Texte intégral
Stéphane Paoli : Générosité ou volonté de changement ? 70 % des Français interrogés par l'institut de sondage CSA se disent prêts à travailler un jour férié pour financer un fonds en faveur des personnes âgées. Une telle mesure, dont le principe est critiqué par tous les syndicats, participe-t-elle de la grande transformation, thème de l'Université du Mouvement des Entreprises de France à Jouy-en-Josas dans les Yvelines ? Face aux bouleversements géopolitiques, scientifiques, culturels ou économiques de ces dernières années, quelle place les entrepreneurs doivent-ils tenir dans notre société ? Invité de "Questions directes", Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF. Bonjour.
Ernest-Antoine Seillière : Bonjour.
Stéphane Paoli : Que vous dit ce sondage ? Car vous étiez, jusqu'à présent seul à juger, je vous cite, "formidable", l'idée d'un jour férié pour un fond en faveur des personnes âgées. Voilà qu'un sondage nous dit que les Français sont plutôt aussi favorables à tout ça.
Ernest-Antoine Seillière : Oui, l'idée est intervenue cependant que nous étions en effet en Université d'été, elle n'est d'ailleurs pas terminée, où nous essayons de prendre un certain recul et de juger en effet la grande transformation en termes de sciences, en termes d'organisation des sociétés et de la société mondiale, etc, et donc lorsqu'est venue l'idée que nous avons tout de suite senti comme étant une idée juste et donc probablement populaire qu'il fallait travailler plus pour faire dans notre pays plus de solidarité et qu'en travaillant moins on rendait plus difficile le financement de la solidarité, j'ai dit formidable parce que c'est vrai que c'est réinversion forte par rapport à l'idée qui a été installée dans notre société depuis maintenant des années : travaillons moins pour essayer de mieux réussir et d'être plus solidaire. Je crois que ça, c'est très important et que les Français aujourd'hui disent : j'ai compris cela. Cela donne certainement à notre pays aujourd'hui des chances plus fortes de réussir.
Stéphane Paoli : Mais quand les Français disent oui cependant que tous les syndicats disent non, est-ce qu'on est au fond, chacun dans son rôle, les syndicats faisant une sorte de blocage pour qu'une réflexion s'engage, ou est-ce qu'il y a au fond plus de conservatisme à vos yeux du côté des syndicats et que les Français sont peut-être plus prêts au changement que ne l'on imagine. Comment vous analysez ce clivage ?
Ernest-Antoine Seillière : Nous avons nous, notamment dans nos réflexions, je dirais, un peu d'amont en Université d'été, considéré que notre pays était beaucoup plus préparé au changement que ceux qui le dirigent ne le pensent. Et les syndicats sont dans leur rôle en essayant, je dirais, de maintenir les avantages acquis, on a réduit le travail à 35 heures, on a eu des jours de congés supplémentaires, il ne faut surtout pas bouger par rapport à cela et c'est normal, je dirais, qu'ils travaillent et qu'ils se défendent là-dessus. Mais il y a une responsabilité nationale qui est celle de la collectivité dirigée par un gouvernement et ce gouvernement-là pour faire réussir notre pays a le droit de revenir sur des idées qui ont été jugées à un moment donné justes et aujourd'hui s'avèrent être fausses. Et nous, le MEDEF, que voulez-vous, avec les entreprises - nous en avons 750 000 -, qui sont là pour essayer de faire réussir notre pays, nous nous réjouissons que puisse être diffusée dans notre pays l'idée que c'est en travaillant plus, pas en restant chez soi à bricoler, que l'on puisse en effet à la fois faire de la richesse pour le pays et pour la solidarité et pour la financer. C'est donc, à notre avis, un moment assez important de l'histoire de la pensée économique et sociale de notre pays dont vous savez qu'elle est quelquefois très en retard.
Stéphane Paoli : Mais dites-vous que nous avons tous tellement commencé de changer ? J'ai lu quelque part que vous rendiez presque une forme d'hommage aux syndicats et même à la CGT en disant que beaucoup des syndicats français, et par exemple la CGT, sont aujourd'hui des syndicats réformistes. Vous avez à ce point changé votre point de vue ?
