Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la ssolidarité, sur la mise en oeuvre de la politique en faveur des personnes âgées, notamment les aides à domicile et l'hébergement, l'intégration sociale et la solidarité, Paris le 24 septembre 2003.

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Circonstance : Réunion du Comité national des retraités et des personnes âgées (CNRPA) à Paris le 24 septembre 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Le Comité national des retraités et personnes âgées a été installé le 1er juillet dernier après son renouvellement. Le débat parlementaire sur les retraites m'avait empêché de présider cette séance et d'être présent auprès de vous. Je souhaite aujourd'hui témoigner directement de l'intérêt que je porte à vos débats et à la qualité de vos travaux. Je souhaite également saluer les anciens membres, ainsi que les nouveaux. Je tiens aussi à remercier tout particulièrement Monsieur Georges GRULOIS pour son engagement personnel dans la responsabilité de vice-président qu'il a accepté d'assumer pour mener à bien la mission qui est confiée au CNRPA.
Cette mission est de participer à l'élaboration et à la mise en uvre de la politique en faveur des personnes âgées. Le drame humain consécutif à la canicule de cet été a brutalement et douloureusement rappelé que cette politique doit être affermie. Notre société doit mieux prendre en compte les évolutions profondes que provoque son évolution démographique.
1- Avant de revenir sur cet évènement, il me paraît nécessaire de vous indiquer les principaux axes de la politique que nous souhaitons mener en faveur des personnes âgées.
La vieillesse est, certes, un âge de la vie. Mais cet âge a aussi son histoire. Et cette histoire, comme dans d'autres domaines, s'est fortement accélérée. Cette évolution me paraît présenter, depuis quelques décennies, les caractéristiques suivantes :
La vieillesse est sortie de l'exclusion et du dénuement. Beaucoup de personnes âgées, et notamment les veuves, ont encore de petites retraites. Mais globalement la situation matérielle des personnes âgées s'est nettement améliorée grâce aux régimes de retraite par répartition. Il y a quarante ans plus de deux millions et demi de personnes âgées n'avaient d'autre revenu que le minimum vieillesse : même si c'est encore trop, leur nombre a été divisé par trois. Cet effort collectif est le fruit de la solidarité nationale et de la croissance économique : il représente un progrès social incontestable.
C'est à la préservation de cet acquis que je me suis attaché à l'occasion de la réforme des retraites.
Cette réforme apporte une garantie à long terme pour notre système par répartition. Elle vise à préserver l'équité et l'esprit de justice sociale, notamment par la prise en compte des longues carrières. Elle permet aussi d'atteindre un niveau satisfaisant de pension par l'allongement de la durée d'activité. Elle crée enfin pour chacun la possibilité de construire sa retraite en donnant davantage de souplesse et de libre choix.
L'amélioration continue des pensions de retraite au cours des dernières années et la garantie de leur financement suscite aussi de nouvelles exigences : la plus grande autonomie de vie acquise grâce à une amélioration des conditions d'existence permet, en effet, d'aborder la cessation d'activité professionnelle comme un temps à soi. Pour certains, il est même perçu comme un nouveau départ, à l'inverse des périodes antérieures où ce retrait renvoyait à une fin de vie empreinte de difficultés matérielles et de tristesse résignée.
A cette évolution, s'ajoute une mutation des traditionnels liens sociaux et plus précisément familiaux. L'éloignement géographique assez fréquent des enfants est souvent consécutif à leur mobilité géographique, à la séparation résidentielle, qui amène les familles à imaginer de nouvelles formes de solidarité familiale, éloignées de la cohabitation souvent subie d'autrefois.
Au total, l'amélioration des revenus de remplacement et le désir d'autonomie tant des parents que des enfants appellent une nouvelle forme d'organisation, où les générations continuent de préserver une réelle solidarité familiale, sans que les enfants n'aient à porter seuls les charges financières liées aux risques d'incapacité, de perte d'autonomie ou de la maladie de leurs parents.
La deuxième caractéristique de cette évolution récente concerne ce qu'on appelle aujourd'hui la révolution de la longévité : la proportion de personnes de 60 ans, en augmentation continue, a atteint 21% de la population en 2000. Les projections démographiques de l'INSEE dessinent une augmentation inéluctable de la part des personnes les plus âgées dans les quarante années à venir. Le vieillissement sera très marqué jusqu'en 2035 du fait de l'arrivée aux âges élevés des générations nombreuses du baby-boom, nées entre 1945 et 1975 : les premières d'entre-elles, nées après guerre, atteindront 60 ans en 2005 et 80 ans en 2025. Or la prévalence de la dépendance augmente de manière très forte avec l'âge.
