Texte intégral
Gilles Bridier.- Jacques Chirac, le 15 avril dernier, a déclaré que "la réorganisation du secteur spatial européen est nécessaire". Il a insisté aussi sur "l'autonomie de l'Europe" dans ce "secteur stratégique". Qu'est-ce que cela implique en termes de répartition des pouvoirs pour les pays européens au sein de l'Agence spatiale européenne (ESA) ?
Claudie Haigneré. - Avant tout, pour mener une politique spatiale, il faut avoir accès à l'espace. C'est une ambition européenne. Or l'espace en Europe traverse une crise technique, institutionnelle, organisationnelle et financière. L'ambition européenne dans ce domaine est en train de se construire, car les politiques de sécurité et de défense sont interconnectées. L'autonomie implique de disposer des capacités techniques pour construire des satellites et un lanceur, et pour les exploiter. Dans le secteur des lanceurs, nous avons constaté que l'organisation n'était pas optimale. Globalement, la réorganisation du secteur est, en toute logique, nécessaire. L'outil spatial doit être à la disposition de l'ensemble des citoyens européens. Ce qui représente pour nous un élargissement de ce qui constitue l'Agence spatiale européenne.
Nous profitons de l'opportunité que nous offrent les travaux de la Convention européenne pour proposer l'inscription d'une compétence spatiale dans le futur traité de l'Union européenne. La France soutient la compétence partagée. Par ailleurs, une contribution financière au niveau de l'Union européenne doit être considérée. C'est déjà le cas, par exemple, pour le programme de navigation par satellite Galileo, dont la moitié du financement est pris en charge par l'Agence spatiale européenne, l'autre moitié par l'Union européenne.
Gilles Bridier.- Quel est le partage des responsabilités entre les Etats et les instances de l'Union européenne ?
Claudie Haigneré.- Il y a des discussions depuis au moins deux ans entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne. Un livre vert vient d'être diffusé par la Commission européenne, qui pose l'ensemble de ces questions relatives à l'évolution du secteur spatial. On est également dans la préparation d'un accord-cadre entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne sur la répartition des rôles et des modes de fonctionnement. Nous essaierons, lors de la réunion ministérielle de l'ESA du 27 mai, d'avancer constructivement.
Gilles Bridier.- La France a toujours joué un rôle moteur dans la politique spatiale européenne. Quel sera-t-il dans l'avenir ?
Claudie Haigneré.- Ce que la France a présenté dans sa politique, c'est un engagement fort sur un accès autonome à l'espace avec un lanceur stabilisé techniquement et viable économiquement. Cet engagement pour l'espace est illustré par l'établissement d'un budget consolidé jusqu'en 2009. Les autres Etats membres doivent aussi prendre position. La première étape consiste à se mobiliser pour cette filière lanceur. Car, sans lanceur, il n'y a pas d'Europe spatiale. Ceci implique un engagement parallèle des industriels sur la possibilité de réaliser techniquement, dans les enveloppes financières définies, la remise en vol d'Ariane V à 10 tonnes. La deuxième étape est que cette remise en vol du lanceur permette une utilisation économiquement équilibrée du secteur. Le lanceur Ariane V, dans sa configuration de base, est un peu limité en puissance. Les propositions de programme pour soutenir Ariane sont discutées au sein de l'Agence spatiale européenne, la France étant un des Etats membres dont la voix est particulièrement écoutée. Nous souhaitons globalement améliorer les relations entre institutions et industriels, en responsabilisant chacun des acteurs.
Gilles Bridier.- Que pense-t-on au gouvernement de la demande de recapitalisation d'Arianespace de 1 milliard d'euros ?
Claudie Haigneré.- La recapitalisation d'Arianespace est nécessaire légalement. Sur le montant, il y a encore des éléments de négociation. Au moment de cette recapitalisation, on peut imaginer une modification de l'actionnariat et des activités d'Arianespace. La discussion est en cours et la décision finale aura une influence sur le rôle de chacun des participants.
Gilles Bridier.- Arianespace peut revendiquer aujourd'hui environ 60 % du marché des lancements commerciaux. Comment conserver cette position ?
Claudie Haigneré.- D'abord, il faut un lanceur qui réponde aux besoins du carnet de commandes. Dans un premier temps, ce sera une Ariane V générique ou quelque peu modifiée jusqu'à ce qu'on revienne à la version à dix tonnes qui est notre cheval de bataille. Ensuite, il faut aboutir à une exploitation économique équilibrée, ce qui passe par un soutien institutionnel à ces infrastructures stratégiques. Ce soutien existe aux Etats-Unis, d'une plus grande ampleur qu'au niveau européen. Depuis cinq ans, le rapport est en moyenne de 1 à 25 entre les budgets d'équipement militaire consacrés au secteur spatial (en incluant la défense antimissile) en Europe et aux Etats-Unis. Dans les télécommunications, ce rapport est de 1 à 8.
