obtenir en fin de compte un service garanti à certains heures de pointe, tout cela est intelligent. Mais si on peut arriver, sur le mode contractuel, à ces résultats, c'est bien. Et en tout cas, de toute façon, le seuil d'activité - par exemple aujourd'hui à 90 ou 95 % - est nettement supérieur à ce que pourrait atteindre un texte rendant obligatoire le service garanti..."
Donc, de préférence, le contrat à la loi ?
- "De préférence, le contrat à la loi."
Tout le monde donne aussi son avis sur la paie des grévistes dans les services et administrations publics. "La loi c'est la loi" disait ici, à votre place, M. Charasse. Le Gouvernement décide de l'appliquer, lit-on, à partir d'une note qui aurait circulé, qui vient d'une réunion interministérielle, "avec rigueur et fermeté". Pourquoi choisir - peut-être le Premier ministre ou vous, le Gouvernement - cette consigne de fermeté ?
- "Oui, "rigueur et fermeté", c'est très bien, mais je ne pense pas que cela fasse partie de cette note. Simplement, ce que je dis aux chefs d'entreprise qui dépendent de mon ministère, donc L. Gallois et A.-M. Idrac, pour le métro, la RATP, que c'est à eux qu'il appartient maintenant de négocier avec les agents qui ont fait grève et que la loi, c'est vrai, prévoit que la dignité en contrepartie du droit de grève, c'est la perte du salaire. Alors, ensuite, on peut négocier l'étalement dans le temps..."
On l'a toujours fait. Mais quand vous dites que c'est un délai de deux mois maximum, là, il y a de la provocation. Est-ce bon de donner cette impression d'humiliation, à moins qu'on veuille créer un climat d'amertume et de rancune pour l'automne ?
- "Il n'appartient pas au ministre, qui a la tutelle de la RATP et de la SNCF, de donner des indications précises, comme celles-là, au patrons de la SNCF et à madame Idrac, présidente de la RATP. Il leur appartient de rappeler simplement la loi, et il leur appartient à eux de rencontrer les partenaires sociaux dont ils sont les partenaires et qu'ils rencontrent habituellement pour négocier ce genre de chose. Je ne leur donne pas de consignes précises."
Vous dites, ce matin, c'est cela qui est intéressant : plus de souplesse ?
- "Je ne leur dis pas "plus de souplesse", mais je leur dis : c'est à vous de négocier. Et que chacun soit responsable dans la fonction qu'il exerce."
Autre thème, c'est une première : la commission d'enquête parlementaire sur Air Lib a transmis son rapport à la justice. Mais telle qu'est dénoncée la gestion de J.-C. Corbet, il est déjà jugé ? A-t-il besoin d'un procès de plus ?
- "Le rapport de la commission, qui a fait un excellent travail, décrit parfaitement le processus. Et le processus, on peut dire, en gros, que voilà une entreprise qui n'avait pas un sou, qui s'est trouvée confortée par le tribunal de commerce et confiée à M. Corbet, et que les premiers gestes de M. Corbet et de l'équipe dirigeante, c'est de s'allouer des indemnités pharaoniques et des salaires que bien peu de chefs d'entreprise au monde s'octroient..."
J'ai regardé les comptes...
- "Et ensuite, permettez-moi de dire qu'ils ont obtenu un prêt d'Etat, et il semble que ce prêt d'Etat ait servi pour partie ou en grande partie, à mettre de l'argent dans des pays étrangers et d'autre part, aussi, à se servir des salaires, là encore, qui sont pharaoniques."
Je voulais dire qu'il y avait une étrange coïncidence à la lecture du rapport : en 16 mois, les dirigeants autour de M. Corbet, leurs banques et leurs avocats ont touché près de 30 millions d'euros. Et en janvier 2002, l'Etat a prêté à Air Lib, 30,5 millions d'euros.
- "Oui... On ne peut pas ne pas rapprocher ces deux chiffres."
Les syndicats se taisent-ils ?
- "Les syndicats... Non, il faut reconnaître que les syndicats sont extrêmement outrés en l'apprenant, en le découvrant... Certains découvrent en toute bonne foi. D'autres le savaient et se cachaient parfois les yeux. Mais je peux vous dire que, les plus remontés, et ceux que j'entends en tout cas, par exemple, de la CGT, sont scandalisés d'apprendre cela. Et justement scandalisés, par ce qu'ils ont l'impression d'avoir vraiment été, comme ils le disent eux-mêmes, "roulés"."
Donc, vous prévoyez un procès ?
