Texte intégral
Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureux de recevoir une nouvelle fois, aujourd'hui à Paris, mes amis Igor Ivanov et Joschka Fischer.
Nous sommes réunis dans un esprit de vive inquiétude liée à l'urgence de la situation humanitaire en Irak. Dans un esprit d'ouverture aussi, tourné vers l'avenir pour la recherche d'une solution à la crise irakienne. Dans un esprit de pragmatisme, il est en effet essentiel de prendre en compte la réalité irakienne dans toute sa complexité.
Notre monde est confronté à un risque grave de division. Face à ce risque, la seule réponse est celle d'un ordre mondial fondé sur la coopération multilatérale et la légalité internationale. Notre monde court également le risque d'un choc entre les cultures, entre les civilisations. Nous avons à répondre aux frustrations suscitées dans l'ensemble du monde arabe et musulman par la tolérance et le respect de l'autre.
Nous devons d'abord faire face à une urgence humanitaire immédiate, l'acheminement de l'aide humanitaire à l'Irak. La résolution 1472 du Conseil de sécurité, votée à l'unanimité la semaine dernière, rappelle les obligations des belligérants et l'importance d'une contribution de la communauté internationale. Nos pays se sont mobilisés, vous le savez, pour participer significativement à cet effort. La résolution souligne également la nécessité de permettre un accès libre et sans contrainte de cette aide aux populations. Face à la détresse croissante de tout un peuple fragilisé depuis des années, c'est là, pour nous, un élément essentiel.
Au-delà, les Nations unies doivent jouer un rôle central dans le règlement de la crise irakienne. Ce rôle, les Nations unies doivent l'exercer dès maintenant, à travers l'exigence quotidienne humanitaire, dans la phase armée, dans la phase de sécurisation. La responsabilité première revient naturellement aux forces coalisées, présentes sur le terrain, puis, quand la situation aura été sécurisée, à travers la reconstruction politique et économique de l'Irak.
Cette action doit nous permettre d'atteindre les objectifs suivants :
- D'abord, préserver l'intégrité territoriale de l'Irak et rétablir le plus rapidement possible la pleine souveraineté des Irakiens sur leur pays.
- Deuxièmement, garantir la stabilité régionale. Cela implique à la fois que les voisins de l'Irak s'abstiennent de toute action conduisant à un risque de dégradation de la situation, mais aussi que nous nous mobilisions pour un règlement d'autres crises régionales, en particulier, une reprise du processus de paix israélo-arabe. Nous avons aujourd'hui - nous en avons tous conscience - une occasion particulière de reprendre l'initiative. C'est pourquoi nous souhaitons la publication et la mise en oeuvre sans délai de la feuille de route du Quartette. C'est pourquoi également, dans la continuité de cette feuille de route, la France défend l'idée d'une conférence internationale.
Nous devons donc dès maintenant engager des consultations, à ce stade, informelles, sur ces différents points avec tous nos partenaires, avec tous les pays de la région avec qui nous souhaitons garder, dans cette période difficile et face à ces épreuves, un contact étroit.
Je vous remercie et nous sommes prêts maintenant à répondre à vos questions.
Q - Colin Powell a parlé d'un simple partenariat pour l'ONU concernant la reconstruction de l'Irak. Comment réagissez-vous à cela et ils vous lèguent en quelque sorte un rôle secondaire ?
R - Nous l'avons tous dit et croyez bien que lors de ce déjeuner, lors des échanges de travail que nous avons eus ensemble, nous avons tous conscience que nous sommes aujourd'hui encore dans une crise ouverte en Irak, avec tous les drames qui sont ceux de la guerre, qui sont ceux de populations civiles qui souffrent, et que la première urgence est bien l'urgence humanitaire. Donc, tout échafaudage, toute prospective concernant l'organisation future de l'Irak doit évidemment prendre en compte la situation qui sera celle de l'Irak au terme de la guerre.
Nous avons tous conscience également qu'au-delà de la guerre, au-delà de l'effondrement d'un régime, se pose par ailleurs le problème de la sécurisation d'un pays dont nous savons tous que c'est un pays dont l'unité est difficile et fragile. Il faudra donc maintenir l'unité de ce pays à travers ses différentes composantes régionales, ethniques, religieuses, tribales. C'est une tâche lourde. La place qui doit être celle des Nations unies - nous l'avons, pour chacun d'entre nous dit clairement et je crois que dans l'esprit des Européens, cela ne fait aucun doute - est une place centrale. Tout simplement parce que, dans une crise aussi importante pour le monde, le principe même de légitimité internationale est un principe auquel nous sommes tous attachés. Il ne doit pas y avoir de discussion sur ce principe ni sur les modalités et c'est pour cela, je l'ai dit, que nous avons tous eu à coeur, dans les réunions d'aujourd'hui comme pour celle d'hier, d'aborder les choses à la fois avec un esprit d'ouverture et de très grand pragmatisme. Face à de très graves problèmes, il est important que nous recherchions, par la concertation, des solutions. C'est bien là tout l'esprit de la diplomatie.