Gilles Bridier.- La réorganisation de l'Agence spatiale européenne implique-t-elle de nouvelles relations entre l'Agence européenne et les agences nationales ?
Claudie Haigneré.- Oui, c'est un élément de la discussion. L'objectif, dans une logique d'optimisation, n'est pas de dupliquer des centres et des compétences techniques dans plusieurs pays européens. Nous sommes donc obligés de réfléchir : quelles compétences à quel endroit, quel type de mission pour quel centre ? Cette réflexion est l'une des missions confiée au CNES. Ce qui est en soi révélateur des compétences bien spécifiques à la France dans le cadre d'un réseau européen de centres techniques.
Gilles Bridier.- Pour relancer la mobilisation internationale, faut-il passer à un nouveau projet et franchir une nouvelle étape de la conquête spatiale ?
Claudie Haigneré.- Le troisième élément de la conférence ministérielle du mois de mai est la Station spatiale internationale. L'engagement international était de réaliser un laboratoire scientifique permettant de travailler dans des conditions d'utilisation scientifique optimales. Nous sommes en attente d'informations après l'accident de la navette Columbia sur la reprise des vols et les modalités d'occupation de l'ISS. Il est vrai que le calendrier d'exploitation optimale de cette Station spatiale internationale dépend d'elles. Nous adoptons une attitude d'attente et de prudence.
L'Europe est mobilisée, l'ESA a maintenu deux vols d'astronautes européens sur le système russe. C'est-à-dire qu'elle paie un ticket de vol d'une partie des dessertes Soyouz. L'entrée en service de l'ATV - vaisseau automatique européen - apportera une autre option pour la desserte de la station, l'approvisionnement en carburant et le transport de fret de manière générale. L'activité doit dépasser les seules activités de maintenance. Dès le départ, la station est un laboratoire scientifique, un laboratoire d'exploration pour préparer les étapes suivantes avec, comme cible, Mars. Cet objectif dans l'exploration planétaire, qui intègre l'homme, sera un programme international. Peut-être pour l'horizon 2020-2030.
Gilles Bridier.- Comment évolue le partenariat avec la Russie ?
Claudie Haigneré.- Ce partenariat avec la Russie est stratégique, dans le domaine de la propulsion et plus généralement dans le domaine technique. A ce titre, il est important de le poursuivre. C'est une position française mais largement partagée en Europe. Ce sera aussi l'un des éléments de la discussion de la conférence ministérielle du mois de mai. Ce partenariat comprend, par exemple, l'implantation des lanceurs Soyouz russes sur le centre spatial guyanais de Kourou. La France y est favorable, mais la décision qui sera prise à l'issue de la discussion sera européenne.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mai 2003)
Claudie Haigneré. - Avant tout, pour mener une politique spatiale, il faut avoir accès à l'espace. C'est une ambition européenne. Or l'espace en Europe traverse une crise technique, institutionnelle, organisationnelle et financière. L'ambition européenne dans ce domaine est en train de se construire, car les politiques de sécurité et de défense sont interconnectées. L'autonomie implique de disposer des capacités techniques pour construire des satellites et un lanceur, et pour les exploiter. Dans le secteur des lanceurs, nous avons constaté que l'organisation n'était pas optimale. Globalement, la réorganisation du secteur est, en toute logique, nécessaire. L'outil spatial doit être à la disposition de l'ensemble des citoyens européens. Ce qui représente pour nous un élargissement de ce qui constitue l'Agence spatiale européenne.
Nous profitons de l'opportunité que nous offrent les travaux de la Convention européenne pour proposer l'inscription d'une compétence spatiale dans le futur traité de l'Union européenne. La France soutient la compétence partagée. Par ailleurs, une contribution financière au niveau de l'Union européenne doit être considérée. C'est déjà le cas, par exemple, pour le programme de navigation par satellite Galileo, dont la moitié du financement est pris en charge par l'Agence spatiale européenne, l'autre moitié par l'Union européenne.
Gilles Bridier.- Quel est le partage des responsabilités entre les Etats et les instances de l'Union européenne ?
Claudie Haigneré.- Il y a des discussions depuis au moins deux ans entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne. Un livre vert vient d'être diffusé par la Commission européenne, qui pose l'ensemble de ces questions relatives à l'évolution du secteur spatial. On est également dans la préparation d'un accord-cadre entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne sur la répartition des rôles et des modes de fonctionnement. Nous essaierons, lors de la réunion ministérielle de l'ESA du 27 mai, d'avancer constructivement.
Gilles Bridier.- La France a toujours joué un rôle moteur dans la politique spatiale européenne. Quel sera-t-il dans l'avenir ?
