Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les orientations et priorités budgétaires du gouvernement pour l'année 1999, Paris le 9 juin 1998.

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Circonstance : Débat d'orientation budgétaire à l'Assemblée nationale, le 9 juin 1998

Texte intégral

Prévu par les textes, ce débat a aussi été souhaité par le Gouvernement. Il est en effet important que la représentation nationale puisse débattre des choix budgétaires suffisamment en amont de la préparation du PLF et du PLFSS.
Ce débat est, cette année, particulièrement nécessaire. En effet, pour la première fois depuis longtemps, nos choix en matière de finances publiques ne sont pas déterminés par l'objectif des 3 %. Il nous appartient de décider :

  • quel niveau doivent atteindre les dépenses, quelles priorités elles doivent servir ;
  • à quel rythme nous voulons continuer à réduire le déficit ; quelle inflexion nous voulons donner au ratio de dette publique ;
  • et comment nos dépenses doivent être financées.

I - Dans quel contexte ces choix se présentent-ils ?
Pour l'économie française, le paysage a changé. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la croissance était en panne, le chômage augmentait et l'investissement stagnait ; l'embellie de 1994 n'avait pas débouché sur une reprise durable. Désormais, le climat s'est modifié : la croissance s'est affirmée et ses bases se sont élargies.
Depuis le printemps 1997, la confiance des ménages est revenue. Après s'être fortement dégradée au cours des années 1995 et 1996, l'opinion des consommateurs sur leur situation financière et sur ses perspectives s'est sensiblement améliorée, comme le confirme l'Insee dans une enquête parue aujourd'hui.
Pour les entreprises, aussi, la situation s'est nettement améliorée. L'opinion des chefs d'entreprises sur le climat général des affaires s'est sensiblement redressée depuis un an.
Le changement de climat chez les consommateurs et dans les entreprises, l'orientation de la politique économique et l'essor de la croissance en Europe établissent des bases solides pour une consolidation de la reprise en France en 1998.
Le retour de la croissance s'est affirmé dès le second semestre de 1997. Selon l'INSEE, le PIB a crû sur un rythme de 3,5 % dans la deuxième moitié de l'année passée. En 1998, les bases de la croissance devraient s'élargir et d'abord la demande intérieure (consommation et investissement), qui prendra le relais de l'exceptionnelle croissance des exportations de 1997. Les comptes du 1er trimestre confirme ce rééquilibrage de la croissance.
Les premiers bénéficiaires de ce renouveau de la croissance sont les chômeurs qui retrouvent un emploi : depuis la prise de fonction du gouvernement, le nombre de demandeurs d'emploi a baissé de 140 000, passant au-dessous de la barre des 3 millions en mars 1998. La principale raison de cette embellie sur le front du chômage est le dynamisme des créations d'emplois. L'objectif de création de plus de 200 000 emplois dans les entreprises au cours de 1998 apparaît désormais raisonnable.
Mais pour beaucoup de Français, beaucoup de chômeurs, rien n'a encore changé. Sauf qu'ils ont le sentiment d'une injustice renforcée : " la croissance est là et, je n'en vois pas les fruits ". C'est pourquoi nous n'avons pas changé de cap : reconstruire une société de travail ; ni d'objectif : l'emploi d'abord. Il faut que les chômeurs puissent se dire : " la croissance pour moi, c'est du travail ".
L'enjeu est désormais de transformer une conjoncture favorable en une croissance solidaire et durable.
Solidaire, cela veut dire que les fruits de la croissance doivent aller d'abord aux plus défavorisés, et notamment aux chômeurs. Cela provoquera des débats : ils sont nécessaires. Cela provoquera - cela provoque même déjà - des conflits : ils ne sont pas tous légitimes.
Durable, cela veut dire à la fois qu'il faut gérer avec sérieux les finances de la France et développer l'innovation pour que notre pays ne passe pas à côté de la nouvelle croissance.

