Texte intégral
J.-P. Elkabbach-. Vous n'êtes pas fatigué par le décalage horaire ? Vous avez fait un aller et retour à Washington où vous avez assisté et participé avec les grandes puissances au G7. Après la chute éclair de S. Hussein, est-ce que vous nous dites que l'économie va repartir plus vite et mieux que prévu ?
- "Je dis clairement que le facteur d'incertitude lié à cette guerre a disparu. Il faut maintenant, bien entendu, créer les conditions pour que l'économie irakienne redémarre. Mais ceci est un élément positif pour toute l'économie mondiale."
C'est-à-dire, les incertitudes s'estompent, le prix du pétrole baisse ou reste stable.
- "Il est clair que le prix du pétrole est en train de baisser et que le problème, maintenant, est d'éviter qu'il ne baisse trop."
Mais est-ce que ça veut dire que vous confirmez une relance possible de l'économie au deuxième trimestre, c'est-à-dire bientôt ?
- "Il est donc clair que, compte tenu de ces éléments, les facteurs économiques qui empêchaient le système économique de se développer normalement, sont largement derrière nous."
Il y a des gens qui pensaient qu'on irait à moins 1% de croissance, d'autres disaient 1,3. Est-ce qu'on peut espérer aller au 1,3 et peut-être aller au-delà, à partir de ce qui vient de se passer ?
- "Il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup de certitudes et qui changent tous les jours de certitudes. Moi, je considère qu'à partir de maintenant, ce facteur d'incertitude ayant disparu, la croissance économique doit progressivement retrouver un rythme de 2 à 2,5 %, à partir de maintenant."
Dans cette année 2003 ?
- "Non pas dans l'année pleine, puisque nous avons..."
Mais à partir de maintenant ?
- "A partir de maintenant, en rythme annuel, à partir de maintenant on doit repartir. Et ceci a été confirmé tant par A. Greenspan, le président de la FED, que par le FMI qui lui-même a reconnu que les éléments de récession qu'il avait évoqués récemment n'étaient plus à l'ordre du jour."
Vous, vous voyez l'horizon, à Bercy, à six, douze, dix huit mois ?
- "On le voit à tous les horizons. L'horizon de Bercy, il est à dix ans comme à trois mois. A dix ans, nous travaillons sur "les fondamentaux" comme on dit, de l'économie française, avec d'autres éléments du Gouvernement pour que, ensemble, on bâtisse une croissance durable. A un an, on bâtit dans le contexte européen, les conditions permettant de revenir à un déficit plus soutenable, et à trois mois, on regarde, comme tout le monde ce qui se passe."
On a noté que les prix avaient augmenté au mois de mars. Il paraît que c'est un record depuis dix ans. En trois mois : + 2,6 %, selon Le Parisien de ce matin. Est-ce un dérapage ou est-ce que vous laisseriez l'inflation s'installer au-dessus des 2 % ?
- "Aucun risque pour que l'inflation, tant en France comme aux Etats-Unis, ou dans le monde plus généralement, augmente. Au contraire, nous sommes tous convaincus que l'inflation au cours de cette année, indépendamment de fluctuations d'un mois sur l'autre, en ce qui concerne la partie sous-jacente, c'est-à-dire la partie réelle de l'inflation, nous sommes convaincus que cette inflation va passer en-dessous de 2 % partout dans le monde."
Donc mars est un moment...
- "Un épiphénomène."
Cela ne vous inquiète pas du tout ?
- "Absolument pas."
Vous disiez "les incertitudes ont disparu, sont estompées". G. Bush s'en prend maintenant à la Syrie. Apparemment, l'Irak l'a mis en appétit. Est-ce que vous pensez que les Américains vont être tentés de prendre la route ou le chemin de Damas maintenant ? Est-ce que cela n'ajouterait pas des incertitudes qui viendraient contrevenir à ce que vous venez de dire que l'économie ?
- "Je n'imagine pas qu'ayant réglé très correctement, avec le minimum de "dégâts collatéraux", comme nous disons, un problème grave, qui était celui créé par S. Hussein, en Irak, je n'imagine pas que "la coalition", comme on dit, se découvre d'autres ennemis."
J'ai noté qu'à Washington, vous aviez déjeuné en tête-à-tête, et en tête-à-tête remarqué, avec J. Snow, qui est le secrétaire au Trésor de G. Bush. Il paraît que ça été sympa, courtois, constructif. Qu'est-ce qu'il vous a appris ?
