Texte intégral
Q - Un commentaire sur la diffusion de l'audition du président Clinton ? Tout le monde fait un commentaire sur cette vidéo...
R - Ce n'est pas mon rôle de commenter la vidéo. D'abord, je ne l'ai pas vue. De toutes façons, j'ai dit ce que je pensais de tout cela il y a trois semaines, c'est du maccarthysme. Je n'ai pas changé d'avis. Même si le maccarthysme est renforcé par le voyeurisme, c'est encore du maccarthysme.
Q - Sur le discours du président Clinton.
R - C'était un discours centré sur le terrorisme. Je pense qu'il y a beaucoup de cohérence et beaucoup de force dans les propositions, surtout dans le regroupement des propositions. Je crois simplement, mais cela est une vue française classique, que, sur le terrorisme, il faut toujours en plus se demander ce que l'on peut faire pour éradiquer les causes.
Il est clair que dans la lutte contre le terrorisme, il faut coordonner les moyens, être constamment vigilant. On peut toujours faire plus, mais cela ne nous dispense jamais non plus d'une interrogation sur les causes. Il y a des cas où l'on a affaire à du fanatisme pur. Mais il y a de nombreux cas, une majorité de cas, où le terrorisme prend racine dans des situations politiques, économiques, sociales, insupportables qui n'ont pas été traitées, pas traitées à temps ou d'une façon qui n'est pas suffisamment véritable pour éteindre les revendications. Donc il faut vraiment faire les deux. Mais ce que je dis ne doit pas être compris comme une opposition d'approche. Il n'y a pas ceux qui font des commentaire sur les causes et ceux qui luttent contre les effets. Je pense qu'il faut combiner les deux choses.
Q - Sur le discours du Secrétaire général.
R - Je trouve que cela fait partie de sa responsabilité de s'interroger globalement sur les problèmes globaux, des réponses globales. C'est tout à fait naturel qu'il le fasse. Je ne pense pas qu'il puisse espérer ramener au sein des Nations unies les débats beaucoup plus spécialisés, qui se prendront au sein du G7 ou au sein du FMI, en tous cas dans d'autres endroits critiques. D'un autre côté on serait surpris que parlant dans ce contexte, il fasse l'impasse là-dessus.
La question est : qu'est-ce que les Nations unies, qu'est-ce que l'Assemblée générale, qu'est-ce que le Conseil de sécurité peuvent apporter en plus ? Peuvent-ils apporter un complément spécialisé sur certains points ou une vision d'ensemble. Les Nations unies, le Conseil de sécurité, peuvent être l'endroit où l'on fait une synthèse de la réflexion sur le traitement des crises régionales qui se multiplient : des réflexions ont lieu pour le meilleur traitement de la crise financière qui a des raisons propres à chaque pays mais qui rebondit de région à région. Cela ne touche d'ailleurs pas forcément les mêmes pays. L'endroit où il y a une forme d'épidémie de crises régionales et les zones du monde où la crise financière frappe ne sont pas les mêmes. Finalement, il y a peu de régions du monde qui soient complètement épargnées par cela, à part l'Union européenne et les Etats-Unis. Tous les autres sont frappés ou menacés, soit par des crises régionales à répétition ou par des crises classiques. Je trouve donc qu'il est dans son rôle. Mais on ne peut pas imaginer que l'ONU va se substituer aux autres organismes...
Q - Quels sont les chefs d'Etat que vous avez rencontrés ?
R - Je rencontre plutôt des ministres. J'ai vu le ministre japonais tout à l'heure. J'ai vu le ministre albanais. J'ai un grand nombre de rendez-vous avec des ministres, et puis il y a les rendez-vous informels. Dans l'avion, il y avait le président de Djibouti, j'ai parlé un long moment avec lui de la situation dans l'est de l'Afrique.
Q - Sur l'attitude américaine à l'égard de l'ONU.
R - Il y a plusieurs choses distinctes. Il y a la position du Congrès qui refuse de payer les arriérés, qui n'accepte qu'à condition de prendre en otages d'autres sujets qui n'ont rien à voir avec cela. Il est certain que cela diminue, cela affaiblit la position américaine au sein de l'ONU et la capacité, pour les Etats-Unis, à jouer complètement leur rôle. C'est un problème qui est embêtant pour les Etats-Unis, qui est embêtant pour le Conseil de sécurité, qui est embêtant globalement. Cette responsabilité est celle du Congrès. C'est parfaitement net, surtout que le Secrétaire général a fait des efforts louables pour trouver des solutions réelles à des vrais problèmes. Il est donc tout à fait navrant que le Congrès reste sur cette position.
Q - Sur le terrorisme et l'idée d'une conférence sur le terrorisme.
R - Sur le terrorisme, je crois qu'il faut une action méthodique, précise, une coopération. Quand le président Clinton dit qu'il ne faut pas qu'il y ait de sanctuaire, pas d'abri, c'est un raisonnement logique, c'est comme cela que l'on arrivera à régler le phénomène. Et j'ajoute mon commentaire de tout à l'heure, c'est que la responsabilité des politiques s'est également de se pencher sur les causes. Ce sont les drames, les tragédies, les crises qui constituent le terreau, l'humus de cela.
Les grands rassemblements, cela n'a pas un grand intérêt. Cela n'ajoute rien aux travaux effectués par les experts. Il y a un nombre absolument considérable d'échanges d'informations, de travail en commun, de groupes spécialisés, c'est énorme. Quant on fait l'inventaire, on peut trouver des trous dans le dispositif. Il manque des instruments juridiques pour des extraditions ou pour l'échange d'informations. On peut donc améliorer les vides juridiques de la coordination de la lutte contre le terrorisme.
Les grands rassemblements politiques ou diplomatiques, ne sont pas indispensables. On peut le faire si on veut envoyer à un moment donné un signal de détermination. Cela dépend à quel type de terrorisme on a à faire. Si on a à faire à des actions terroristes qui ont pour objet évident de casser un processus de paix, ce qui est souvent le cas, de part et d'autre, là une réunion, ou un sommet peuvent se comprendre.
Ce qui avait été fait avant que je sois ministre, à Charm-el-Sheik, était une réunion sur le terrorisme qui n'a pas eu d'effet pratique particulier. On pouvait cependant en comprendre le raisonnement. Cela consistait à dire : il y a un processus de paix, - il y avait un processus de paix à l'époque, c'était avec Shimon Péres, combattu par les extrémistes des deux bords -, donc on fait un rassemblement pour montrer que ce processus de paix est largement soutenu. C'est un signal politique qui se comprenait. Mais pour le travail précis, concret, on n'a pas besoin de sommets de chefs d'Etat ou de ministres.
