Texte intégral
Monsieur le Président de la République,
J'ai soutenu votre choix de refuser d'associer la France à l'aggression américaine contre l'Irak. J'ai salué l'immense espoir que la France avait fait naître, par son acte de résistance, chez les peuples du monde entier : l'espoir du retour d'une France forte et écoutée, l'espoir d'un monde fondé sur le droit des peuples à la souveraineté, à l'équilibre, à la justice et donc à la paix. Puis l'Amérique, ivre de puissance, et sourde à la voix des peuples, a écrasé l'Irak sous les bombes. Aujourd'hui triomphante, elle installe à Bagdad un gouvernement au service des intérêts anglo-américains et s'emploie à sanctionner la France, cet allié qui a osé le crime de lèse-majesté, ce donjon de Montlhéry qui s'est élevé au-dessus de l'ordre mondial américain. Voilà que Washington offre le libre-échange au monde arabe contre sa soumission complète ; qu'il tend une main à Berlin, comme un père bienveillant prêt à pardonner l'incartade après tant d'années d'obéissance ; qu'il offre l'autre main à Moscou, et une place de choix dans la grande alliance anti-chinoise de demain. Voilà que la France semble isolée, que nos élites frileuses prennent peur, que l'affolement prévaut.
Monsieur le Président de la République, n'écoutez pas ceux qui, nombreux dans les rangs de l'UMP, voudraient vous envoyer à Washington, pour y demander, genou à terre, le pardon de l'Empire.
Hélas, une grande illusion menace votre politique : l'idée qu'une Europe intégrée, qu'un Etat européen soudé autour du noyau franco-allemand, ferait une " Europe-puissance " capable de peser face à l'Amérique et aux autres grands pôles mondiaux.
Cette illusion repose sur une erreur de l'esprit fortement enracinée dans l'époque et héritée du XIXe siècle, l'idée que la puissance se résume au nombre aussi sûrement que la vérité sort de la majorité.
Avant d'être un projet de contenu, l'Europe est en effet conçue comme un projet de masse, comme une addition de masses démographiques à laquelle on attribue, a priori, un poids politique élevé. Chacun sait pourtant que le poids ne croît pas seulement en proportion de la masse mais aussi en proportion de la hauteur. Or seule la France veut donner à l'Europe une hauteur, c'est à dire, une véritable indépendance. La très grande majorité des nations de l'Europe élargie, (au moins dix huit sur vingt cinq), souhaite un bloc transatlantique protégé et dirigé par l'hyperpuissance américaine. Ce qui conduit à une Europe purement économique, sans hauteur, donc à une masse élevée avec un poids nul.
Qui ne voit que l'Allemagne revient à une logique née en 1945 que le président Bush père résuma en une phrase à la sortie de la Guerre froide : "le partenariat germano-américain dans le leadership : suprématie sur le monde pour Washington, sur l'Union européenne pour Berlin" ? Qui ne voit que l'Angleterre continuera à tirer l'essentiel de sa puissance mondiale de son appartenance simultanée et ambivalente à deux projets géopolitiques concurrents : le bloc euro-atlantique et l'Europe puissance ? Quant à la Russie, contrairement à ce que les adeptes romantiques de l'axe Paris-Berlin-Moscou imaginent, elle n'a aucun intérêt à voir naître à ses frontières un géant économique et politique européen qui la réduirait au rôle d'Etat-tampon face à la Chine, son rival de demain. A mesure que s'éloigne la perspective de voir jour une Europe des nations souveraines, s'éloigne aussi la perspective d'y voir entrer la Russie. Et ce d'autant que celle-ci n'a nullement envie, après soixante dix ans de communisme, d'intégrer un nouveau carcan disciplinaire ! Plus l'Europe sera intégrée, plus les Russes privilégieront le partenariat avec les Etats-Unis, sans abandonner pour autant les cartes de contrepoids que sont l'Allemagne, le Moyen-Orient, la Chine et l'Inde, et moins ils s'intéresseront à une France ligotée dans l'Union européenne.
En vérité, " l'Europe-puissance ", si elle pouvait exister, ne serait un démultiplicateur de puissance que pour la seule puissance mondiale qui fait concurrence aux Etats-Unis, la France, et c'est la raison pour laquelle nos partenaires européens, Anglais, Espagnols, Italiens ou Allemands n'en voient pas l'utilité et s'y opposeront toujours.
