Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à Europe 1 le 10 novembre 2003, sur la perte de confiance dans le gouvernement, le plan "vieillesse solidarité", la lutte contre la contrebande de cigarettes et la préparation des élections régionales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Quel effet d'appartenir à un gouvernement en sursis ?
- "Non, non. Vous savez, ça, ce sont des mots qu'on lit dans les journaux. La réalité est plus concrète. C'est qu'il n'y a pas de sursis, parce qu'il n'y a pas de sursis pour les réformes. Il faut les faire, c'est la nécessité absolue, c'est ce sur quoi nous nous sommes engagés. Donc on y va, on continue."
Vous montrez que vous lisez la presse et vous avez raison...
- "Bien sûr..."
Elle est dure. Et en plus, il y a les politiques. J. Dray, porte-parole du PS, disait ce week-end que "les jours du gouvernement Raffarin sont comptés".
- "C'est la formule classique d'un opposant classique, qui privilégiera toujours la critique à la proposition..."
N'y a-t-il pas une part de vérité, même si la décision appartient plutôt au président de la République qu'à l'opinion ?
- "Je crois que la part de vérité est dans le fait qu'on vit aujourd'hui, c'est vrai, une campagne de presse très dure. Il y a bien longtemps que je n'en avais pas vue d'aussi dure. Et en même temps, je me demande où est le décalage, le décalage notamment avec la nécessité de faire des réformes. Quand on est dans l'effort, ce sont des moments difficiles, bien sûr. Donc, forcément, ici ou là, nous devons convaincre les sceptiques, c'est normal."
Et pourrez-vous remonter la pente avant la prochaine séquence électorale ?
- "La meilleure manière de remonter la pente, c'est de montrer qu'on est, bien sûr, déterminés, mais surtout, c'est de continuer sans cesse à expliquer, expliquer, expliquer les choses."
Et surtout d'arrêter de la descendre...
- "Oui... Sans doute. Mais au-delà du bon mot, je ne crois pas qu'on "arrête de la descendre", pour reprendre votre formule, en annonçant que l'on renonce. Il n'y a rien de pire, dans l'engagement politique, que la philosophie du renoncement. Il n'y a rien de pire, en clair, que de gérer uniquement les affaires d'un grand pays, en regardant les couvertures quotidiennes et les réactions quotidiennes. Il faut les entendre mais il faut aussi aller au-delà, se projeter dans l'avenir. Que dirait-on d'un gouvernement qui renonce, qui arrête ses réformes ? On dirait les pires choses, on dirait que c'est l'absence de courage politique."
Donc, il faut du sang froid ?
- "Oui, il faut du sang froid, il faut écouter, il faut comprendre et il faut marquer sa détermination. Il y a une phrase qui m'a toujours beaucoup imprégné, qui est celle du Général de Gaulle qui disait : "Il ne faut pas avancer à l'ancienneté, il faut marquer". Il faut vraiment que les réformes que nous faisons s'inscrivent dans une démarche historique par rapport à un pays comme le nôtre. On l'a vu avec la réforme de la dépendance, par exemple..."
On va y arriver. Mais le fait d'être impopulaire ne signifie pas pour autant qu'on a engagé les bonnes réformes...
- "Sans doute. Mais qui peut penser les choses autrement par rapport à une réforme sur la dépendance ? Rappelez-vous l'été de la canicule, ce révélateur..."
Le plan "Vieillesse solidarités" a été, peut-être injustement, mais il a été démoli. On l'a jugé insuffisant, trop compliqué, on dit que "c'est le retour de la corvée", que c'est un nouvel impôt... Et vous le maintenez ?
- "Non, mais ce n'est pas ça. C'est là que l'on voit aussi que parfois, les uns et les autres, qu'on n'a pas peur de ses propres contradictions. Les mêmes qui, cet été, dénonçaient l'incapacité de la France à s'occuper de nos aînés, critiquent aujourd'hui le plan ambitieux qui est le nôtre. Je veux simplement, sans rentrer dans tous les détails, insister sur deux choses importantes. D'abord, le choix que nous avons fait, c'est un appel à la générosité de manière moderne. Cette idée de donner une journée de solidarité nationale, qui est financée par cotisation des entreprises, est quand même un élément tout à fait nouveau. C'est, me semble-t-il, plus moderne que de recourir sans cesse à l'impôt. Et puis, la deuxième chose importante, c'est de garantir aux Français que cet effort de solidarité ira exclusivement aux personnes dépendantes. Je crois que ces deux points sont importants. La fraternité, la générosité, on a besoin de..."