II - De là procèdent les choix qui inspirent notre politique.
Le niveau de la dépense : un choix de croissance et de solidarité
La première question qui se pose à nous est celle du niveau de la dépense publique. C'est un choix décisif pour la croissance et la solidarité.
Au contraire des libéraux, le Gouvernement ne considère pas que la dépense publique est improductive. Ce n'est pas une "mauvaise graisse" qu'il faudrait réduire. La dépense pour l'éducation, pour la recherche, pour l'emploi, n'est pas improductive. Au contraire elle prépare l'avenir, et à ce titre on peut souvent la qualifier d'investissement. Quoi qu'en disent les nomenclatures comptables, un franc consacré à la formation peut être générateur de plus de revenu futur qu'un franc consacré à l'extension de telle ou telle infrastructure matérielle. A condition que nous sachions choisir des priorités, et les mettre en uvre en affectant les crédits et les postes là où ils sont le plus nécessaires.
La dépense publique est également un vecteur de solidarité. D'abord, bien entendu, par la protection sociale. Mais aussi à travers les choix de priorité que traduira notre budget : un budget pour l'emploi, pour l'éducation, pour la justice. Les grands services publics " maillent " notre société et notre territoire. Ils produisent de la cohésion sociale.
Pour autant, nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de maîtriser l'évolution de la dépense. Parce que le meilleur indicateur des prélèvements à venir est précisément le niveau de la dépense publique. C'est pourquoi nous avons fait le choix de vous proposer une croissance des dépenses de l'Etat de 1 % en volume. Cela permettra de financer nos priorités, tout en assurant une baisse régulière de la part des dépenses de l'Etat dans le PIB : elle devrait atteindre 20,1 % en 1999, soit un niveau plus faible que cela n'a jamais été le cas depuis vingt ans. C'est pourquoi nous tenons aussi à maîtriser l'évolution des dépenses sociales.
Maîtriser la dépense, c'est aussi la protéger contre les à-coup conjoncturels. Tout gestionnaire sait que de brusques variations du niveau de la dépense nuisent à son efficacité. Mieux vaut se fixer un objectif de dépense et s'y tenir, que la conjoncture soit bonne ou moins bonne. C'est une meilleure gestion macro-économique, et une meilleure gestion de la sphère publique. Qu'on ne compte donc pas sur moi pour engager de nouvelles dépenses si la conjoncture nous apporte des recettes supérieures aux prévisions.

2. La réduction du déficit : un choix entre aujourd'hui et demain
La seconde question qui se pose à nous est celle du rythme de réduction du déficit. Après 3 %, que faut-il viser pour 1999 et au delà ?
En vérité, il est un peu illusoire de croire que nous pouvons repousser sans limites la charge du financement des dépenses. Notre déficit alimente la dette publique, et donc les intérêts qu'il faudra régler demain. Le vrai choix qui s'offre à nous est de financer les dépenses par les impôts d'aujourd'hui ou par ceux qu'il faudra acquitter demain.
Repousser l'addition à demain, c'est ce qu'ont fait trop de gouvernements au fil des années. C'est ainsi que nos déficits se sont accrus et ont échappé au contrôle des gouvernements. Ce n'est pas un choix efficace pour la croissance et l'emploi. Ni dans l'absolu, ni dans la conjoncture présente. Car le rôle de la politique budgétaire n'est pas d'accentuer les cycles en dépensant en période de croissance pour prélever en période de ralentissement. C'est au contraire de mettre à profit les rentrées fiscales et sociales pour réduire le déficit en période de croissance, et ainsi de gagner des marges de manoeuvre pour les périodes de ralentissement.
Repousser l'addition à après-demain, c'est ce que la France a fait depuis vingt ans. C'est ainsi que notre dette est passée de 21.000 F par actif en 1978 à 80.000 F en 1988 et 192.000 F en 1998. Ce n'est pas un choix solidaire, et je voudrais prendre un exemple pour le faire bien comprendre : les emplois-jeunes sont un choix de solidarité, c'est ainsi que chacun les a compris ; mais serait-il solidaire de les faire financer par les impôts qui seront demain prélevés sur ces mêmes jeunes, lorsqu'ils seront devenus salariés ou entrepreneurs ? quelle solidarité y aurait-il à leur faire souscrire un emprunt par le truchement de l'Etat ? En réalité, les emplois-jeunes ne relèveront de la solidarité que s'ils sont financés par ceux qui bénéficient aujourd'hui d'un revenu.
Nous devons mettre à profit la période de croissance pour poursuivre la réduction du déficit. C'est pourquoi le Gouvernement s'est donné l'objectif de ramener le déficit des administrations publiques de 3 % du PIB en 1998 à 2,3 % en 1999. Certains disent que ce n'est pas assez, en comparaison de ce que font nos voisins. Je leur concède qu'au cours des dernières années, la gestion budgétaire a été moins calamiteuse chez nombre de nos partenaires européens, et qu'ils partent donc d'une situation meilleure : en 1997, notre pays a été onzième sur onze. Ce n'est pas une position enviable. En 1999, nous allons réduire le déficit de 0,7 points de PIB. D'après les informations dont je dispose, qui sont encore partielles puisque tous les pays n'ont pas encore révisé leur objectif pour 1999, seule la Finlande envisage un redressement plus important.