De plus, ces générations resteront en vie plus longtemps : en 2000, un homme de 80 ans peut espérer vivre encore 7 ans et ½ et une femme 9 ans et ½ ; en 2035 ces espérances de vie à 80 ans seront de 10 et 12 ans.
Il faut reconnaître que nous avons du mal à imaginer une France où devenir centenaire ne sera plus un événement exceptionnel et où le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans aura quadruplé au milieu du siècle...
Confrontée à la révolution des âges de la vie, la société a du mal à prendre conscience de ce phénomène et à adapter son organisation en fonction des défis qu'elle porte en elle.
Le vieillissement est un défi d'abord personnel, mais aussi pour notre société.
Relever le défi du vieillissement, c'est refuser l'assimilation de l'âge à la fatalité d'une fragilité croissante, au destin de la maladie et de la dépendance. Nous pouvons tenter de bien vieillir, sans nous en remettre exclusivement aux seuls espoirs de la recherche scientifique et des progrès de la médecine : la prévention des risques, de nouveaux comportements concernant l'alimentation ou la sédentarité peuvent promouvoir des habitudes de vie plus favorables à la préservation de la santé, retarder les effets du vieillissement biologique, et faire reculer l'apparition des maladies, dont la fréquence augmente avec l'âge.
Les travaux que le Comité national a réalisés sur ce sujet en juin 2002 soulignent la nécessité de mettre en uvre une politique active de prévention de la perte d'autonomie liée à l'avancée en âge.
De même, notre devoir de vigilance nous impose de refuser que l'âge, et la vulnérabilité qui y est associée, puissent laisser prise à des maltraitances physiques, psychologiques et financières, par négligence ou par désintérêt.
La sécheresse des statistiques et des pourcentages sur les personnes âgées ne rend pas suffisamment compte des vraies réalités qu'elles sont censées refléter, c'est-à-dire tout à la fois la population très âgée, dépendante ou affaiblie par la maladie, mais aussi les retraités actifs. Ces retraités sont actifs pour leurs loisirs physiques ou intellectuels, mais le sont aussi pour les autres, leur conjoint, leurs enfants ou petits-enfants, ou encore pour leur voisinage ou leur quartier à travers leur engagement bénévole et leur participation à la vie collective.
Au moment où se prépare le plan pluriannuel " vieillissement et solidarités ", je serais très heureux de recueillir votre avis sur les initiatives relatives à l'implication sociale des aînés dans le cadre d'activités bénévoles au service de la collectivité. Le plan pluriannuel pourrait être l'occasion de valoriser, voire d'amplifier, ces initiatives. Il comprendra des mesures budgétaires et techniques, mais je souhaite vivement qu'il ne se réduise pas à celles-ci : notre société ne peut pas être simplement la somme des préoccupations, aussi légitimes soient-elles, de chacune de ses classes d'âge. Nous avons besoin d'encourager tous les élans qui contribuent à renforcer les liens sociaux entre générations.
En évitant le repli sur soi on prévient la vieillesse précoce ; on prévient aussi le repli ou les tensions d'une société en pleine transformation. Après leur vie de travail et leur participation au progrès économique de notre pays, les aînés peuvent contribuer aussi, ou plutôt encore, à sa modernisation.
Mais il est aussi une autre période de la vieillesse que nous ne devons pas négliger. La vieillesse peut être retardée par la recherche scientifique, le progrès médical, par des habitudes et des comportements nouveaux. Mais il est un moment plus tardif, décalé, où l'âge, le très grand âge, reprend ses droits, annonce l'affaiblissement et parfois même la perte d'autonomie.
L'âge de la perte d'autonomie recule : au cours de la décennie 90, les gains d'espérance de vie sans dépendance ont été supérieurs aux gains d'espérance de vie et, en particulier, pour les plus de 80 ans. Toutefois, l'augmentation numérique des personnes très âgées appelle des réponses en profondeur. En raison de leur importance, elles devront être étalées dans le temps, mais nous devons les anticiper dès aujourd'hui.
2- C'est précisément le but du plan pluriannuel et interministériel " vieillissement et solidarités " que je souhaite aborder maintenant.