- "Ce n'est pas "il paraît", ça a été effectivement sympa et courtois."
Tout le monde n'y était pas, mais qu'on le dise, c'est intéressant que vous le confirmiez vous-même.
- "Non, non. Nous avons d'excellentes relations et nous parlons le même langage, nous venons du même milieu. Et donc nous savons ensemble ce qu'il faut faire pour remettre nos collègues ou nos anciens collègues, c'est-à-dire les entrepreneurs, sur la route de la croissance. Cela consiste à leur montrer que les choses ne sont pas aussi noires qu'ils ne le craignent à certains moments. Cela consiste à leur montrer que, je le répète, les taux d'intérêt actuellement sont historiquement très bas dans le monde, l'inflation n'est pas un problème, et par conséquent, les entreprises doivent faire leur travail."
Et auprès de votre amis, monsieur Snow, est-ce que vous avez protesté contre les menaces de représailles et de sanctions contre les entreprises françaises, contre ce phénomène de francophobie ?
- "J'ai effectivement évoqué ce sujet, gentiment et poliment. Lui-même a été tout à fait convaincant, en disant que, bien entendu, l'administration américaine n'avait aucune intention de créer une situation dans ce domaine-là qui ne soit pas conforme aux règles du jeu normal. Ceci étant dit, je ne peux pas empêcher, lui non plus par ailleurs, certains Américains, au moins à court terme, d'avoir une réaction viscérale, individuelle. Mais nous sommes convenus que ceci devrait passer très rapidement."
Mais vous avez noté que cette opposition entre Paris et Washington rend les chefs d'entreprise français plutôt attentistes, inertes. Ce matin, que leur dites-vous après votre voyage à Washington ?
- "Je leur dis que, globalement, l'incertitude qui caractérise le monde économique en général est beaucoup moins forte aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a un mois. Et qu'en regardant avec les yeux grands ouverts et pas grands fermés, la situation, ils ont les moyens et la possibilité de reprendre leurs affaires comme avant, c'est-à-dire de bâtir un futur permettant à la productivité d'augmenter, par conséquent, à la croissance de revenir. C'est d'ailleurs ce qui se passe aux Etats-Unis. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la productivité américaine, notamment dans les trois derniers mois, a été relativement soutenue, ce qui n'est pas le cas en France pour des raisons un peu françaises et sur lesquelles il faut que nous revenions."
Vous dites : c'est pas sans effet ce développement et cette productivité américaine sur nous ?
- "Non, c'est incontestablement ça a un effet positif indirect sur l'économie européenne et française mais surtout, ça a un effet fort psychologiquement. Les entreprises américaines sont "au boulot" pour parler français, elles dégagent les conditions d'amélioration de productivité qui va générer la croissance américaine et donc nous avons à nous en inspirer."
Donc, vous dites à monsieur Seillière aussi : faites comme les Américains, "au boulot" ?
- "Ce n'est pas à monsieur Seillière que je le dis, parce que c'est pas Seillière qui fait le boulot, c'est toutes les entreprises françaises."
Donc, il est plus facile de s'entendre avec le financier du Trésor et des dollars qu'avec les maîtres des bombardiers et des missiles ?
- "C'est deux mondes différents. Le monde des finances est un monde où nous raisonnons et où nous avons des chiffres, nous essayons par ailleurs de les collecter, y compris pour apprécier la dette irakienne. Nous ne sommes pas dans le monde de l'émotion. Nous sommes dans le monde du réel."
Et J. Snow et vous, monsieur Mer, avez-vous échangé les numéros de téléphone de G. Bush et de Chirac pour les aider, parce qu'apparemment, ils ne se téléphonent plus ?
- "Nous avons, pour ce qui nous concerne, d'excellentes relations et nous espérons que ceci nous permettra d'aider nos chefs d'Etat à bâtir eux-mêmes leurs propres relations."
Est-ce qu'il vous a confirmé la présence de monsieur Bush au G7 d'Evian, en juin ? Parce qu'il y a des rumeurs contradictoires.
- "Ce sujet n'a pas été évoqué entre nous. Par contre, il m'a confirmé sa présence dans une réunion que j'organise à Deauville dans le G7, avant le Sommet d'Evian, fin mai, où nous avons ensemble, et avec tous nos collègues, l'intention de créer les conditions pour que le sommet d'Evian soit un succès."
