Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, lors du point de presse conjoint avec Mme Anna Lindh, ministre suédoise des affaires étrangères, et interview à l'Agence France Presse à Göteborg le 7 avril 2003, sur la place de l'Union européenne dans la sécurité et la reconstruction de l'Irak après guerre, la primauté de l'Onu dans la gestion des crises internationales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage en Suède de M. de Villepin le 7 avril 2003 : entretien avec la ministre suédoise des affaires étrangères, Mme Anna Lindh

Média : Agence de presse

Texte intégral

(Point de presse conjoint à Göteborg, 7 avril 2003) :
Q - (A propos du Moyen-Orient)
R - En ce qui concerne le Moyen-Orient en général, je pense que nous sommes bien d'accord sur le fait qu'il est temps de prendre une initiative sur le processus de paix. Bien sûr, nous avons la feuille de route et nous estimons qu'elle devrait être rapidement mise en oeuvre. Nous avons de nouvelles conditions et celles-ci devraient être examinées par nous tous afin de tenter de trouver une solution commune à cette terrible crise.

Q - De quelle manière l'Irak devrait-il être reconstruit ?
R - C'est l'une des principales questions dont nous discutons tous. Tout d'abord, il y a la situation qui n'est pas encore dénouée en Irak. Nous sommes confrontés à une énorme crise humanitaire et nous devons y répondre. Ensuite, il y a la période de sécurité durant laquelle nous espérons, bien sûr, que les choses seront clarifiées le plus vite possible et que tout le pays sera pacifié. Nous estimons tous que les Nations unies devraient jouer un rôle clé dans la reconstruction politique et économique du pays.

Q - Y aura-t-il des soldats français et suédois en Irak ?
R - C'est complètement prématuré à ce stade. Il y a, là-bas, les Américains, les Britanniques - la coalition -. Nous avons besoin de voir comment la guerre s'achèvera, ce que sera la situation dans le pays et le type de sécurité qui sera assuré dans toutes les parties du pays car, bien sûr, en termes de principes, l'unité de l'Irak est un facteur très important ainsi que l'intégrité du pays et la stabilité de la région. C'est ce qui nous préoccupe le plus en ce moment et nous estimons que nous devrions prendre l'initiative sur toutes les différentes questions du Moyen-Orient. C'est pourquoi nous discutons de ce processus parce qu'il est maintenant temps d'agir et de répondre vraiment au sentiment d'insécurité du peuple israélien, au sentiment d'injustice du peuple palestinien.

Q - Concernant les armes de destruction massive, s'ils n'en trouvent pas...
R - Comme vous le savez, la résolution 1441 du Conseil de sécurité a été adoptée afin d'essayer de mettre un terme à cette situation. Nous n'avons pas accepté le statu quo. Personne n'était prêt à prendre le risque que l'Irak détienne des armes de destruction massive. Il y avait deux manières d'aborder ce type d'armes. La première était pacifique, par le biais des inspections et nous avons énormément soutenu les travaux effectués par MM. Hans Blix et El Baradeï. Nous pensions qu'il était important que la communauté internationale mène ce type d'inspections afin de lutter contre les risques de prolifération car nous savons qu'il est bien sûr question de l'Irak, mais pas seulement de l'Irak, nous avons aussi la crise nord-coréenne et bien d'autres pays. Par conséquent, c'est un problème auquel nous serons de nouveau confrontés et il nous faudra trouver des moyens pacifiques de lutter contre la prolifération. Ce sera l'un des thèmes principaux des discussions et je pense que la Suède et la France souhaitent être très actives en la matière.

Q - Pourquoi êtes-vous venu vous exprimer ici aujourd'hui ? En quoi est-ce important pour vous ?
R - Parce que nous coopérons très étroitement en ce qui concerne l'avenir de l'Europe, en ce qui concerne aussi l'avenir du monde et que, ces derniers mois, nous avons coopéré très étroitement sur l'Irak. Je pense que nous partageons la même conception. Nous pensons que l'ordre international devrait être un ordre dans lequel les Nations unies jouent le rôle central, parce que les Nations unies ont la légitimité pour agir.

Q - Pensez-vous que l'ordre international a changé depuis la guerre en Irak ?
R - Je pense que nous devrions tirer la bonne conclusion de ce qui se passe en Irak. Il est évident que la force ne peut être utilisée qu'en dernier recours. Si l'on pense que la force pourra régler les différentes crises mondiales, je pense que c'est commettre une erreur.

Q - Dans quelle mesure l'Union européenne pourra-t-elle influer sur la reconstruction en Irak ?
R - Je pense que l'une des bonnes nouvelles que nous avons apprises aujourd'hui est que la Communauté européenne partage la même conception en ce qui concerne l'avenir de l'Irak et sa reconstruction future. Nous avons eu des contacts très étroits avec tous les Européens, nous avons rencontré les Britanniques. Je pense que nous souhaitons tous que cela soit un effort commun, un effort commun de la communauté internationale, un effort commun avec les Nations unies et un effort commun avec les Européens. Par conséquent, je pense que nous avons de bonnes chances d'être unis dans cette nouvelle phase.

