Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la mise en oeuvre de la monnaie unique, la coordination des politiques économiques et l'euro comme levier déterminant pour le retour au plein emploi, Paris le 15 mai 1998.

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Circonstance : Colloque Les Echos Euro entreprises 1998, sur la mise en oeuvre de la monnaie unique à Paris le 15 mai 1998

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai répondu favorablement à l'invitation du journal Les Échos de clore ce premier forum international consacré à la mise en oeuvre de la monnaie unique dans les entreprises. Quinze jours après la date historique du 2 mai, ce colloque vient en effet à son heure.
Cinquante ans après le Congrès de La Haye, qui avait vu s'affirmer, dans un continent alors ruiné par la guerre, les aspirations des peuples à la construction d'une Europe unie, onze nations ont donc décidé de mettre en commun l'un des attributs de leur souveraineté nationale : la monnaie. Sans doute les grandes voix qui s'étaient exprimées il y a cinquante ans avaient-elles imaginé un autre cours à ce grand projet. Mais pouvait-on unir, autrement que par une intégration économique progressive, des nations que des siècles de lutte fratricide avaient séparées ? La marche fut lente, chaotique parfois, mais marquée aujourd'hui par une grande avancée : l'euro va naître dans 6 mois. Il faut maintenant évaluer et anticiper, ensemble, les conséquences concrètes, pour les entreprises, de l'union monétaire.
C'est à tous les acteurs de l'économie qu'il revient d'agir ensemble pour faciliter la transition vers l'euro - les entreprises, les associations, les administrations. Nos concitoyens aussi doivent être partie prenante de cette ambition.
Chaque fois que nous avons su faire coïncider l'intégration économique avec la mise en commun de nouvelles solidarités, chaque fois que nous avons su associer les peuples et les forces sociales à ce projet, l'Europe a progressé. Chaque fois, aussi, cette avancée a accru la prospérité de notre continent. Rappelons ici la perspective du Grand marché intérieur -dont l'impulsion fut donnée par Jacques DELORS-, et qui, succédant à l'" euro-sclérose ", a contribué à un certain retour de la croissance dans la seconde moitié des années quatre-vingts.
Un défi comparable nous est aujourd'hui posé après la longue stagnation que nous avons connue depuis le début de cette décennie. Si nous savons associer tous les acteurs de la vie économique et sociale à l'Union monétaire, alors nous pourrons faire en sorte qu'elle contribue à renforcer le développement de notre continent.
Concluant, comme vous m'y aviez invité, les travaux de ce forum, je voudrais vous livrer ma propre réflexion, et je le ferai en vous faisant part de quatre convictions.
Loin de constituer une contrainte supplémentaire, l'euro sera un instrument de puissance et d'innovation.
Fondé sur la coordination des politiques économiques, l'euro nous donnera de nouvelles marges de manoeuvre.
L'euro peut devenir ainsi un levier puissant au service de l'emploi.
Mon Gouvernement, parce qu'il est conscient des enjeux, s'engage à aider les entreprises et nos concitoyens dans leur adaptation à l'euro.
1. L'euro représente un facteur de développement de l'activité des entreprises.
Ce qui était difficilement imaginable en 1991, peu probable il y a encore dix-huit mois, est désormais devenu réalité : tous les pays qui voulaient participer à l'euro dès 1999, et qui le pouvaient, en feront partie.
L'euro a vocation à devenir une des deux grandes monnaies mondiales. Ce ne sont pas les Etats qui en décideront, mais vous, les entreprises, en facturant, en vendant, en payant dans une monnaie internationale qui aura le double avantage d'être, pour la première fois, la vôtre et d'être stable.
Cette monnaie nous rendra moins dépendants du reste du monde. Chacun sait que les effets de la crise asiatique sur nos économies ont été limités en raison de l'anticipation par les marchés de l'Union monétaire. La zone euro aura une ouverture sur l'extérieur comparable à celle des États-Unis, ce qui nous rendra moins vulnérables aux évolutions du dollar, en terme de commerce extérieur, de croissance, d'inflation et donc au total d'emploi.
