Texte intégral
R. Elkrief.- Le Président Chirac a donc annoncé qu'il opposerait son veto à la résolution annonçant la guerre. Vous ajoutez votre voix, ce matin, au concert d'approbation ?
- "Il n'y avait pas d'autres choix. Au terme des positions que la France avait prises, ce "non" de la France était dans la logique des positions prises."
Mais vous, qu'en pensez-vous ?
- "... - Je vous le dis -, et ce "non" de la France, est juste. Il est juste parce qu'il y a dans cette crise, non seulement la résolution du problème irakien, mais aussi, en effet, un modèle de résolution pour toutes les autres crises qui surgissent et qui sont autour de nous : la Corée du Nord, peut-être l'Iran, la Libye, les Etats qui disposent, en effet, d'armes qui sont si.."
"Les Etats voyous", comme on dit...
- "Oui, et qui sont si incontrôlables, si instables ou si pénétrés d'idéologies, qu'en effet, on doit se demander ce qu'on peut faire pour les désarmer et les mettre hors d'état de nuire. Et si on a, à cette question, que la réponse de la guerre, déclencher une guerre de puissance, alors on est parti pour un siècle extrêmement dangereux. C'est pourquoi j'approuve le président de la République, les choix qu'il a faits en cette matière."
Ce qui est étrange c'est que, d'une certaine façon, depuis quelques semaines en France, la petite musique de l'UDF, atlantiste, centriste, a un peu disparu. Je voudrais vous citer quand même R. Barre qui, lui, le 14 février dernier, disait qu'il était contre le veto, que cela détruirait la crédibilité de l'ONU, et que l'on introduit le veto que lorsqu'un intérêt national majeur peut menacer.
- "Eh bien, là, un intérêt national majeur est en jeu : c'est la vision que la France a de l'avenir du monde. Et que la France, beaucoup plus largement qu'une majorité. Il me semble que, tous les grands courants politiques français partagent le même sentiment, à savoir qu'on ne peut pas régler les problèmes si graves qui vont se poser à la surface de la planète, simplement en déclenchant le feu, non pas parce que la guerre est toujours la pire des solutions - j'ai une petite nuance sur ce point avec le président de la République. Je pense que la guerre c'est le mal, mais cela peut être le moindre mal. Simplement, on arrive à la guerre quand on a essayé tout le reste. Ce déclenchement de la guerre, par les Etats-Unis, en réalité, en traitant avec désinvolture les instances internationales et le droit, la position de l'administration américaine, du président Bush et de ceux qui l'entourent, a été, dans cette affaire, troublante, y compris, vous le rappeliez, pour ceux qui sont les amis des Etats-Unis depuis le plus longtemps. Il y a beaucoup de gens qui, évidemment, entre Bush et S. Hussein, se sentent plutôt du côté des Américains. Mais ce n'est pas la question aujourd'hui, il faut le leur rappeler. La question aujourd'hui c'est : quel est le chemin que nous allons suivre pour résoudre les crises qui se préparent ? On a un dictateur..."
Certains pensent que c'est la question tout de même. Je voudrais vous citer K. Nezan, qui est président de l'Institut kurde de Paris, ce matin, dans Libération, il dit : "Les Irakiens sont déçus par la position française qui les condamne à rester sous la dictature de Saddam". Pour certains, c'est la question.
- "Je ne le crois pas. Je pense, au contraire, qu'il y a un chemin qui pouvait être suivi, et peut-être qui peut être amélioré encore, pour que les Etats-Unis, comme ils l'ont fait pour Milosevic, décrètent que S. Hussein est un criminel contre les droits les plus élémentaires de la personne humaine."
L'intervention en Yougoslavie, qui s'est faite sans l'accord de l'ONU, puisque les Russes avaient opposé leur veto. Et là, apparemment, cela ne posait pas de problème.
- "Non, et vous voyez bien que ce n'est pas la même chose. Lorsque les démocraties sont dans le même camp, alors on sent bien qu'il y a une légitimité des démocraties à intervenir. Lorsqu'elles sont divisées, aussi profondément qu'elles le sont aujourd'hui, alors ceux qui détiennent la puissance et le feu, devraient s'interroger pour savoir pourquoi des pays aussi attachés aux droits de l'homme et aussi fidèles dans leur amitié, que la France ou l'Allemagne l'ont été à leur égard, sont si profondément troublés."
