Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 26 juin 2003, sur la réforme de la PAC, la nécessité d'une plus grande rigueur dans le budget de l'Etat, le référendum en Corse et l'emprisonnement de José Bové.

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Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. A Luxembourg, il y a de la fumée blanche, ce matin, à l'aube : les ministres de l'Agriculture des Quinze viennent de se mettre d'accord pour réformer la PAC, "radicalement", disent-ils. Qu'en pensez-vous ?
- "L'accord est sans doute une bonne nouvelle, mais il y a une inquiétude très profonde que je partage, c'est celle de la séparation, pour les agriculteurs, entre le revenu qu'ils toucheront de leur travail et le revenu qu'ils touchent des aides. Si l'essentiel de leurs revenus est fait à partir des aides, c'est-à-dire à partir du chèque du contribuable, des impôts, c'est un facteur de démoralisation profonde de ce métier et de ce milieu. Et vraiment, tout ce qui va dans le sens de séparer le revenu du travail et les aides est inquiétant."
Mais est-ce que la PAC, telle qu'elle était, pouvait continuer ?
- "Non, elle ne pouvait pas continuer. A mes yeux, elle avait été mal orientée en 1992. Cela fait dix ans qu'on était dans ce système absurde, où le revenu des agriculteurs ne venait non pas de leurs produits, qu'ils vendent à perte, mais du chèque qu'on leur fait pour des aides. Et ce n'est pas un bon système... Il fallait la changer. Fallait-il la changer dans ce sens ? J'attends de voir le texte pour avoir un jugement approfondi."
Autrement dit, même si on aime nos agriculteurs, il fallait peut-être concéder, faire évoluer l'agriculture française ?
- "En tout cas, la PAC décidée en 1992 n'allait pas dans le bon sens."
On connaîtra l'accord dans le détail, mais l'idée est effectivement de couper largement, à partir de 2005...
- "C'est donc très près."
Avec, pour la France, une transition jusqu'en 2007, si elle veut la transition... Quand on lit la presse, ce matin, c'est l'alerte rouge : MM. Raffarin, Lambert, Mer parlent économie, lors du débat d'orientation budgétaire 2004, qui a lieu aujourd'hui à l'Assemblée. Faible croissance, sombres perspectives, prévision d'un déficit pour 2002 de près de 50 milliards d'euros... Partagez-vous cette inquiétude ?
- "On est dans une situation très noire, les finances publiques de la France sont dans un état catastrophique et il faut qu'on ait, en face de cette situation, une attitude courageuse."
Est-ce que cela veut dire que l'on va, en le disant ou sans le dire, vers l'austérité, la rigueur, plus de gestion rigoureuse ?
- "En tout cas, je n'ai jamais compris pourquoi, en France, le mot "rigueur" était devenu un gros mot ! Parce que la rigueur, c'est ce que chacun essaie de faire, aussi bien dans l'éducation de ses enfants que dans la gestion de son budget. Il va falloir que l'on fasse des affaires sérieuses. On parle de 4 % de déficit. A l'oreille, 4 % de déficit, ce n'est pas beaucoup. Mais c'est 4 % de tout ce que produit la France en une année, c'est-à-dire des sommes qui, en réalité, représentent 20 % du déficit de l'Etat. Et nous dépensons, chaque année, près de 20 % de plus qu'il ne rentre dans les caisses de l'Etat. Cela veut dire que nous creusons un trou et que ce trou va être remboursé par nos enfants, ou peut-être nos petits-enfants, ce qui est criminel. Et ceux le paient, ce sont toujours au bout du compte les plus défavorisés."
C'est la faute à qui ?
- "C'est la faute à tout le monde, au travers du temps..."
C'est un jugement sur le gouvernement actuel ?
- "Non, c'est une part d'héritage proche, une part d'héritage lointain. Cela fait vingt ans que la France est incapable, gouvernement de droite comme gouvernement de gauche, de maîtriser ses finances publiques pour qu'elles soient équilibrées. Et il va être temps de le dire. Et en particulier de prendre des options courageuses, par exemple de cesser de parler de baisses d'impôts tant que nous n'aurons pas rejoint l'équilibre. Des baisses d'impôts dans un climat comme celui-ci, elles creusent le trou."
Il faut rappeler que l'impôt sur le revenu avait baissé pour tous de 5 % en 2002, de 1 % en 2003, et qu'en 2004, vous pensez que la solution n'est pas une baisse générale, ce n'est pas de baisse du tout ?
- "Je suis pour qu'on dise qu'on baissera les impôts quand on sera revenu à l'équilibre. Qu'est-ce que cela veut dire de baisser les impôts aujourd'hui, si c'est pour faire du déficit avec ces impôts ? Cela signifie que ce sont nos enfants, les générations qui viennent après nous, qui paieront les impôts à notre place. Et leur déficit à eux, qu'est-ce qui se passera ? Il y a donc quelque chose qui n'est pas responsable. Vous savez bien que je n'ai jamais cru aux promesses de baisses d'impôts massives qu'on nous annonçait..."
Mais c'était une phase de croissance à l'époque, au moins de 3 %...
- "C'était surtout une phase électorale. Et c'est parce qu'il y avait phase électorale qu'on nous faisait des annonces de cet ordre. Mais il est temps d'avoir une politique responsable et équilibrée, et de dire qu'on baissera les impôts quand on sera revenu à l'équilibre."