C'est la raison pour laquelle, Monsieur le Président de la République, en emboîtant le pas à la " convention sur la réforme des institutions européennes " qui réclame une diplomatie européenne et un ministre des affaires étrangères européen, vous scellez la fin de la dimension mondiale de la France. Vous lui proposez comme seul destin et sans doute a contrario de vos propres espérances, de devenir un bout d'économie mondiale, rien de plus, et peut-être moins encore si votre majorité ne montre pas plus de détermination à mener à bien les réformes économiques, sociales et fiscales que le pays attend. L'allemand Joschka Fischer dont vous soutenez la candidature au poste de ministre des affaires étrangères de l'Union européenne n'aura, quant à lui, d'autre dessein, que de remplacer le siège français au Conseil de Sécurité par un siège européen. Gardons à l'esprit que le but ultime du pangermanisme fut toujours de réaliser autour de lui l'unité de l'Europe comme préalable à la politique mondiale de l'Allemagne (Weltpolitik). Certes l'histoire change, mais elle admet aussi des constantes géopolitiques.
M. Fischer fera d'une Europe qu'il souhaite aussi fédérale que l'Allemagne, d'une Europe des régions ethniques, un projet continental eurasiatique, dont la politique extérieure mondiale ne pourra être que celle du bloc transatlantique, c'est-à-dire celle des Etats-Unis d'Amérique. Je l'ai souvent écrit, les " Etats-Unis d'Europe " signifient les " Etats-Unis en Europe ".
Monsieur le Président de la République,
Pour fuir l'Amérique, vous embrassez un destin européiste qui nous ramenera vers elle. L'européisme est un piège américain. Vous le savez, et vous ne pouvez pas ne pas le savoir lorsque vous entendez vos homologues polonais, baltes, roumain, hongrois, espagnol, italien, anglais.
Un autre choix est pourtant possible, et vous en avez fait la démonstration au moment de la crise irakienne : celui d'une France tout à la fois membre influent d'une Europe élargie des nations et puissance d'équilibre pour le monde.
Seule une Europe des nations, fondée sur le respect des souverainetés et l'encouragement des synergies économiques, préservera notre capacité de projection politique dans le monde entier. Avec elle, la Francophonie comme projet politique restera possible. Avec elle, le partenariat entre la France et la Russie pourra se renforcer. Et avec elle, nous éviterons le choc des civilisations, car, à un bloc Occident, l'Orient risquerait un jour de répondre par un bloc islamique. Depuis la fin de la Guerre froide, les impérialismes américain et islamiste grandissent en effet en se nourrissant mutuellement. Ils font craindre l'avancée du monde vers une logique des blocs que les Français, héritiers de quinze siècles de politique d'indépendance nationale face aux empires, refusent aujourd'hui à une large majorité.
Le moment est propice au renforcement de nos relations économiques avec de nombreux grands pays. Avec nos amis arabes et africains évidemment, mais aussi avec l'Indonésie, la Chine ou les pays d'Amérique Latine, lesquels refusent d'être vassalisés par le grand frère nord-américain. C'est dans ces mondes émergents que la France doit investir, en même temps qu'elle doit savoir s'en protéger en garantissant son économie nationale des excès de la mondialisation.
Même si nous devons retrouver les chemins de la vitalité démographique, économique et militaire, l'influence de la France de demain ne se construira pas sur sa seule puissance matérielle pas plus que sur celle d'une Europe vieillissante face au Sud. C'est sur sa capacité politique à garantir l'équilibre au monde et la souveraineté aux peuples, que la France fondera son influence.
Monsieur le Président de la République,
Les choix audacieux qui ont été les vôtres à propos de la crise irakienne ne seront plus possibles dans l'Europe que prépare la Convention de M. Giscard d'Estaing.
Vous voilà donc en face d'un choix historique pour la France : l'empire euro-atlantique dans lequel nous ne pèserons pas, ou bien la direction mondiale des peuples qui veulent vivre libres. A force de faire semblant de choisir la deuxième option alors que nous continuons à marcher vers la première, nous nous isolons de plus en plus.
Le réalisme politique tient parfois, c'est vrai, dans l'ambivalence. Mais aujourd'hui il commande un choix clair, une inflexion nette de notre politique européenne.
La France mérite un avenir à la hauteur de son histoire. Il vous appartient, Monsieur le Président de la République, de lui rendre cette perspective en refusant le projet proposé par la Convention sur la réforme des institutions européennes.