Q - Sur le terrorisme, sur la position de la France à l'égard du bombardement américain au Soudan.
R - La coordination contre le terrorisme, la meilleure coordination ne veut pas dire que la politique de tous les pays va être totalement uniformisée. Il y a un long chemin entre les deux. La réaction française sur l'affaire au Soudan, vous l'avez en tête : il y a eu un communiqué qui condamnait le terrorisme, qui prenait acte de la réaction américaine. On a dit qu'on comprenait la réaction américaine, expression qui avait été employée d'ailleurs il y a quelques années déjà quand il y avait eu une tentative d'attentat contre Bush, et il y avait eu une réplique et la France avait dit qu'elle pouvait comprendre. En ce qui concerne les Soudanais en particulier, nous avons dit que si un consensus pouvait se réaliser au sein du Conseil de sécurité sur une enquête, on trouverait cela très bien pour clarifier les choses. On n'a pas été au-delà mais on a fait comprendre de cette façon-là que l'on trouvait que ce n'était pas une mauvaise idée. C'est une sorte d'appel du pied pour que les Etats-Unis trouvent une façon de clarifier les choses, d'expliquer pourquoi ils ont pris cette décision.
Q - Sur la réunion six plus deux sur l'Afghanistan. Est-ce que la France y participe ?
R - Non, on n'est pas dans ce groupe, on ne peut pas être dans tous les groupes qui existent. Je cherche toujours la complémentarité, tout le monde ne peut pas être dans tout. Il ne faut pas avoir des revendications formalistes, uniquement pour des histoires d'apparence, cela n'a aucun intérêt. C'est un travail compliqué, il faut essayer de faire cela de la façon la plus utile, la plus concrète possible en répartissant les rôles dans certains cas.
Sur l'affaire d'Afghanistan, l'Afghanistan fait souvent partie de nos échanges bilatéraux avec d'autres, comme par exemple quand j'étais en Iran ou dans nos échanges avec les Pakistanais. Cet été j'ai demandé à un ambassadeur qui connaît bien ces problèmes et ces régions, Pierre Lafrance, d'aller dans trois pays qui ont des relations plus ou moins poussées avec les Talibans, même s'ils s'en défendent, pour leur dire : "faites attention, le régime des Talibans provoque des réactions d'horreur en France, on ne comprend pas très bien vos relations, cela va finir par ternir votre propre image". Il s'était rendu en Arabie, aux Emirats arabes unis et au Pakistan. Donc cela nous intéresse. Quand je vois Kofi Annan, on fait le point sur la situation, quand on rencontre les envoyés de Kofi Annan comme M. Brahimi, on parle du sujet : mais on n'a pas besoin de se mettre dans tous les groupes. Je serais très content que ce groupe avance. C'est un peu comme dans l'affaire de la République démocratique du Congo, ce n'est pas un problème purement afghan. Si on veut commencer à entrer dans le début d'un commencement d'apaisement, il faudrait déjà qu'il y ait une sorte d'accord des pays voisins pour cesser d'alimenter les luttes afghanes qui sont très anciennes, très traditionnelles, pour tenter de les calmer. Tout ce qui va dans ce sens est bon.
Q - Les Talibans occupent 95 % du pays...
R - 80 %, je crois. Cela dépend comment on calcule la superficie du Panchir.
Q - Il y a la question de leur siège aussi qui toujours occupé par Rabbani. Mais s'ils gagnent, s'ils occupent le territoire, qu'est-ce qu'on fait, on les reconnaît ou...
R - Cela ne me parait pas urgent.
Q - Vous voulez dire que militairement ce n'est pas immédiat.
R - La situation ne parait pas assez claire ou assez définitive pour que cela paraisse urgent de prendre une position. On peut donc rester dans la situation actuelle.
Q - C'est-à-dire ne pas les reconnaître.
R - Oui, je pense que ce problème n'est pas urgent.
Q - Qu'est-ce que vous attendez de la réunion ministérielle sur l'Afrique qui aura lieu jeudi. On a vu ce que cela a donné l'an dernier...
R - Ce n'est pas nous qui l'avions demandée l'an dernier, elle se reproduit par répétition. On peut répondre de plusieurs façons : on peut dire "réunion formelle", on n'en attend pas grand chose ; on peut dire aussi que cela ne fait pas de mal ; on peut même dire que c'est une occasion intéressante. On a suffisamment trouvé dans le passé que la diplomatie internationale ne s'intéressait pas assez à l'Afrique, que le Conseil de sécurité ne s'intéressait pas assez à l'Afrique, on a suffisamment dit cela pour ne pas négliger les occasions qui se présentent de parler de l'Afrique.
Donc là, je le prends comme cela. Cela se présente, pourquoi pas si cela permet de dire deux ou trois choses sur l'Afrique. Nous sommes bien placés sur beaucoup de plans pour dire que nous maintenons notre intérêt pour l'Afrique. En matière d'aide au développement, nous sommes bien placés ; en matière de combinaison de politique de commerce et de politique d'aide, nous sommes bien placés. Nous avons un rôle actif, comme vous le savez, sur le plan de l'Union européenne.
D'autre part, je crois que les événements des dernières semaines en Afrique, notamment dans l'Afrique des Grands lacs, ont énormément estompé le clivage qui existait l'an dernier. L'an dernier on avait l'impression qu'il y avait une vision française, archaïque, dépassée, et une vision américaine novatrice. Aujourd'hui ce climat n'existe plus. Tout le monde a à peu près des problèmes identiques par rapport à cette région ; cela peut favoriser une meilleure façon d'aborder les choses. Il y a eu d'autre part quelques progrès dans l'année écoulée. Il y a eu une nouvelle décision d'opération de maintien de la paix, ce qui n'avait pas eu lieu depuis le traumatisme de la Somalie. C'est une bonne occasion, il ne faut pas en attendre des merveilles. Mais si c'est traité sérieusement, c'est une occasion de maintenir un intérêt véritable.
Q - Vous allez continuer à pousser pour la Conférence dans la région des Grands lacs, parce qu'à la base c'était la France...
