Tribune de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, dans "Le Figaro" du 25 juin 2003, sur les orientations gouvernementales en matière d'aide humanitaire d'urgence.

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Afghanistan, Argentine, Afrique australe, Sri Lanka, Irak, Algérie, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire, Liberia... Depuis juin 2002, les crises humanitaires se sont succédé à un rythme très important. Dans chaque conflit, après chaque catastrophe naturelle, l'aide humanitaire d'urgence de la France a constitué, au même titre que notre diplomatie, l'action de nos entreprises ou notre coopération technique, un outil de l'action internationale de la France décidée par le président de la République.
Aux côtés de Dominique de Villepin, j'ai été amené, à la fois, à m'assurer que les réponses rapportées par la France sur le terrain correspondaient à l'urgence ou à l'ampleur de la situation, tout en m'efforçant de dégager au plus vite le "diagnostic" d'ensemble des forces et des faiblesses de l'action humanitaire de la France. La main tendue sur le terrain ne pouvait pas attendre le résultat de nos réflexions, mais, à l'inverse, agir, réagir, sans prendre le temps d'une analyse d'ensemble aurait été vain.
Médecin urgentiste de formation, j'ai vécu mes années d'études et mes premiers pas dans cette profession aux côtés d'amis se portant spontanément, au coeur des crises les plus effroyables, auprès des populations meurtries. Ce temps d'adolescence de l'action humanitaire d'urgence, fait de fougue, de passion, mais également très souvent, de "bricolages", est cependant aujourd'hui passé. Face à la succession des crises, à leurs complexités diplomatique, militaire et parfois ethnique croissantes, l'action des ONG françaises, mais également des pouvoirs publics, a dû se professionnaliser et s'organiser. De l'adolescence, l'action humanitaire d'urgence atteint son âge adulte.
Se voulant de moins en moins dépendantes de financements publics nationaux, les ONG françaises se trouvent très souvent face à un "modèle" anglo-saxon d'ONG fait d'organisations de grande taille, plus techniciennes et moins portées sur les débats éthiques. Parallèlement, si les ONG françaises ont établi une relation plus décrispée avec les interventions diplomatiques et humanitaires des Etats, elles doivent faire face au rôle croissant de grandes entreprises et de collectivités locales.
De la même façon, l'Etat, qui a bâti ces dernières années sa propre capacité d'intervention humanitaire - par ses unités de sécurité civile, ses forces armées, un ensemble de lignes budgétaires spécifiques - se trouve lui aussi confronté à de profondes interrogations. De réaction à une succession de crises, l'Etat se devait de concevoir une véritable politique publique de l'action humanitaire d'urgence.
Pourtant, face à ces doutes, ces évolutions, l'action humanitaire française avait perdu ces dernières années une partie de sa visibilité : coordination déficiente entre les ministères, dialogue et confiance distendus avec les ONG et les principales organisations humanitaires internationales, comme le CICR ou le HCR, où notre contribution financière avait été peu à peu réduite.
Depuis juin 2002, je me suis efforcé d'organiser mon travail autour de trois principes : cohérence, tout d'abord, pour recréer une synergie de travail, tant au sein du Quai d'Orsay, qu'avec les autres ministères concernés. Dialogue, ensuite : un contact régulier, à un niveau politique, a été repris avec les principales ONG françaises agissant dans l'urgence, la Croix-Rouge française, le CICR et les agences de l'ONU, auprès desquelles je me suis rendu, à Genève et à Larnaca. Action, et efficacité surtout, pour que le devoir de solidarité de la France puisse s'exprimer dans toutes les crises qui se sont présentées depuis un an.
Mais il convenait désormais pour le gouvernement d'aller au-delà : un véritable plan d'ensemble touchant tous les acteurs de l'humanitaire d'urgence était devenu indispensable. Je l'ai présenté au Conseil des ministres du 11 juin 2003.
Il ne s'agit pas d'ajouter des millions aux millions : dans toutes les crises humanitaires où la France a décidé de s'impliquer, j'ai pu constater que nous disposions, d'ores et déjà, entre les différents ministères et services et bien au-delà de la seule ligne de crédit étiquetée "urgence humanitaire" du ministère des Affaires étrangères, de tous les moyens financiers et techniques permettant de répondre à la situation. Encore faut-il que la volonté politique d'agir soit réelle et claire. Il ne s'agit pas non plus de bâtir une machine administrative nouvelle et complexe : il convient au contraire d'alléger le circuit de décision, de renforcer la cohérence de nos moyens et d'apprendre à gérer le temps avec efficacité. Il faut travailler sur l'urgence, et non dans l'urgence.
Pour cela, le plan d'action présenté suit deux directions : renforcer, en premier lieu, la cohérence et l'efficacité des outils publics de l'humanitaire d'urgence. Mais, également, améliorer les conditions d'action et le partenariat établi avec les autres acteurs de l'humanitaire d'urgence que sont les ONG, la Croix-Rouge les grandes entreprises et les collectivités.
Améliorer la cohérence et l'efficacité des outils publics passe par un rôle de "régulateur" - comme celui que nous connaissons pour le Samu - clairement affirmé pour la Délégation à l'action humanitaire du ministère des Affaires étrangères, la création d'un Comité interministériel de l'action humanitaire d'urgence, doté d'un "état-major" opérationnel, mobilisable à tout moment, et par le retour de la France dans une position d'influence au sein des grandes agences humanitaires de l'Union européenne et des Nations unies.
Organiser un partenariat nouveau avec les autres acteurs de l'action humanitaire nous conduit dans le même temps à accorder un appui accru aux ONG françaises (défiscalisation des dons, soutien à la création d'une norme qualité, aide à la réflexion universitaire et à la recherche), à simplifier les relations entre l'Etat et les principales organisations humanitaires d'urgence par la signature de conventions-cadres pluriannuelles, à ouvrir, enfin, un espace de dialogue avec les entreprises et les collectivités locales désirant s'impliquer dans l'aide d'urgence.
Ces mesures ne sont pas définitives et closes. Ce plan n'est, en effet, qu'une première pierre que la mission de proposition que j'ai confiée au docteur Robert Sebbag, fondateur d'Action contre la faim et ancien directeur international de la Croix-Rouge, devra contribuer à améliorer et à approfondir. D'autre part, je ne prétends pas "enfermer" les ONG françaises ou les autres partenaires, que sont la Croix-Rouge, les grandes entreprises ou les collectivités, dans un dispositif clos : je suis de la génération des ONG indépendantes et j'ai la conviction que c'est précisément leur liberté qui sert l'image de la France. J'ai simplement souhaité leur donner aujourd'hui les moyens de préserver et d'accroître leur indépendance et leur efficacité.
Dans le monde particulièrement complexe et instable dans lequel nous vivons, la parole de la France ne doit se priver d'aucun levier d'action : l'action humanitaire d'urgence constitue une des formes les plus visibles et vivantes de la fraternité que nos concitoyens témoignent aux populations meurtries. Elle doit pouvoir s'exprimer dans une parfaite cohérence avec notre politique en faveur du développement et les axes essentiels de notre diplomatie. L'humanitaire d'urgence ne peut pas constituer, à lui seul, un mode de règlement d'une crise comme nous l'avons tragiquement vécu lors des affrontements qu'ont connus les Balkans. Il est cependant une illustration de la solidarité et du rayonnement de la France, que Dominique de Villepin et moi-même avons
(Source http://www.u-m-p.org, le 26 juin 2003)