Ernest-Antoine Seillière : Non, mais si vous voulez, nous avons, nous, toujours trouvé des interlocuteurs prêts à réfléchir à la manière d'aménager la société française de façon à pouvoir mieux réussir, c'est le dialogue social. Il existe en entreprise, il est d'ailleurs très vivant, il existe dans les branches et au niveau interprofessionnel national, il a un peu de difficulté, mais cela dit, nous sommes là aussi, si vous voulez, confiants parce que nous avons réussi en réalité à mettre en place par le dialogue social des réformes. Elles sont quelquefois d'ailleurs désagréables et douloureuses, elles suscitent bien entendu des réactions de ceux auxquels elles touchent, mais c'est indispensable de réformer notre société parce qu'il y a une grande transformation et qu'en restant immobiles et fixes, bien entendu, on ne pourra pas réussir. Alors, nous avons des syndicats qui l'ont compris, il y a des syndicats qui sont en train de le comprendre, il y a également l'extrémisme qui travaille au refus. Ce n'est pas la formule "un autre monde est possible" que l'on voit fleurir dans les milieux extrémistes, ça veut dire refusons le monde tel qu'il est pour en inventer un autre, on ne sait pas lequel.
Stéphane Paoli : Pourquoi vous dites extrémistes ? Ils ne sont pas tous des extrémistes ceux qui veulent changer le monde.
Ernest-Antoine Seillière : Non, je pense que ceux qui ne sont pas extrémistes sont ceux qui réfléchissent pour proposer des réformes qui sont des réformes compatibles avec l'état de la société. Quand on dit : on ne veut plus entendre parler de la société française, ceci est fini, tous ces entrepreneurs, toutes ces entreprises, tout ça, on n'en veut plus, allez, vive telle ou telle vision assez romantique, quelquefois un peu désespérée, d'ailleurs intéressante mais nous avons un extrémisme en effet qui se réfugie dans l'invocation, quelquefois d'ailleurs dans l'action brutale, mais qui n'est pas constructif. Nous, nous estimons qu'être constructif, c'est être dans l'immense majorité de notre pays aussi, prêt à regarder ensemble et à travailler ensemble comment réformer. C'est fondamental, les entreprises françaises en ont besoin pour réussir et elles sont bien entendu à l'appui de ceux qui réforment.
Stéphane Paoli : Mais j'allais dire à chacun ses positions, sinon extrémistes au moins un petit peu radicales. Quand vous quittez par exemple les organismes paritaires, alors que... comment vous allez faire, tenez, au fait, quand va s'ouvrir le grand débat sur la santé ? Vous ne serez pas dedans.
Ernest-Antoine Seillière : Ecoutez, cet été, nous avons tout de même, nous, appris des choses. D'abord, nous avons appris que... Nous avons appris à notre pays que les entreprises privées, les salariés finançaient la culture française. Ca a été une stupéfaction d'ailleurs pour la plupart des citoyens qui ne savaient pas que les entreprises, les salariés du privé mettaient à la disposition de la culture française 800 millions d'euros, c'est-à-dire pour 100 000 personnes une moyenne de 8 000 euros par personne. Ca a été une découverte et nous l'avons dit. L'entreprise, qui a été très prise à partie parce qu'elle voulait réformer le système des intermittents, eh bien nous l'avons dit : nous n'avons pas grand-chose à faire dans ce monde-là, on y est parce que la structure sociale n'a pas été réformée et donc on s'y trouve. D'ailleurs, les gens l'ignorent. De même, nous avons dit, et vu avec la canicule, que personne ne songeait à l'entreprise quand tout d'un coup, en effet, le drame s'est révélé. Tout le monde s'est tourné vers l'Etat, vers le Président de la République, vers le Premier ministre, vers les institutions sociales de la République, et personne n'a pensé que l'entreprise pouvait apporter une réponse aux problèmes sanitaires nés de la canicule. Eh bien nous en tirons les conclusions : le paritarisme d'hier ne suffit plus. Il faut inventer, réformer...
