Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la stratégie de l'Europe pour les Balkans et la PESC, Paris le 24 novembre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Forum interparlementaire "Les Balkans : de la stabilité à la reconstruction", Paris le 24 novembre 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir et un honneur pour moi de participer à ce colloque interparlementaire consacré aux "Balkans, de la stabilité à la reconstruction". Je voudrais tout d'abord remercier et féliciter Raymond Forni, vice-président de l'Assemblée nationale, président de la délégation du Bureau chargé des activités internationales, et Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, pour cette heureuse initiative qui est vrai succès et qui offre une occasion unique de rencontre entre parlementaires et responsables français et européens. Je salue, tout particulièrement, l'ensemble des représentants venus des pays des Balkans, ici présents.
Intervenant en conclusion de votre première table ronde, consacrée aux aspects politiques de la reconstruction, et à laquelle, pour cause de Conseil des ministres, je n'ai malheureusement pu assister, je souhaiterais, plutôt que tenter de paraphraser vos discussions, concentrer mon propos, en tant que ministre chargé des Affaires européennes, sur la stratégie et les ambitions de l'Union européenne en faveur de la reconstruction et de la stabilité des Balkans.
1/ En premier lieu, je veux rappeler toute l'importance que nous attachons à la région des Balkans, dans le cadre de l'Europe réunifiée que nous voulons bâtir au siècle prochain.
Pendant plus de quarante ans, la construction européenne, de la Communauté du charbon et de l'acier jusqu'à la monnaie unique, s'est bâtie uniquement dans la moitié occidentale de notre Continent, en tout cas - pour ne pas froisser nos amis Grecs ici présents - au sens politique de ce terme.
Pour autant, cela n'était que la conséquence de la division de l'Europe issue de la guerre froide, non d'une quelconque conception "élitiste" du futur du continent. Nos frontières étaient, en quelque sorte, cimentées de l'extérieur. Depuis l'origine, la vocation de la Communauté, puis de l'Union européenne a été de regrouper l'ensemble des pays et des peuples européens, afin d'instaurer en Europe la paix, la démocratie et le bien-être économique et social.
Depuis la chute du Mur de Berlin, dont nous venons de célébrer le dixième anniversaire, la perspective de la réunification du Continent est à notre portée. C'est l'enjeu majeur - dont on parle trop peu - de l'Europe du prochain siècle. Or, il est capital, pour moi, que cet indispensable mouvement d'élargissement vers l'Europe centrale et orientale, qui concerne déjà six pays candidats et devrait englober, après le Conseil européen d'Helsinki, le mois prochain, sept autres pays, dont la Bulgarie et la Roumanie, mais aussi la Turquie, dont je veux dire que la France souhaite la demande d'adhésion, ne laisse pas de côté les Balkans.
Il s'agit là d'une question de logique et de cohérence, car les Balkans ont toujours joué un rôle crucial dans l'histoire et la culture européennes, car ils sont une pièce indispensable du puzzle européen. Mais il s'agit aussi d'une question de solidarité politique. Nous devons offrir à ces pays une perspective de paix et de démocratie. Nous devons leur dire clairement, dans notre intérêt comme dans le leur, que la place de l'ensemble des pays de l'ex-Yougoslavie, comme ceux de l'ensemble des Balkans, une fois en paix, une fois démocratisés, est au sein de l'Union européenne élargie de demain. Il en va de la stabilité et de la paix de l'ensemble du Continent.
C'est pourquoi j'ai toujours quelques interrogations, à titre personnel, à l'égard de la belle expression, à bien des égards parlante et juste, selon laquelle il conviendrait aujourd'hui d'européaniser les Balkans. Je la comprend, bien sûr, et j'évoquerai dans un instant comment l'Union européenne mène son action politique, de façon très dynamique, dans les Balkans. Pour autant, je pense qu'il n'y a pas à européaniser les Balkans, car les Balkans sont partie intégrante de l'Europe. Ils l'ont toujours été. Mais enfin, ceci n'est peut-être qu'un problème de vocabulaire: si cela signifie faire régner dans cette région trop souvent déchirée, nos idéaux européens de paix, de stabilité et de démocratie, j'y souscris.
Une dernière remarque. Je souhaite dire avec force, car cela est lié, que les questions religieuses ne doivent être en aucun cas un obstacle sur la voie de l'intégration des Balkans en Europe. L'Union européenne n'a jamais eu vocation à n'être qu'un club de nations majoritairement chrétiennes. L'Europe possède une dimension multiconfessionnelle depuis des siècles. Quel serait le sens de notre ambition politique, si elle revenait à nier l'histoire?
2/ J'en viens maintenant à la politique menée actuellement par l'Union européenne en faveur des Balkans.
Laissant volontairement de côté les aspects financiers et économiques, que vous aborderez cet après-midi, j'insisterai sur les axes essentiels de la stratégie politique de l'Union en direction des Balkans.
