Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, à LCI le 31 mars 2003, sur la situation dans les quartiers défavorisés et la politique d'intégration des populations immigrées.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

H. Hausser Ministre de la Ville, vous êtes aussi ce que l'on appelle "le ministre des quartiers, des cités" et en ce moment, tout le monde relève les tensions dans les cités entre les communautés. C'est aussi votre avis ?
- "Non, quitte à vous décevoir..."
Vous ne me décevez pas mais je vous trouve très optimiste parce que beaucoup d'élus nous font part d'incidents qui se produisent mais ils ne veulent pas trop en parler.
- "Qui fait l'interview ?"
C'est moi.
- "Les choses sont très paradoxales. On a à la fois des crétins qui sont plus visibles en ce moment, qui sont même plutôt un peu plus crétins qu'à l'habitude - quelques centaines en France. Et puis, il y a le reste de la communauté des quartiers ou des banlieues, où en fait, il y a, de fait, plus de populations de primo-arrivants, d'étrangers, ou de personnes qui sont intégrées de deuxième génération. Et quitte à vous surprendre, je crois que jamais, - même de manière plus importante qu'au moment de la Coupe du monde -, l'idée d'appartenir à la France, d'être fiers d'être français, dans cette communauté, dans ces communautés, n'a été aussi présente. Et on voit bien aujourd'hui la situation très paradoxale : les racistes, les antisémites, ceux qui utilisent cela de manière très violente contre le pays, contre les autres, sont visibles, sont là, il ne faut pas sous-estimer ce danger. Et en même temps, la grande partie de la communauté se sent membre de la République française. Je crois qu'il est temps, dans ce pays, qui est un des plus grands pays d'immigration - nous avons eu peu d'émigration, on n'est qu'une terre d'immigration -, qu'on réussisse complètement cette idée-là de manière assez simple. Il y a des années, des siècles ou des décennies qu'on débat d'un lieu de la mémoire de l'immigration - de l'immigration italienne, espagnole, polonaise, portugaise, algérienne, marocaine - dans notre pays. Il est temps, qu'enfin, on fasse vivre le contrat d'intégration qu'a proposé le président de la République, comme le font les Canadiens, qu'on fasse vivre ce lieu de la mémoire et de la culture de notre immigration. Je crois que jamais, à aucun moment - je connais quand même bien les quartiers dits "sensibles" de ce pays -, il y a eu ce paradoxe. De la même manière que pour les femmes, la marche des femmes contre les tournantes ou les femmes soumises a eu un effet déclencheur très très fort. Il faut bien comprendre..."
Je vous interromps une seconde quand vous parlez de "la marche des femmes". La semaine dernière, il y a eu la reconstitution du crime contre la jeune fille qui a été brûlée vive. Le meurtrier est reparti sous les "vivats !"...
- "Je ne suis pas en train de vous dire, chère madame, que la situation est "Un plat pays", parfaitement heureux. Vous savez, en politique, c'est terrible - ou dans les grands sujets de société -, c'est qu'un fait du jour a des origines d'il y a 10, 15 ou 20 ans. C'est ce qui se passe ! Alors, on a été nuls dans l'intégration et dans l'immigration depuis 20 ou 25 ans. On est un des pays qui a cru que la République, ses règles savait intégrer, qu'il ne fallait pas de mesures exceptionnelles. Là, on paye..."
Quelles mesures exceptionnelles vous allez prendre ?
- "Premièrement, que l'intégration soit visible. Je vous signale que, tant que
T. Saïfi au Gouvernement, c'est le premier caractère visible de l'intégration..."
Donc, c'est un symbole ?
- "Oui. Cela reste un symbole et ce n'est pas suffisant, je le vois bien avec toutes les associations avec lesquelles on travaille. Il faut qu'il y ait chez vous, à la télévision, beaucoup plus de journalistes-présentateurs représentant la diversité de notre pays. Cela commence par la télé, excusez-moi de vous le dire. La classe politique, l'Assemblée nationale, le Sénat, les préfets... Je souhaite..."