Q - Mais les Américains écouteront-ils ?
R - Nous l'espérons et nous avons des discussions avec eux. Nous les avons rencontrés, nous avons rencontré M. Colin Powell à Bruxelles. Je pense qu'il est essentiel de bien connaître la réalité pour traiter la politique internationale. Le Moyen-Orient est une région difficile et je ne pense pas que tous les problèmes du monde vont être résolus simplement à cause de l'Irak. Nous devons affronter le monde tel qu'il est, affronter le terrorisme, affronter la prolifération, affronter la crise régionale, le fondamentalisme, et pour tout cela, il nous faut un ordre international, il nous faut une légitimité. Les Nations unies sont, bien sûr, pour nous le meilleur outil, le meilleur instrument pour cette légitimité.
(...)
R - Nous devrions essayer de tirer les bonnes conclusions de la situation. Nous pensons tous qu'il est important pour le monde, qu'il est important pour les Etats-Unis, que l'Europe soit unie et que cela incite à une coopération accrue en Europe, à plus de discussion, à plus de concertation. Nous devrions saisir toutes les occasions de discuter entre nous et je suis très heureux d'apprendre que votre Premier ministre, M. Göran Persson, se rendra à Paris la semaine prochaine. Je pense que toutes ces occasions de rencontres bilatérales nous aident à maintenir notre cohésion et que c'est très important pour nous tous.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 avril 2003)


(Interview à l'AFP à Göteborg, le 7 avril 2003) :
Q - Il y a une véritable volonté de la part de la France de faire un front commun européen, je veux parler de la reconstruction.
R - C'est évidemment un défi très important pour nous tous. Nous avons entretenu une concertation très étroite entre Européens, vous savez que j'ai rencontré mon collègue allemand à plusieurs reprises, je dois recevoir cette semaine mon collègue britannique, je vais aller en Espagne, j'étais en Italie vendredi dernier. Donc il y a véritablement le souci de nous retrouver dans cette nouvelle phase. Il y a des initiatives, des propositions qui sont faites. Les Britanniques ont proposé une conférence nationale sur l'Irak. Il faut que nous mettions de l'ordre dans nos idées, il faut que nous soyons en initiative, capables de proposer des solutions et c'est pour cela que nous pensons évidemment, que sur le plan des principes, il faut que les choses soient claires. L'objectif d'unité, l'objectif d'intégrité, l'objectif de souveraineté de l'Irak c'est évidemment un point central et la communauté de vues de l'ensemble des Nations est un élément clé. Pour cela les Nations unies ont un rôle à part, un rôle particulier, un rôle central. Et nous pensons que dans cette perspective, la reconstruction sera difficile, parce que je crois qu'il ne faut pas sous-estimer les difficultés qui seront devant nous. Il y a une épreuve irakienne, cette épreuve est encore devant nous pour de longs mois, voire de longues années. Il y a un coût humain extrêmement difficile, un coût politique pour l'ensemble de la région, un coût financier et face à tout cela, seule une communauté internationale unie sera à la mesure de l'enjeu. Ma conviction est que l'Europe doit bien sûr, tout entière et tous ensemble, faire face à cette situation.

Q - Je crois que vous avez également parlé de la Convention européenne. A cet égard, M. Chirac a prononcé une déclaration diversement accueillie sur la déclaration des pays de l'Est notamment. On voit se profiler un axe Europe-Paris de Berlin à Moscou. Cette conversation sera importante dans l'organisation de l'exécutif européen.
R - Tout cela est très important. Le président de la République avait rappelé à quel point l'esprit de famille était important et qu'il ne fallait pas chercher à se diviser. Il semble que le message ait été bien reçu par tout le monde. Nous sommes maintenant dans une nouvelle étape, nous avons tous tourné la page. J'ai été frappé de voir, au dernier Sommet de Bruxelles par exemple, à quel point cette famille toute entière, cette famille élargie a envie de relever les défis. Pour cela, il faut une concertation, il faut un travail important. Nous aurons l'occasion de nous retrouver au Conseil Affaires générales lundi prochain, il y aura le Gymnich, il y aura la signature du traité d'adhésion. Il y a donc des étapes devant nous, qui seront autant d'occasions véritablement de discuter, de rapprocher nos points de vues et d'agir ensemble car nous le voyons bien, le monde a besoin d'actions : des actions au Moyen-Orient, la reconstruction de l'Irak. Mais je l'ai dit, la relance du processus de paix au Proche-Orient est un élément aussi extrêmement important. Sur la prolifération, il faut que nous ayons une évaluation commune de la menace, il y aura d'autres grands sujets, d'autres grandes crises de prolifération. Nous devons donc avoir les outils indispensables pour faire face à ces difficultés ainsi qu'à d'autres crises régionales qui nous mobiliseront.
Pour la politique étrangère, pour la politique de défense - et vous savez qu'il y aura une initiative à la fin du mois avec les Belges, les Allemands et les Luxembourgeois dans un processus qui doit être transparent, ouvert, mais aussi ambitieux auquel pourront adhérer tous les Etats qui le souhaitent -, il y a là aujourd'hui, pour l'Europe, un temps de l'initiative, un temps de la conviction et le temps de l'unité retrouvée.

Q - La semaine dernière à Stockholm, Hans Blix parlait d'une nouvelle donne après la guerre froide où les menaces pouvaient être mises à exécution comme on l'a vu en Irak, comme des guerres préventives. Craignez-vous d'autres conflits ?
R - Evidemment, nous ne pensons pas que c'est un pas dans la bonne direction. Nous sommes convaincus qu'il faut un ordre international, des principes et que la responsabilité collective dont les Nations unies sont le garant soit au coeur de ce nouveau système international. La logique de force n'est pas celle qui peut permettre de reconstruire la communauté internationale. Il faut être extrêmement vigilant, nous l'avons dit, nous le maintenons. La force ne peut être qu'un dernier recours.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2003)