Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, au "Monde" le 2 octobre 2003, sur la signature de la CGT en faveur de l'accord sur la formation professionnelle.

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Rémi Barroux : L'accord que vous allez signer sur la formation professionnelle avec le Medef et les quatre autres confédérations traduit-il un changement dans l'orientation de la CGT ?
Bernard Thibault : " C'est d'abord sur le contenu d'un accord que la CGT fonde sa position. Celui-ci introduit un droit individuel à la formation (DIF) pour chaque salarié au plan interprofessionnel. Ce qui est contraire à la culture du Medef, qui veut cantonner le droit des salariés au périmètre de leurs entreprises. Même dans des conditions imparfaites, nous voyons dans ce texte les prémices du nouveau statut du travail salarié, d'une nouvelle sécurité sociale professionnelle que la CGT revendique. Pourtant, cet accord ne répond pas à toutes nos revendications. Nous n'allons d'ailleurs pas y renoncer pour autant. C'est un compromis à un moment donné. Nous sommes bien conscients que sa mise en uvre concrète va donner lieu à des empoignades sur les lieux de travail, comme c'est souvent le cas pour faire appliquer une loi ou une convention. Cela nécessite toujours une intervention syndicale pour que les salariés bénéficient de leurs droits ".
Pour quelle raison, selon vous, le Medef signe-t-il lui aussi cet accord ?
" La pression politique sur le patronat était forte pour qu'il fasse la preuve de sa volonté de négocier sur ce sujet. Il est aussi de l'intérêt des employeurs d'avoir des salariés disposant de qualifications élevées. Nous avons obtenu d'ailleurs une augmentation du financement par les entreprises, alors que le discours actuel, c'est "Haro sur les charges patronales".
Redoutez-vous que cet événement soit interprété comme le signe d'un rapprochement entre votre syndicat et le patronat ?
" Il n'y a aucune ambiguïté de notre part. Il faudrait plus qu'une signature pour considérer que la CGT et le Medef sont sur la même longueur d'onde. Nous préparons une journée de mobilisation sur l'emploi le 8 octobre, puisque le Medef ne veut rien entendre sur les restructurations et les licenciements. Et je ne pense pas que nous aurons la même vision de l'avenir de l'assurance-maladie. Si cette signature confirme que la CGT sait aussi approuver des accords, je rappelle que c'est déjà le cas pour 80 % des accords d'entreprise que nous négocions et de 35 % des accords de branche ".
C'est pourtant une rupture avec les pratiques précédentes...
" Je ne regrette pas d'avoir rejeté l'accord Unedic qui exclut des milliers de chômeurs de l'indemnisation, ni celui dont seront victimes les intermittents du spectacle. Lorsqu'un syndicat approuve tous les accords qui lui sont proposés, il finit par dévaloriser sa signature. Lorsque nous signons, la nôtre n'en a que plus d'importance. C'est aussi pour cela qu'elle suscite plus de commentaires ".
Est-ce une manière de tenir compte des limites du mouvement social du printemps ?
" Vous verrez que l'on reparlera des retraites, parce que leur avenir n'est en rien assuré. La négociation est au service des revendications. Elle doit être accompagnée d'une mobilisation, d'autant plus nécessaire lorsque l'interlocuteur fait preuve d'intransigeance ".
Cet accord est-il l'illustration du "syndicalisme rassemblé" que vous appelez de vos voeux ?
" Il y a eu un travail entre syndicats pour conduire cette négociation. Il était engagé bien avant l'épreuve de force sur les retraites et il s'est poursuivi après. Les enquêtes d'opinion montrent que la confiance dans la CGT n'a jamais été aussi grande, on lui reconnaît notamment sa volonté de contribuer à l'unité syndicale. La capacité des organisations syndicales à travailler dans l'unité reste un levier déterminant pour l'avenir. Il peut cependant y avoir plusieurs approches d'un même problème. Il faut une réforme de la représentativité et des modalités de conclusion des accords qui tiennent compte de l'opinion des salariés, les premiers concernés ".
Dans quel état d'esprit abordez-vous les discussions sur la réforme du dialogue social ?
" Le principe d'une réforme est annoncé par le gouvernement. Nous devons maintenant en discuter le contenu. Mais si on se refuse à remettre en cause l'arrêté de 1966 qui fige les représentations syndicales aux cinq confédérations actuelles, les choses sont mal engagées. Il faut tout remettre à plat ".
(Source http://www.cgt.fr, le 3 octobre 2003)