Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l'adaptation des industries de défense au contexte de la construction de la défense européenne, et de la gestion des conflits sur la scène internationale, Paris le 12 janvier 2000.

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Circonstance : Présentation des voeux aux industriels et syndicalistes par M. Alain Richard, ministre de la défense, Paris le 12 janvier 2000.

Texte intégral

Monsieur le ministre, cher ami Jean-Pierre,
Messieurs les parlementaires, nombreux, dont j'apprécie la présence,
Messieurs les officiers généraux,
Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est une satisfaction pour moi de vous accueillir à nouveau pour cette rencontre amicale et informelle de début d'année, dans laquelle vous me pardonnerez de ne pas mettre trop de contenu politique ou administratif, parce que c'est tout de même un moment où l'on a la possibilité de discuter, de se rencontrer amicalement. Mais j'ai toutefois quelques rappels à faire que je voudrais positifs.
Le premier emblème de cette année qui se termine et de celle que nous commençons, c'est l'Europe. Nous voyons bien que, à la fin de la décennie qui vient de se conclure et dans la perspective de travail qui est la nôtre, la dimension européenne s'est très fortement affirmée et qu'elle va influencer de façon beaucoup plus profonde toutes nos décisions et toutes nos façons de penser.
C'est clair dans l'espace industriel de Défense. Quand on pense aux nombreux projets, aux nombreuses esquisses qui ont agité et mobilisé nos prédécesseurs ou nous-mêmes, quand nous étions beaucoup plus jeunes, aux réalités qui se sont affirmées au cours des deux dernières années en matière d'industrie de Défense et qui mettent les industries de Défense européennes à un niveau d'équilibre compétitif avec les industries de Défense américaines, c'est un objectif dont nous n'osions guère attendre la réalisation aussi vite. Je crois que nous l'avons à portée de la main.
C'est donc une réalité nouvelle qui va changer énormément de choses pour nous. Je n'en fais pas la liste complète. Mais vous savez tous dans vos pratiques professionnelles, dans vos responsabilités que cela va modifier nos objectifs, nos rapports avec l'extérieur et nos rapports entre nous, c'est-à-dire entre les industriels et l'Etat. Des piliers, des rocs sur lesquels s'appuyaient nos relations depuis des siècles, vont être remplacés par autre chose. Et je ne pense pas que ce sera l'apesanteur, mais c'est un défi important, et pour les acteurs économiques et sociaux, et pour l'Etat lui-même.
Mais nous Français, et notamment nous Français de " l'establishment " - puisque je n'emploie le terme d'élite qu'avec beaucoup de scrupules, notamment quand je me suppose concerné - donc, simplement, les gens qui sont dans les responsabilités, nous pratiquons entre autres comme travers collectif de voir principalement les risques du changement, alors que notre travail de base est d'évaluer et d'expliquer les risques du non-changement. Or je pense que, en réalité, même s'il y a des incertitudes et des épreuves, cette transformation européenne assure beaucoup de choses qui sinon auraient été en difficulté. Et, à mon avis, ce qu'elle assure en premier, c'est la place éminente de la France en Europe en matière d'industries de Défense.
Ce n'est que dans les conditions d'une européanisation volontaire et cohérente de nos industries de Défense que la place éminente de la France, dans ce domaine, pourra être assurée pour l'avenir. Pourquoi ? Parce que je suis de plus en plus convaincu en prenant de l'expérience dans ces fonctions que nous avons des bases d'excellence, et vous les représentez en grande partie. Nous avons une culture technicienne, qui là encore prête parfois à quelque ironie. Mais elle est extrêmement solide et est assortie de valeur humaine, de conscience professionnelle - je vais dire les choses très humblement - et par ailleurs d'un état d'esprit inventif et d'un souci de perfection qui continueront, à mon avis, à faire de nos équipes les éléments moteurs de beaucoup d'activités industrielles de Défense européennes. Nous avons donc des points forts. Il va falloir les développer, il va falloir travailler ensemble dans ce sens.
La réalité européenne change aussi très substantiellement sur le plan politique. Vos industries, vos activités productives sont très largement en relation avec le politique. C'est d'ailleurs inscrit dans le Traité de Rome, puisqu'elles ont des relations spécifiques avec les besoins de sécurité déterminés par les Etats. Il aurait été dommageable et incohérent que les Etats auteurs, porteurs de la sécurité, restent dispersés et incohérents entre eux alors que les industriels se concentraient et se regroupaient.