Au G7, vous avez parlé de la reconstruction de l'Irak. Vous avez dit qu'elle passait par une résolution de l'ONU. Qu'est-ce qu'il y a dans cette résolution ?
- "Je ne sais pas ce qu'il y a mais simplement, au niveau du G7 comme au niveau du FMI et de la Banque mondiale, nous avons besoin d'interlocuteurs en face de nous, au niveau irakien. Il est donc nécessaire que les Irakiens se dotent eux-mêmes d'un système qui soit reconnu par les instances internationales. D'où cette idée de résolution de l'ONU ouvrant beaucoup de sujets d'ailleurs."
Maintenant, c'est "le boulot" comme vous diriez, des diplomates ? C'est le plus dur ?
- "C'est le travail des diplomates, quitte à ce qu'on les alimente en éléments pour qu'ils rédigent, là où [c'est nécessaire] les résolutions, pour qu'ils nous permettent et permettent, notamment au FMI et à la Banque mondiale, de se retrouver institutionnellement dans un fonctionnement normal."
Quand vous étiez à Washington, vous parliez, les uns et les autres, de la dette extérieure de l'Irak. On dit : 10 milliards de dollars ou même 400 milliards. Il y a eu une déclaration de monsieur Wolfowitz, toujours lui, qui disait que Berlin, Moscou et Paris effacent toute la dette de l'Irak, ajoutant qu'il s'agissait d'argent prêté à Saddam pour acheter des armes, des instruments de répression et bâtir des palais - oubliant, probablement, l'argent que les Américains avaient eux aussi obtenu dans les échanges quand ils leur ont vendu des gaz et des produits chimiques. Vous n'avez pas été choqué ?
- "Je laisse à monsieur Wolfowitz la responsabilité de ses déclarations. Je veux simplement affirmer que nous n'avons jamais, dans le passé, pris le moindre risque vis-à-vis des discussions et des négociations commerciales que nous avons menées avec les Irakiens. Elles ont toutes été faites dans le respect des résolutions de l'ONU."
Vous avez dit à Washington qu'il y a certes l'Irak pour les dettes, mais il y a aussi le Niger. Qu'est-ce que cela veut dire ?
- "Il y a le Niger, parce qu'il y a aussi le Sud. Il se trouve que, mardi dernier, j'étais au Niger et, quel que soit le désarroi des Irakiens, je me suis permis de rappeler que les Nigériens, qui avaient droit aussi à notre attention, puisque même s'ils n'étaient que dix millions d'habitants, ces Nigériens étaient dans un état de pauvreté beaucoup plus fort que les Irakiens. Donc, je veux bien m'occuper des Irakiens, pas de problème, à condition qu'on s'occupe aussi de tout le Sud. C'est par ailleurs ce que nous avons dit au G7."
Donc, comme dit le président Chirac : "la seule guerre qui vaille, c'est la guerre contre la pauvreté".
- "Nous en avons parlé, nous avons réaffirmé tout notre engagement, y compris financier, et aussi à travers beaucoup d'autres méthodes pour que cette lutte contre la pauvreté soit victorieuse."
Mais à propos de la dette de l'Irak, est-ce que la France tient à tout ou partie de ses créances ? Est-ce que vous voulez vous faire rembourser le moment venu ?
- "La France a peu de créances vis-à-vis de l'Irak. En gros, 1,7 milliard, en dehors des intérêts qu'on a oublié de payer depuis un certain nombre d'années. C'est une somme très modeste, elle est par ailleurs inférieure à celle que les Irakiens doivent aux Américains, elle est inférieure aussi à celle des Russes. Tout ceci va se faire dans le cadre normal du fonctionnement du Club de Paris, qui se trouve être présidé par le directeur du Trésor français."
C'est-à-dire par Paris et par vous-même etc...
- "Animé par, ce n'est pas nous qui présidons."
Il se réunit quand le Club de Paris ?
- "Il va se réunir dès qu'on aura les éléments permettant de collecter les chiffres. Pour le moment, on ne sait pas de quoi on parle."
Maintenant vous êtes revenu à Paris, vous ferez tout ce qu'il faut pour éviter les plans sociaux et des licenciements, y compris dans les petites entreprises ?
- "Mais je pense que la situation appartient à chaque entreprise. Si chaque entreprise comprend et admet qu'elle a son avenir en main, je pense très certainement que la situation va continuer à s'améliorer."
Vous avez un tempérament optimiste non ?
