Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement républicain et citoyen, sur les conséquences de la situation de crise internationale engendrée par la menace américaine de guerre en Irak, au niveau européen comme français, notamment la crainte de la montée des communautarismes, et sur la fracture idéologique européenne, Strasbourg le 14 mars 2003.

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Circonstance : Réunion publique à Strasbourg le 14 mars 2003

Texte intégral

Chers Amis,
Le 29 janvier 1991, Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de la défense, annonçait son départ du Gouvernement. Depuis quelques jours déjà, des avions français participaient aux bombardements sur l'Irak. La première guerre du Golfe était engagée.
Jusqu'au dernier moment, bien que sans grande illusion, Jean-Pierre Chevènement avait espéré que l'intelligence l'emporterait sur une volonté de domination à courte vue. Le 2 août 1990, l'Irak avait sans préavis envahi le Koweït, en prétendant l'annexer. Il fallait évidemment que les forces de Bagdad évacuent l'émirat. Une négociation au sein de la ligue arabe aurait pu régler le problème. Mais, les Etats-Unis voulaient la guerre. En tout état de cause, selon l'expression de leur président d'alors, Georges Bush père, les Etats-Unis voulaient instaurer " un nouvel ordre mondial ", dont ils auraient été naturellement les garants.
Douze ans et un cruel embargo plus tard, les raisons qui ont conduit Jean-Pierre Chevènement à cette démission se sont malheureusement révélées exactes. La fracture entre l'occident et le monde arabo-musulman n'a fait que s'accentuer. L'Algérie a connu une guerre civile épouvantable, dont elle n'est pas encore vraiment sortie. Je ne dirai rien de l'Afghanistan, qui est toujours loin de connaître une situation de paix. Le Pakistan est plus que jamais fragilisé par des troubles dont l'issue pourrait s'avérer dramatique. Même dans la Turquie pourtant laïque, des islamistes dits modérés viennent d'emporter les élections législatives. Enfin, un peu partout, s'est développé le terrorisme islamiste. Soyons sûr que l'inexcusable tragédie du 11 septembre a trouvé son terreau dans cette première guerre du Golfe, dans cette humiliation subie et ressentie par nombre d'arabes.
Aux Etats-Unis, le fils a succédé au père, mais plus personne ne parle de nouvel ordre mondial. En revanche, la volonté de domination reste intacte bien que, paradoxalement, on assiste à un début de crise de l'hégémonie américaine. Le pays vit à crédit. Sa dette colossale se monte à quelques six mille cinq cent milliards de dollars. Elle déséquilibre l'économie mondiale. Elle attire vers le nord les flux financiers des pays du sud, au détriment de leur propre développement. En même temps, aux Etats-Unis même, la confiance des marchés est ébranlée. L'affaire Enron, suivie de quelques autres, a montré les failles béantes du système. De ce fait, la croissance est en panne, avec les répercussions que l'on connaît en Europe, les gouvernements, paralysés par l'orthodoxie financière, étant devenu incapable de prendre les initiatives appropriées.
La situation actuelle ne peut que susciter l'inquiétude. Les USA, hyper puissance sont touchés mais ils ont encore des réserves. Car, profitant de leur statut politique et financier, les Etats-Unis ont pris une avance considérable dans la recherche scientifique. Elle continue à s'accroître. Grâce à leur technologie, ils sont surarmés. Enfin, l'intégrisme protestant, qui n'a rien à envier à d'autres intégrismes religieux, accroît sans cesse son influence dans le pays, y compris au sommet de l'Etat. Une partie non négligeable de l'opinion publique américaine croit en la mission mystique des Etats-Unis pour combattre l'axe du mal.
Dans ces conditions, la position de la France contre la guerre à tout prix en Irak est non seulement juste, mais aussi courageuse. D'ailleurs, nous voyons bien qu'une partie de la droite rechigne à suivre Jacques Chirac. Pour notre part, nous ne pouvons que le soutenir, en l'invitant à aller jusqu'au bout, jusqu'à l'exercice du droit de veto. Nous pensons seulement que l'autorisation de survol du territoire national par l'aviation américaine ne s'imposait pas. En revanche, si un autre candidat, en dehors de Jean-Pierre Chevènement, avait été élu au printemps dernier à la présidence de la République, on peut s'interroger pour savoir qu'elle aurait été alors l'attitude de la France. A coup sûr, on aurait cherché un compromis européen qui, de fait, nous aurait plus ou moins placés dans le sillage américain. Il n'est même pas à exclure d'ailleurs que nous serions alors entrés dans " la logique de guerre ", comme lors de la première guerre du Golfe.
Cette crise pose avec acuité le problème de l'Europe de la défense, dont Jacques Chirac nous a encore vanté les avancées récemment. Il y a quelques mois, Paul Quilès, ancien Ministre de la défense, proposait la construction d'un porte-avions franco-britannique. Le navire appartiendrait en commun et à parité aux deux pays. Mais, aujourd'hui, s'il existait où serait-il ? Dans le Golfe avec les britanniques ou effectuant des exercices avec les français ? Il faut être sérieux. Il ne peut y avoir de défense commune sans diplomatie commune. Il ne peut y avoir de diplomatie commune sans intérêts nationaux légitimes communs. Aujourd'hui, parler de défense commune, d'une diplomatie unique relève du surréalisme. Cela n'a pas de sens.
