Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Parisien" du 9 octobre 2003, sur la situation économique de la France, le débat sur les 35 heures, la préparation des élections régionales et le souhait de soumettre à référendum la future Constitution européenne.

Prononcé le

Média : Le Parisien

Texte intégral

Le président de l'UDF, très sévère avec le tandem Chirac-Raffarin, souhaite être le porte-parole des Français que la politique du gouvernement inquiète, mais qui ne veulent pas d'un retour de la gauche au pouvoir.
L.P.- Lundi à Moscou, Jean-Pierre Raffarin a parlé d'un " contexte récessif " en France...
F. BAYROU.- Ne jouons pas avec les mots. Tout montre, en fait, que nous sommes en récession. Que l'on soit à 0,1 % au-dessus ou au-dessous de zéro, qu'est ce que ça change ? Ce climat est dur. Les conséquences de la récession sont sévères. Des dizaines de milliers d'emplois sont supprimés, et des dizaines de milliers d'autres ne sont pas créés. Voilà la situation de la France aujourd'hui.
L.P.- Iriez-vous jusqu'à dire, comme Nicolas Baverez, que la France est " en déclin " ?
F.B.- Non, parce que le déclin est irréversible. La France est en crise, elle est en souffrance, mais le chemin pour en sortir existe. Reste que sur presque tous les sujets - déficit, croissance, réformes - nous sommes désormais parmi les derniers de la classe. Et cela dépasse l'économie : nous n'arrivons pas à faire naître l'élan national qui nous fera sortir du marécage.
L.P.- Jacques Chirac est-il assez présent ?
F.B.- La gravité de la situation fait ressortir son absence. Nous sommes le seul pays d'Europe et même du monde où un président élu au suffrage universel, avec des pouvoirs considérables, n'assume pas ensuite en première ligne les choix qu'il a proposés. Même le général de Gaulle assumait en direct : souvenez-vous de ses conférences de presse ! Alors, quand tout va bien, cela passe peut-être. Quand ça va mal, cette absence contribue à l'inquiétude du pays.
L.P.- Jean-Pierre Raffarin est là pour tenir la barre...
F.B.- Convenons que sa situation n'est pas facile. Il met en oeuvre, quoi qu'il en pense au fond de lui, les choix qu'on lui impose. Et il est obligé de les rendre compatibles avec une situation très dégradée. Il n'a pas de marge d'adaptation. Au début, dans l'euphorie, ça va. Après, c'est très difficilement gérable.
L.P.- Qu'est ce qui vous a choqué dans la période récente ?
F.B.- Annoncer que l'on baisse les impôts et, en même temps, augmenter le gazole. Ensuite, pour trouver de l'argent à tout prix, les allocations des chômeurs en fin de droit. Enfin, annoncer à grand son de trompe que les 35 heures sont responsables de tout notre malheur et, deux jours après, qu'on n'y touchera pas !
L.P.- La politique du gouvernement ne serait-elle donc pas à la hauteur ?
F.B.- Il y a des messages contradictoires dans tous les sens. Un grand pays comme la France ne peut s'en tirer que si sa politique est d'une clarté parfaite. Une politique peut être impopulaire mais, si elle est claire, c'est déjà quelque chose : c'est solide. Aujourd'hui, c'est tout, sauf clair.
L.P.- Martine Aubry se réjouit de la création d'une " mission d'information sur les 35 heures "...
F.B.- Avouez qu'il est étrange que sur les 35 heures, dix-huit mois après les élections, on en soit encore à faire des enquêtes... Ou bien les 35 heures ont des conséquences aussi graves qu'on nous le dit et il aurait fallu agir dès le début. Ou bien on n'en est pas sûr, et à quoi rime une telle levée de boucliers ? Bref, l'heure ne me paraît pas être à une commission de plus qui n'est même pas une commission d'enquête. Quand plusieurs ministres, la semaine dernière, ont allumé le feu, j'ai cru que le gouvernement avait un plan, qu'il allait enfin proposer quelque chose de différent. Aujourd'hui, il a reculé. L'UDF a critiqué depuis le début l'instauration autoritaire des 35 heures. Nous avons regretté que l'on choisisse des mini-aménagements, et pas un vrai changement. Nous croyons qu'un jour ou l'autre, par accord entre le salarié et l'entreprise, sans y être obligés, les Français qui le veulent devront pouvoir travailler plus pour gagner plus.
L.P.- Faites-vous toujours partie de la majorité ?
F.B.- Ma position, c'est l'indépendance et la liberté de parole. Quand je pense qu'il faut dire oui, je dis oui. Et quand il faut dire non, je dis non. Il y a des millions de Français comme moi. Ils voudraient que cela marche. Ils n'ont aucune envie que les socialistes reviennent, et que ça recommence. Mais ils sont dans le désarroi, faute d'une action claire, continue, lisible. Si l'UDF n'était pas là, ces Français de bonne volonté n'auraient pas de porte-parole. Ils ne trouveraient en face d'eux que des godillots d'un camp ou de l'autre. Il est nécessaire qu'une parole libre se fasse entendre. Regardez la Sécu : c'est inouï de laisser la situation se dégrader encore pendant un an simplement parce qu'il y a des élections qui arrivent. C'est un pays adulte, la France...
L.P.- L'UMP presse l'UDF de choisir une stratégie pour les régionales...
F.B.- C'est très aimable de leur part, mais j'ai l'intention de tenir mon propre rythme, mon propre calendrier. L'UDF doit répondre, en effet, à une question importante : faut-il, comme depuis vingt ans, un accord UDF-UMP dès le premier tour, en disant " Il faut se serrer les coudes quand ça va mal " ? Ou bien la situation est-elle si grave qu'elle impose de montrer au pays qu'il existe un autre chemin ? Le temps est-il venu de lui proposer une alternative ? Je ne dis pas une alternance, mais une alternative : un autre chemin pour la même volonté du pays.
L.P.- Et quand déciderez-vous ?
F.B.- Nous désignerons nos chefs de file dans trois semaines, le 5 novembre. Et nous choisirons notre stratégie lors d'un conseil national au début du mois de décembre.
L.P.- Souhaitez-vous que la future Constitution européenne soit soumise à référendum ?
F.B.- Oui, bien sûr. Je n'ignore pas les risques. Mais quand on donne une Constitution à l'Europe, on ne peut pas le faire sans le peuple. Autrement, on fuit le débat. J'ai été très déçu et choqué des déclarations anti-européennes du gouvernement. Le débat de l'Europe, il ne faut pas le fuir : il faut l'assumer. Ceux qui croient à l'Europe doivent arrêter de battre en retraite. Il faut désormais qu'ils avancent à visage découvert et drapeau déployé.
L.P.- Quel conseil donneriez-vous à Jean-Pierre Raffarin ?
F.B.- Je l'incite à mettre de l'ordre dans une communication devenue illisible. Qu'il choisisse de vraies priorités. Et qu'il empêche ses ministres de parler dans tous les sens.
L.P.- Pour certains, l'après-Raffarin aurait déjà commencé à l'UMP ...
F.B.- Je suis à l'UDF, et pas à l'UMP. C'est une tout autre culture. Et je m'en félicite tous les jours : je suis vraiment heureux de ne pas être pris dans cette bagarre qu'on nous annonce.
Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Ludovic Vigogne
(Source http://www.udf.org , le 10 octobre 2003)