3. Le financement des dépenses : un choix d'efficacité et de justice
Reste la troisième question : comment financer ces dépenses. Les Français sont, à juste titre, insatisfaits de leur système de prélèvements fiscaux et sociaux. Ils considèrent son poids d'autant plus excessif qu'ils le jugent, par ailleurs, trop complexe, trop peu favorable à la croissance et à l'emploi, et trop injuste :
trop complexe, parce que les règles changent d'une année à l'autre, quant elles ne se stratifient pas en couches successives pour constituer une sorte de musée vivant de l'ingéniosité fiscale ; des règles qui changent, ce sont des perturbations dans les décisions des entreprises, et c'est en particulier nuisible à l'investissement et à l'emploi ;
trop peu favorable à la croissance et à l'emploi parce que notre système de prélèvements pénalise encore trop le risque par rapport à la rente, encourage encore trop l'absence plutôt que l'économie de travail par rapport à l'embauche ;
trop injuste, parce qu'à revenu égal l'impôt que l'on acquitte est inégal selon la commune de résidence, l'origine du revenu ou simplement l'habilité à faire usage des règles.
C'est pourquoi nous avons l'ambition de réformer la fiscalité.
De manière graduelle, parce que nous savons que le mythe du "grand soir fiscal" est le meilleur synonyme de l'immobilisme.
De manière méthodique, parce qu'il serait contre-productif de toucher chaque année à chaque impôt : nous ne reviendrons pas sur les règles du jeu posées l'année dernière pour la fiscalité de l'épargne ou pour les niches fiscales de l'I.R. et de l'I.S.
De manière concertée, parce qu'en ce domaine peut-être davantage qu'ailleurs, il est nécessaire d'écouter et de discuter avant de décider : avec Christian Sautter, nous avons déjà eu de nombreux contacts avec les parlementaires, notamment ceux de la majorité. Nous organiserons à partir du 15 juin une large concertation à Bercy avec les élus et les forces économiques et sociales, les syndicats, les représentants des entreprises. J'ai choisi une méthode dont on a dit parfois qu'elle est nouvelle pour un ministre des finances : celle du dialogue avant la réforme, du dialogue pour la réforme. Avec certaines règles du jeu que nous donnerons à l'avance, C. Sautter et moi sommes résolus à appliquer aussi cette méthode à la fiscalité. Puis le Premier ministre tranchera d'ici la fin juillet.
Voici pourquoi le Gouvernement a choisi pour cette année de concentrer ses efforts sur trois chantiers : la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine et la fiscalité écologique.
Voici, à grands traits, l'essentiel de la stratégie que détaille le document que le Gouvernement vous a adressé. Encore une fois, je suis heureux que ce débat ait lieu, et qu'il ait lieu suffisamment en amont des choix budgétaires qui vous seront présentés à l'automne. J'attends de ce débat qu'il éclaire les orientations que le Gouvernement va adopter dans les semaines à venir en matière de dépense, d'évolution à moyen terme du déficit, et de fiscalité.

(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 septembre 2001)