On sent bien que cette crise internationale a des effets pervers en France même. L'affaiblissement de la République s'est notamment traduit par la montée des communautarismes. Certains veulent répercuter sur le territoire national le conflit israëlo-palestinien. Ils croient que les menaces sur l'Irak légitiment en plus leur attitude. Sous toutes les formes et quel qu'en soit le prétexte, l'antisémitisme est injustifiable. Mais, ne nous arrêtons pas aux seules apparences, aussi odieuses soient-elles. Ces comportements ne sont pas la cristallisation des difficultés rencontrées par l'intégration. Il en existe d'autres qui doivent aussi être combattues. Le racisme, le sexisme dont sont victimes les filles d'un grand nombre de cités est inadmissible. Il est à espérer que la marche parfois difficile, il faut le dire, de celles qui refusent l'alternative " putes ou soumises ", porte ses fruits. Mais, là encore, l'ennemi est l'intégrisme religieux. Seule la laïcité, c'est à dire la stricte séparation entre l'espace du débat public et la sphère de la vie privée, peut apporter une solution satisfaisante pour chacun. Les principes de la laïcité doivent être respectés partout, mais d'abord à l'école, sans une quelconque complaisance qui est toujours coupable. Et c'est pourquoi à mon sens, il faut légiférer pour éviter une remise en cause de la laïcité en refusant la présence de signes ostentatoires portés par les élèves. Ce qui se passe dans un établissement scolaire de la région lyonnaise appelle une clarification rapide. De même tous les élèves doivent suivre tous les cours dans toutes les disciplines.
Mais, bien évidemment, la laïcité ne réglera pas à elle seule les problèmes du au communautarisme. Sans le retour à l'emploi, la République continuera à se déliter. Depuis très exactement vingt ans, depuis mars 1983, la France a ouvert une parenthèse libérale, selon l'expression employée à l'époque par Lionel Jospin et Pierre Mauroy. Elle ne l'a pas refermée depuis. Au contraire, sous la pression d'une construction européenne dominée par l'idéologie la plus libérale qui soit, la France livre son économie à la main invisible du marché. Et cette main est lourde pour les travailleurs. Elle se traduit par le chômage et la régression sociale. Aujourd'hui, le taux de chômage est de 8,6 % dans les douze pays de la zone euro, doit douze millions de chômeurs. La situation ne va pas s'arranger, puisque le taux de croissance prévu au premier trimestre de 2003 est de 0,2 %. D'ailleurs, chaque jour, on nous annonce des plans de licenciements massifs. La France se désindustrialise et s'appauvrit à terme. C'est le règne de la dictature des actionnaires installés par la globalisation financière.
Toujours sous la pression de Bruxelles, on démantèle et on brade nos services publics, qui étaient et qui sont encore pour une part les fleurons de notre économie nationale. On prive l'Etat des moyens qui lui permettaient d'intervenir efficacement dans le champ économique pour l'impulser et pour l'entraîner. La puissance publique est limitée à une bureaucratie réglementariste intarissable. Loin d'être efficace, cette politique se traduit par des catastrophes financières, dont témoigne abondamment France Telecom. D'ailleurs, de Vivendi à Alstom, on peut s'interroger sur la supériorité attribuée au privé par les idéologues libéraux.
Cette politique désastreuse a été approuvée d'un commun accord, il y a un an, au sommet européen de Barcelone, par Jacques Chirac et Lionel Jospin. Par sa politique de droite, le gouvernement Raffarin accentue encore les méfaits de ces orientations. Sous couvert de réforme de l'Etat, il prépare une véritable déconstruction de la république. On peut même craindre que, comme dans les pays anglo-saxons, se prépare une privatisation de certaines fonctions régaliennes. La décentralisation désordonnée, à laquelle nous assistons, en donne un avant goût. C'est le processus de Matignon, concernant la Corse, initié par Lionel Jospin, étendu à toutes les régions : C'est la Corse puissance 26. Regardez le résultat, malgré toutes ces concessions accordées aux ethnicistes, les attentats ne cessent pas en Corse.
Il faut restaurer l'autorité de l'Etat dans tous les domaines. Dans une démocratie, l'autorité de l'Etat est l'expression du suffrage universel. L'Etat doit échapper à la dictature de l'actionnariat. La régulation par les dividendes escomptées livre le pays à la myopie du court terme. L'avenir se prépare, certes avec souplesse, mais aussi avec détermination. Il faut une politique industrielle et sociale. Il faut investir dans la recherche, il y a désormais urgence en France. Il faut aussi une prospective intelligente sur les retraites. La capitalisation est un leurre pour spéculateurs. La répartition est la seule solution sérieuse.
L'actuelle crise internationale montre une fracture en Europe de l'Ouest, non pas entre les peuples, mais entre les gouvernements. Les peuples de l'Europe de l'Est vivent encore trop dans le rêve américain et dans l'illusion du gentil oncle Sam. Cette fracture est d'abord diplomatique, mais elle a aussi bien d'autres aspects. L'axe franco-allemand n'est pas seulement circonstanciel. Quarante ans après le traité de l'Elysée, il a toujours des racines bien plus profondes. Ce n'est pas un hasard si les deux pays ont un problème avec le respect du pacte de stabilité budgétaire. Ce n'est pas un hasard si dans les deux pays les syndicats mobilisent pour la défense d'une protection sociale, que la Grande Bretagne a déjà bien réduite. Ce n'est pas un hasard si les deux pays regardent ensemble vers la Russie, dont la stabilité à long terme est la première condition de notre sécurité commune. Bien sûr, nous avons encore des divergences. L'Allemagne est toujours attirée par la Mittel Europa, la France a ses tropismes vers le sud. La coopération n'est pas la fusion.
Cette fracture européenne est en fait une crise de l'Europe américaine. L'enjeu est désormais pour nous de savoir en tirer toutes les conséquences.
(Source http://mrc-france.org, le 9 avril 2003)