Ainsi l'euro doit marquer la pleine affirmation de l'Europe comme puissance économique mondiale sur la scène monétaire et financière internationale. La monnaie unique est le garant d'une évolution plus équilibrée de la mondialisation, dans laquelle nous nous inscrivons sans hésitation dès lors qu'elle ne signifie pas unilatéralisme et régression sociale, mais, au contraire, multilatéralisme, innovation technologique et progrès social.
Je suis convaincu que les entreprises françaises, déjà très compétitives, comme en témoignent les résultats de notre commerce extérieur, disposent de tous les atouts pour préserver l'emploi, affronter la concurrence et s'inscrire dans ce nouveau cadre où les consommateurs pourront comparer directement les prix des produits, quel que soit le lieu de vente.
2. L'euro, fondé sur la coordination des politiques économiques, élargira nos marges de manoeuvre.
Le fonctionnement de l'Union monétaire rendra indispensable une coordination des politiques économiques. La Banque centrale européenne apportera la solidarité monétaire qui nous a fait défaut dans le passé. Le Conseil de l'Euro, dont mon gouvernement a voulu et obtenu la création, permettra la mise en oeuvre d'une politique économique cohérente orientée à la fois vers la croissance et la stabilité monétaire.
Qui dit coordination des politiques économiques nationales ne dit pas -bien au contraire- disparition de celles-ci.
Si la Banque centrale européenne a pour objectif premier la stabilité des prix, la politique économique de la zone euro ne se réduit pas à la seule lutte contre l'inflation. La mission première de la BCE est bien celle-là, mais les gouvernements et l'Union dans son ensemble ont eux pour objectifs " une croissance durable, un niveau d'emploi et de protection sociale élevés, la cohésion économique et sociale ". La création de la BCE ne signifie donc pas la fin des politiques économiques nationales ou la réduction de leurs objectifs à la seule lutte contre l'inflation.
L'Union économique et monétaire laissera des marges de manoeuvre aux politiques nationales. La monnaie unique nous enlève sans doute " la commodité " que constituait la dévaluation ; mais je n'ai jamais considéré pour ma part qu'il s'agissait là d'une arme de politique économique, plutôt d'un expédient. La monnaie unique nous exonèrera de certaines contraintes, dont on sait qu'elles ont bridé notre action dans les années 1970 et 1980 : celle des soldes extérieurs, ou des variations de changes.
En matière budgétaire, nos politiques auront vocation à être cordonnées pour que la combinaison de la politique monétaire unique et des politiques budgétaires nationales soit la plus harmonieuse possible. C'est dans cette perspective que, dès les prochains jours, le Conseil de l'euro se mettra au travail. Le pacte de stabilité, dont vous savez que j'ai critiqué l'automaticité et la rigueur excessive, constituera une contrainte si nous n'avons pas su, en période de croissance, réduire nos déficits pour reconstituer notre capacité d'action conjoncturelle. Telle est la politique que nous avons engagée il y a un an et que nous continuerons l'année prochaine.
C'est en effet en ayant à l'esprit ces orientations, ainsi que nos priorités politiques à moyen terme, que nous construisons le budget de 1999. Laisser notre dette publique dériver serait nous condamner tôt ou tard à l'impuissance. En privilégiant une évolution régulière et maîtrisée des dépenses publiques, nous pourrons inscrire dans la durée nos priorités politiques en évitant les à-coups qui nuisent à l'amélioration de nos structures économiques et sociales.
En matière fiscale et sociale, les exigences d'harmonisation seront fortes. L'intérêt des entreprises sera de réduire les distorsions de concurrence liées aux droits fiscal et social. L'euro y aidera, mais cette harmonisation ne saurait se faire sans débat, compte tenu des changements institutionnels qu'elle entraînera. Je suis convaincu qu'elle s'effectuera dans le sens du progrès : les peuples européens l'exigeront ; les orientations politiques des gouvernements des Etats concernés -majoritairement sociaux-démocrates- le permettront.