- "C'est pas une question de tempérament. Il faut regarder les règles du jeu de notre économie. C'est l'acteur économique qui se fait son propre futur."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 avril 2003)
- "Je dis clairement que le facteur d'incertitude lié à cette guerre a disparu. Il faut maintenant, bien entendu, créer les conditions pour que l'économie irakienne redémarre. Mais ceci est un élément positif pour toute l'économie mondiale."
C'est-à-dire, les incertitudes s'estompent, le prix du pétrole baisse ou reste stable.
- "Il est clair que le prix du pétrole est en train de baisser et que le problème, maintenant, est d'éviter qu'il ne baisse trop."
Mais est-ce que ça veut dire que vous confirmez une relance possible de l'économie au deuxième trimestre, c'est-à-dire bientôt ?
- "Il est donc clair que, compte tenu de ces éléments, les facteurs économiques qui empêchaient le système économique de se développer normalement, sont largement derrière nous."
Il y a des gens qui pensaient qu'on irait à moins 1% de croissance, d'autres disaient 1,3. Est-ce qu'on peut espérer aller au 1,3 et peut-être aller au-delà, à partir de ce qui vient de se passer ?
- "Il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup de certitudes et qui changent tous les jours de certitudes. Moi, je considère qu'à partir de maintenant, ce facteur d'incertitude ayant disparu, la croissance économique doit progressivement retrouver un rythme de 2 à 2,5 %, à partir de maintenant."
Dans cette année 2003 ?
- "Non pas dans l'année pleine, puisque nous avons..."
Mais à partir de maintenant ?
- "A partir de maintenant, en rythme annuel, à partir de maintenant on doit repartir. Et ceci a été confirmé tant par A. Greenspan, le président de la FED, que par le FMI qui lui-même a reconnu que les éléments de récession qu'il avait évoqués récemment n'étaient plus à l'ordre du jour."
Vous, vous voyez l'horizon, à Bercy, à six, douze, dix huit mois ?
- "On le voit à tous les horizons. L'horizon de Bercy, il est à dix ans comme à trois mois. A dix ans, nous travaillons sur "les fondamentaux" comme on dit, de l'économie française, avec d'autres éléments du Gouvernement pour que, ensemble, on bâtisse une croissance durable. A un an, on bâtit dans le contexte européen, les conditions permettant de revenir à un déficit plus soutenable, et à trois mois, on regarde, comme tout le monde ce qui se passe."
On a noté que les prix avaient augmenté au mois de mars. Il paraît que c'est un record depuis dix ans. En trois mois : + 2,6 %, selon Le Parisien de ce matin. Est-ce un dérapage ou est-ce que vous laisseriez l'inflation s'installer au-dessus des 2 % ?
- "Aucun risque pour que l'inflation, tant en France comme aux Etats-Unis, ou dans le monde plus généralement, augmente. Au contraire, nous sommes tous convaincus que l'inflation au cours de cette année, indépendamment de fluctuations d'un mois sur l'autre, en ce qui concerne la partie sous-jacente, c'est-à-dire la partie réelle de l'inflation, nous sommes convaincus que cette inflation va passer en-dessous de 2 % partout dans le monde."
Donc mars est un moment...
- "Un épiphénomène."
Cela ne vous inquiète pas du tout ?
- "Absolument pas."
Vous disiez "les incertitudes ont disparu, sont estompées". G. Bush s'en prend maintenant à la Syrie. Apparemment, l'Irak l'a mis en appétit. Est-ce que vous pensez que les Américains vont être tentés de prendre la route ou le chemin de Damas maintenant ? Est-ce que cela n'ajouterait pas des incertitudes qui viendraient contrevenir à ce que vous venez de dire que l'économie ?
- "Je n'imagine pas qu'ayant réglé très correctement, avec le minimum de "dégâts collatéraux", comme nous disons, un problème grave, qui était celui créé par S. Hussein, en Irak, je n'imagine pas que "la coalition", comme on dit, se découvre d'autres ennemis."
J'ai noté qu'à Washington, vous aviez déjeuné en tête-à-tête, et en tête-à-tête remarqué, avec J. Snow, qui est le secrétaire au Trésor de G. Bush. Il paraît que ça été sympa, courtois, constructif. Qu'est-ce qu'il vous a appris ?
- "Ce n'est pas "il paraît", ça a été effectivement sympa et courtois."