Je crois que, aussi bien sur le plan de la capacité de conduite de programme et d'achat que sur le plan de la définition stratégique même, les Etats sont aussi en train de faire mouvement. J'en donne comme illustration, entre autres, cette nouvelle, que je vous apprends peut-être pour certains : ce matin les membres du Comité Militaire de l'Alliance Atlantique ont reçu une lettre du SACEUR, le Général Clark, proposant que ce soit l'Eurocorps qui dirige la Force Alliée du Kosovo, à partir du mois d'avril. Nous sommes donc en train de devenir un être européen de Défense, capable de prendre des décisions et des responsabilités.
En témoignent également ce qui s'est passé à Helsinki, ce qui se passe dans chacun de nos pays, avec une volonté qui, c'est vrai, a été stimulée par la réussite de l'Euro et par les interrogations liées à notre engagement au Kosovo - une détermination politique forte d'un côté et des pénuries ou des insuffisances dans les moyens militaires de l'autre. Avec des bases concrètes, vécues dans nos opinions démocratiques, l'Europe de la Défense est en train de se faire et elle va fournir des interlocuteurs, peut-être encore un peu compliqués, peut-être encore un peu provisoires, mais des interlocuteurs tout de même plus solides, aux industriels de Défense.
Nous sommes ici entre acteurs socio-professionnels, avec des élus intéressés à nos activités. Je voudrais donc aussi évoquer en un mot les impératifs de dialogue social concret, c'est-à-dire aboutissant à des résultats, qui doivent accompagner ce dynamisme du changement. Je crois que c'est, en tout cas pour un social démocrate comme moi, le défi majeur de ce début de siècle pour la société française : savoir marier le dynamisme économique et le dialogue social aboutissant à ne pas reporter l'insécurité du changement uniquement sur les salariés.
Nous avons aujourd'hui dans tous les domaines des entreprises qui s'adaptent et qui le font avec succès. Nous avons par ailleurs un résultat, qui là encore commence à se dégager, que je peux évoquer sans pouvoir fournir le chiffre à l'unité près : cette période 1999/2000 représente le moment de la stabilisation du nombre d'emplois des industries de Défense. Je pense que nous sommes exactement au moment où nous cessons globalement de perdre des emplois. Cela prouve donc que les options parfois douloureuses, en tout cas énergiques, de changement et d'adaptation qui ont été prises ces dernières années ont été les bonnes.
Il ne faut donc pas s'arrêter en si bon chemin. Mais tout cela doit être négocié et doit faire l'objet d'informations qui permettent aux représentants des salariés d'assumer leurs propres responsabilités et de jouer leur rôle de contre-proposition mais aussi d'information et de sensibilisation des salariés face à ces changements.
L'Etat lui doit s'impliquer pour plusieurs raisons. Parce qu'il est acheteur et qu'il a besoin lui aussi d'un contexte de sécurité pour être assuré des résultats, en termes de sécurité d'approvisionnement, des changements qui seront organisés. Mais il a aussi un rôle social, en tout cas c'est ainsi que je le conçois, et nous avons joué un rôle de conciliation ou de recherche d'ajustement dans un certain nombre de négociations sociales portant sur l'adaptation et les changements stratégiques de vos entreprises. J'ai l'intention de continuer à le faire et je veux dire ma très grande satisfaction, en cette période de bilan, de voir l'état d'esprit de responsabilité des deux parties, des employeurs et des représentants des organisations syndicales de salariés, dans ces négociations et dans la définition des objectifs qui sont spontanément contradictoires mais qui peuvent faire l'objet d'accord dans ces phases de transformation.
Quand les historiens du social regarderont ce qu'est, à l'heure actuelle, le mouvement très puissant de restructuration et de modernisation de nos industries de Défense, ils le verront comme quelque chose d'un peu exceptionnel dans la société française, en tout cas en avance quant à la maturité du dialogue social et de la capacité à trouver des accords entre les salariés et les dirigeants d'entreprise. Cet état d'esprit lié à la Défense, c'est-à-dire à un sens des responsabilités un peu particulier, à une conviction profonde d'apporter une contribution de service à l'Etat, à la collectivité dans ce qu'elle a de plus éminent, doit être à l'origine, au moins en partie, de cette volonté constructive. Cette culture technicienne, dont je parlais tout à l'heure, fait aussi que nous avons à faire à des gens des deux côtés qui sont mus par le souci de l'efficacité et la volonté de bien faire. La conscience professionnelle est une valeur qui garde sa puissance et qui s'exprime avec beaucoup de réalité dans notre activité.