3. L'euro peut être un levier déterminant pour le retour au plein emploi.
Beaucoup d'observateurs et même de responsables semblent nous inviter à abandonner l'idée que le plein emploi pourrait rester un objectif des politiques économiques. Je récuse ce fatalisme. Qui aurait imaginé, au début des années quatre-vingts, alors que l'inflation était à deux chiffres, que la France et ses partenaires atteindraient en moins d'une décennie une inflation stabilisée aujourd'hui en deçà de 2 % ? Qui aurait prévu, il y seulement deux ans, que presque tous les pays européens respecteraient les critères de Maastricht au regard de l'inflation et des déficits publics ? Ces évolutions nous livrent un message d'espoir : lorsque tous les pays européens tendent vers le même but, ce qui paraissait impossible devient plus aisé, parce que l'effort de tous en multiplie les effets.
L'effort collectif dont nous avons été capables pour combattre l'inflation doit être renouvelé pour lutter contre le chômage.
Seules une volonté européenne de maintenir une croissance forte et durable et des volontés nationales de mettre en oeuvre des politiques adaptées à la situation de chacune de nos nations, permettront de tendre vers ce but. Nous n'irons pas tous vers cet objectif de la même façon. Nos situations diffèrent et nos traditions sociales sont forgées par l'histoire de chaque nation. Dans certains pays, la négociation collective permet spontanément d'aboutir à des compromis favorables à l'emploi ; dans d'autres, l'impulsion doit venir de la loi. L'important n'est pas que tous suivent la même politique, mais que tous aillent dans la même direction. Tel est le sens des lignes directrices qu'a adoptées, à l'initiative de mon gouvernement, le sommet extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi.
Celui-ci trouvera dans quelques semaines son prolongement dans l'examen, par le Conseil européen de Cardiff, des plans nationaux pour l'emploi produits par chaque pays. La Commission de Bruxelles vient de saluer la qualité du nôtre. Je n'ai pas la faiblesse de penser que ces discussions suffiront à elles seules à résoudre le lancinant problème du chômage de masse. Mais elles ont le mérite de permettre les échanges d'expériences et d'ancrer l'emploi au coeur des préoccupations européennes, d'affirmer une volonté nouvelle.
Ainsi, la politique économique que nous menons depuis un an conforte nos choix européens. Elle suscite un intérêt croissant chez nos partenaires au sein de l'Union : des pays voisins imaginent des dispositifs proches de celui du plan pour l'emploi des jeunes, comme le Royaume-Uni, ou réfléchissent à la réduction de la durée du temps de travail, comme l'Italie. J'entends poursuivre cette action, en renforçant le dynamisme de nos entreprises. J'ai, vous le savez, dégagé deux priorités : la simplification des charges administratives de toutes natures et surtout le soutien à l'innovation. Dans une économie mondialisée où les connaissances et les capitaux circulent librement, nous ne sommes protégés par aucune frontière ni aucun monopole autre que la qualité de notre main d'oeuvre, de notre recherche et notre capacité d'innovation. Je pense que les chefs d'entreprises ici présents n'ont pas de doute sur la capacité de notre pays à créer et à innover. Les Assises de l'innovation que je concluais il y a trois jours montrent bien que le potentiel existe. Encore faut-il créer un environnement propice à l'innovation et à l'initiative des chefs d'entreprises. Mon gouvernement s'y attache résolument.
Adossé au Conseil de l'euro, qui sera le lieu indispensable d'une coopération économique entre des pays qui partagent la même monnaie et se découvrent de nouvelles solidarités, l'euro, qui doit être mis au service d'une croissance forte et régulière, peut contribuer puissamment au recul du chômage : telle est ma conviction.