R - Oui, mais c'est la France qui avait repris une idée du Burundi. Cela reste une bonne idée. Malheureusement, il faut constater que cela reste une bonne idée parce que les problèmes ne sont toujours pas réglés. L'idée est très simple, ce n'est pas le problème d'un pays, ce n'est pas le problème de la République démocratique du Congo, c'est six ou sept pays qui règlent leurs problèmes sur le territoire de la République démocratique du Congo et les problèmes de ces pays aggravent ceux du Congo et ceux du Congo aggravent leurs problèmes. C'est pour cela que j'ai rappelé cette idée.
Il m'a paru évident qu'ils ne pouvaient pas trouver une solution concernant uniquement la République démocratique du Congo. Il faut qu'ils aillent vers une discussion régionale. Il est clair que l'Ouganda et le Rwanda ont une stratégie. D'autre pays ne veulent pas que la stratégie de l'Ouganda et du Rwanda permette à ceux-ci d'exercer une influence trop grande dans la région. Ils ont leur propres objectifs, chacun veut juguler la guérilla qui est gênante pour lui. Il faut qu'ils mettent cela ensemble.
On a donc rappelé cette idée. Quand on voit les initiatives des uns et des autres pour faire des réunions ou des approches régionales, on trouve cela plutôt positif. D'ailleurs nous n'avons jamais précisé ce que serait cette conférence, c'est simplement pour dire "vous ne trouverez une solution qu'ensemble". Si vous voulez des soutiens internationaux, dans le cadre de l'OUA, de l'ONU, d'autres pays, très bien mais au point de départ, pour qu'il y ait un processus qui commence à exister, il faut que ces six ou sept pays acceptent de se parler, cherchent une solution ensemble. Sinon par le biais des guérillas, de réfugiés, de frontières, de trafics de toutes sortes, ils ne s'en sortiront jamais.
Q - Les six ou sept pays paraissent impuissants à résoudre le problème. Les Etats-Unis parrainent l'Ouganda et le Rwanda. On ne sait pas trop qui parraine les Angolais. Les Sud-africains échouent lamentablement. Tout cela traîne, moyennant quoi on a une instabilité totale dans l'ancien Zaïre, une guérilla qui fait des victimes chaque jour et on a l'impression que personne n'y peut rien.
R - Parler en terme de parrains, cela me parait un peu dépassé. Cela fait très très longtemps que l'on dit qu'il faut que les Africains prennent leurs affaires en main.
Q - Le seul Africain qui pouvait, c'était Mandela et il s'est rendu compte qu'il avait une marge de manoeuvre assez limitée.
R - Vous voyez bien qu'aujourd'hui la stratégie de l'Angola, la stratégie du Zimbabwe, de la Namibie, n'est dictée par personne, la stratégie de l'Afrique du Sud non plus. On voit aussi que l'Afrique du Sud n'est pas le leader que l'on croyait. On a un peu transposé sur l'Afrique du Sud l'image fantastique et justifiée que nous avons de Mandela, mais on voit bien que l'Afrique du Sud n'est pas le pays qui peut commander d'un coup de sifflet les quinze pays du sud de l'Afrique. Bon alors l'Ouganda et le Rwanda, là il y a une implication américaine beaucoup plus nette ces dernières années, mais je ne crois pas du tout que ce soit le cas en ce moment. Cela parait clair. Il y a eu un engagement américain assez clair qui remonte à quelques années qui s'est appuyé sur l'Ouganda pour des raisons de lutte contre le Soudan et qui a duré quelques années et qui a connu son paroxysme avec le voyage de Clinton en Afrique ; mais dans les épisodes récents, je ne vois pas du tout qu'il y ait une ligne américaine là-dessus. Quant aux Européens, personne ne s'ingère, n'intervient dans tout cela. Donc il y a six, sept pays africains qui sont face à leurs responsabilités.
On ne peut pas, on ne va pas se réintégrer, on ne va pas réinventer une politique, non pas d'hier, mais d'avant-hier, et en même temps comme on ne peut pas se désintéresser de cette région, comme on ne peut pas de gaieté de coeur assister à cela sans réagir. Nous essayons de faire des suggestions utiles, c'est tout. Alors Mandela n'a pas réussi, vous êtes trop dur, les Sud-Africains ont tenté, ce n'est pas mal de tenter. Ils n'ont pas réussi tout de suite, d'accord, mais personne ne réussit tout de suite. Il y a une autre réunion, à Victoria Falls. C'est très bien, il faut qu'ils continuent, il faut toujours encourager toutes les initiatives, ne pas considérer que c'est définitif quand cela ne marche pas et faire confiance aussi à une sorte de sens africain de la discussion et de la négociation pour essayer de remonter la pente. Mais il est clair qu'un nouvel équilibre de forces est entrain de se dessiner.
Q - On a l'impression qu'on arrive à un état de fait qui ressemble à la Bosnie avec un gel et une espèce de dépeçage du pays, avec les Rwandais et les Ougandais tenant une partie, les Angolais tenant les zones pétrolières et un Zaïre qui n'existe plus et visiblement personne ne peut rien faire contre cela.
R - Je ne crois pas que l'on puisse comparer les deux. Je crois qu'il y a des problèmes totalement différents. Je crois que le seul point commun entre les deux, c'est qu'on n'est pas dans un monde idyllique et parfait. On n'est pas dans la fin de l'histoire, on n'est pas dans le nouvel ordre international, ni ces concepts qui ont montré leur caractère inexistant. On est dans un monde où la lutte continue, où la compétition continue, où les affrontements continuent, avec toutes sortes d'acteurs qui ont leurs propres visées. Bon voilà, l'histoire continue, c'est le seul point commun entre les deux. C'est le côté positif et c'est le côté tragique.
Que peut-il se produire ? Il peut se produire que durablement, jusqu'à ce qu'il y ait un leadership zaïrois fort, il y ait une influence énorme des pays voisins. Mais c'est à eux d'en décider. Il faut savoir ce que l'on veut. Est-on encore dans une époque où ces problèmes de l'Afrique étaient télécommandés, téléguidés et solutionnés par des parrains extérieurs. Non, on n'est plus dans cette époque-là. Donc ce sont ces pays qui sont responsables de ce qu'ils font de leur région. Ils veulent notre aide, on apporte de l'aide. On n'a pas de blocage, on s'est montrés toute l'année écoulée d'ailleurs très disponibles, même par rapport aux Rwandais, aux gens de Kinshasa : même quand on était pris à partie de façon extravagante, on est restés extrêmement calmes et on est toujours disponibles.