Je pense aussi d'ailleurs qu'il y a un lien entre les deux termes que je viens rapidement d'évoquer. Nous allons aussi apprendre ensemble, j'en discutais encore il y a deux ou trois jours avec un de nos nouveaux partenaires, le coprésident allemand de EADS, le dialogue social à l'Européenne. Je pense que nous avons, les uns les autres, à en retirer des enseignements et des points positifs.
Je voudrais conclure pour vous présenter mes vux, sur votre rôle dans la consolidation de la place de la Défense dans la société française grâce aux valeurs d'efficacité que vous portez et dont vous exprimez la réputation. Nous sommes un pays riche, vieillissant, spontanément pacifique au nom de ses valeurs, qui peut être exposé à la tentation de se détourner de l'esprit de Défense. Et nous savons bien que c'est un des points faibles de l'Europe de considérer qu'au fond les conflits sont loin d'elle, la plupart - certains en sont proches mais sont tout de même ressentis comme étranges et comme étrangers à la réalité humaniste européenne - et qu'il y a finalement d'autres protagonistes du jeu politique mondial qui sont plus disposés que nous à assumer la violence de ces conflits.
S'il veut contribuer à modeler la réalité internationale de demain, notre pays a la responsabilité, comme il en a eu la volonté tout au long de son histoire, de rester un pays engagé, un pays volontaire pour agir dans la réalité internationale, y compris dans les crises violentes. Cela ne va pas de soi pour nos concitoyens. On a vécu un moment, à mes yeux, de succès de notre démocratie au printemps dernier pendant l'action armée au Kosovo. Nous avons bénéficié pendant la quasi totalité de ce conflit d'une attitude positive et responsable de notre opinion publique. On sait que c'est fragile et que ce n'était pas le cas dans toutes les démocraties européennes qui se sont engagées fortement, y compris dans des pays que nous ressentons comme des alliés de premier rang et de toute confiance, comme nos amis italiens et espagnols. Ils ont fait ce conflit pendant trois mois avec, de façon permanente, une majorité de leurs citoyens qui y étaient opposés.
Donc l'esprit de Défense reste quelque chose dont nous avons absolument besoin et que nous ne pouvons pas, nous officiels, nous porteurs de paroles publiques forcément connotées, transmettre seuls. Les actions de Défense que nous entreprenons ces années-ci ou auxquelles nous nous préparons dans la prochaine programmation, qui va être une source de rencontres et de réflexions communes importantes et motivantes pour nous tous, sont portées par des valeurs que la société française soutient. Et quand on évoque le Kosovo, le Timor, les mines anti-personnel, la cour pénale internationale, tout le monde voit bien qu'il y a une adéquation, dont on n'a peut-être jamais bénéficié dans l'histoire contemporaine, entre les valeurs dominantes de notre société et les objectifs que poursuivent nos actions concrètes de Défense.
Il y a des réalités d'insécurité auxquelles nos concitoyens sont sensibles et qui sont d'ailleurs portées par les médias - qui peuvent être utiles pour réveiller la préoccupation de sécurité qui intéressent nos concitoyens. Et vous, vous pouvez apporter, pour renforcer ce respect et cette adhésion de nos concitoyens à l'esprit de Défense, votre professionnalisme, votre fiabilité, le respect professionnel dont vous bénéficiez dans la société française. Je veux vous dire que votre rôle pour asseoir la place de la Défense dans la préoccupation des Français est au moins aussi important, sinon plus que celui des interlocuteurs purement politiques que nous sommes.
Compte tenu de tous ces intérêts généraux, qui nous sont communs, compte tenu du très grand climat de confiance dans lequel nous travaillons - mon équipe, les dirigeants militaires de ce ministère et vous-mêmes - grâce à tous les signes de confiance et tous les efforts de rigueur que vous manifestez, je tiens donc à vous dire que c'est un plaisir et une satisfaction pour nous de travailler en partenariat avec vous. C'est dans cet esprit de totale confiance que je vous adresse à chacun et à chacune de vous nos meilleurs vux et nos vux de succès dans tous vos projets qui sont aussi les nôtres.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 14 février 2000)