Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, lors du point de presse avec M. Franco Frattini, ministre italien des affaires étrangères, et interview à la presse française le 4 avril 2003 à Rome, sur le conflit irakien, l'urgence humanitaire, l'administration de l'après-guerre, le règlement de la crise au Proche-Orient, la défense européenne et les relations franco-italiennes.

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Circonstance : Voyage en Italie et au Vatican de M. de Villepin le 4 avril 2003 : entretiens avec le ministre italien des affaires étrangères et avec le Pape Jean-Paul II

Média : Agence Algérie Presse Service - Presse

Texte intégral

(Point de presse à Rome, le 4 avril 2003) :
Je voudrais, à l'appui de ce qu'a dit Franco Frattini, insister sur quelques points qui sont particulièrement importants pour la France et que, je crois, nous partageons tous les deux. Sur l'Irak, nous sommes confrontés à une guerre tragique. Nous avons tout essayé pour faire en sorte que les grands principes, le droit, la morale puissent l'emporter, jusqu'au bout. Il nous faut maintenant, car c'est notre responsabilité, tout faire pour préserver l'unité de la communauté internationale, son efficacité. C'est évidemment très vrai, et Franco Frattini l'a rappelé, des relations entre l'Europe et les Etats-Unis. C'est aussi vrai bien évidemment des relations de l'Europe et de chacun de nos Etats avec le monde arabe car nous sommes particulièrement inquiets des risques qui existent de confrontations, de divisions, de fractures qui pourraient s'accroître entre notre monde et le monde arabe, le monde du Sud. Nous devons faire preuve en toutes circonstances d'une vigilance particulière.
Au-delà de l'unité, il nous faut faire preuve de responsabilité, bien sûr, et en particulier face à l'urgence quotidienne dont nous sommes tous, les témoins. Je pense en particulier à l'urgence humanitaire. Nous voyons des drames se poursuivre au quotidien. La communauté internationale se mobilise. Les Nations unies ont voté en fin de semaine dernière la résolution 1472. Il faut tout faire pour que cette aide humanitaire soit acheminée vers tous ceux qui, dans les villes, dans les campagnes, attendent avec impatience de pouvoir accéder aux produits pharmaceutiques, à l'eau, aux aliments. Il y a donc un devoir d'assistance pour la communauté internationale.
Le troisième principe que nous devons observer avec vigilance, c'est bien sûr la légitimité. Nous pensons tous que les Nations unies doivent dans ce contexte, occuper une place centrale. C'est dire qu'au-delà de l'urgence humanitaire d'aujourd'hui, dans la reconstruction politique et économique de l'Irak, une fois passé le temps de sécurisation indispensable sur le terrain où les forces en présence auront évidemment une responsabilité particulière, il est important que les Nations unies puissent assurer pleinement leur rôle. Quatrième exigence, c'est celle de la justice. Au Proche-Orient, nous voyons beaucoup de malheurs, nous voyons un sentiment profond d'insécurité du peuple israélien, d'injustice du côté palestinien. Il est urgent de reprendre l'initiative sur ce conflit israélo-palestinien. L'Europe, vous le savez, est très engagée à travers la feuille de route. Elle est très présente dans le cadre du Quartette. Il nous faut publier cette feuille de route, la mettre en uvre. Et il faut d'urgence entreprendre tout ce qui est possible pour véritablement permettre de franchir un nouveau pas dans le règlement de cette crise, de redonner de l'espoir, de redonner une perspective politique dans cette région. Après le Moyen-Orient, l'Europe bien sûr. Nous partageons la même ambition, la même conviction que cette Europe est au rendez-vous plus que jamais. Les menaces du monde, le terrorisme, la prolifération, les crises régionales, l'intégrisme, ce sont autant de défis pour l'Europe qui doit prendre toute sa place, jouer tout son rôle dans le cadre d'un monde multipolaire. Dans ce contexte, nous avons évoqué bien sûr, la Convention. Nous partageons le sentiment que la France, l'Italie, les Etats fondateurs ont une responsabilité particulière et nous poursuivons évidemment l'idée d'une contribution commune à la Convention. De même, j'ai renouvelé mon soutien à Franco Frattini qui présidera la Conférence intergouvernementale ainsi que mon espoir pour que ses travaux puissent se terminer si possible sous sa présidence en vue d'une signature à Rome de la future Constitution européenne.
Toujours sur l'Europe, nous avons évoqué la question importante de la défense européenne, bien sûr dans un esprit de complémentarité avec ce qui est fait par l'OTAN. J'ai présenté ce que pourraient être les objectifs du sommet quadripartite sur la défense européenne du 29 avril. Il s'agit de la Belgique, de l'Allemagne, du Luxembourg et de la France. Il s'agit, comme vous le savez, d'un processus qui se veut transparent, de concertation étroite. Il s'agit par ailleurs d'un processus qui a vocation à être ouvert. Les principaux éléments de cette réunion ne manqueront pas d'être présentés, expliqués à l'ensemble de nos partenaires. Enfin, il s'agit d'un processus ambitieux car il faut travailler dans le cadre de cette exigence de défense qui est bien l'un des grands défis que doit relever l'Europe.