Votre Comité national participe aux travaux des groupes de travail que j'ai installés le 2 septembre dernier en présence de Monsieur Jean-François MATTEI, Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées et de Monsieur Hubert FALCO, Secrétaire d'Etat aux Personnes Agées. Je sais que vos interventions sont remarquées pour leur qualité et leur contribution à l'élaboration de propositions constructives. Soyez-en remerciés.
J'ai souhaité néanmoins, au-delà de votre participation à ces travaux, recueillir plus spécifiquement votre avis sur les différents thèmes, qui doivent servir de support aux propositions que je présenterai en octobre au Premier ministre.
L'importance de la surmortalité pendant l'été a cruellement mis en évidence l'isolement d'un trop grand nombre de nos concitoyens âgés. Nous ne pourrons pas oublier cet événement exceptionnel. Nous devons ensemble en tirer les leçons.
Le premier enseignement concerne l'absence d'alerte, que ce soit dans le domaine sanitaire, libéral ou hospitalier, ou dans le secteur médico-social : tout au long de cette crise, les services ministériels en charge de l'action sociale n'ont reçu aucune remontée d'information du terrain leur permettant d'appréhender et d'apprécier en temps réel les difficultés rencontrées y compris par les maisons de retraite médicalisées. C'est une situation préoccupante, que j'ai été amené à préciser devant la mission d'information parlementaire sur les conséquences humaines de la canicule.
Cette alerte et cette veille à proximité des personnes les plus fragiles reste à organiser dans un cadre associant les principaux intervenants locaux.
La situation dramatique que nous avons connue en août, faute d'alerte, ne doit pas occulter pourtant les aides très nombreuses qu'ont apporté les familles à leurs aînés.
L'entraide de premier niveau, la solidarité familiale, sont le principal rempart contre la solitude et la perte d'autonomie. A domicile, l'immense majorité des personnes âgées rencontrant des difficultés pour les actes de la vie quotidienne bénéficie d'abord de l'implication forte et attentionnée de l'entourage
Il faut reconnaître aussi que des efforts sont sans doute à accomplir pour soutenir ces aidants naturels. Il en va de même pour les aides professionnelles qui sont nécessaires en complément ou en relais de l'aide familiale, car le nombre de personnes âgées va augmenter davantage que celui des aidants potentiels. En effet, le nombre de personnes de 50 à 79 ans, qui constituent aujourd'hui la majorité des aidants, devrait augmenter d'environ 10 % d'ici à 2040, alors que le nombre de personnes âgées dépendantes augmentera d'environ 50 %.
La récente revalorisation des salaires de + 24 % en 4 ans, que j'ai agréée dans la branche de l'aide à domicile devrait contribuer à la reconnaissance professionnelle et à l'attractivité de ces métiers.
Une demande forte s'exprime aussi pour augmenter les places en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Il en va de même pour l'hébergement temporaire ou l'accueil de jour. C'est notamment le cas pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de maladies apparentées. Ces places pourraient permettre de soutenir des familles aidantes, ainsi que les personnes âgées lors de périodes où elles sont trop faibles pour demeurer à domicile, avec la perspective de pouvoir y revenir.
Le soutien au domicile répond à une demande majoritaire. Il évite aussi la mobilisation de moyens financiers mal proportionnés aux attentes ou aux besoins des personnes aidées. L'entraide familiale et l'aide à domicile des professionnels ne peuvent toutefois empêcher qu'avec la perte d'autonomie ou les pathologies du grand âge, l'accueil en établissement ne prenne le relais dans bien des cas, lorsque l'attention et le soutien aux aînés cèdent à des besoins plus importants de prise en charge.
L'hébergement en maison de retraite médicalisée reste indispensable pour un nombre croissant de personnes du 4ème âge. Cet hébergement est un éloignement, qui appelle de la solidarité nationale un effort renforcé, afin qu'à la rupture de l'univers quotidien ne s'ajoutent les difficultés trop fréquentes dans la recherche d'une place d'hébergement et d'un personnel soignant de qualité. Les procédures de conventionnement et les contraintes de la triple tarification devraient à mon sens être allégées pour en faciliter la mise en uvre dans le cadre de la décentralisation, qui confie déjà au conseil général la prise en charge de l'hébergement au titre de l'aide sociale du département et du tarif dépendance au titre de l'APA.
