Texte intégral
A. Hausser-. La fin du régime de S. Hussein semble proche et on ne sait pas très bien comment la France, l'Allemagne et la Russie vont revenir dans le jeu diplomatique, notamment à travers l'ONU. Ce week-end, J. Chirac, G. Schröder et V. Poutine se rencontrent. Est-ce que, pour vous, c'est le prémisse d'un nouveau bloc ?
- "Non, je ne crois pas. Les relations internationales vont être profondément transformées et il y a un nouvel équilibre, une nouvelle construction à inventer, qui ne va pas déboucher tout de suite. Il va falloir poser clairement les questions. Mais pour l'heure, je suis catastrophé par la situation humanitaire en Irak. Je trouve que les Américains, surtout, n'ont pas fait ce qu'il fallait pour protéger les populations civiles. On voit ces images terribles d'enfants, on voit cet enfant aux deux bras amputés... Là, il y a vraiment une urgence qui indigne la communauté internationale. Je crois qu'il faudrait agir et que les Américains, en tout cas, devraient le faire très vite."
Pensez-vous que l'aide humanitaire est bloquée par les Américains ?
- "Il n'y a pas eu le travail qu'il fallait. J'avais proposé des couloirs humanitaires ; on n'a pas l'impression que les ONG, en particulier la Croix Rouge, peuvent accéder dans des conditions acceptables - parce qu'évidemment, c'est difficile. En tout cas, nous avions dit que cette guerre ne serait pas jolie, parce que toute guerre est meurtrière. On en a encore malheureusement la démonstration. Cela veut donc dire qu'il faut imaginer d'autres façons de traiter les questions de sécurité que la guerre, et le faire dans le cadre du droit international, ce qui n'a pas été le cas. Je propose que se réunisse très vite - vous avez vu ce qui s'est passé à Gaza, avec les Israéliens - une conférence internationale, à la fois pour évoquer la reconstruction de l'Irak et la constitution d'un Etat démocratique, ce qui va être très difficile ; et puis ensuite pour traiter ce problème israélo-palestinien, qui est une véritable poudrière. Pour cela, il faut qu'il y ait les Nations unies, mais il faut qu'il y ait bien sûr les Etats-Unis, l'Europe, la Russie et l'Egypte."
Mais comment renouer le dialogue ?
- "C'est là que la France et l'Europe devraient faire des propositions. C'est bien de discuter, bien sûr, avec les Allemands et avec les Russes, mais c'est bien aussi de discuter avec les Anglais, parce que, même si nous avons un désaccord profond quant à leur intervention, il faut les ramener à la raison européenne, et ce n'est pas impossible. Et aussi associer l'Espagne et l'Italie, les principaux pays, qui pourraient constituer en quelque sorte l'avancée européenne. Parce qu'il va falloir y penser aussi, à cette Europe qui est aujourd'hui un peu en crise."
Est-il facile de s'opposer quand il y a un vrai consensus sur l'attitude à adopter face à ce conflit ?
- "Nous avons tellement de désaccords sur la politique économique et sociale du gouvernement..."
On ne les voit plus !
- "On ne les voit plus ? On peut en parler !"
On peut en parler, mais ils sont moins audibles...
- "Sur la situation internationale, je pense qu'il y a des initiatives à prendre, qui n'ont pas forcément été prises. Nous avons été d'accord avec la position de J. Chirac, qui a dit "non" à cette guerre, qui était favorable au droit international et à l'intervention des Nations unies, et nous avons eu raison de le faire. Mais maintenant, nous attendons la prise de position du président de la République. Il est étrangement silencieux, depuis quelques semaines ; même depuis le début de la guerre, nous ne l'avons pratiquement pas entendu. On nous avait toujours dit qu'il y aurait une union sacrée pour la paix, mais qu'il n'y aurait pas d'union sacrée pour la guerre. [...] Nous nous sommes tenus à nos principes, ce qui était une bonne chose. Mais maintenant, tout reste à faire, à reconstruire, au niveau international. Et il faut aussi donner un espoir aux gens sur le plan économique et social, parce qu'aujourd'hui, ce qui se passe en France, c'est la remontée du chômage."
Justement, vous avez posé dix questions au Premier ministre. Pouvez-vous les résumer ?
- "C'est essentiellement : Comment allez-vous faire, d'abord pour tenir vos engagements et les promesses ? Vous dites "baisses d'impôts", mais comment allez-vous les continuer, alors que vous n'êtes pas capable de rentrer dans les critères européens de déficit ? Aujourd'hui, le déficit se creuse."
Vous avez entendu le ministre du Budget, hier... On sera plus près de 3,8 % que de 3 %...