Stéphane Paoli : ... Avec qui ? Avec qui allez-vous discuter de tout cela ? Vous ne pouvez pas faire tout tout seul quand même ?
Ernest-Antoine Seillière : Mais pour l'instant, nous ne sommes pas dans la discussion...
Stéphane Paoli : ...Non mais j'ai bien compris mais ce que vous proposez, quels sont vos interlocuteurs...
Ernest-Antoine Seillière : ... Attendez, c'est à l'Etat de proposer le système de réforme de la santé nationale. Il le sait, il doit le faire, il le fera. Et si on nous propose, à nous entrepreneurs, un rôle de gestion et un rôle utile dans un système réformé, bien entendu, nous ne sous déroberons pas. Mais il ne faut pas demander à l'entreprise, qui est sortie de la gestion du système de santé, justement parce qu'on ne veut pas le réformer, aujourd'hui, de prendre en charge sa réforme.
Stéphane Paoli : Vous vous dites relativement optimiste, modérément optimiste s'agissant de la rentrée. Sauf que la question des intermittents que vous venez d'évoquer, elle n'est pas réglée, ils n'ont pas fini de s'exprimer les intermittents. Sauf que les signaux économiques ne sont pas bons, même si on parlait ce matin d'une reprise aux Etats-Unis, l'Europe et en tout cas la France est en stagnation, la croissance n'est pas au rendez-vous. Comment vous appréhendez les semaines qui viennent ?
Ernest-Antoine Seillière : Eh bien, justement, si vous voulez, nous, nous regardons les chiffres, nous voyons une reprise américaine qui se met en place, nous voyons que le Japon qui a été dans le marasme sort actuellement de ses difficultés, nous voyons donc, je dirais, une économie mondiale qui est en train de se remettre en ordre de marche pour la croissance. Nous savons que nous serons irrigués en France par ce mouvement-là. De même que nous baissons quand la marée mondiale de la croissance baisse, quand ça remonte nous en profiterons. Donc, c'est un élément, je dirais, positif. D'autre part, nous savons que la restructuration qui a eu lieu tous ces derniers temps et qui est encore en cours, met les entreprises en mesure de pouvoir profiter de ce redémarrage parce qu'elles seront prêtes pour travailler avec des structures qui leur permettront de le faire dans des conditions efficaces. Et donc, nous disons qu'actuellement, il se met en place une croissance qui sera lente, mais une croissance, et que nous avons touché le fond. Je crois que c'est une bonne nouvelle. Bien entendu, il faut tous travailler et si on veut relancer, je dirais, un désordre social, bien entendu, ça n'y aidera pas.
Stéphane Paoli : Mais vous n'avez pas peur de la désindustrialisation française ?
Ernest-Antoine Seillière : Si, j'ai peur de la désindustrialisation parce qu'elle est en cours.
Stéphane Paoli : Et est-ce que les emplois de service, dont vous avez beaucoup parlé à une époque il n'y a pas si longtemps, suffiront à compenser tous ces emplois qui quittent le territoire ?
Ernest-Antoine Seillière : Il faut y travailler et bien entendu, si vous voulez, l'adaptation de notre économie à la grande transformation mondiale, elle est essentielle. Et ce n'est pas en refusant de regarder les choses que l'on y parvient. Il y a de la sortie de richesses françaises vers les pays qui travaillent mieux que nous, pour moins chers, qui sont parfaitement efficaces et qui, en plus de ça, ont une population qui a une ardeur et une volonté de réussite très forte. C'est comme ça. Eh bien, nous devons bien entendu prendre cela en compte pour nous adapter nous-mêmes, pour nous remettre dans un autre esprit et faire en sorte que les valeurs qui ont été tellement, je dirais, discutées comme l'effort, le travail, l'innovation, l'investissement, la réussite des entreprises redeviennent une des bases à partir desquelles la société française cherche à se construire. C'est ce que nous faisons d'ailleurs à l'Université d'été en présentant l'entreprise comme un élément essentiel de la réussite de la société.