Mais on ne peut pas trouver à leur place des arrangements aussi compliqués que comment neutraliser des guérillas chez les voisins ? En échange de quoi ? Qu'ils tentent de réinsérer les réfugiés, on peut apporter de l'aide conceptuelle, des conseils politiques, on peut apporter de l'aide aux réfugiés. On peut faire des choses comme cela, on ne peut pas régler les problèmes à leur place, ce n'est pas possible. C'est comme en Bosnie, on ne peut pas voter à la place des Bosniaques.
Q - De toutes façons personne ne veut régler le problème à leur place, cela arrange tout le monde. L'ONU, l'OUA sont incapables de le faire et les parrains ne veulent plus non plus s'en occuper.
R - Il n'y a plus de parrains
Q - Economiquement il y a toujours des parrains, dès lors que l'on achète du pétrole.
R - Non ce n'est pas vrai car les gens qui achètent sont peut-être plus dépendants que les gens qui vendent. C'est une idée que le monde est gouverné par un groupe de puissances qui tiennent tout, ce n'est pas vrai. C'est une illusion dans les deux sens d'ailleurs. Certains pensent que c'est très choquant, d'autres pensent que cela reste vrai ou que les puissances pourraient faire cela si elles le voulaient. Il faut distinguer l'incapacité et le manque de volonté. Ce n'est pas le manque de volonté. C'est dans la réalité des choses, que ce soit les cinq membres permanents, les membres du G8, ou même les puissances régionales, dans le monde actuel, c'est un fait. Il faut le voir en face, sinon on parle de la planète Mars. Dans le monde actuel les différentes puissances ne peuvent pas imposer leur droit. Les Etats-Unis ne peuvent pas convaincre le gouvernement israélien de reprendre le processus de paix. Cela se constate. L'Afrique du Sud, même dirigée par Mandela, n'est pas en mesure de convaincre les pays autour d'appliquer son plan de paix. A fortiori les anciens pseudo-parrains très éloignés.
Quant aux mécanismes économiques, ils sont à double tranchant : personne ne peut les utiliser pour établir un lien, c'est clair. Et puis enfin si quelqu'un avait le pouvoir sur l'Afrique des Grands lacs, il ferait quoi ?
Il mettrait qui au pouvoir ? A quel endroit ? Comment réglerait-il le problèmes des Hutus et des Tutsis ? C'est un peu abrupt de dire cela, mais le pouvoir de régulation est un pouvoir limité. Il faut en faire le meilleur usage possible.
Q - Il faut commencer à faire des élections peut-être.
R - Les élections, on peut se poser la question. Il y a des situations dans lesquelles cela fige les affrontements, les exaspère. En Bosnie, par exemple, la guerre était inscrite sur la carte des élections de 1990. C'est pour cela qu'on peut plutôt parler d'Etat de droit en fait. Si l'on travaille sur l'Etat de droit, sur le code civil, sur le fonctionnement de la justice, sur une fiscalité équitable, sur une administration honnête, sur les fondements, là on est sûr qu'on est sur un terrain solide. On ne peut pas plaquer des élections sur n'importe quelle situation, ou alors, si on le fait, on ne peut pas attendre des miracles. C'est un sujet compliqué. Cela parait toujours très long et très lent, on voudrait toujours accélérer le processus.
Q - Sur la réunion du Groupe de contact sur le Kossovo.
R - On n'a pas de date fixée parce que cela achoppe sur des problèmes de calendrier. M. Kinkel a très peu de temps. Alors on est en train de regarder pour mardi ou mercredi, mais je ne sais pas. Les contacts sont très bons dans le Groupe de contact. L'information circule, les directeurs politiques ont continué à se voir, mais cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas réunis au niveau ministériel, donc cela serait bien de le faire.
Q - On a l'impression qu'il y a des tiraillements avec les Américains, les Russes.
R - Cela dépend sur quoi. Il n'y a pas de tiraillements sur la position de fond. Le statu quo est intolérable, il ne faut pas soutenir l'indépendance, il faut une autonomie substantielle, il n'y a pas de tiraillements sur les points clés.
Q - Le projet ici, c'est une résolution...
R - Non, c'est autre chose que le Groupe de contact. On travaille la résolution, à l'initiative de la France et de la Grande-Bretagne. Nous essayons de convaincre les Russes d'accepter une référence au chapitre sept et on essaie de convaincre les Américains qu'il faut accepter, conforter, rappeler l'autorité du Conseil de sécurité. Voila le travail du Conseil de sécurité classique, même s'il n'y avait pas l'Assemblée générale.
D'autre part, on profite du fait que nous sommes là pour essayer de faire le Groupe de contact parce que cela vaudrait le coup de faire le point sur beaucoup de choses au Kossovo. Et le sens de notre action n'a pas changé. Il faut faire pression, il faut arracher ce statut d'autonomie substantielle.
Un certain nombre d'idées ont circulé. Christopher Hill a utilisé de nombreuses réflexions antérieures au Groupe de contact, l'idée que nous avions avancée sur une solution en deux temps. On voit bien cependant qu'on n'a pas atteint un niveau de concentration de pression suffisant sur Milosevic et que notre pression de l'autre côté est insuffisante aussi. Nous parvenons à maintenir la position de Rugova, mais nous n'arrivons pas à contenir suffisamment les options des Albanais du Kossovo qui sont contre cette solution.
Q - L'UCK?
R - Oui, l'UCK, plus Berisha peut-être.
Q - Que vous a dit l'Albanais ?
R - Il m'a expliqué les événements des derniers jours. Il m'a dit que c'était une véritable tentative de coup d'Etat. Il m'a donné des détails extrêmement précis sur ce plan et il m'a dit que les autorités albanaises resteraient dans le cadre légal et vont tenir une position responsable sur l'affaire du Kossovo. Ils sont évidemment sentimentalement, affectivement, du côté des Kossovars, mais les Albanais ont du mérite. Ils sont dans une position fragile, difficile. Ils ne jettent pas d'huile sur le feu. Je parle bien des autorités légales. Donc ils méritent d'être aidés sur ce plan. Si on trouvait une solution au Kossovo, cela calmerait bien les choses en Albanie.
Q - On a l'impression malheureusement qu'à chaque fois que les choses ont progressé, il y a un grand retour en arrière.
R - Chaque fois qu'on est dans un processus de paix, chaque fois qu'on progresse, il y a des forces qui sont hostiles au processus en question et qui essaient de casser.
Q - Sur une reconnaissance éventuelle des Talibans, pourriez-vous préciser vos propos?