Tout le monde n'y était pas, mais qu'on le dise, c'est intéressant que vous le confirmiez vous-même.
- "Non, non. Nous avons d'excellentes relations et nous parlons le même langage, nous venons du même milieu. Et donc nous savons ensemble ce qu'il faut faire pour remettre nos collègues ou nos anciens collègues, c'est-à-dire les entrepreneurs, sur la route de la croissance. Cela consiste à leur montrer que les choses ne sont pas aussi noires qu'ils ne le craignent à certains moments. Cela consiste à leur montrer que, je le répète, les taux d'intérêt actuellement sont historiquement très bas dans le monde, l'inflation n'est pas un problème, et par conséquent, les entreprises doivent faire leur travail."
Et auprès de votre amis, monsieur Snow, est-ce que vous avez protesté contre les menaces de représailles et de sanctions contre les entreprises françaises, contre ce phénomène de francophobie ?
- "J'ai effectivement évoqué ce sujet, gentiment et poliment. Lui-même a été tout à fait convaincant, en disant que, bien entendu, l'administration américaine n'avait aucune intention de créer une situation dans ce domaine-là qui ne soit pas conforme aux règles du jeu normal. Ceci étant dit, je ne peux pas empêcher, lui non plus par ailleurs, certains Américains, au moins à court terme, d'avoir une réaction viscérale, individuelle. Mais nous sommes convenus que ceci devrait passer très rapidement."
Mais vous avez noté que cette opposition entre Paris et Washington rend les chefs d'entreprise français plutôt attentistes, inertes. Ce matin, que leur dites-vous après votre voyage à Washington ?
- "Je leur dis que, globalement, l'incertitude qui caractérise le monde économique en général est beaucoup moins forte aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a un mois. Et qu'en regardant avec les yeux grands ouverts et pas grands fermés, la situation, ils ont les moyens et la possibilité de reprendre leurs affaires comme avant, c'est-à-dire de bâtir un futur permettant à la productivité d'augmenter, par conséquent, à la croissance de revenir. C'est d'ailleurs ce qui se passe aux Etats-Unis. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la productivité américaine, notamment dans les trois derniers mois, a été relativement soutenue, ce qui n'est pas le cas en France pour des raisons un peu françaises et sur lesquelles il faut que nous revenions."
Vous dites : c'est pas sans effet ce développement et cette productivité américaine sur nous ?
- "Non, c'est incontestablement ça a un effet positif indirect sur l'économie européenne et française mais surtout, ça a un effet fort psychologiquement. Les entreprises américaines sont "au boulot" pour parler français, elles dégagent les conditions d'amélioration de productivité qui va générer la croissance américaine et donc nous avons à nous en inspirer."
Donc, vous dites à monsieur Seillière aussi : faites comme les Américains, "au boulot" ?
- "Ce n'est pas à monsieur Seillière que je le dis, parce que c'est pas Seillière qui fait le boulot, c'est toutes les entreprises françaises."
Donc, il est plus facile de s'entendre avec le financier du Trésor et des dollars qu'avec les maîtres des bombardiers et des missiles ?
- "C'est deux mondes différents. Le monde des finances est un monde où nous raisonnons et où nous avons des chiffres, nous essayons par ailleurs de les collecter, y compris pour apprécier la dette irakienne. Nous ne sommes pas dans le monde de l'émotion. Nous sommes dans le monde du réel."
Et J. Snow et vous, monsieur Mer, avez-vous échangé les numéros de téléphone de G. Bush et de Chirac pour les aider, parce qu'apparemment, ils ne se téléphonent plus ?
- "Nous avons, pour ce qui nous concerne, d'excellentes relations et nous espérons que ceci nous permettra d'aider nos chefs d'Etat à bâtir eux-mêmes leurs propres relations."
Est-ce qu'il vous a confirmé la présence de monsieur Bush au G7 d'Evian, en juin ? Parce qu'il y a des rumeurs contradictoires.
- "Ce sujet n'a pas été évoqué entre nous. Par contre, il m'a confirmé sa présence dans une réunion que j'organise à Deauville dans le G7, avant le Sommet d'Evian, fin mai, où nous avons ensemble, et avec tous nos collègues, l'intention de créer les conditions pour que le sommet d'Evian soit un succès."
Au G7, vous avez parlé de la reconstruction de l'Irak. Vous avez dit qu'elle passait par une résolution de l'ONU. Qu'est-ce qu'il y a dans cette résolution ?
