Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur la réforme des soins en milieu pénitentiaire, Paris le 22 mars 1994.

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Mesdames, Messieurs,
Par le vote de la loi du 18 janvier 1994, la réforme fondamentale des soins en milieu pénitentiaire vient d'être instituée par le parlement.
Cette réforme s'imposait non seulement en tant que volet de la politique de santé publique du Gouvernement mais aussi comme une mesure de justice : vous savez tous ici que la situation de la santé dans les prisons était devenue très critique.
Les soins dans les prisons françaises ont certes connu des évolutions notables depuis 10 ans. Le transfert du contrôle de leur exercice par l'IGAS, puis par les médecins départementaux depuis 1983 et 1984, la création de l'hôpital de Fresnes en 1984, puis des secteurs de psychiatrie et des antennes de lutte contre la toxicomanie en 1986, l'intervention des équipes médicales dans les établissements du "programme 13000" en 1990 et les conventions expérimentales passées avec 3 établissements publics de santé en 1992 ont constitué autant d'étapes d'un progrès qu'il est juste de souligner.
Les efforts quotidiens, la compétence, la persévérance des médecins, des équipes infirmières pénitentiaires et de la Croix Rouge Française méritent ici d'être soulignés. Dans un contexte difficile et avec des moyens limités, ces équipes ont répondu, avec un dévouement exemplaire et discret, aux besoins de santé d'une population particulièrement exposée.
Je veux aujourd'hui leur rendre un hommage public d'estime pour leurs mérites et de gratitude pour leur dévouement : c'est grâce à eux, professionnels de santé ou collaborateurs pénitentiaires, grâce aux exigences qu'ils n'ont cessé de formuler, avec patience et obstination, que cette réforme a pu être réalisée.
C'est avec eux qu'elle doit être mise en uvre et réussir : ils ont, dans le nouveau dispositif, une place essentielle à tenir pour assurer le succès de cette entreprise.
Étape essentielle dans une histoire faite d'avancées et de progrès successifs, cette réforme constitue aussi une mutation fondamentale car elle rompt délibérément avec des aménagements devenus obsolètes et qui faisaient porter à l'administration pénitentiaire une responsabilité qui ne lui incombait pas.
Réforme originale et unique au monde que, me dit-on, les étrangers commencent à qualifier de "modèle français" dans les colloques internationaux sur le thème de la santé en prison.
Cette réforme réunit dans un projet commun deux services publics, chargés tous les deux, au fond, d'une mission de "réhabilitation" de personnes momentanément à l'écart de la société active et de leur milieu de vie naturel.
La Prison s'est déjà beaucoup ouverte sur l'extérieur ces dernières années : pour qu'elle soit en mesure d'accomplir sa mission de réinsertion, l'Etat - mais aussi les collectivités locales, les associations - interviennent entre ses murs pour y assurer les prestations relevant de leurs compétences mais aussi pour préparer le retour des détenus en milieu libre.
Qui mieux que l'hôpital public peut garantir la qualité des soins et le respect du droit à la santé ? Les missions de ces deux services publics - l'hôpital et la prison - sont complémentaires : soigner c'est déjà réinsérer en créant les conditions nécessaires à un équilibre de vie personnelle et sociale. Dans les deux cas, c'est aider la personne à se mobiliser sur un projet de vie.
C'est d'ailleurs animé de cet esprit de service du bien commun que le Haut Comité de Santé Publique a mené la réflexion ayant abouti aux propositions qui ont largement inspiré les parlementaires lors du vote de la loi du 18 janvier à une très forte majorité.
L'outil est créé, désormais il faut s'en servir, bien et vite.
Bien, car le constat de carence établi tant par les missions de l'Inspection générale des affaires sociales que par le Haut Comité de Santé Public est grave : les moyens mis en oeuvre jusqu'à présent n'étaient pas, loin s'en faut, à la mesure des besoins.
Vite, car les progrès constatés de la maladie, des épidémies, comme l'émergence de nouvelles pathologies est alarmant.
Aux besoins connus de santé dus le plus souvent à des habitudes de vie ou d'hygiène déplorables, s'ajoutent d'autres désordres somatiques ou psychiatriques qui aggravent les déséquilibres de la vie en détention. Lorsque aux risques d'épidémies, aux peurs de contamination du sida, de la tuberculose ou de l'hépatite s'ajoutent les troubles du comportement des malades psychiatriques ou des délinquants sexuels, ce ne sont pas seulement les individus qui sont atteints dans leur vie personnelle mais la vie quotidienne des établissements pénitentiaires qui est déstabilisée. Ce qui aggrave encore les conditions de la détention aussi bien pour ceux qui sont incarcérés que pour les personnels, auxquels l'absence de soins aux détenus fait courir des risques. A cet égard, vous savez que j'ai mis en place une commission, présidée par un professeur de droit, Madame Cartier, pour faire des propositions concernant les modalités de prise en charge des condamnés longues peines, et en particulier ceux ayant commis des infractions de nature sexuelle : les aménagements qui vont être apportés aux établissements pour peines dans le cadre de la réforme que vous allez maintenant mettre en uvre seront à cet égard déterminant pour définir les réponses à la question des soins dont ces condamnés justifient et contribuer ainsi à diminuer les risques de récidive.
(Ces perspectives s'inscriront également dans l'ensemble des mesures et des moyens que je m'efforce d'obtenir à l'occasion du plan pluriannuel justice dont vous savez qu'il fait actuellement l'objet de négociations interministérielles)
Cette réforme n'est pas seulement l'aboutissement des efforts convergents réalisés depuis plusieurs années par tous ceux qui en ont été les inspirateurs et les acteurs.
Elle constitue les bases sur lesquelles vous allez ensemble concevoir, organiser des réponses nouvelles à un enjeu fondamental en termes de droits de l'homme : les questions de santé ont pris une importance considérable dans les politiques publiques et vous avez maintenant en charge ensemble la définition conjointe mais qui appelle d'autres démarches, d'autres efforts, les réponses nouvelles à imaginer à l'égard de ce public particulier dont on n'oublie trop souvent que pour son immense majorité il ne fait que passer en prison.
Le défi est considérable.
Mesdames et Messieurs, professionnels des institutions sanitaires et pénitentiaires, il vous appartient maintenant de mettre tout le poids de votre compétence, de votre énergie mais aussi de votre conviction pour remplir parfaitement cette mission d'un authentique service public.