Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à RFI le 25 septembre 2003, sur la préparation du budget 2004, le déficit budgétaire, la situation économique et le déficit de la sécurité sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Le Conseil des ministres étudie aujourd'hui le projet de budget pour la France pour l'année 2004. C'est un projet qui est marqué par un déficit record de 55 milliards d'euros, par une baisse d'impôt sur le revenu de 3%, cela a été annoncé au début de cet automne. Le gouvernement base ces prévisions budgétaires sur une croissance en France de 1,7% du PIB. Que pensez-vous Hervé Morin de cette approche ?
Nous avons dit au gouvernement, sous tous les tons, que l'essentiel était d'abord et avant tout, d'éviter de creuser les déficits ; pour une raison très simple, c'est que creuser les déficits, c'est faire porter par les générations futures l'effort que nous ne faisons pas. C'est le premier point. Deuxième point : nous pensons que baisser l'impôt sur le revenu lorsqu'on a des déficits à ce point, ce n'est pas la bonne idée. La bonne idée, c'est de dire aux Français : " voilà le pays est dans une situation difficile ; il faut plutôt se serrer les coudes que de distribuer des impôts, ou du moins éviter de dire que les prélèvements obligatoires vont baisser, alors que d'une main on va vous reprendre ce que on vous a donné de l'autre main. "
C'est le sentiment que vous avez ? On va reprendre d'une main ce qui a été donné de l'autre ?
C'est ce que les Français vivent au quotidien lorsqu'on leur annonce la baisse de l'impôt sur le revenu d'un côté, et de l'autre la hausse de la taxe sur les gazoles. Je crois qu'il y a un besoin de justice et les Français ne comprennent pas que l'on va donner à quelques uns, puisque 40% grosso modo des Français seulement paient l'impôt sur le revenu, et que de l'autre, celui qui gagne 6000F par mois, qui travaille et a besoin de faire 30 ou 40 Km par jour pour aller bosser va devoir payer plus. Je crois pour les Français, c'est incompréhensible. On a beau leur expliquer, comme le fait le Premier ministre, qu'il s'agit de récompenser le travail d'un côté et de l'autre de lutter contre l'effet de serre ou de favoriser l'investissement dans le rail Tout cela n'est pas lisible.
Que pensez-vous du discours que tient actuellement le gouvernement, le Premier ministre en tête, incitant les Français à travailler plus, à être plus responsables. Certains ministres disent il faut que vous payer plus pour votre santé, d'autres disent ça serait très bien que vous ne fumiez plus du tout, que pensez-vous de ce discours à l'adresse des Français ?
Je crois que l'on un besoin de vérité, si vous ne dites pas la vérité au Français, vous ne faites pas uvre de pédagogie.
Et en ce moment, dit-on la vérité ?
On ne dit pas assez que le pays va mal, parce que le pays va très mal. La réalité, c'est que la France est un pays éclaté, c'est un pays où les gens vivent les uns à côté des autres, sans se connaître. Qu'y a-t-il aujourd'hui de commun entre quelqu'un qui vit dans une banlieue de la région parisienne, quelqu'un qui vit dans le Gers et quelqu'un qui vit dans les beaux quartiers ? Il y a aujourd'hui des communautés. Le développement du communautarisme en France est fort, parce qu'il n'y a plus de capacité d'intégration. Comme il n'y a plus grand-chose de commun entre tous les Français, on assiste à une remontée des revendications catégorielles et on assiste surtout à un pays qui n'est plus capable de comprendre les grands enjeux. Il faut lui dire la vérité sur la situation du pays et la situation du pays est que le pays va mal.
Est-ce que la politique traduite par ce budget présenté aujourd'hui en Conseil des ministres permet de régler ou de commencer à régler ce que vous notez là ?
Certainement pas, mais c'est une uvre de longue haleine. Si vous ne dites pas au pays où vous voulez l'emmener
Ce que ne fait pas le gouvernement ?
Je n'ai pas le sentiment aujourd'hui que les Français sachent vraiment aujourd'hui où on veut nous emmener, quel modèle on veut construire. Je vais prendre un exemple concret. Le principe d'égalité a été totalement oublié. Aujourd'hui, on parle d'équité, ce qui n'est qu'un sous produit de l'égalité. C'est une absence d'ambition quand on parle d'équité. Je crois que dire, on va réintroduire le principe d'égalité dans l'action publique, avoir l'ambition de tirer les gens vers le haut - non pas l'égalité qui consiste à mettre tout le monde dans un pyjama gris, mais l'égalité qui fait que l'on va essayer de donner le meilleur à chacun - cela serait un principe extraordinaire que vous pourriez développer sur l'éducation, sur la santé et sur bien d'autres sujets. Je crois qu'il faut donner une grande ambition au pays. Autre exemple : quelle construction Européenne ? Quelle est la place de la France au sein de l'Europe ? Cela aussi, on ne le sait pas.