R - Je veux dire que si certains disent que la question se pose, on leur dira que non, pas encore. Je ne le dis pas du tout dans un esprit de complaisance par rapport aux Talibans, vous m'avez compris ? Je dis cela pour repousser la question.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)
R - Ce n'est pas mon rôle de commenter la vidéo. D'abord, je ne l'ai pas vue. De toutes façons, j'ai dit ce que je pensais de tout cela il y a trois semaines, c'est du maccarthysme. Je n'ai pas changé d'avis. Même si le maccarthysme est renforcé par le voyeurisme, c'est encore du maccarthysme.
Q - Sur le discours du président Clinton.
R - C'était un discours centré sur le terrorisme. Je pense qu'il y a beaucoup de cohérence et beaucoup de force dans les propositions, surtout dans le regroupement des propositions. Je crois simplement, mais cela est une vue française classique, que, sur le terrorisme, il faut toujours en plus se demander ce que l'on peut faire pour éradiquer les causes.
Il est clair que dans la lutte contre le terrorisme, il faut coordonner les moyens, être constamment vigilant. On peut toujours faire plus, mais cela ne nous dispense jamais non plus d'une interrogation sur les causes. Il y a des cas où l'on a affaire à du fanatisme pur. Mais il y a de nombreux cas, une majorité de cas, où le terrorisme prend racine dans des situations politiques, économiques, sociales, insupportables qui n'ont pas été traitées, pas traitées à temps ou d'une façon qui n'est pas suffisamment véritable pour éteindre les revendications. Donc il faut vraiment faire les deux. Mais ce que je dis ne doit pas être compris comme une opposition d'approche. Il n'y a pas ceux qui font des commentaire sur les causes et ceux qui luttent contre les effets. Je pense qu'il faut combiner les deux choses.
Q - Sur le discours du Secrétaire général.
R - Je trouve que cela fait partie de sa responsabilité de s'interroger globalement sur les problèmes globaux, des réponses globales. C'est tout à fait naturel qu'il le fasse. Je ne pense pas qu'il puisse espérer ramener au sein des Nations unies les débats beaucoup plus spécialisés, qui se prendront au sein du G7 ou au sein du FMI, en tous cas dans d'autres endroits critiques. D'un autre côté on serait surpris que parlant dans ce contexte, il fasse l'impasse là-dessus.
La question est : qu'est-ce que les Nations unies, qu'est-ce que l'Assemblée générale, qu'est-ce que le Conseil de sécurité peuvent apporter en plus ? Peuvent-ils apporter un complément spécialisé sur certains points ou une vision d'ensemble. Les Nations unies, le Conseil de sécurité, peuvent être l'endroit où l'on fait une synthèse de la réflexion sur le traitement des crises régionales qui se multiplient : des réflexions ont lieu pour le meilleur traitement de la crise financière qui a des raisons propres à chaque pays mais qui rebondit de région à région. Cela ne touche d'ailleurs pas forcément les mêmes pays. L'endroit où il y a une forme d'épidémie de crises régionales et les zones du monde où la crise financière frappe ne sont pas les mêmes. Finalement, il y a peu de régions du monde qui soient complètement épargnées par cela, à part l'Union européenne et les Etats-Unis. Tous les autres sont frappés ou menacés, soit par des crises régionales à répétition ou par des crises classiques. Je trouve donc qu'il est dans son rôle. Mais on ne peut pas imaginer que l'ONU va se substituer aux autres organismes...
Q - Quels sont les chefs d'Etat que vous avez rencontrés ?
R - Je rencontre plutôt des ministres. J'ai vu le ministre japonais tout à l'heure. J'ai vu le ministre albanais. J'ai un grand nombre de rendez-vous avec des ministres, et puis il y a les rendez-vous informels. Dans l'avion, il y avait le président de Djibouti, j'ai parlé un long moment avec lui de la situation dans l'est de l'Afrique.
Q - Sur l'attitude américaine à l'égard de l'ONU.
R - Il y a plusieurs choses distinctes. Il y a la position du Congrès qui refuse de payer les arriérés, qui n'accepte qu'à condition de prendre en otages d'autres sujets qui n'ont rien à voir avec cela. Il est certain que cela diminue, cela affaiblit la position américaine au sein de l'ONU et la capacité, pour les Etats-Unis, à jouer complètement leur rôle. C'est un problème qui est embêtant pour les Etats-Unis, qui est embêtant pour le Conseil de sécurité, qui est embêtant globalement. Cette responsabilité est celle du Congrès. C'est parfaitement net, surtout que le Secrétaire général a fait des efforts louables pour trouver des solutions réelles à des vrais problèmes. Il est donc tout à fait navrant que le Congrès reste sur cette position.
Q - Sur le terrorisme et l'idée d'une conférence sur le terrorisme.
R - Sur le terrorisme, je crois qu'il faut une action méthodique, précise, une coopération. Quand le président Clinton dit qu'il ne faut pas qu'il y ait de sanctuaire, pas d'abri, c'est un raisonnement logique, c'est comme cela que l'on arrivera à régler le phénomène. Et j'ajoute mon commentaire de tout à l'heure, c'est que la responsabilité des politiques s'est également de se pencher sur les causes. Ce sont les drames, les tragédies, les crises qui constituent le terreau, l'humus de cela.
Les grands rassemblements, cela n'a pas un grand intérêt. Cela n'ajoute rien aux travaux effectués par les experts. Il y a un nombre absolument considérable d'échanges d'informations, de travail en commun, de groupes spécialisés, c'est énorme. Quant on fait l'inventaire, on peut trouver des trous dans le dispositif. Il manque des instruments juridiques pour des extraditions ou pour l'échange d'informations. On peut donc améliorer les vides juridiques de la coordination de la lutte contre le terrorisme.
Les grands rassemblements politiques ou diplomatiques, ne sont pas indispensables. On peut le faire si on veut envoyer à un moment donné un signal de détermination. Cela dépend à quel type de terrorisme on a à faire. Si on a à faire à des actions terroristes qui ont pour objet évident de casser un processus de paix, ce qui est souvent le cas, de part et d'autre, là une réunion, ou un sommet peuvent se comprendre.
Ce qui avait été fait avant que je sois ministre, à Charm-el-Sheik, était une réunion sur le terrorisme qui n'a pas eu d'effet pratique particulier. On pouvait cependant en comprendre le raisonnement. Cela consistait à dire : il y a un processus de paix, - il y avait un processus de paix à l'époque, c'était avec Shimon Péres, combattu par les extrémistes des deux bords -, donc on fait un rassemblement pour montrer que ce processus de paix est largement soutenu. C'est un signal politique qui se comprenait. Mais pour le travail précis, concret, on n'a pas besoin de sommets de chefs d'Etat ou de ministres.