Enfin je prendrais le risque de vous dire, en ce qui concerne les relations bilatérales, quelques mots en italien : Non c'è Europa senza Francie e Italia. Senza il loro passato il loro presente il loro futuro che s'incrociano in ogni momento. La nostra storia comune è sotto i nostri occhi. Le nostre due civiltà hanno dialogato, si sono interpenetrate. La lista è lunga degli artisti, degli scrittori che hanno così trovato l'ispirazione dall'altra parte delle Alpi. Chateaubriand, Stendhal, Maupassant in Italia, Leonardo, Modigliani in Francia. Oggi leggiamo Umberto Eco, andiamo a vedere il film di Salvatores e ci stringe il cuore quando pensiamo a Marcello Mastroianni, a Roberto Rossellini, a Vittorio Gasman o Alberto Sordi. Perchè sono cugini, sono fratelli. L'Italia e la Francia sono la prova che la civiltà mediterranea, una civiltà plurale è costantemente legata all'l'Europa. Oggi la relazione franco-italiana appartiene a tutti noi. Dobbiamo costruire l'avvenire insieme. Il periodo che stiamo vivendo è cruciale per il futuro dell'Europa. Sono certo che Italia e Francia saranno insieme, per convincere i nostri partners della necessità di un nuovo Trattato di Roma che costituisca la base di una Europa più forte, più presente nel mondo, più umana, più giusta. E' dire l'importanza della prossima presidenza italiana alla quale la Francia darà tutto il suo sostegno. Grazie.

Q - On voit des signaux de détente, mais, en clair sur quoi vous êtes-vous entendus ? Qu'en est-il d'une solution pour le futur gouvernement irakien et pour la feuille de route ?
R - Sur la feuille de route et la nécessité d'avancer dans le règlement de la crise au Proche-Orient, il faut que nous soyons bien conscients de cette attente qui existe aujourd'hui dans une région qui éprouve un sentiment d'injustice et souvent d'humiliation. A cela nous devons répondre en tendant la main et en proposant avec conviction et force des solutions. Bien sûr, nous voyons tous qu'il y a des atouts aujourd'hui pour réussir : il y a un nouveau gouvernement israélien, il y a un nouveau Premier ministre palestinien, M. Abou Mazen, un processus de réformes a été engagé par les Palestiniens. Alors, toujours poser des questions, souhaiter des préalables... Je crois qu'aujourd'hui, il est temps d'affirmer la conviction, la détermination, la volonté d'avancer et j'ai le sentiment aujourd'hui que partout en Europe cette détermination est partagée. En ce qui concerne l'Irak et la formation d'un gouvernement irakien, nous voyons bien l'urgence aujourd'hui. Alors même que la guerre n'est pas finie, c'est une urgence qui s'impose : terminer cette guerre bien sûr le plus vite possible, prendre en compte les exigences humanitaires, sécuriser la situation sur le terrain, respecter les principes indispensables, l'unité de l'Irak, la souveraineté des Irakiens et l'intégrité du pays. Ceci doit nous guider et évidemment, le rôle des Nations unies dans la définition de cette route vers un gouvernement irakien représentatif dans un Irak démocratique est tout à fait central dans la mesure où les Nations unies sont l'instance de légitimité et de représentation de la communauté internationale.

Q - Qu'avez-vous à dire sur le sommet en programme sur la défense européenne ?
R - Vous le savez, ce sommet doit se tenir maintenant à une date rapprochée, à l'invitation de la Belgique, autour de quatre pays. Il s'agit d'une première étape, je l'ai dit, c'est un processus qui est à la fois ouvert, transparent, ambitieux. Il a donc vocation à s'élargir, et c'est pour cela qu'il se fait en parfaite liaison avec l'ensemble des pays européens, puisque nous serons appelés à rendre compte, expliquer et dire quelles sont les conclusions premières, les travaux auxquels nous serons amenés. Donc je crois que ce processus est le début de quelque chose, nous souhaitons que cela puisse évidemment se développer, nous en avons longuement parlé avec Franco Frattini, et je pense que nous aurons l'occasion d'en faire le point évidemment dans les prochaines semaines. C'est dans cet esprit que s'organise et se prépare ce sommet.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2003)