4. Pour l'ensemble de ces raisons, le gouvernement entend épauler les entreprises dans leur préparation à l'euro.
Depuis le 4 mai dernier, nous sommes de facto en union monétaire dans la mesure où les parités entre monnaies européennes sont désormais fixées. Toutefois, pour les Français, l'échéance la plus importante reste celle de l'introduction des pièces et des billets en euro, au début de l'année 2002.
Le gouvernement a par conséquent lancé, dès l'automne dernier, une vaste campagne d'information auprès du grand public, notamment grâce à une brochure " L'euro et moi " distribuée à plus de 22 millions d'exemplaires. Cette année, la communication gouvernementale visera des publics spécifiques : notamment les jeunes, les personnes âgées et les élus. Après le 31 décembre prochain, elle s'appuiera sur la connaissance du cours de l'euro contre franc. Elle s'intégrera d'ailleurs dans une action de communication sur la construction européenne elle-même.
Mais une part de ce travail de pédagogie vous revient. Les Français sont très demandeurs d'informations pratiques, concernant notamment leur pouvoir d'achat, les prix des produits et des services, et leur épargne. Ceci passe à l'évidence par le double affichage des salaires, des prix, des principales données de la vie économique et financière. Je sais que bon nombre d'entre-vous l'envisagent d'ores et déjà. Les entreprises ont en effet tout à gagner à ce que la transition vers l'après-2002 se fasse dans la transparence.
Il reste que du point de vue des entreprises, l'échéance la plus importante est celle -si proche- du 1er janvier 1999. A leurs côtés, le gouvernement entend les aider à franchir ce cap dans les meilleures conditions.
Le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui est actuellement débattu au Parlement, contient de nombreux articles modifiant profondément notre droit des sociétés, notre droit comptable ou financier de façon à vous permettre, dès le début de cet été, de vous mettre en ordre de marche ; les travaux qui ont été conduits par les organismes professionnels ont donc trouvé dans les délais les plus brefs leur traduction législative. Un effort tout particulier a été accompli en outre en faveur des petites et moyennes entreprises, avec les représentants desquelles a été conclu par le ministère de l'Economie et des Finances une charte pour la préparation à l'euro.
La France a présenté, à l'automne dernier, un plan de basculement à l'euro qui trace le cadre de notre action collective. Une réflexion doit être menée par ailleurs sur les moyens de gérer au mieux la période de double circulation des pièces et des billets.
J'ai demandé aux administrations de l'Etat d'élaborer des schémas d'action qui recouvrent les adaptations des moyens informatiques, la formation des personnels, l'information des citoyens et des entreprises. Les administrations fiscales et sociales seront en mesure d'accueillir les déclarations d'impôts et les paiements des entreprises en euro dès le 1er janvier 1999. A cette même date, entrera en vigueur le double affichage des données financières, en franc et en euro, sur les documents administratifs les plus importants (ce sera le cas pour les cartes grises ou les prestations sociales, par exemple). Dans ce travail, l'Etat associera au mieux les collectivités locales.
Parallèlement, et en concertation avec les organisations professionnelles, notre objectif est que, par une organisation améliorée, la place financière de Paris puisse devenir la première de la zone euro.
Mesdames et Messieurs,
Le passage à la monnaie unique entre aujourd'hui dans une phase très concrète. Les gouvernements ont tracé le cadre général, donné une impulsion politique, pris les décisions qui s'imposaient. Ils sont prêts, et le gouvernement français au premier rang, à aider les entreprises et nos concitoyens à gérer au mieux cette réforme économique et monétaire.
Il reste que rien ne réussira sans vous. Nous devons coopérer étroitement pour que l'euro soit très vite une réussite pratique, et apaise ainsi les inquiétudes normales que certains de nos concitoyens éprouvent. Vous pouvez être assurés de mon engagement personnel et de celui de mon Gouvernement. Je sais pouvoir compter sur vos compétences et votre dynamisme. En inscrivant l'euro dans la vie quotidienne, nous en récolterons les fruits en terme de croissance et d'emplois.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 juin 2001)