- En premier lieu, nous avons proposé aux Etats des Balkans occidentaux, lors du Conseil européen de Cologne, de les rapprocher de la perspective d'une pleine intégration dans les structures de l'Union, au moyen d'un nouveau type de relation contractuelle, les "accords de stabilisation et d'association".
Les objectifs de ces accords sont ambitieux. Ils visent à organiser la coopération entre l'Union européenne et chaque Etat concerné, de façon à favoriser le développement et, le cas échéant, la reconstruction des structures économiques et sociales et, ainsi, à contribuer à réduire progressivement l'écart qui les sépare encore du reste de l'Europe.
Dans ce but, l'Union a décidé de mettre en place plusieurs instruments concrets, dont la constitution progressive entre l'Union et ces pays d'une zone de libre échange, à un horizon de dix ans, la mise en oeuvre de dispositions relatives aux libertés du marché unique, ainsi qu'un renforcement de diverses coopérations, entre autres en matière de justice et d'affaires intérieures.
Surtout, ces accords sont importants et novateurs car ils sont conçus pour favoriser la stabilisation des relations entre les Etats des Balkans eux-mêmes. Ils intègrent en effet une clause faisant obligation aux Etats concernés de conclure une "convention de coopération régionale" avec tout autre Etat des Balkans qui s'engagerait également dans un accord de stabilisation et d'association.
Cette convention, qui aura une portée très large, inclura la mise en place d'un dialogue politique régional, l'établissement d'une zone de libre échange régionale, aussi bien que des concessions mutuelles relatives à la liberté de circulation des personnes, des capitaux et des services.
Il s'agit d'un point essentiel pour asseoir la paix dans la région. Par ce mécanisme, l'Union européenne entend amener les Etats de la région à tisser, entre eux, une toile de coopération et d'échanges mutuels. Bâtir la paix et la confiance à partir des intérêts concrets, c'est tout simplement la méthode par laquelle la France et l'Allemagne, dans les années cinquante, ont garanti la paix entre eux tout en jetant les fondations de l'Europe.
- J'en viens maintenant au deuxième axe essentiel de la politique de l'Union dans les Balkans, le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud Est, adopté le 10 juin à Cologne, puis officiellement lancé lors du sommet de Sarajevo le 30 juillet dernier.
Ce Pacte prend en compte les aspects indispensables à l'intégration des Balkans dans l'Union européenne de demain: l'établissement de relations de bon voisinage entre Etats, la consolidation de la démocratie et le respect des minorités.
La sécurité régionale est le premier impératif. Le conflit issu de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, dont la guerre du Kosovo a été, au printemps dernier, le dernier avatar tragique, a montré aux Européens que la paix sur leur continent ne devait jamais être considérée comme acquise. Il s'agit maintenant d'organiser entre les Etats de la région et, au sein de chaque Etat, entre communautés ethniques ou religieuses diverses, des relations de "bon voisinage", avec leur corollaire indispensable, le respect des minorités. Pour l'Europe, il s'agit d'un autre enjeu : construire l'Europe de la défense.
L'autre élément essentiel couvert par le Pacte, c'est, bien sûr, la démocratie. L'instauration ou la stabilisation des démocraties est une condition sans laquelle aucun processus de rapprochement et, dans le futur, d'adhésion à l'Union, ne peut être envisagé. Parallèlement, le rapprochement avec l'Union européenne sera lui-même, pour les pays des Balkans, un facteur d'affermissement de la vie démocratique, comme il l'a été dans les années soixante-dix et quatre-vingt pour les démocraties espagnole, grecque et portugaise.
S'agissant donc du Pacte de stabilité, je dois toutefois reconnaître que, pour l'heure, l'implication de l'Union européenne dans cet exercice ne me parait pas tout à fait à la hauteur de l'enjeu et de ce que nous souhaiterions. Il me semble nécessaire que l'ensemble de nos partenaires, autour du Représentant spécial chargé de la coordination du Pacte, Bodo Hombach, que je salue, se convainquent de manière plus profonde de la nécessité pour l'Union de jouer un rôle moteur dans l'ensemble des domaines couverts par le Pacte, qu'il s'agisse des questions d'économie et de reconstruction, de démocratie et de Droits de l'Homme et, enfin, de sécurité régionale.
3/ Comme on peut le constater, l'effort de l'Union européenne en faveur des Balkans est d'ores et déjà conséquent, même s'il contrasté. Pour autant, je voudrais maintenant insister sur quelques pistes d'action qui me paraissent importantes pour l'avenir.
Tout d'abord, nous devons promouvoir la "convention de coopération régionale". J'ai souligné combien ce mécanisme était un aspect crucial et innovant des nouveaux accords de stabilisation et d'association. Nous devons faire en sorte, au cours des prochaines années, que cette convention voie effectivement le jour.
Cela sera envisageable dès que les premiers accords auront été conclus. On sait que les négociations devraient bientôt s'engager avec l'ancienne République Yougoslave de Macédoine, puis avec l'Albanie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine.