Q - Sur le terrorisme, sur la position de la France à l'égard du bombardement américain au Soudan.
R - La coordination contre le terrorisme, la meilleure coordination ne veut pas dire que la politique de tous les pays va être totalement uniformisée. Il y a un long chemin entre les deux. La réaction française sur l'affaire au Soudan, vous l'avez en tête : il y a eu un communiqué qui condamnait le terrorisme, qui prenait acte de la réaction américaine. On a dit qu'on comprenait la réaction américaine, expression qui avait été employée d'ailleurs il y a quelques années déjà quand il y avait eu une tentative d'attentat contre Bush, et il y avait eu une réplique et la France avait dit qu'elle pouvait comprendre. En ce qui concerne les Soudanais en particulier, nous avons dit que si un consensus pouvait se réaliser au sein du Conseil de sécurité sur une enquête, on trouverait cela très bien pour clarifier les choses. On n'a pas été au-delà mais on a fait comprendre de cette façon-là que l'on trouvait que ce n'était pas une mauvaise idée. C'est une sorte d'appel du pied pour que les Etats-Unis trouvent une façon de clarifier les choses, d'expliquer pourquoi ils ont pris cette décision.
Q - Sur la réunion six plus deux sur l'Afghanistan. Est-ce que la France y participe ?
R - Non, on n'est pas dans ce groupe, on ne peut pas être dans tous les groupes qui existent. Je cherche toujours la complémentarité, tout le monde ne peut pas être dans tout. Il ne faut pas avoir des revendications formalistes, uniquement pour des histoires d'apparence, cela n'a aucun intérêt. C'est un travail compliqué, il faut essayer de faire cela de la façon la plus utile, la plus concrète possible en répartissant les rôles dans certains cas.
Sur l'affaire d'Afghanistan, l'Afghanistan fait souvent partie de nos échanges bilatéraux avec d'autres, comme par exemple quand j'étais en Iran ou dans nos échanges avec les Pakistanais. Cet été j'ai demandé à un ambassadeur qui connaît bien ces problèmes et ces régions, Pierre Lafrance, d'aller dans trois pays qui ont des relations plus ou moins poussées avec les Talibans, même s'ils s'en défendent, pour leur dire : "faites attention, le régime des Talibans provoque des réactions d'horreur en France, on ne comprend pas très bien vos relations, cela va finir par ternir votre propre image". Il s'était rendu en Arabie, aux Emirats arabes unis et au Pakistan. Donc cela nous intéresse. Quand je vois Kofi Annan, on fait le point sur la situation, quand on rencontre les envoyés de Kofi Annan comme M. Brahimi, on parle du sujet : mais on n'a pas besoin de se mettre dans tous les groupes. Je serais très content que ce groupe avance. C'est un peu comme dans l'affaire de la République démocratique du Congo, ce n'est pas un problème purement afghan. Si on veut commencer à entrer dans le début d'un commencement d'apaisement, il faudrait déjà qu'il y ait une sorte d'accord des pays voisins pour cesser d'alimenter les luttes afghanes qui sont très anciennes, très traditionnelles, pour tenter de les calmer. Tout ce qui va dans ce sens est bon.
Q - Les Talibans occupent 95 % du pays...
R - 80 %, je crois. Cela dépend comment on calcule la superficie du Panchir.
Q - Il y a la question de leur siège aussi qui toujours occupé par Rabbani. Mais s'ils gagnent, s'ils occupent le territoire, qu'est-ce qu'on fait, on les reconnaît ou...
R - Cela ne me parait pas urgent.
Q - Vous voulez dire que militairement ce n'est pas immédiat.
R - La situation ne parait pas assez claire ou assez définitive pour que cela paraisse urgent de prendre une position. On peut donc rester dans la situation actuelle.
Q - C'est-à-dire ne pas les reconnaître.
R - Oui, je pense que ce problème n'est pas urgent.
Q - Qu'est-ce que vous attendez de la réunion ministérielle sur l'Afrique qui aura lieu jeudi. On a vu ce que cela a donné l'an dernier...
R - Ce n'est pas nous qui l'avions demandée l'an dernier, elle se reproduit par répétition. On peut répondre de plusieurs façons : on peut dire "réunion formelle", on n'en attend pas grand chose ; on peut dire aussi que cela ne fait pas de mal ; on peut même dire que c'est une occasion intéressante. On a suffisamment trouvé dans le passé que la diplomatie internationale ne s'intéressait pas assez à l'Afrique, que le Conseil de sécurité ne s'intéressait pas assez à l'Afrique, on a suffisamment dit cela pour ne pas négliger les occasions qui se présentent de parler de l'Afrique.
Donc là, je le prends comme cela. Cela se présente, pourquoi pas si cela permet de dire deux ou trois choses sur l'Afrique. Nous sommes bien placés sur beaucoup de plans pour dire que nous maintenons notre intérêt pour l'Afrique. En matière d'aide au développement, nous sommes bien placés ; en matière de combinaison de politique de commerce et de politique d'aide, nous sommes bien placés. Nous avons un rôle actif, comme vous le savez, sur le plan de l'Union européenne.
D'autre part, je crois que les événements des dernières semaines en Afrique, notamment dans l'Afrique des Grands lacs, ont énormément estompé le clivage qui existait l'an dernier. L'an dernier on avait l'impression qu'il y avait une vision française, archaïque, dépassée, et une vision américaine novatrice. Aujourd'hui ce climat n'existe plus. Tout le monde a à peu près des problèmes identiques par rapport à cette région ; cela peut favoriser une meilleure façon d'aborder les choses. Il y a eu d'autre part quelques progrès dans l'année écoulée. Il y a eu une nouvelle décision d'opération de maintien de la paix, ce qui n'avait pas eu lieu depuis le traumatisme de la Somalie. C'est une bonne occasion, il ne faut pas en attendre des merveilles. Mais si c'est traité sérieusement, c'est une occasion de maintenir un intérêt véritable.
Q - Vous allez continuer à pousser pour la Conférence dans la région des Grands lacs, parce qu'à la base c'était la France...
R - Oui, mais c'est la France qui avait repris une idée du Burundi. Cela reste une bonne idée. Malheureusement, il faut constater que cela reste une bonne idée parce que les problèmes ne sont toujours pas réglés. L'idée est très simple, ce n'est pas le problème d'un pays, ce n'est pas le problème de la République démocratique du Congo, c'est six ou sept pays qui règlent leurs problèmes sur le territoire de la République démocratique du Congo et les problèmes de ces pays aggravent ceux du Congo et ceux du Congo aggravent leurs problèmes. C'est pour cela que j'ai rappelé cette idée.