Stéphane Paoli : Et l'entreprise acceptera mieux et plus longtemps ceux qui ont plus de 50 ans et qui veulent continuer de travailler ?
Ernest-Antoine Seillière : Bien sûr. Là aussi, si vous voulez, pour nous, la révolution culturelle est faite, nous avons vécu pendant trente ans dans une société qui travaillait, parce que les salariés le souhaitaient, parce que les employeurs y avaient intérêt, parce que la société française trouvait que c'était parfait, à mettre en effet à la retraite très tôt dans la vie. C'est fini. Et nous devrons le négocier avec les syndicats, et nous le ferons, des conditions de travail différentes pour les gens plus âgés dans l'entreprise. On le fait partout, comme vous le savez, il y a maintenant fréquemment 67 ans, 68 ans, 65 ans comme limite de travail dans la vie. L'allongement de la durée de la vie, la forme physique d'ailleurs des gens de cet âge-là n'est pas la même qu'autrefois, et bien sûr, nous prendrons tout cela en compte parce que l'entreprise française, c'est tout de même fondamentalement l'adaptateur, le transformateur d'une société. Nous n'avons pas le choix et nous serons cette puissance de propositions pour que la société française s'adapte.
Stéphane Paoli : Un dernier mot. Ont-ils raison d'écrire certains, c'était dans L'EXPANSION en juin dernier, que vous quitterez le MEDEF bientôt, peut-être même avant la fin de l'année ?
Ernest-Antoine Seillière : Oh, c'est une aspiration de tous ceux qui pensent que j'y sert à quelque chose quand ils n'aiment pas le MEDEF. Mais cela dit, moi je travaille, je crois que nous avons devant nous, justement, une période de réformes et une période positive. Et donc, bien sûr, je serais, tant que je serais soutenu par les entrepreneurs français et compris par l'opinion, ce à quoi je m'efforce, notamment en vous parlant aujourd'hui, bien sûr de continuer mon travail.
Stéphane Paoli : Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF. Vous ne pouvez pas rester avec nous parce que vous repartez à Jouy en Josas ?
Ernest-Antoine Seillière : Eh oui, on nous attend pour d'autres débats de société et donc je rejoins 3 000 entrepreneurs et une centaine d'intervenants ce matin dans tous les domaines. Ce sera passionnant.
(source http://www.medef.fr, le 1 septembre 2003)
Ernest-Antoine Seillière : Bonjour.
Stéphane Paoli : Que vous dit ce sondage ? Car vous étiez, jusqu'à présent seul à juger, je vous cite, "formidable", l'idée d'un jour férié pour un fond en faveur des personnes âgées. Voilà qu'un sondage nous dit que les Français sont plutôt aussi favorables à tout ça.
Ernest-Antoine Seillière : Oui, l'idée est intervenue cependant que nous étions en effet en Université d'été, elle n'est d'ailleurs pas terminée, où nous essayons de prendre un certain recul et de juger en effet la grande transformation en termes de sciences, en termes d'organisation des sociétés et de la société mondiale, etc, et donc lorsqu'est venue l'idée que nous avons tout de suite senti comme étant une idée juste et donc probablement populaire qu'il fallait travailler plus pour faire dans notre pays plus de solidarité et qu'en travaillant moins on rendait plus difficile le financement de la solidarité, j'ai dit formidable parce que c'est vrai que c'est réinversion forte par rapport à l'idée qui a été installée dans notre société depuis maintenant des années : travaillons moins pour essayer de mieux réussir et d'être plus solidaire. Je crois que ça, c'est très important et que les Français aujourd'hui disent : j'ai compris cela. Cela donne certainement à notre pays aujourd'hui des chances plus fortes de réussir.
Stéphane Paoli : Mais quand les Français disent oui cependant que tous les syndicats disent non, est-ce qu'on est au fond, chacun dans son rôle, les syndicats faisant une sorte de blocage pour qu'une réflexion s'engage, ou est-ce qu'il y a au fond plus de conservatisme à vos yeux du côté des syndicats et que les Français sont peut-être plus prêts au changement que ne l'on imagine. Comment vous analysez ce clivage ?