- "Il a dit la vérité : cela va mal. Et monsieur Raffarin continue à diriger sa politique économique comme si de rien n'était. Et avec cela, on va droit dans le mur. Alors que va-t-il se passer pour les Français ? Quels sont les grands programmes d'équipement qui vont être supprimés ? Que va-t-il se passer pour la politique de l'emploi, pour lutter contre la remontée du chômage, avec tous ces plans de licenciement ? Que va faire le Gouvernement pour mettre en oeuvre toutes ses promesses ? On voit bien qu'il est dans l'incapacité de le faire, et surtout, on a le sentiment que monsieur Raffarin n'ose pas dire la vérité aux Français. Vous savez ce qui se passe en ce moment ? C'est la mise en oeuvre progressive d'un plan d'austérité rampant, un plan d'austérité qui ne veut pas dire son nom, parce que monsieur Raffarin, en quelque sorte, n'a pas le courage de l'assumer."
Mais comment pouvez-vous parler de plan d'austérité, alors qu'il n'y a pas de loi de finances rectificative ?
- "Nous la demandons ! Lorsque monsieur Raffarin est devenu Premier ministre, il a demandé un audit, comme l'avait fait L. Jospin en 1997, sur l'état réel des finances de l'Etat et de la Sécurité sociale. Et cet audit, aujourd'hui, il faut le refaire. J'ai demandé à monsieur Raffarin qu'il le mette à jour."
Il est un peu tôt, non ?
- "Non, il faut faire un nouvel audit, pour savoir exactement ce qu'il en est. Et après, on attend que le Gouvernement présente au Parlement, comme la Constitution le prévoit, une nouvelle loi de Finances, pour savoir ce qui attend les Français, à quelle sauce ils vont être mangés. Parce que tout le monde est inquiet aujourd'hui. La Sécurité sociale : qui va payer le déficit ? Est-ce que c'est l'assurance privée ? Est-ce que c'est la diminution des remboursements ? Et que va-t-il se passer pour les retraites ? Les fonctionnaires, qui sont la cible tous les jours..."
Justement, sur les retraites, est-ce que vous allez vous opposer pour vous opposer ?
- "Non, on ne s'oppose pas pour s'opposer, mais pour poser les problèmes des Français. Et la question principale, c'est : quel niveau de retraite pour les salariés du privé et les salariés du public ?"
Mais il y a un calendrier qui est annoncé...
- "Oui, on sera obligés de se prononcer, si j'ai bien compris, au Parlement, avant l'été. On parle même d'une cession extraordinaire. J'espère que ce n'est pas pendant l'été que des mauvais coups vont se préparer, parce qu'on peut quand même s'inquiéter. Et aujourd'hui, je sens que chez les Français - je le dis sincèrement, notamment quand je parle avec mes électeurs de Nantes -, l'inquiétude monte. Et je crois que ce n'est pas fini, parce que le Gouvernement n'a pas le courage - je le répète encore - de dire la vérité aux Français, parce que cette vérité, malheureusement, est cruelle. Ces promesses de la campagne électorale, tellement mirobolantes, tellement énormes et massives, on voit bien que le Gouvernement est incapable de les tenir. Par contre, quand il s'agit des avantages d'une minorité de Français - les privilégier sur le plan fiscal, comme avec l'impôt sur la fortune -, là il n'oublie pas sa clientèle."
L'Assemblée a fini par se ranger sur la voie de l'apaisement, en adoptant une disposition pour les régionales qui sera le seuil des 10 % des exprimés, et non pas 10 % des inscrits. Vous allez voter contre mais, dans le fond, vous serez peut-être les gagnants de cette mesure ?
- "J'espère que le Gouvernement, aux prochaines élections régionales, sera sanctionné pour toute sa politique. C'est à nous d'être à la hauteur, de proposer aux Français un projet qui les entraîne."
Mais vous en serez les bénéficiaires ?
- "Je ne parle pas des pourcentages, parce que ce n'est pas cela qui fait une élection. Mais ce qui s'est passé, c'est quand même le Gouvernement qui a admis son échec, qui a admis son erreur, puisqu'il est revenu en arrière. Non seulement il a été sanctionné par le Conseil constitutionnel, sur un problème de forme, mais, sur le fond, il a changé son texte initial, il est passé de 10 % des inscrits à 10 % des exprimés. Il s'est donc déjugé, il est allé à Canossa. En fait, il a fait une faute politique : il a vu qu'il y avait une telle résistance de tous ceux qui ne sont pas à l'UMP dans ce pays, qui se sont dit que l'UMP [voulait] s'imposer, avec monsieur Juppé, monsieur Gaudin, monsieur Douste-Blazy... Monsieur Raffarin a cédé à ces gens-là. Aujourd'hui, il a avoué son erreur, au point même qu'il s'était laissé entraîné à un coup de force en utilisant l'article 49-3 de la Constitution pour passer son projet, et on a vu ce que cela a donné."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 avril 2003)