C'est la faute aux Américains, c'est ce que vous dites, de l'administration Bush, maladroite, brutale ?
- "Je pense que l'administration Bush avait décidé la guerre avant même que tout le concert diplomatique débute. Le choix que l'administration a fait depuis le début était d'appliquer la puissance. Et que cela pose au monde des questions énormes. Nous avons un dictateur en Corée du Nord, il a la bombe atomique, il a fait, avant-hier, un essai de missile, non pas de 150 km de portée comme les Al-Samoud de S. Hussein, mais de 15 090 kilomètres de portée, en mer du Japon, cette semaine ! Que fait-on ? Est-ce que les nations démocratiques exercent une pression telle qu'il sera obligé de céder ou est-ce qu'on lui déclare la guerre, là-bas, en Corée ? Vous voyez bien qu'il y a, là, un déchaînement de questions qui risquent d'entraîner la planète dans une situation extrêmement dangereuse. Voilà ce que disent ceux qui sont les amis des Etats-Unis et qui s'inquiètent des choix qui sont faits aujourd'hui par leur administration."
Etes-vous inquiet de rétorsions, de réponses américaines qui pourraient porter atteinte à l'économie française, aux bons rapports entre la France et les Etats-Unis ?
- "Je pense que ce n'est pas la question la plus grave. Je pense que cela ne peut pas se faire comme ça, d'un claquement de doigt. Mais je pense qu'il y a derrière cela, une question très grave, beaucoup plus grave que celle de rétorsions passagères, qui est de savoir ce que devient l'ONU. Car si l'on se place dans l'hypothèse où les Etats-Unis ne trouvent pas de majorité, ou bien ayant trouvé une majorité, ont trouvé un veto en face d'eux, et qu'ils déclenchent tout de même la guerre, alors la première victime de la guerre, c'est l'ONU. Il n'y a plus d'ONU, il n'y a plus de Conseil de sécurité, puisque la puissance la plus importante de la planète aura traité le Conseil de sécurité avec désinvolture. Donc, tout est à reconstruire. Tout ce que nous avions bâti depuis 50 ans, l'ONU, l'OTAN..."
L'OTAN, qui est également ébranlée...
- "...et l'Union européenne."
Pour l'Union européenne, J. Chirac a dit hier : "Je ne suis pas très inquiet, elle va sortir renforcée de la crise car les différents membres de l'Union européenne auront tellement de remords de ne pas être arrivés à une position commune, qu'on trouvera des positions communes". Vous y croyez ?
- "Non, je ne partage absolument pas ce sentiment. C'est la partie où je me suis trouvé très éloigné de l'analyse du président de la République, hier soir. Je pense que l'Union européenne est dans une crise profonde et que ce n'est pas en la divisant comme elle l'a été qu'on la renforcera. Diviser, c'est [inaud.], et on est naturellement en situation plus fragile après qu'on ne l'était avant."'
Que faudrait-il faire pour recoudre un peu les liens ?
- "Je pense qu'il aurait fallu, dès le premier jour de cette crise, s'obstiner à trouver une position européenne et à présenter un front européen. Alors, la Grande-Bretagne aurait été sur une ligne différente, elle aurait été, d'une certaine manière, au pied du mur. Et le choix..."
Il ne fallait pas faire cavalier seul avec les Allemands, c'est ce que vous dites ?
- "...le choix européen, vous savez bien ce que je dis depuis la première heure de cette crise, me paraissait essentiel pour l'équilibre futur de la planète. Je pense que la grande question qui se pose, c'est celle des organisations internationales qui, - ONU, OTAN, Union européenne - aujourd'hui, sont fragilisées. Demain, la question c'est l'équilibre des puissances. Est-ce que les Etats-Unis sont la seule puissance de la planète, ou est-ce qu'on bâtit en face d'eux, une puissance équivalente ou qui puisse parler aussi fort ? Pour l'instant, on n'en a pas pris le chemin. C'est la grande faiblesse de la position que nous avons choisie."