- "Je ne sais pas ce qu'il y a mais simplement, au niveau du G7 comme au niveau du FMI et de la Banque mondiale, nous avons besoin d'interlocuteurs en face de nous, au niveau irakien. Il est donc nécessaire que les Irakiens se dotent eux-mêmes d'un système qui soit reconnu par les instances internationales. D'où cette idée de résolution de l'ONU ouvrant beaucoup de sujets d'ailleurs."
Maintenant, c'est "le boulot" comme vous diriez, des diplomates ? C'est le plus dur ?
- "C'est le travail des diplomates, quitte à ce qu'on les alimente en éléments pour qu'ils rédigent, là où [c'est nécessaire] les résolutions, pour qu'ils nous permettent et permettent, notamment au FMI et à la Banque mondiale, de se retrouver institutionnellement dans un fonctionnement normal."
Quand vous étiez à Washington, vous parliez, les uns et les autres, de la dette extérieure de l'Irak. On dit : 10 milliards de dollars ou même 400 milliards. Il y a eu une déclaration de monsieur Wolfowitz, toujours lui, qui disait que Berlin, Moscou et Paris effacent toute la dette de l'Irak, ajoutant qu'il s'agissait d'argent prêté à Saddam pour acheter des armes, des instruments de répression et bâtir des palais - oubliant, probablement, l'argent que les Américains avaient eux aussi obtenu dans les échanges quand ils leur ont vendu des gaz et des produits chimiques. Vous n'avez pas été choqué ?
- "Je laisse à monsieur Wolfowitz la responsabilité de ses déclarations. Je veux simplement affirmer que nous n'avons jamais, dans le passé, pris le moindre risque vis-à-vis des discussions et des négociations commerciales que nous avons menées avec les Irakiens. Elles ont toutes été faites dans le respect des résolutions de l'ONU."
Vous avez dit à Washington qu'il y a certes l'Irak pour les dettes, mais il y a aussi le Niger. Qu'est-ce que cela veut dire ?
- "Il y a le Niger, parce qu'il y a aussi le Sud. Il se trouve que, mardi dernier, j'étais au Niger et, quel que soit le désarroi des Irakiens, je me suis permis de rappeler que les Nigériens, qui avaient droit aussi à notre attention, puisque même s'ils n'étaient que dix millions d'habitants, ces Nigériens étaient dans un état de pauvreté beaucoup plus fort que les Irakiens. Donc, je veux bien m'occuper des Irakiens, pas de problème, à condition qu'on s'occupe aussi de tout le Sud. C'est par ailleurs ce que nous avons dit au G7."
Donc, comme dit le président Chirac : "la seule guerre qui vaille, c'est la guerre contre la pauvreté".
- "Nous en avons parlé, nous avons réaffirmé tout notre engagement, y compris financier, et aussi à travers beaucoup d'autres méthodes pour que cette lutte contre la pauvreté soit victorieuse."
Mais à propos de la dette de l'Irak, est-ce que la France tient à tout ou partie de ses créances ? Est-ce que vous voulez vous faire rembourser le moment venu ?
- "La France a peu de créances vis-à-vis de l'Irak. En gros, 1,7 milliard, en dehors des intérêts qu'on a oublié de payer depuis un certain nombre d'années. C'est une somme très modeste, elle est par ailleurs inférieure à celle que les Irakiens doivent aux Américains, elle est inférieure aussi à celle des Russes. Tout ceci va se faire dans le cadre normal du fonctionnement du Club de Paris, qui se trouve être présidé par le directeur du Trésor français."
C'est-à-dire par Paris et par vous-même etc...
- "Animé par, ce n'est pas nous qui présidons."
Il se réunit quand le Club de Paris ?
- "Il va se réunir dès qu'on aura les éléments permettant de collecter les chiffres. Pour le moment, on ne sait pas de quoi on parle."
Maintenant vous êtes revenu à Paris, vous ferez tout ce qu'il faut pour éviter les plans sociaux et des licenciements, y compris dans les petites entreprises ?
- "Mais je pense que la situation appartient à chaque entreprise. Si chaque entreprise comprend et admet qu'elle a son avenir en main, je pense très certainement que la situation va continuer à s'améliorer."
Vous avez un tempérament optimiste non ?
- "C'est pas une question de tempérament. Il faut regarder les règles du jeu de notre économie. C'est l'acteur économique qui se fait son propre futur."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 avril 2003)