J'ajoute qu'il sera important que les engagements que prendront entre eux les pays des Balkans ne soient pas moins ambitieux que ceux qu'ils souscriront vis-à-vis de l'Union. Je vois même là un des éléments indispensables de la poursuite du développement des relations contractuelles entre l'Union et les Etats des Balkans.
Ensuite, et c'est la deuxième orientation souhaitable, nous devons clarifier l'offre d'une "perspective d'adhésion" et rationaliser les outils de l'Union.
Un mot, si vous le permettez, sur l'élargissement et les orientations qui se dessinent en vue du Sommet d'Helsinki : notre approche fait désormais l'unanimité et la Turquie se verra reconnaître pleinement le statut de candidat. J'étais à Istanbul et à Athènes ces jours derniers pour en parler. C'est une avancée importante.
Je l'ai dit au début de mon intervention, nous devons affirmer avec force et clarté la vocation européenne des Balkans. Mais nous devons aussi, dans ce contexte, clarifier le message du Conseil européen de Cologne, qui a offert aux Etats des Balkans de les "rapprocher de la perspective" d'une pleine intégration.
Il doit être dit, notamment, que les accords de stabilisation et d'association, tout en n'empêchant pas, bien sûr, les Etats des Balkans de poser leur candidature à l'adhésion, ne sauraient constituer une sorte de raccourci vers l'adhésion. Les pays concernés devront bien sûr remplir les critères définis, pour l'ensemble des candidats, lors du Conseil européen de Copenhague de juin 1993.
J'ajoute d'un mot, pour ne pas anticiper sur vos débats de l'après-midi, qu'il convient de poursuivre l'effort de rationalisation des instruments de l'Union dans les Balkans. De ce point de vue, je me réjouis de la décision prise par les ministres des Affaires étrangères et européennes de l'Union, la semaine dernière, de créer une Agence européenne de reconstruction, qui permettra une aide plus massive et plus efficace pour les Balkans.
Enfin, et c'est la troisième orientation, il faut mieux impliquer l'Union dans le Pacte de stabilité. Le travail préparatoire au sein des Quinze devrait être amélioré. Il conviendrait, notamment, que de véritables mandats soient donnés à la Présidence comme à la Commission, en vue des réunions du Pacte.
Il serait également souhaitable que les outils d'intervention dont l'Union dispose déjà dans les Balkans, sans se retrouvés instrumentalisés au profit du Pacte, puissent être mieux mobilisés et adaptés pour certains cofinancements, plutôt que de risquer une surcharge excessive des capacités financières de l'Union, dans un contexte budgétaire que l'on sait tendu.
Mais, au-delà de ces trois orientations, la question fondamentale qui se pose à l'Union, c'est celle de l'avenir de sa politique en matière de sécurité et de défense.
Le conflit tragique du Kosovo a montré quels étaient, à la fois, le besoin d'Europe mais aussi, en dépit d'une participation décisive des Etats membres, dont la France, les insuffisances de l'organisation collective des Européens en matière de sécurité.
Dès lors, au moment où l'Europe cherche à se donner les moyens d'acquérir une dimension politique sur la scène internationale en rapport avec son poids économique, afin d'être en mesure d'agir en faveur de la paix et de la démocratie à l'extérieur de ses frontières, nous devons aller plus loin et franchir des étapes décisives qui permettront à l'Europe d'agir plus concrètement en faveur de la stabilité, notamment dans les Balkans.
Un premier pas important a été franchi avec la nomination, il y a quelques semaines, de M. Javier Solana comme "Monsieur PESC". Désormais, la politique étrangère européenne aura un visage et une voix. Je sais que la question de la stabilisation des Balkans représente, pour M. Solana - il l'a redit hier lors d'un déjeuner auquel j'assistais en l'honneur de M. Lipponen -, une des priorités absolues de sa nouvelle mission. Je saisis cette occasion pour lui redire toute la confiance et tout le soutien des autorités françaises.
Au-delà, l'ambition première des Européens est de mettre sur pieds une capacité autonome de défense. Il s'agit, pour nous, d'être en mesure d'intervenir rapidement dans la résolution des crises régionales. Ceci ne pourra qu'apporter une garantie supplémentaire au service de la paix et de la stabilité dans la zone balkanique.
En conclusion, je dirais que la stabilité, la reconstruction des Balkans, leur intégration future dans l'Union européenne, doivent être, pour l'ensemble des Européens, une ardente obligation. Sans une région balkanique en paix, dotée d'institutions démocratiques et stables, engagée dans le développement économique et social, l'Europe réunifiée du siècle prochain serait incomplète et fragile.
Je le rappelle, le projet européen est, avant tout, une exigence de paix. L'Europe est l'espace privilégié de dépassement des conflits et des tensions. Je suis convaincu qu'elle permettra d'offrir un avenir de coopération et de démocratie dans l'ensemble des Balkans, comme elle y est parvenue entre d'autres peuples auparavant divisés et opposés. Nous devons donc tous y travailler, et la France, notamment au cours de sa présidence du second semestre 2000, y consacrera toute son énergie.
Je vous remercie et souhaite pleine réussite à la poursuite de vos travaux./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 novembre 1999)