(Interview à la presse française à Rome, le 4 avril 2003) :
Q - Que pouvez-vous dire de votre entretien avec le Pape Jean-Paul II ?
R - J'ai éprouvé le sentiment d'avoir rencontré une si haute personnalité spirituelle, marquant un engagement très fort en faveur de la paix, et cette parole compte dans le monde d'aujourd'hui. Quand on voit des risques de fractures, des divisions, des risques d'incompréhension, ce sentiment d'humiliation, d'injustice qui peut exister aujourd'hui au Moyen-Orient, il est essentiel que nous ayons cette main tendue vis-à-vis des peuples du monde arabe, vis-à-vis des peuples musulmans. Il est essentiel aussi que nous fassions tout pour alléger les souffrances des victimes et j'ai vu la compassion du Saint-Père pour ces victimes, pour cette douleur qui aujourd'hui marque cette terre irakienne, la sensibilité particulière qui est celle du Pape, qui trouve un écho très fort en France. Il faut éviter le choc des cultures, éviter le choc des religions, éviter le choc des civilisations. Il y a là évidemment une exigence pour la diplomatie française : tout faire pour éviter ces ruptures.

Q - Pensez-vous qu'une médiation du Saint-Siège puisse freiner ou stopper le conflit en Irak ?
R - Nous le voyons bien, il y a aujourd'hui une guerre qui est engagée, une guerre qui est douloureuse. Il faut souhaiter que cette guerre puisse se terminer le plus rapidement possible avec le moins grand nombre de morts possible.

Q - Souhaitez-vous donc une fin rapide de ce conflit ?
R - Bien sûr, c'est l'objectif : faire en sorte d'alléger les souffrances inutiles, faire en sorte que la démocratie puisse l'emporter.

Q - Avez-vous parlé avec le Pape de l'après guerre et du rôle que pourrait jouer la diplomatie vaticane avec celle de la France dans la reconstruction de l'Irak ?
R - Le Saint-Père m'a dit tout l'engagement qui était le sien vis-à-vis de l'Irak, vis-à-vis du Proche-Orient : faire en sorte que puisse reprendre l'initiative dans la recherche d'un règlement du conflit israélo-palestinien, répondre à l'insécurité profonde que ressent le peuple israélien et au sentiment d'injustice du peuple palestinien. Il y a là je crois une exigence qui est partagée par l'ensemble des pays européens.

Q - Monsieur le Ministre, lors de votre conférence de presse nous avons bien entendu que l'Italie et la France entendaient faire table rase du passé. Néanmoins, il y a eu un certain nombre de déclarations qui ont surpris, étonné, parfois stupéfait un certain nombre de personnes, venant de la part du président du Conseil italien qui a accusé d'une manière très véhémente la France, d'avoir rendu l'ONU impuissante.
J'aimerais savoir ce que vous, vous pensez réellement de ces déclarations et quel est votre point de vue ?
R - La situation sur le dossier irakien, les efforts qui ont été faits par la France pour faire respecter le droit, la morale, les principes dans le cadre des Nations unies sont bien compris, je crois, par l'ensemble de la communauté mondiale. Il n'est pas besoin de l'expliquer à nouveau. Chacun ici le sait. Je ne veux donc participer à aucune polémique. Ce que je veux dire par contre, c'est que le monde vit un moment de grande douleur, de grande inquiétude car des problèmes il y en a, et ils sont nombreux : la prolifération, le terrorisme, la guerre en Irak, la situation du Proche-Orient, le risque de l'intégrisme et du fondamentalisme. Tout ceci requiert de notre part l'unité, la responsabilité pour agir. Nous n'avons pas le droit de nous diviser face à de telles menaces. Croyez bien que la diplomatie française est là pour trouver des solutions dans un esprit d'ouverture, dans un esprit constructif et dans un esprit pragmatique.

Q - Simplement à quelques mois de la présidence italienne de l'Union européenne, n'y a-t-il pas des paroles qui blessent sérieusement les amis ?
R - Quand il y a des paroles qui blessent, nous le disons, nous le disons avec franchise, nous le disons même avec amitié. Et je veux croire que ce qui existe si fort entre le peuple italien et le peuple français - je l'ai rappelé : quelle histoire commune, que de passions communes, que d'affection entre ces deux terres et ces deux peuples - est évidemment bien plus important.

Q - L'aide humanitaire est donc une de vos principales inquiétudes ?
R - Aujourd'hui en Irak, l'urgence humanitaire est évidemment tout à fait essentielle. C'est pour cela que nous avons largement contribué à faire voter la résolution 1472 au Conseil de sécurité. Il faut tout faire maintenant pour que cette aide puisse être acheminée, pour qu'elle arrive aux populations, les produits pharmaceutiques, l'eau, l'électricité. Il faut essayer de faire en sorte que cette population puisse passer à travers ce conflit si douloureux, si cruel avec le moins de pertes possibles. Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2003)