(Source http://www.udf.org, le 1 avril 2003)
- "Il n'y avait pas d'autres choix. Au terme des positions que la France avait prises, ce "non" de la France était dans la logique des positions prises."
Mais vous, qu'en pensez-vous ?
- "... - Je vous le dis -, et ce "non" de la France, est juste. Il est juste parce qu'il y a dans cette crise, non seulement la résolution du problème irakien, mais aussi, en effet, un modèle de résolution pour toutes les autres crises qui surgissent et qui sont autour de nous : la Corée du Nord, peut-être l'Iran, la Libye, les Etats qui disposent, en effet, d'armes qui sont si.."
"Les Etats voyous", comme on dit...
- "Oui, et qui sont si incontrôlables, si instables ou si pénétrés d'idéologies, qu'en effet, on doit se demander ce qu'on peut faire pour les désarmer et les mettre hors d'état de nuire. Et si on a, à cette question, que la réponse de la guerre, déclencher une guerre de puissance, alors on est parti pour un siècle extrêmement dangereux. C'est pourquoi j'approuve le président de la République, les choix qu'il a faits en cette matière."
Ce qui est étrange c'est que, d'une certaine façon, depuis quelques semaines en France, la petite musique de l'UDF, atlantiste, centriste, a un peu disparu. Je voudrais vous citer quand même R. Barre qui, lui, le 14 février dernier, disait qu'il était contre le veto, que cela détruirait la crédibilité de l'ONU, et que l'on introduit le veto que lorsqu'un intérêt national majeur peut menacer.
- "Eh bien, là, un intérêt national majeur est en jeu : c'est la vision que la France a de l'avenir du monde. Et que la France, beaucoup plus largement qu'une majorité. Il me semble que, tous les grands courants politiques français partagent le même sentiment, à savoir qu'on ne peut pas régler les problèmes si graves qui vont se poser à la surface de la planète, simplement en déclenchant le feu, non pas parce que la guerre est toujours la pire des solutions - j'ai une petite nuance sur ce point avec le président de la République. Je pense que la guerre c'est le mal, mais cela peut être le moindre mal. Simplement, on arrive à la guerre quand on a essayé tout le reste. Ce déclenchement de la guerre, par les Etats-Unis, en réalité, en traitant avec désinvolture les instances internationales et le droit, la position de l'administration américaine, du président Bush et de ceux qui l'entourent, a été, dans cette affaire, troublante, y compris, vous le rappeliez, pour ceux qui sont les amis des Etats-Unis depuis le plus longtemps. Il y a beaucoup de gens qui, évidemment, entre Bush et S. Hussein, se sentent plutôt du côté des Américains. Mais ce n'est pas la question aujourd'hui, il faut le leur rappeler. La question aujourd'hui c'est : quel est le chemin que nous allons suivre pour résoudre les crises qui se préparent ? On a un dictateur..."
Certains pensent que c'est la question tout de même. Je voudrais vous citer K. Nezan, qui est président de l'Institut kurde de Paris, ce matin, dans Libération, il dit : "Les Irakiens sont déçus par la position française qui les condamne à rester sous la dictature de Saddam". Pour certains, c'est la question.
- "Je ne le crois pas. Je pense, au contraire, qu'il y a un chemin qui pouvait être suivi, et peut-être qui peut être amélioré encore, pour que les Etats-Unis, comme ils l'ont fait pour Milosevic, décrètent que S. Hussein est un criminel contre les droits les plus élémentaires de la personne humaine."
L'intervention en Yougoslavie, qui s'est faite sans l'accord de l'ONU, puisque les Russes avaient opposé leur veto. Et là, apparemment, cela ne posait pas de problème.
- "Non, et vous voyez bien que ce n'est pas la même chose. Lorsque les démocraties sont dans le même camp, alors on sent bien qu'il y a une légitimité des démocraties à intervenir. Lorsqu'elles sont divisées, aussi profondément qu'elles le sont aujourd'hui, alors ceux qui détiennent la puissance et le feu, devraient s'interroger pour savoir pourquoi des pays aussi attachés aux droits de l'homme et aussi fidèles dans leur amitié, que la France ou l'Allemagne l'ont été à leur égard, sont si profondément troublés."