- "Ce n'est pas à moi à prévoir un procès. Mais en tout cas, ce rapport part pour la justice, et la justice verra si le Parquet doit effectivement poursuivre."
Mais est-ce que cela ne ressemble pas, comme le disent à la fois l'ex-direction d'Air Lib et l'opposition, à un règlement de comptes à caractère politique ?
- "N'a-t-on pas le devoir, que l'on appartienne à la droite ou à la gauche, de regarder et de vérifier la bonne utilisation des fonds publics ? N'a-t-on pas le devoir aussi, de regarder s'il n'y a pas eu abus de ces fonds publics à titre personnel ? Donc, c'est notre devoir, même sans alternance. J'imagine que le gouvernement précédent, s'il était en place aujourd'hui, aurait eu aussi ..."
... Le sentiment d'avoir été "roulé" ?
- "... De faire une commission d'enquête et d'en tirer les conclusions et, je pense, les mêmes que nous. Je vous rappelle que la commission d'enquête d'ailleurs, est formée de gens de droite, de gauche..."
D'accord, avec une majorité d'UMP, il faut le dire au passage.
- "Avec Une majorité [inaud]"
Avec J.-L. Borloo, vous avez annoncé la décision, qui est impressionnante, du Gouvernement, de démolir 200.000 logements sociaux sur cinq ans dans les cités, c'est-à-dire, 40.000 par an. Vous avez fait fort. Mais l'opposition, c'est son rôle, ironise et dit que c'est impossible à réaliser. M. Delebarre, président de l'Union nationale HLM : "Avant de démolir, il faut construire pour reloger les familles". C'est-à-dire que vous faite les travail à l'envers ?
- "Non, pas du tout. On fait le travail en même temps, et je crois que c'est bien. C'est vrai que la première barre pour avoir du foncier, il vaut mieux la démolir pour avoir cet emplacement foncier, pour pouvoir construire les logements à la place. Et ce ne sont plus des logements verticaux, à ce moment-là, ce sont plutôt de petits collectifs ou individuels. Alors, on étale un peu plus, c'est vrai, cela demande davantage de foncier. Mais je crois que c'est un bel, un grand objectif. En tout cas, pour ce qui concerne mon domaine, c'est-à-dire le domaine du logement et notamment le logement social, vous avez vu que nous tiendrons nos engagements et en quantité et en qualité."
C'est-à-dire qu'à propos du financement, vous dites que le gel qui a été prévu, des crédits affectés à ces logements, serait levé. Cela donne combien d'argent ?
- "Cela donne environ 100 millions d'euros pour permettre, en plus, de remplir des objectifs qui sont, rien que dans le domaine du logement social, locatif, 54 ou 55.000 logements par an en plus. Et d'autre part, vous savez que je veux m'orienter, d'ici à la fin de l'année, d'ailleurs, j'ai fait une communication au Conseil des ministres, en faveur d'accession sociale à la propriété, pour permettre à des gens aux revenus modestes, de devenir propriétaires."
Vous voulez des propriétaires heureux. Les HLM n'ont-ils pas un peu de sous pour compléter ? Parce qu'il paraît qu'ils gèrent ou contrôlent 20 milliards d'euros, ce qui n'est pas mal ?
- "Oui, ce n'est pas mal. Non seulement certains HLM ont de l'argent et il faut reconnaître qu'ils ont aussi un énorme patrimoine. Et donc, je les engage fortement à vendre une partie de ce patrimoine pour se faire de la trésorerie et, avec cette trésorerie, de construire de nouveaux logements. C'est ainsi que l'offre de logements grandira aussi en France."
On peut terminer avec une satisfaction, si elle est vraie : ce qui se passe au Bourget en ce moment, en 2003. Les avions français ont obtenu la part belle, en particulier Airbus, achetés par des Etats arabes. C'est une bonne nouvelle pour l'emploi, pour la France, les entreprises françaises ?
- "Oui, énormément d'Airbus ont été vendus ces jours-ci et tout à l'heure, à l'Elysée, va être signé un contrat avec le Qatar, contenant plusieurs A380, environ dix A330 et deux A321. Cela veut dire que, vraiment, cette belle entreprise qu'est Airbus, qui est une entreprise européenne, fait de l'offre de qualité très compétitive et, aujourd'hui, est en train de dépasser largement son concurrent américain."
C'est peut-être les résultats de la guerre d'Irak... On pourrait en parler...
- "C'est surtout les résultats de la qualité des produits offerts par Airbus."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juin 2003)