A propos du budget, c'est justement à propos du déficit des finances publiques qui est au-delà de ce qui est autorisé ou permis par les accords de Maastricht, que vous avez protesté à l'UDF, à l'Union pour la Démocratie Française.
Hervé Morin, revenons plus directement aux finances de la France. Le déficit de la sécurité sociale qui a été rendu public en début de semaine, pensez-vous qu'il soit maîtrisable avec les mesures annoncées par le gouvernement ?
Je crois qu'il ne faut pas se leurrer sur les dépenses de santé. Elles continueront toujours à augmenter. C'est un phénomène inéluctable lié au vieillissement de la population, au développement des technologies. J'ai discuté dernièrement avec de grands médecins qui me disaient qu'il y avait des traitements aujourd'hui qui coûtaient 15 000 euros annuel.
Alors le déficit est inscrit dans l'histoire ?
Quelques soient les systèmes, qu'il s'agisse du système privé " type américain " ou du système nationalisé " type britannique ", les dépenses de santé connaissent une augmentation, grosso modo, de 5% par an.
Les mesures proposées par le gouvernement permettent-elles de les réduire ?
Non, bien sur que non. Le premier problème, c'est qu'il est nécessaire de créer d'abord de la richesse, de la valeur, pour pouvoir ensuite la distribuer. Et si le pays décide qu'une partie de cette valeur ajoutée est consacrée au système de santé, pourquoi pas ? Cela n'empêche pas, bien entendu, de faire en sorte que les consommateurs soient un peu plus responsables. Les dépenses de santé dans 10 ans, dans 15 ans seront plus importantes qu'aujourd'hui.
Vous être très critique, on entend, avec le gouvernement. Cela dit, vous dites à l'UDF que vous continuez à appartenir à la majorité. Ce gouvernement aurait-il pu faire autrement depuis 18 mois ?
Oui, il aurait pu faire autrement en consacrant les cent premiers jours ou les quatre ou cinq premiers mois à mettre en uvre des réformes majeures.
Et ce n'est pas rattrapable maintenant ?
Après les retraites, on sent qu'on est un peu à bout de souffle et qu'il est très difficile de réengager des réformes, que le pays a l'épiderme très sensible. Je crois que lorsque l'on regarde l'histoire en 1981, ou en 1986 sous le gouvernement Chirac, ce que l'on a fait d'abord et avant tout c'est de dire pendant quatre ou cinq mois le Parlement siège et on fait les grandes réformes. On profite de l'état de grâce et après on décline ces réformes. Or, ces derniers mois, on a commencé par des dépenses, elles étaient nécessaires, sur la sécurité, la justice, la défense, on a voté ensuite des lois de programmation. On a pris un train de retard.
Est-ce qu'il reste un marge de manuvre politique à Jean-Pierre Raffarin ?
Oui, il en reste probablement une, mais je pense qu'il est aussi nécessaire que le Président de la République s'implique plus dans la vie du pays et parle plus souvent au pays pour lui dire " voilà où je veux vous emmener ".
Juste un point sur un autre sujet de l'actualité. Il y a une affaire de voile à nouveau qui secoue la France : deux jeunes filles qui veulent aller dans un lycée d'Aubervilliers avec un voile. Que pensez-vous à l'Union pour la Démocratie Française, Hervé Morin, sur ce dossier ? Faut-il une loi ?
Je ne sais pas s'il faut une loi, car c'est un sujet compliqué. François Bayrou avait quasiment réglé cette question lorsqu'il était ministre de l'Education Nationale par voie de directive ; donc cela doit pouvoir se faire. Ce qui me choque le plus dans le voile, c'est l'atteinte à la personne, à la dignité humaine et à la femme. Cela montre surtout qu'on est un système qui n'intègre plus, et on revient à la question de toute à l'heure, c'est-à-dire que l'on a un développement des communautés, on a un pays qui a un système qui n'est pas mort, qui reste éminemment moderne, mais qui ne fonctionne plus à l'heure actuelle.
Merci à vous, bonne journée Hervé Morin.

(Source http://www.udf.org, le 9 octobre 2003)