La réflexion sur la prise en charge des personnes âgées nous renvoie aussi à des préoccupations de fond. Nos choix seront, en effet, structurants pour le long terme en matière de gestion prévisionnelle des emplois comme en matière immobilière, pour l'architecture nouvelle du grand âge comme pour l'adaptation du bâti. Il en va de même au plan sanitaire entre, d'une part, l'amont et l'aval de l'hôpital et, d'autre part, les urgences hospitalières ou les services de court séjour. C'est pourquoi l'élaboration et la mise en uvre d'un plan pluriannuel devront reposer sur un partage bien mesuré des divers efforts supplémentaires à consacrer, d'une part à la vie à domicile et, d'autre part à la prise en charge en établissement.
J'en arrive enfin à la question du financement. La prise en charge de la perte d'autonomie, qu'elle soit due à l'âge ou au handicap, est devenue une préoccupation majeure de l'opinion publique : le débat sur les sources et modalités de son financement est désormais ouvert. Plusieurs pistes sont ouvertes. Elles concernent le périmètre d'une réforme, c'est-à-dire la nature des prestations à prendre en charge. Elles concernent aussi les modalités de leur gestion : pour les uns au sein de la sécurité sociale -c'est l'hypothèse du 5ème risque-, pour les autres dans un cadre décentralisé. Elles concernent enfin la nature d'un financement pérenne et contributif, tantôt par référence à l'une des formes actuelles de financement, comme la CSG, tantôt pour faire appel à de nouveaux moyens - c'est l'hypothèse de la suppression d'un jour férié. Je n'exclue à ce stade aucune hypothèse. Je note seulement que si l'on demande un effort supplémentaire aux actifs et aux entreprises, la question se posera de savoir si les inactifs ayant des revenus ne doivent pas être associés à l'effort collectif. C'est un sujet difficile. Mais nous ne l'éviterons pas.
Sur tous ces thèmes je souhaiterais recueillir votre avis. J'analyserai avec beaucoup d'intérêt les propositions du Comité national, dont je sais combien il a à cur de donner aux personnes âgées la place que leur doit une société avancée et attachée aux valeurs de solidarité, de respect et de dignité.
Mes orientations en matière de personnes âgées reposent sur les trois axes suivants :
Tout d'abord la sauvegarde des régimes de retraite par répartition. Ces régimes ont permis, après la guerre, à ceux qui n'avaient aucune ressource à l'issue de leur vie de travail, d'accéder à des revenus de remplacement, et, pour les plus pauvres d'entre eux, au minimum vieillesse. Aujourd'hui cet immense progrès est consolidé. La réforme assure la pérennité des régimes de retraite, qui sans ajustements auraient été menacés. Elle garantit ainsi l'autonomie matérielle de leurs bénéficiaires, qui accèdent à un âge de leur vie où ils peuvent librement privilégier les projets de leur choix.
Ensuite un projet de société où chaque âge a sa place et la reconnaissance qui lui est due ; où les plus vulnérables, en raison de leur âge, du handicap ou de l'exclusion qui les menace, bénéficient d'une même attention et d'un même engagement collectif. Cette solidarité sera plus efficace en confortant la décentralisation qui joue déjà un rôle majeur dans le domaine des personnes âgées.
Enfin une société où la solidarité familiale et la solidarité nationale se complètent et se consolident mutuellement. C'est une société où les enfants cotisent pour leurs parents et aident leurs aînés. C'est aussi une société où la disponibilité libérée par la cessation d'activité professionnelle rassemble dans un même lien social des générations aux expériences, aux sensibilités et aux habitudes différentes. Une société qui puise sa force dans les richesses de sa diversité et de sa mémoire.
Ces trois orientations renforcent notre pacte social. Elles dégagent aussi un nouvel horizon.
Pendant longtemps notre société s'est attachée à se libérer pas à pas des contraintes du labeur. C'est un progrès social incontestable, mais beaucoup ont cru que cette conquête du temps libre était sans fin.
La société solidaire que notre pays appelle de ses vux nous renvoie désormais à une autre exigence : c'est en donnant le meilleur de nous-mêmes, en travaillant davantage et mieux, que nous créerons le surplus de richesse nationale nécessaire pour construire une société moderne, mais aussi fraternelle, ouverte et attentive à tous les âges de la vie.
Cette ambition doit être collectivement débattue et élaborée. Elle repose sur le diagnostic partagé que nous a demandé d'établir le Premier ministre. Votre expérience y contribuera fortement.
Par avance je vous remercie pour votre engagement.

(Source http://www.social.gouv.fr, le 8 octobre 2003)