Un bon exemple l'Assemblée nationale aussi.
- "Mais c'est bien ce que je vous dis. Je souhaite que des sous-préfets à la Ville, ceux qui sont sur le terrain - on va en nommer de nouveau -, qu'il y en ait beaucoup qui soient issus des quartiers. Ce qui est extraordinaire, c'est que toute la classe qu'on appelle "moyenne", de la deuxième ou de la troisième génération, qui est à 60-70 % diplômée, qui a le bac, qui est diplômée de l'enseignement supérieur, elle ne se sent pas représentée aujourd'hui dans la République. C'est ce qui est terrible. A chaque fois qu'on voit des images, c'est toujours des images..."
Est-ce que vous êtes pour une politiques des quotas ?
- "Non, mais en les tous cas, d'efforts majeurs... On peut faire les choses..."
"Positive action", ça a existé.
- "Oui. Mais je suis pour de la discrimination positive. Dans le texte de loi que je présente au moi de juin -, je vous signale que ce sera l'article 1 du texte de loi -, c'est tout à fait clair : faut-il aller jusqu'aux quotas hommes-femmes ? On peut en débattre de manière démocratique. Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, cette communauté qui ne se sent pas représentée, alors qu'elle est intégrée à la communauté nationale, grâce aux positions de la France et du président de la République aujourd'hui, se sent encore plus fière d'appartenir à cette communauté. Il est temps, aujourd'hui, d'accepter que notre pays soit multiconfessionnel, multi-ethnique - c'est la vérité -, mais qu'il appartient à la France..."
On officialise les communautarismes ?
- "Non, c'est l'inverse ! C'est l'intégration républicaine par des efforts spécifiques. Le fait de faire un lieu de la mémoire, reconnaître tout cet apport qui a été fait à la France par les différentes communautés, dans l'intégration républicaine, ce n'est pas le communautarisme, c'est l'inverse."
Mais quand vous parlez de l'adhésion de ces communautés aux positions de la France, aux positions du président de la République, cela veut dire que s'il avait eu une position différente, s'il avait dû prendre une position différente, il y aurait eu des émeutes ?
- "Non, je ne vous ai pas dit ça. Je vous ai dit que je sens, on ressent cette fierté d'être français...
Cela ne ressent pas dans les manifs...
- "Mais vous avez tort ! Arrêtez de me parler avec le caractère lazerisé d'une caméra sur les crétins d'une manifestation ! Vous ne montrez pas les dizaines, les centaines de milliers de Français qui adhèrent fondamentalement. On peut continuer à mépriser notre pays et son comportement. Je vous dis qu'en ce moment, il y a une chance historique de sentiment d'appartenir à la France. Je vous garantis qu'on va la saisir. On travaille avec le Premier ministre pour qu'enfin, ce lieu de la mémoire, j'y reviens..."
Oui, mais on dirait que tout se tient...
- "Oui, parce qu'il faut, premièrement de la technique, plus de moyens, et deuxièmement, des symboles. Croyez-moi..."
Vous allez l'obtenir ?
-"Oui. On a les moyens, et deuxièmement, le Premier ministre s'engagera sur les symboles."
Vous qui vous êtes décrit comme "un huron à Bercy ", quand vous avez fait ce voyage avant l'élection présidentielle, vous avez gagné, vous allez gagner ?
- "Sur les familles surendettées ?"
Par exemple.
- "Il y a 650 000 familles en commission de surendettement, 400 000 qui n'osent même pas y aller. Il y a 1 million de familles aujourd'hui en France qui touchent un reste à vivre, entre 2 200 et 3 800 francs à peu près..."
L'équivalent du RMI...
- "Beaucoup moins que le RMI. On va sortir de cette situation. Le Premier ministre va rendre un arbitrage. Moi, je me bats pour une loi de la deuxième chance dans notre pays. Le Monde titrait l'autre jour : "1 million de pauvres dans notre pays". Je crains que ce soit un peu plus. Et ça, on va y remédier."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 avril 2003)