Ernest-Antoine Seillière : Nous avons nous, notamment dans nos réflexions, je dirais, un peu d'amont en Université d'été, considéré que notre pays était beaucoup plus préparé au changement que ceux qui le dirigent ne le pensent. Et les syndicats sont dans leur rôle en essayant, je dirais, de maintenir les avantages acquis, on a réduit le travail à 35 heures, on a eu des jours de congés supplémentaires, il ne faut surtout pas bouger par rapport à cela et c'est normal, je dirais, qu'ils travaillent et qu'ils se défendent là-dessus. Mais il y a une responsabilité nationale qui est celle de la collectivité dirigée par un gouvernement et ce gouvernement-là pour faire réussir notre pays a le droit de revenir sur des idées qui ont été jugées à un moment donné justes et aujourd'hui s'avèrent être fausses. Et nous, le MEDEF, que voulez-vous, avec les entreprises - nous en avons 750 000 -, qui sont là pour essayer de faire réussir notre pays, nous nous réjouissons que puisse être diffusée dans notre pays l'idée que c'est en travaillant plus, pas en restant chez soi à bricoler, que l'on puisse en effet à la fois faire de la richesse pour le pays et pour la solidarité et pour la financer. C'est donc, à notre avis, un moment assez important de l'histoire de la pensée économique et sociale de notre pays dont vous savez qu'elle est quelquefois très en retard.
Stéphane Paoli : Mais dites-vous que nous avons tous tellement commencé de changer ? J'ai lu quelque part que vous rendiez presque une forme d'hommage aux syndicats et même à la CGT en disant que beaucoup des syndicats français, et par exemple la CGT, sont aujourd'hui des syndicats réformistes. Vous avez à ce point changé votre point de vue ?
Ernest-Antoine Seillière : Non, mais si vous voulez, nous avons, nous, toujours trouvé des interlocuteurs prêts à réfléchir à la manière d'aménager la société française de façon à pouvoir mieux réussir, c'est le dialogue social. Il existe en entreprise, il est d'ailleurs très vivant, il existe dans les branches et au niveau interprofessionnel national, il a un peu de difficulté, mais cela dit, nous sommes là aussi, si vous voulez, confiants parce que nous avons réussi en réalité à mettre en place par le dialogue social des réformes. Elles sont quelquefois d'ailleurs désagréables et douloureuses, elles suscitent bien entendu des réactions de ceux auxquels elles touchent, mais c'est indispensable de réformer notre société parce qu'il y a une grande transformation et qu'en restant immobiles et fixes, bien entendu, on ne pourra pas réussir. Alors, nous avons des syndicats qui l'ont compris, il y a des syndicats qui sont en train de le comprendre, il y a également l'extrémisme qui travaille au refus. Ce n'est pas la formule "un autre monde est possible" que l'on voit fleurir dans les milieux extrémistes, ça veut dire refusons le monde tel qu'il est pour en inventer un autre, on ne sait pas lequel.
Stéphane Paoli : Pourquoi vous dites extrémistes ? Ils ne sont pas tous des extrémistes ceux qui veulent changer le monde.
Ernest-Antoine Seillière : Non, je pense que ceux qui ne sont pas extrémistes sont ceux qui réfléchissent pour proposer des réformes qui sont des réformes compatibles avec l'état de la société. Quand on dit : on ne veut plus entendre parler de la société française, ceci est fini, tous ces entrepreneurs, toutes ces entreprises, tout ça, on n'en veut plus, allez, vive telle ou telle vision assez romantique, quelquefois un peu désespérée, d'ailleurs intéressante mais nous avons un extrémisme en effet qui se réfugie dans l'invocation, quelquefois d'ailleurs dans l'action brutale, mais qui n'est pas constructif. Nous, nous estimons qu'être constructif, c'est être dans l'immense majorité de notre pays aussi, prêt à regarder ensemble et à travailler ensemble comment réformer. C'est fondamental, les entreprises françaises en ont besoin pour réussir et elles sont bien entendu à l'appui de ceux qui réforment.