Vous êtes donc contre des baisses d'impôts, ciblées ou générales, ou par catégories sociales ?
- "Je suis pour que l'on soit rigoureux, qu'on revienne à l'équilibre. Et on baissera les impôts après."
Je lisais d'ailleurs une phrase de G. Carrez, qui est de l'UMP, qui disait que "bientôt, l'annuité de la dette sera supérieure au budget de l'Education nationale"...
- "C'est-à-dire que l'annuité de la dette sera bientôt, j'allais presque dire mécaniquement, de très loin le premier budget de l'Etat. Est-ce qu'on peut regarder les autres pays en Europe et prétendre avoir une vision, y compris leur donner des leçons quelques fois, quand on est en situation aussi déséquilibrée de mauvaise gestion ?"
Mais à quelles dépenses renonce-t-on ? Ou quelles dépenses faut-il réduire ?
- "Il faut réduire toutes les dépenses qui sont des dépenses d'administration de l'Etat. Il faut avoir un petit nombre de budgets prioritaires, que l'on protège..."
Exemple ?
- "Exemple, pour moi, Education nationale, parce que c'est dans l'Education que tout commence."
La Défense ?
- "Si on faisait une Défense européenne, on ferait plus d'efficacité et quelques économies..."
La sécurité ?
- "Oui, c'est évidemment une priorité."
Quand J.-P. Raffarin va vous demander, bientôt, à la fin de la session à l'Assemblée nationale, votre confiance, est-ce que vous la lui donnerez ?
- "Oui."
Est-ce que cela ne limite pas vos critiques ?
- "Je suis dans la majorité et j'estime que la voix de quelqu'un qui est dans la majorité, quand il est libre, doit être plus entendue et devrait donner matière à réflexion."
Irez-vous en Corse ?
- "Non, parce qu'ayant été le premier à demander un référendum en Corse, je l'avais fait pour une seule et unique raison : c'est que tout le monde s'exprimait à la place des Corses, et les Corses n'avaient jamais la place de s'exprimer eux-mêmes."
C'est bien, cela veut dire : "Moi, F. Bayrou, je ne suis pas de Corse, je ne voterai pas. Que les Corses votent !". Maintenant, ils vont voter. Vous êtes le chef de l'UDF. L'UDF, est-ce "oui" ou "non" ?
- "L'UDF, en Corse, a exprimé ses réserves et ses doutes. Et je partage un certain nombre de ces réserves et de ces doutes. Je vais vous dire lesquels. Au moins pour contribuer au débat sur la réforme que j'approuve, c'est le rapprochement des départements et des régions. Mais il y a une chose qui m'inquiète profondément : c'est que les élus de Corse, désormais, ne seront plus, aucun d'entre eux, les élus des territoires de la Corse. Il y a des vallées, il y a des ports, il y a des villes, et je vous assure, pour être élu des Pyrénées, que l'expression d'une femme ou d'un homme, qui est élu par une vallée montagneuse, elle traduit des attentes différentes de celui qui est dans une zone touristique ou dans une ville."
C'est bouleversant ce que vous me dites ! Donc, on ne touche rien... J. Daniel, dans le Nouvel Observateur, dit - je trouve que ce n'est pas faux - que "ne rien faire, ne rien changer, c'est maintenir les Corses dans leur paralysie mentale"...
- "La situation dans laquelle on se trouve est une situation qui va donner les clés uniquement aux courants politiques, et vous voyez auxquels je fais allusion. Et c'est cela qui provoque l'inquiétude d'un grand nombre de Corses, et la mienne aussi."
Et si le "oui" l'emporte, qui aura gagné ?
- "Si le "oui" l'emporte, les Corse auront décidé que ces institutions leur vont."
Ce matin, est-ce que vous demandez la libération de J. Bové ?
- "Je suis comme tous les Français, j'ai trouvé un peu disproportionnés les moyens qui ont été utilisés pour son arrestation..."
Mais ma question est : est-ce que vous voulez qu'il soit libéré le plus vite possible ?
- "Le jour vient, dans ces affaires, surtout quand on va inscrire le principe de précaution dans la Constitution, où un geste d'apaisement est bienvenu pour trouver une issue à ce qui est une tension ..."
Ne pouvez-vous pas conseiller à votre ami J. Bové - parce que je crois que vous le connaissez depuis longtemps - de défendre ses idées par des méthodes plus légales, comme tout le monde, comme tous les syndicalistes ?
- "Comme tous les syndicalistes, parce que c'est très souvent que dans ce secteur, le syndicalisme a eu des entorses et est passé de l'autre côté de la ligne jaune, il doit trouver des moyens d'expression qui soient compatibles avec le respect des autres, c'est-à-dire le respect des personnes et le respect des biens. Et de ce point de vue-là, la loi a raison de protéger les personnes et les biens."
Irez-vous le voir en prison ? C'est le défilé des politiques, vous y allez, vous ?
- "Je ne veux rien faire de médiatique dans ces affaires."
Samedi, pour la première fois, l'UMP sera, à la demande d'A. Juppé, présente à la Gay Pride. Et l'UDF ?
- "L'UDF considère que ces manifestations sont personnelles et que ce ne sont pas les institutions et les partis politiques qui doivent être, en tant que tels..."
Que chacun se débrouille...
- "Que chacun fasse ce qu'il estime bon et responsable de faire..."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 juillet 2003)