Q - Ni la Russie, ni la France n'ont pu éviter la guerre. Aujourd'hui, avez-vous tous les deux les moyens pour que les Etats-Unis ne s'accaparent pas l'Irak ?
R - Nous l'avons dit à plusieurs reprises, les uns et les autres : un pays ou quelques pays peuvent espérer gagner seuls la guerre mais personne ne peut espérer bâtir seul la paix. Et l'on voit clairement les principes qui sont indispensables dans l'Irak de demain. D'abord, l'unité de la communauté internationale, cette unité est indispensable avec une concertation très étroite bien sûr entre l'ensemble des parties irakiennes puisque nous affirmons la nécessité d'un respect de l'intégrité et de la souveraineté de l'Irak. Unité aussi et concertation avec l'ensemble des pays de la région, et nous voyons bien que dans cette région marquée par des divisions et des fractures, la capacité de la communauté internationale à obtenir le sursaut et à reprendre l'initiative sur le dossier israélo-palestinien est un véritable test de la volonté de la communauté internationale et de sa capacité à aller de l'avant.
Unité, c'est important ; responsabilité aussi et cette responsabilité dans la capacité que nous aurons ensemble à prendre des décisions ; et puis Igor Ivanov et Joschka Fischer l'ont dit, la légitimité. La légitimité : ce sont les Nations unies. Nous l'avons constaté par rapport à la gestion de cette crise jusqu'au début de la guerre, nous le constatons dans la gestion de toutes les crises et Igor Ivanov vient de rappeler à quel point les défis du monde restent entiers : le terrorisme, la prolifération qui ne se réduit pas à l'Irak, mais aussi les crises régionales et le problème de l'intégrisme et du fondamentalisme. La légitimité, ce sont les Nations unies et nous avons donc tous besoin d'appuyer, dans ce cadre, la capacité des Nations unies à opérer activement, dans l'unité, l'action de reconstruction politique et économique de l'Irak.
Q - Premièrement, le Sénat américain va regarder en deuxième séance un amendement au projet de loi de la reconstruction en Irak qui voudrait exclure vos trois pays avec la Syrie de tous les contrats de la reconstruction. Avez-vous une réaction ?
Monsieur de Villepin, hier à Bruxelles, dans votre conférence de presse, vous avez évoqué le pragmatisme, une deuxième phase dans la reconstruction où de facto, les forces de la coalition sur le terrain auraient le contrôle. Est-il juste de l'interpréter comme un rapprochement de la position britannique car M. Blair a lui aussi évoqué hier les trois phases ?
R - Sur le deuxième point que vous évoquez, il est naturel de constater que dans cette guerre, il y a des forces sur le terrain. Il est aussi naturel de constater, au-delà de la guerre, qu'il y a une phase de sécurisation indispensable qui permettra véritablement de bâtir à partir de là, la reconstruction économique et politique de l'Irak. Que dans cette phase de sécurisation, les forces présentes sur le terrain aient une responsabilité particulière, comme d'ailleurs dans la guerre sur le plan humanitaire, je crois que c'est tout naturel.
Bien évidemment, puisque vous évoquez la position de nos amis britanniques, il est clair que nous partageons les mêmes objectifs, les mêmes convictions et en particulier le rôle qui doit être donné de façon centrale aux Nations unies.
Concernant le premier point, sur l'idée que tel ou tel Etat puisse être écarté, je voudrais d'abord vous donner ma conviction. L'idée que l'Irak puisse être une sorte d'Eldorado, un gâteau que des Etats puissent se partager, me paraît à la fois contraire au bon sens et contraire à la vérité d'une population qui est aujourd'hui à l'épreuve, d'un Etat qui est aujourd'hui à l'épreuve et qui aura besoin d'être reconstruit. J'ai la conviction que l'Irak restera pour de nombreux mois, voire de nombreuses années, un souci, une préoccupation, un devoir pour la communauté internationale. Et puisqu'on parle de soucis et de devoirs, je crois que c'est bien la responsabilité de la communauté internationale tout entière qui est impliquée. Vous me permettrez donc de considérer que les tentatives dont vous parlez ne participent pas de la réalité du monde tel qu'il est.
Q - Tout à l'heure, vous partez pour l'Italie, vous allez au Vatican bien sûr, mais vous irez aussi voir M. Frattini ce soir. On sait que les liaisons entre l'Italie et la France en ce moment ne sont pas toujours très faciles. Allez-vous essayer de mettre les choses au point avec l'Italie ?
R - Je vais évidemment parler de tous les sujets avec mon ami italien mais je peux vous dire qu'il y a, dans l'intérêt commun des deux pays, à la fois une passion très ancienne et une connaissance très ancienne. Combien de voyageurs, combien d'artistes sont allés chercher leur inspiration en Italie ! Je ne doute donc pas que ce voyage sera fructueux, tant pour l'Italie que pour la France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2003)