Stéphane Paoli : Mais j'allais dire à chacun ses positions, sinon extrémistes au moins un petit peu radicales. Quand vous quittez par exemple les organismes paritaires, alors que... comment vous allez faire, tenez, au fait, quand va s'ouvrir le grand débat sur la santé ? Vous ne serez pas dedans.
Ernest-Antoine Seillière : Ecoutez, cet été, nous avons tout de même, nous, appris des choses. D'abord, nous avons appris que... Nous avons appris à notre pays que les entreprises privées, les salariés finançaient la culture française. Ca a été une stupéfaction d'ailleurs pour la plupart des citoyens qui ne savaient pas que les entreprises, les salariés du privé mettaient à la disposition de la culture française 800 millions d'euros, c'est-à-dire pour 100 000 personnes une moyenne de 8 000 euros par personne. Ca a été une découverte et nous l'avons dit. L'entreprise, qui a été très prise à partie parce qu'elle voulait réformer le système des intermittents, eh bien nous l'avons dit : nous n'avons pas grand-chose à faire dans ce monde-là, on y est parce que la structure sociale n'a pas été réformée et donc on s'y trouve. D'ailleurs, les gens l'ignorent. De même, nous avons dit, et vu avec la canicule, que personne ne songeait à l'entreprise quand tout d'un coup, en effet, le drame s'est révélé. Tout le monde s'est tourné vers l'Etat, vers le Président de la République, vers le Premier ministre, vers les institutions sociales de la République, et personne n'a pensé que l'entreprise pouvait apporter une réponse aux problèmes sanitaires nés de la canicule. Eh bien nous en tirons les conclusions : le paritarisme d'hier ne suffit plus. Il faut inventer, réformer...
Stéphane Paoli : ... Avec qui ? Avec qui allez-vous discuter de tout cela ? Vous ne pouvez pas faire tout tout seul quand même ?
Ernest-Antoine Seillière : Mais pour l'instant, nous ne sommes pas dans la discussion...
Stéphane Paoli : ...Non mais j'ai bien compris mais ce que vous proposez, quels sont vos interlocuteurs...
Ernest-Antoine Seillière : ... Attendez, c'est à l'Etat de proposer le système de réforme de la santé nationale. Il le sait, il doit le faire, il le fera. Et si on nous propose, à nous entrepreneurs, un rôle de gestion et un rôle utile dans un système réformé, bien entendu, nous ne sous déroberons pas. Mais il ne faut pas demander à l'entreprise, qui est sortie de la gestion du système de santé, justement parce qu'on ne veut pas le réformer, aujourd'hui, de prendre en charge sa réforme.
Stéphane Paoli : Vous vous dites relativement optimiste, modérément optimiste s'agissant de la rentrée. Sauf que la question des intermittents que vous venez d'évoquer, elle n'est pas réglée, ils n'ont pas fini de s'exprimer les intermittents. Sauf que les signaux économiques ne sont pas bons, même si on parlait ce matin d'une reprise aux Etats-Unis, l'Europe et en tout cas la France est en stagnation, la croissance n'est pas au rendez-vous. Comment vous appréhendez les semaines qui viennent ?
Ernest-Antoine Seillière : Eh bien, justement, si vous voulez, nous, nous regardons les chiffres, nous voyons une reprise américaine qui se met en place, nous voyons que le Japon qui a été dans le marasme sort actuellement de ses difficultés, nous voyons donc, je dirais, une économie mondiale qui est en train de se remettre en ordre de marche pour la croissance. Nous savons que nous serons irrigués en France par ce mouvement-là. De même que nous baissons quand la marée mondiale de la croissance baisse, quand ça remonte nous en profiterons. Donc, c'est un élément, je dirais, positif. D'autre part, nous savons que la restructuration qui a eu lieu tous ces derniers temps et qui est encore en cours, met les entreprises en mesure de pouvoir profiter de ce redémarrage parce qu'elles seront prêtes pour travailler avec des structures qui leur permettront de le faire dans des conditions efficaces. Et donc, nous disons qu'actuellement, il se met en place une croissance qui sera lente, mais une croissance, et que nous avons touché le fond. Je crois que c'est une bonne nouvelle. Bien entendu, il faut tous travailler et si on veut relancer, je dirais, un désordre social, bien entendu, ça n'y aidera pas.