Claudie Haigneré.- Ce que la France a présenté dans sa politique, c'est un engagement fort sur un accès autonome à l'espace avec un lanceur stabilisé techniquement et viable économiquement. Cet engagement pour l'espace est illustré par l'établissement d'un budget consolidé jusqu'en 2009. Les autres Etats membres doivent aussi prendre position. La première étape consiste à se mobiliser pour cette filière lanceur. Car, sans lanceur, il n'y a pas d'Europe spatiale. Ceci implique un engagement parallèle des industriels sur la possibilité de réaliser techniquement, dans les enveloppes financières définies, la remise en vol d'Ariane V à 10 tonnes. La deuxième étape est que cette remise en vol du lanceur permette une utilisation économiquement équilibrée du secteur. Le lanceur Ariane V, dans sa configuration de base, est un peu limité en puissance. Les propositions de programme pour soutenir Ariane sont discutées au sein de l'Agence spatiale européenne, la France étant un des Etats membres dont la voix est particulièrement écoutée. Nous souhaitons globalement améliorer les relations entre institutions et industriels, en responsabilisant chacun des acteurs.
Gilles Bridier.- Que pense-t-on au gouvernement de la demande de recapitalisation d'Arianespace de 1 milliard d'euros ?
Claudie Haigneré.- La recapitalisation d'Arianespace est nécessaire légalement. Sur le montant, il y a encore des éléments de négociation. Au moment de cette recapitalisation, on peut imaginer une modification de l'actionnariat et des activités d'Arianespace. La discussion est en cours et la décision finale aura une influence sur le rôle de chacun des participants.
Gilles Bridier.- Arianespace peut revendiquer aujourd'hui environ 60 % du marché des lancements commerciaux. Comment conserver cette position ?
Claudie Haigneré.- D'abord, il faut un lanceur qui réponde aux besoins du carnet de commandes. Dans un premier temps, ce sera une Ariane V générique ou quelque peu modifiée jusqu'à ce qu'on revienne à la version à dix tonnes qui est notre cheval de bataille. Ensuite, il faut aboutir à une exploitation économique équilibrée, ce qui passe par un soutien institutionnel à ces infrastructures stratégiques. Ce soutien existe aux Etats-Unis, d'une plus grande ampleur qu'au niveau européen. Depuis cinq ans, le rapport est en moyenne de 1 à 25 entre les budgets d'équipement militaire consacrés au secteur spatial (en incluant la défense antimissile) en Europe et aux Etats-Unis. Dans les télécommunications, ce rapport est de 1 à 8.
Gilles Bridier.- La réorganisation de l'Agence spatiale européenne implique-t-elle de nouvelles relations entre l'Agence européenne et les agences nationales ?
Claudie Haigneré.- Oui, c'est un élément de la discussion. L'objectif, dans une logique d'optimisation, n'est pas de dupliquer des centres et des compétences techniques dans plusieurs pays européens. Nous sommes donc obligés de réfléchir : quelles compétences à quel endroit, quel type de mission pour quel centre ? Cette réflexion est l'une des missions confiée au CNES. Ce qui est en soi révélateur des compétences bien spécifiques à la France dans le cadre d'un réseau européen de centres techniques.
Gilles Bridier.- Pour relancer la mobilisation internationale, faut-il passer à un nouveau projet et franchir une nouvelle étape de la conquête spatiale ?
Claudie Haigneré.- Le troisième élément de la conférence ministérielle du mois de mai est la Station spatiale internationale. L'engagement international était de réaliser un laboratoire scientifique permettant de travailler dans des conditions d'utilisation scientifique optimales. Nous sommes en attente d'informations après l'accident de la navette Columbia sur la reprise des vols et les modalités d'occupation de l'ISS. Il est vrai que le calendrier d'exploitation optimale de cette Station spatiale internationale dépend d'elles. Nous adoptons une attitude d'attente et de prudence.
L'Europe est mobilisée, l'ESA a maintenu deux vols d'astronautes européens sur le système russe. C'est-à-dire qu'elle paie un ticket de vol d'une partie des dessertes Soyouz. L'entrée en service de l'ATV - vaisseau automatique européen - apportera une autre option pour la desserte de la station, l'approvisionnement en carburant et le transport de fret de manière générale. L'activité doit dépasser les seules activités de maintenance. Dès le départ, la station est un laboratoire scientifique, un laboratoire d'exploration pour préparer les étapes suivantes avec, comme cible, Mars. Cet objectif dans l'exploration planétaire, qui intègre l'homme, sera un programme international. Peut-être pour l'horizon 2020-2030.
Gilles Bridier.- Comment évolue le partenariat avec la Russie ?
Claudie Haigneré.- Ce partenariat avec la Russie est stratégique, dans le domaine de la propulsion et plus généralement dans le domaine technique. A ce titre, il est important de le poursuivre. C'est une position française mais largement partagée en Europe. Ce sera aussi l'un des éléments de la discussion de la conférence ministérielle du mois de mai. Ce partenariat comprend, par exemple, l'implantation des lanceurs Soyouz russes sur le centre spatial guyanais de Kourou. La France y est favorable, mais la décision qui sera prise à l'issue de la discussion sera européenne.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mai 2003)