(Source http://www.mpf-villiers.org, le 26 mai 2003)
J'ai soutenu votre choix de refuser d'associer la France à l'aggression américaine contre l'Irak. J'ai salué l'immense espoir que la France avait fait naître, par son acte de résistance, chez les peuples du monde entier : l'espoir du retour d'une France forte et écoutée, l'espoir d'un monde fondé sur le droit des peuples à la souveraineté, à l'équilibre, à la justice et donc à la paix. Puis l'Amérique, ivre de puissance, et sourde à la voix des peuples, a écrasé l'Irak sous les bombes. Aujourd'hui triomphante, elle installe à Bagdad un gouvernement au service des intérêts anglo-américains et s'emploie à sanctionner la France, cet allié qui a osé le crime de lèse-majesté, ce donjon de Montlhéry qui s'est élevé au-dessus de l'ordre mondial américain. Voilà que Washington offre le libre-échange au monde arabe contre sa soumission complète ; qu'il tend une main à Berlin, comme un père bienveillant prêt à pardonner l'incartade après tant d'années d'obéissance ; qu'il offre l'autre main à Moscou, et une place de choix dans la grande alliance anti-chinoise de demain. Voilà que la France semble isolée, que nos élites frileuses prennent peur, que l'affolement prévaut.
Monsieur le Président de la République, n'écoutez pas ceux qui, nombreux dans les rangs de l'UMP, voudraient vous envoyer à Washington, pour y demander, genou à terre, le pardon de l'Empire.
Hélas, une grande illusion menace votre politique : l'idée qu'une Europe intégrée, qu'un Etat européen soudé autour du noyau franco-allemand, ferait une " Europe-puissance " capable de peser face à l'Amérique et aux autres grands pôles mondiaux.
Cette illusion repose sur une erreur de l'esprit fortement enracinée dans l'époque et héritée du XIXe siècle, l'idée que la puissance se résume au nombre aussi sûrement que la vérité sort de la majorité.
Avant d'être un projet de contenu, l'Europe est en effet conçue comme un projet de masse, comme une addition de masses démographiques à laquelle on attribue, a priori, un poids politique élevé. Chacun sait pourtant que le poids ne croît pas seulement en proportion de la masse mais aussi en proportion de la hauteur. Or seule la France veut donner à l'Europe une hauteur, c'est à dire, une véritable indépendance. La très grande majorité des nations de l'Europe élargie, (au moins dix huit sur vingt cinq), souhaite un bloc transatlantique protégé et dirigé par l'hyperpuissance américaine. Ce qui conduit à une Europe purement économique, sans hauteur, donc à une masse élevée avec un poids nul.
Qui ne voit que l'Allemagne revient à une logique née en 1945 que le président Bush père résuma en une phrase à la sortie de la Guerre froide : "le partenariat germano-américain dans le leadership : suprématie sur le monde pour Washington, sur l'Union européenne pour Berlin" ? Qui ne voit que l'Angleterre continuera à tirer l'essentiel de sa puissance mondiale de son appartenance simultanée et ambivalente à deux projets géopolitiques concurrents : le bloc euro-atlantique et l'Europe puissance ? Quant à la Russie, contrairement à ce que les adeptes romantiques de l'axe Paris-Berlin-Moscou imaginent, elle n'a aucun intérêt à voir naître à ses frontières un géant économique et politique européen qui la réduirait au rôle d'Etat-tampon face à la Chine, son rival de demain. A mesure que s'éloigne la perspective de voir jour une Europe des nations souveraines, s'éloigne aussi la perspective d'y voir entrer la Russie. Et ce d'autant que celle-ci n'a nullement envie, après soixante dix ans de communisme, d'intégrer un nouveau carcan disciplinaire ! Plus l'Europe sera intégrée, plus les Russes privilégieront le partenariat avec les Etats-Unis, sans abandonner pour autant les cartes de contrepoids que sont l'Allemagne, le Moyen-Orient, la Chine et l'Inde, et moins ils s'intéresseront à une France ligotée dans l'Union européenne.
En vérité, " l'Europe-puissance ", si elle pouvait exister, ne serait un démultiplicateur de puissance que pour la seule puissance mondiale qui fait concurrence aux Etats-Unis, la France, et c'est la raison pour laquelle nos partenaires européens, Anglais, Espagnols, Italiens ou Allemands n'en voient pas l'utilité et s'y opposeront toujours.