C'est la faute aux Américains, c'est ce que vous dites, de l'administration Bush, maladroite, brutale ?
- "Je pense que l'administration Bush avait décidé la guerre avant même que tout le concert diplomatique débute. Le choix que l'administration a fait depuis le début était d'appliquer la puissance. Et que cela pose au monde des questions énormes. Nous avons un dictateur en Corée du Nord, il a la bombe atomique, il a fait, avant-hier, un essai de missile, non pas de 150 km de portée comme les Al-Samoud de S. Hussein, mais de 15 090 kilomètres de portée, en mer du Japon, cette semaine ! Que fait-on ? Est-ce que les nations démocratiques exercent une pression telle qu'il sera obligé de céder ou est-ce qu'on lui déclare la guerre, là-bas, en Corée ? Vous voyez bien qu'il y a, là, un déchaînement de questions qui risquent d'entraîner la planète dans une situation extrêmement dangereuse. Voilà ce que disent ceux qui sont les amis des Etats-Unis et qui s'inquiètent des choix qui sont faits aujourd'hui par leur administration."
Etes-vous inquiet de rétorsions, de réponses américaines qui pourraient porter atteinte à l'économie française, aux bons rapports entre la France et les Etats-Unis ?
- "Je pense que ce n'est pas la question la plus grave. Je pense que cela ne peut pas se faire comme ça, d'un claquement de doigt. Mais je pense qu'il y a derrière cela, une question très grave, beaucoup plus grave que celle de rétorsions passagères, qui est de savoir ce que devient l'ONU. Car si l'on se place dans l'hypothèse où les Etats-Unis ne trouvent pas de majorité, ou bien ayant trouvé une majorité, ont trouvé un veto en face d'eux, et qu'ils déclenchent tout de même la guerre, alors la première victime de la guerre, c'est l'ONU. Il n'y a plus d'ONU, il n'y a plus de Conseil de sécurité, puisque la puissance la plus importante de la planète aura traité le Conseil de sécurité avec désinvolture. Donc, tout est à reconstruire. Tout ce que nous avions bâti depuis 50 ans, l'ONU, l'OTAN..."
L'OTAN, qui est également ébranlée...
- "...et l'Union européenne."
Pour l'Union européenne, J. Chirac a dit hier : "Je ne suis pas très inquiet, elle va sortir renforcée de la crise car les différents membres de l'Union européenne auront tellement de remords de ne pas être arrivés à une position commune, qu'on trouvera des positions communes". Vous y croyez ?
- "Non, je ne partage absolument pas ce sentiment. C'est la partie où je me suis trouvé très éloigné de l'analyse du président de la République, hier soir. Je pense que l'Union européenne est dans une crise profonde et que ce n'est pas en la divisant comme elle l'a été qu'on la renforcera. Diviser, c'est [inaud.], et on est naturellement en situation plus fragile après qu'on ne l'était avant."'
Que faudrait-il faire pour recoudre un peu les liens ?
- "Je pense qu'il aurait fallu, dès le premier jour de cette crise, s'obstiner à trouver une position européenne et à présenter un front européen. Alors, la Grande-Bretagne aurait été sur une ligne différente, elle aurait été, d'une certaine manière, au pied du mur. Et le choix..."
Il ne fallait pas faire cavalier seul avec les Allemands, c'est ce que vous dites ?
- "...le choix européen, vous savez bien ce que je dis depuis la première heure de cette crise, me paraissait essentiel pour l'équilibre futur de la planète. Je pense que la grande question qui se pose, c'est celle des organisations internationales qui, - ONU, OTAN, Union européenne - aujourd'hui, sont fragilisées. Demain, la question c'est l'équilibre des puissances. Est-ce que les Etats-Unis sont la seule puissance de la planète, ou est-ce qu'on bâtit en face d'eux, une puissance équivalente ou qui puisse parler aussi fort ? Pour l'instant, on n'en a pas pris le chemin. C'est la grande faiblesse de la position que nous avons choisie."
(Source http://www.udf.org, le 1 avril 2003)