Il m'a paru évident qu'ils ne pouvaient pas trouver une solution concernant uniquement la République démocratique du Congo. Il faut qu'ils aillent vers une discussion régionale. Il est clair que l'Ouganda et le Rwanda ont une stratégie. D'autre pays ne veulent pas que la stratégie de l'Ouganda et du Rwanda permette à ceux-ci d'exercer une influence trop grande dans la région. Ils ont leur propres objectifs, chacun veut juguler la guérilla qui est gênante pour lui. Il faut qu'ils mettent cela ensemble.
On a donc rappelé cette idée. Quand on voit les initiatives des uns et des autres pour faire des réunions ou des approches régionales, on trouve cela plutôt positif. D'ailleurs nous n'avons jamais précisé ce que serait cette conférence, c'est simplement pour dire "vous ne trouverez une solution qu'ensemble". Si vous voulez des soutiens internationaux, dans le cadre de l'OUA, de l'ONU, d'autres pays, très bien mais au point de départ, pour qu'il y ait un processus qui commence à exister, il faut que ces six ou sept pays acceptent de se parler, cherchent une solution ensemble. Sinon par le biais des guérillas, de réfugiés, de frontières, de trafics de toutes sortes, ils ne s'en sortiront jamais.
Q - Les six ou sept pays paraissent impuissants à résoudre le problème. Les Etats-Unis parrainent l'Ouganda et le Rwanda. On ne sait pas trop qui parraine les Angolais. Les Sud-africains échouent lamentablement. Tout cela traîne, moyennant quoi on a une instabilité totale dans l'ancien Zaïre, une guérilla qui fait des victimes chaque jour et on a l'impression que personne n'y peut rien.
R - Parler en terme de parrains, cela me parait un peu dépassé. Cela fait très très longtemps que l'on dit qu'il faut que les Africains prennent leurs affaires en main.
Q - Le seul Africain qui pouvait, c'était Mandela et il s'est rendu compte qu'il avait une marge de manoeuvre assez limitée.
R - Vous voyez bien qu'aujourd'hui la stratégie de l'Angola, la stratégie du Zimbabwe, de la Namibie, n'est dictée par personne, la stratégie de l'Afrique du Sud non plus. On voit aussi que l'Afrique du Sud n'est pas le leader que l'on croyait. On a un peu transposé sur l'Afrique du Sud l'image fantastique et justifiée que nous avons de Mandela, mais on voit bien que l'Afrique du Sud n'est pas le pays qui peut commander d'un coup de sifflet les quinze pays du sud de l'Afrique. Bon alors l'Ouganda et le Rwanda, là il y a une implication américaine beaucoup plus nette ces dernières années, mais je ne crois pas du tout que ce soit le cas en ce moment. Cela parait clair. Il y a eu un engagement américain assez clair qui remonte à quelques années qui s'est appuyé sur l'Ouganda pour des raisons de lutte contre le Soudan et qui a duré quelques années et qui a connu son paroxysme avec le voyage de Clinton en Afrique ; mais dans les épisodes récents, je ne vois pas du tout qu'il y ait une ligne américaine là-dessus. Quant aux Européens, personne ne s'ingère, n'intervient dans tout cela. Donc il y a six, sept pays africains qui sont face à leurs responsabilités.
On ne peut pas, on ne va pas se réintégrer, on ne va pas réinventer une politique, non pas d'hier, mais d'avant-hier, et en même temps comme on ne peut pas se désintéresser de cette région, comme on ne peut pas de gaieté de coeur assister à cela sans réagir. Nous essayons de faire des suggestions utiles, c'est tout. Alors Mandela n'a pas réussi, vous êtes trop dur, les Sud-Africains ont tenté, ce n'est pas mal de tenter. Ils n'ont pas réussi tout de suite, d'accord, mais personne ne réussit tout de suite. Il y a une autre réunion, à Victoria Falls. C'est très bien, il faut qu'ils continuent, il faut toujours encourager toutes les initiatives, ne pas considérer que c'est définitif quand cela ne marche pas et faire confiance aussi à une sorte de sens africain de la discussion et de la négociation pour essayer de remonter la pente. Mais il est clair qu'un nouvel équilibre de forces est entrain de se dessiner.
Q - On a l'impression qu'on arrive à un état de fait qui ressemble à la Bosnie avec un gel et une espèce de dépeçage du pays, avec les Rwandais et les Ougandais tenant une partie, les Angolais tenant les zones pétrolières et un Zaïre qui n'existe plus et visiblement personne ne peut rien faire contre cela.
R - Je ne crois pas que l'on puisse comparer les deux. Je crois qu'il y a des problèmes totalement différents. Je crois que le seul point commun entre les deux, c'est qu'on n'est pas dans un monde idyllique et parfait. On n'est pas dans la fin de l'histoire, on n'est pas dans le nouvel ordre international, ni ces concepts qui ont montré leur caractère inexistant. On est dans un monde où la lutte continue, où la compétition continue, où les affrontements continuent, avec toutes sortes d'acteurs qui ont leurs propres visées. Bon voilà, l'histoire continue, c'est le seul point commun entre les deux. C'est le côté positif et c'est le côté tragique.
Que peut-il se produire ? Il peut se produire que durablement, jusqu'à ce qu'il y ait un leadership zaïrois fort, il y ait une influence énorme des pays voisins. Mais c'est à eux d'en décider. Il faut savoir ce que l'on veut. Est-on encore dans une époque où ces problèmes de l'Afrique étaient télécommandés, téléguidés et solutionnés par des parrains extérieurs. Non, on n'est plus dans cette époque-là. Donc ce sont ces pays qui sont responsables de ce qu'ils font de leur région. Ils veulent notre aide, on apporte de l'aide. On n'a pas de blocage, on s'est montrés toute l'année écoulée d'ailleurs très disponibles, même par rapport aux Rwandais, aux gens de Kinshasa : même quand on était pris à partie de façon extravagante, on est restés extrêmement calmes et on est toujours disponibles.
Mais on ne peut pas trouver à leur place des arrangements aussi compliqués que comment neutraliser des guérillas chez les voisins ? En échange de quoi ? Qu'ils tentent de réinsérer les réfugiés, on peut apporter de l'aide conceptuelle, des conseils politiques, on peut apporter de l'aide aux réfugiés. On peut faire des choses comme cela, on ne peut pas régler les problèmes à leur place, ce n'est pas possible. C'est comme en Bosnie, on ne peut pas voter à la place des Bosniaques.