C'est la raison pour laquelle, Monsieur le Président de la République, en emboîtant le pas à la " convention sur la réforme des institutions européennes " qui réclame une diplomatie européenne et un ministre des affaires étrangères européen, vous scellez la fin de la dimension mondiale de la France. Vous lui proposez comme seul destin et sans doute a contrario de vos propres espérances, de devenir un bout d'économie mondiale, rien de plus, et peut-être moins encore si votre majorité ne montre pas plus de détermination à mener à bien les réformes économiques, sociales et fiscales que le pays attend. L'allemand Joschka Fischer dont vous soutenez la candidature au poste de ministre des affaires étrangères de l'Union européenne n'aura, quant à lui, d'autre dessein, que de remplacer le siège français au Conseil de Sécurité par un siège européen. Gardons à l'esprit que le but ultime du pangermanisme fut toujours de réaliser autour de lui l'unité de l'Europe comme préalable à la politique mondiale de l'Allemagne (Weltpolitik). Certes l'histoire change, mais elle admet aussi des constantes géopolitiques.
M. Fischer fera d'une Europe qu'il souhaite aussi fédérale que l'Allemagne, d'une Europe des régions ethniques, un projet continental eurasiatique, dont la politique extérieure mondiale ne pourra être que celle du bloc transatlantique, c'est-à-dire celle des Etats-Unis d'Amérique. Je l'ai souvent écrit, les " Etats-Unis d'Europe " signifient les " Etats-Unis en Europe ".
Monsieur le Président de la République,
Pour fuir l'Amérique, vous embrassez un destin européiste qui nous ramenera vers elle. L'européisme est un piège américain. Vous le savez, et vous ne pouvez pas ne pas le savoir lorsque vous entendez vos homologues polonais, baltes, roumain, hongrois, espagnol, italien, anglais.
Un autre choix est pourtant possible, et vous en avez fait la démonstration au moment de la crise irakienne : celui d'une France tout à la fois membre influent d'une Europe élargie des nations et puissance d'équilibre pour le monde.
Seule une Europe des nations, fondée sur le respect des souverainetés et l'encouragement des synergies économiques, préservera notre capacité de projection politique dans le monde entier. Avec elle, la Francophonie comme projet politique restera possible. Avec elle, le partenariat entre la France et la Russie pourra se renforcer. Et avec elle, nous éviterons le choc des civilisations, car, à un bloc Occident, l'Orient risquerait un jour de répondre par un bloc islamique. Depuis la fin de la Guerre froide, les impérialismes américain et islamiste grandissent en effet en se nourrissant mutuellement. Ils font craindre l'avancée du monde vers une logique des blocs que les Français, héritiers de quinze siècles de politique d'indépendance nationale face aux empires, refusent aujourd'hui à une large majorité.
Le moment est propice au renforcement de nos relations économiques avec de nombreux grands pays. Avec nos amis arabes et africains évidemment, mais aussi avec l'Indonésie, la Chine ou les pays d'Amérique Latine, lesquels refusent d'être vassalisés par le grand frère nord-américain. C'est dans ces mondes émergents que la France doit investir, en même temps qu'elle doit savoir s'en protéger en garantissant son économie nationale des excès de la mondialisation.
Même si nous devons retrouver les chemins de la vitalité démographique, économique et militaire, l'influence de la France de demain ne se construira pas sur sa seule puissance matérielle pas plus que sur celle d'une Europe vieillissante face au Sud. C'est sur sa capacité politique à garantir l'équilibre au monde et la souveraineté aux peuples, que la France fondera son influence.
Monsieur le Président de la République,
Les choix audacieux qui ont été les vôtres à propos de la crise irakienne ne seront plus possibles dans l'Europe que prépare la Convention de M. Giscard d'Estaing.
Vous voilà donc en face d'un choix historique pour la France : l'empire euro-atlantique dans lequel nous ne pèserons pas, ou bien la direction mondiale des peuples qui veulent vivre libres. A force de faire semblant de choisir la deuxième option alors que nous continuons à marcher vers la première, nous nous isolons de plus en plus.
Le réalisme politique tient parfois, c'est vrai, dans l'ambivalence. Mais aujourd'hui il commande un choix clair, une inflexion nette de notre politique européenne.
La France mérite un avenir à la hauteur de son histoire. Il vous appartient, Monsieur le Président de la République, de lui rendre cette perspective en refusant le projet proposé par la Convention sur la réforme des institutions européennes.
(Source http://www.mpf-villiers.org, le 26 mai 2003)