Stéphane Paoli : Mais vous n'avez pas peur de la désindustrialisation française ?
Ernest-Antoine Seillière : Si, j'ai peur de la désindustrialisation parce qu'elle est en cours.
Stéphane Paoli : Et est-ce que les emplois de service, dont vous avez beaucoup parlé à une époque il n'y a pas si longtemps, suffiront à compenser tous ces emplois qui quittent le territoire ?
Ernest-Antoine Seillière : Il faut y travailler et bien entendu, si vous voulez, l'adaptation de notre économie à la grande transformation mondiale, elle est essentielle. Et ce n'est pas en refusant de regarder les choses que l'on y parvient. Il y a de la sortie de richesses françaises vers les pays qui travaillent mieux que nous, pour moins chers, qui sont parfaitement efficaces et qui, en plus de ça, ont une population qui a une ardeur et une volonté de réussite très forte. C'est comme ça. Eh bien, nous devons bien entendu prendre cela en compte pour nous adapter nous-mêmes, pour nous remettre dans un autre esprit et faire en sorte que les valeurs qui ont été tellement, je dirais, discutées comme l'effort, le travail, l'innovation, l'investissement, la réussite des entreprises redeviennent une des bases à partir desquelles la société française cherche à se construire. C'est ce que nous faisons d'ailleurs à l'Université d'été en présentant l'entreprise comme un élément essentiel de la réussite de la société.
Stéphane Paoli : Et l'entreprise acceptera mieux et plus longtemps ceux qui ont plus de 50 ans et qui veulent continuer de travailler ?
Ernest-Antoine Seillière : Bien sûr. Là aussi, si vous voulez, pour nous, la révolution culturelle est faite, nous avons vécu pendant trente ans dans une société qui travaillait, parce que les salariés le souhaitaient, parce que les employeurs y avaient intérêt, parce que la société française trouvait que c'était parfait, à mettre en effet à la retraite très tôt dans la vie. C'est fini. Et nous devrons le négocier avec les syndicats, et nous le ferons, des conditions de travail différentes pour les gens plus âgés dans l'entreprise. On le fait partout, comme vous le savez, il y a maintenant fréquemment 67 ans, 68 ans, 65 ans comme limite de travail dans la vie. L'allongement de la durée de la vie, la forme physique d'ailleurs des gens de cet âge-là n'est pas la même qu'autrefois, et bien sûr, nous prendrons tout cela en compte parce que l'entreprise française, c'est tout de même fondamentalement l'adaptateur, le transformateur d'une société. Nous n'avons pas le choix et nous serons cette puissance de propositions pour que la société française s'adapte.
Stéphane Paoli : Un dernier mot. Ont-ils raison d'écrire certains, c'était dans L'EXPANSION en juin dernier, que vous quitterez le MEDEF bientôt, peut-être même avant la fin de l'année ?
Ernest-Antoine Seillière : Oh, c'est une aspiration de tous ceux qui pensent que j'y sert à quelque chose quand ils n'aiment pas le MEDEF. Mais cela dit, moi je travaille, je crois que nous avons devant nous, justement, une période de réformes et une période positive. Et donc, bien sûr, je serais, tant que je serais soutenu par les entrepreneurs français et compris par l'opinion, ce à quoi je m'efforce, notamment en vous parlant aujourd'hui, bien sûr de continuer mon travail.
Stéphane Paoli : Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF. Vous ne pouvez pas rester avec nous parce que vous repartez à Jouy en Josas ?
Ernest-Antoine Seillière : Eh oui, on nous attend pour d'autres débats de société et donc je rejoins 3 000 entrepreneurs et une centaine d'intervenants ce matin dans tous les domaines. Ce sera passionnant.
(source http://www.medef.fr, le 1 septembre 2003)