Q - De toutes façons personne ne veut régler le problème à leur place, cela arrange tout le monde. L'ONU, l'OUA sont incapables de le faire et les parrains ne veulent plus non plus s'en occuper.
R - Il n'y a plus de parrains
Q - Economiquement il y a toujours des parrains, dès lors que l'on achète du pétrole.
R - Non ce n'est pas vrai car les gens qui achètent sont peut-être plus dépendants que les gens qui vendent. C'est une idée que le monde est gouverné par un groupe de puissances qui tiennent tout, ce n'est pas vrai. C'est une illusion dans les deux sens d'ailleurs. Certains pensent que c'est très choquant, d'autres pensent que cela reste vrai ou que les puissances pourraient faire cela si elles le voulaient. Il faut distinguer l'incapacité et le manque de volonté. Ce n'est pas le manque de volonté. C'est dans la réalité des choses, que ce soit les cinq membres permanents, les membres du G8, ou même les puissances régionales, dans le monde actuel, c'est un fait. Il faut le voir en face, sinon on parle de la planète Mars. Dans le monde actuel les différentes puissances ne peuvent pas imposer leur droit. Les Etats-Unis ne peuvent pas convaincre le gouvernement israélien de reprendre le processus de paix. Cela se constate. L'Afrique du Sud, même dirigée par Mandela, n'est pas en mesure de convaincre les pays autour d'appliquer son plan de paix. A fortiori les anciens pseudo-parrains très éloignés.
Quant aux mécanismes économiques, ils sont à double tranchant : personne ne peut les utiliser pour établir un lien, c'est clair. Et puis enfin si quelqu'un avait le pouvoir sur l'Afrique des Grands lacs, il ferait quoi ?
Il mettrait qui au pouvoir ? A quel endroit ? Comment réglerait-il le problèmes des Hutus et des Tutsis ? C'est un peu abrupt de dire cela, mais le pouvoir de régulation est un pouvoir limité. Il faut en faire le meilleur usage possible.
Q - Il faut commencer à faire des élections peut-être.
R - Les élections, on peut se poser la question. Il y a des situations dans lesquelles cela fige les affrontements, les exaspère. En Bosnie, par exemple, la guerre était inscrite sur la carte des élections de 1990. C'est pour cela qu'on peut plutôt parler d'Etat de droit en fait. Si l'on travaille sur l'Etat de droit, sur le code civil, sur le fonctionnement de la justice, sur une fiscalité équitable, sur une administration honnête, sur les fondements, là on est sûr qu'on est sur un terrain solide. On ne peut pas plaquer des élections sur n'importe quelle situation, ou alors, si on le fait, on ne peut pas attendre des miracles. C'est un sujet compliqué. Cela parait toujours très long et très lent, on voudrait toujours accélérer le processus.
Q - Sur la réunion du Groupe de contact sur le Kossovo.
R - On n'a pas de date fixée parce que cela achoppe sur des problèmes de calendrier. M. Kinkel a très peu de temps. Alors on est en train de regarder pour mardi ou mercredi, mais je ne sais pas. Les contacts sont très bons dans le Groupe de contact. L'information circule, les directeurs politiques ont continué à se voir, mais cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas réunis au niveau ministériel, donc cela serait bien de le faire.
Q - On a l'impression qu'il y a des tiraillements avec les Américains, les Russes.
R - Cela dépend sur quoi. Il n'y a pas de tiraillements sur la position de fond. Le statu quo est intolérable, il ne faut pas soutenir l'indépendance, il faut une autonomie substantielle, il n'y a pas de tiraillements sur les points clés.
Q - Le projet ici, c'est une résolution...
R - Non, c'est autre chose que le Groupe de contact. On travaille la résolution, à l'initiative de la France et de la Grande-Bretagne. Nous essayons de convaincre les Russes d'accepter une référence au chapitre sept et on essaie de convaincre les Américains qu'il faut accepter, conforter, rappeler l'autorité du Conseil de sécurité. Voila le travail du Conseil de sécurité classique, même s'il n'y avait pas l'Assemblée générale.
D'autre part, on profite du fait que nous sommes là pour essayer de faire le Groupe de contact parce que cela vaudrait le coup de faire le point sur beaucoup de choses au Kossovo. Et le sens de notre action n'a pas changé. Il faut faire pression, il faut arracher ce statut d'autonomie substantielle.
Un certain nombre d'idées ont circulé. Christopher Hill a utilisé de nombreuses réflexions antérieures au Groupe de contact, l'idée que nous avions avancée sur une solution en deux temps. On voit bien cependant qu'on n'a pas atteint un niveau de concentration de pression suffisant sur Milosevic et que notre pression de l'autre côté est insuffisante aussi. Nous parvenons à maintenir la position de Rugova, mais nous n'arrivons pas à contenir suffisamment les options des Albanais du Kossovo qui sont contre cette solution.
Q - L'UCK?
R - Oui, l'UCK, plus Berisha peut-être.
Q - Que vous a dit l'Albanais ?
R - Il m'a expliqué les événements des derniers jours. Il m'a dit que c'était une véritable tentative de coup d'Etat. Il m'a donné des détails extrêmement précis sur ce plan et il m'a dit que les autorités albanaises resteraient dans le cadre légal et vont tenir une position responsable sur l'affaire du Kossovo. Ils sont évidemment sentimentalement, affectivement, du côté des Kossovars, mais les Albanais ont du mérite. Ils sont dans une position fragile, difficile. Ils ne jettent pas d'huile sur le feu. Je parle bien des autorités légales. Donc ils méritent d'être aidés sur ce plan. Si on trouvait une solution au Kossovo, cela calmerait bien les choses en Albanie.
Q - On a l'impression malheureusement qu'à chaque fois que les choses ont progressé, il y a un grand retour en arrière.
R - Chaque fois qu'on est dans un processus de paix, chaque fois qu'on progresse, il y a des forces qui sont hostiles au processus en question et qui essaient de casser.
Q - Sur une reconnaissance éventuelle des Talibans, pourriez-vous préciser vos propos?
R - Je veux dire que si certains disent que la question se pose, on leur dira que non, pas encore. Je ne le dis pas du tout dans un esprit de complaisance par rapport aux Talibans, vous m'avez compris ? Je dis cela pour repousser la question.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2001)