Il faut que ça passe...
- "Non, il faut l'expliquer."
Et le jour férié, cela reste la Pentecôte ?
- "Le principe, c'est ce qu'a dit le Premier ministre, c'est la Pentecôte. Sauf si dans un certain nombre d'entreprises, par la négociation, un autre jour est décidé... Cela s'applique à partir de juillet 2004..."
2005 pour la Pentecôte...
- "Oui, ce qui veut dire en clair, que la Pentecôte de 2004 n'est pas concernée..."
La cigarette plus cher devient un produit de luxe. Les buralistes sont agressés. Est-ce que vous nous dites, ce matin, qu'ils vont être protégés, comme en 2000, au moment de la mise en place de l'euro, par des policiers et des gendarmes ?
- "Oui. Il faut que vous sachiez que ce sujet est vraiment un sujet de très grande mobilisation pour le Premier ministre et pour le Gouvernement. Vous le savez, le Premier ministre va recevoir, vendredi, le président de la Fédération des buralistes ; le ministre de l'Intérieur, va annoncer, jeudi, des mesures très concrètes, en termes de sécurité."
Pouvez-vous expliquer pourquoi le Premier ministre les reçoit vendredi et que les décisions sont prises le jeudi ?
- "Mais sur ce point de la sécurité, on n'a pas attendu. Nous sommes très réactifs par rapport à cela et des mesures sont prises, on a commencé à travailler sérieusement là-dessus. Il y a deux grands sujets sur la sécurité. Il y a, premièrement, la sécurité des bureaux eux-mêmes, des bureaux de tabac, pour lesquels des mesures exceptionnelles vont être mises en oeuvre. Et puis, il y a, d'autre part, la lutte déterminée contre la contrebande, et notamment la possibilité par certains, par ces cambriolages, de récupérer des cartouches et de les vendre à la sauvette, notamment devant les collèges et les lycées."
Comment allez-vous lutter contre les contrebandiers et "contrebandits" ?
- "Nous allons y revenir dans quelques jours, puisque N. Sarkozy va l'annoncer. Ce que je veux vous dire aujourd'hui, c'est que ce plan est très ambitieux et qu'il va s'accompagner - et c'est l'autre objet du travail accompli par le Premier ministre, qui va travailler avec l'ensemble de ses ministres là-dessus - d'une réflexion sur l'évolution du métier de buralistes. Et ce sera un travail..."
Les faire évoluer vers autre chose, en réduire le nombre - ils sont 34.000 ?
- "Ce n'est pas tant "autre chose" que de compléter, car il y a des tas de missions qui pourraient être accomplies. Je pense, par exemple, à des missions de la Poste, je pense à des missions également qui pourraient alléger les services publics administratifs et qui sont des éléments concrets de vie quotidienne."
Le Gouvernement avait prévu une nouvelle augmentation de 20 % en janvier. Sera-t-elle maintenue ou annulée ?
- "Oui, elle sera maintenue, car il s'agit là du combat que nous avons engagé contre le cancer. C'est une mission essentielle sur laquelle, là aussi, les Français attendent qu'un gouvernement moderne s'engage."
Est-ce une décision pour la santé publique ou simplement "pour boucher quelques trous de la budget de l'Etat", comme dit J. Dray ?
- "Non, laissons J. Dray, il est dans son rôle d'opposition. Je vous le dis, il y a une mobilisation très forte à mener contre le cancer. La première cause de cancer aujourd'hui, c'est le tabac. Il faut que chacun en ait conscience."
La commission Stasi sur la laïcité fait entendre en ce moment des témoignages assez saisissants sur la poussée de comportements intégristes à l'école, dans les stades, les piscines, les hôpitaux, même les entreprises. Est-ce que vous le constatez, vous, à Meaux et en Ile-de-France ?
- "Oui, bien sûr. Je participais encore à un colloque, samedi, sur ce sujet, organisé par l'association Droit au respect. Je suis très frappé de voir combien, les uns et les autres sont nombreux à vouloir raconter ce qu'ils vivent tous les jours. Les inquiétudes, les préoccupations par rapport à la vie quotidienne qu'on ne peut plus masquer, qui n'est pas un tabou. Lorsque des jeunes filles refusent d'aller se faire soigner par des médecins hommes, lorsque l'on exige des créneaux spécifiques dans les piscines, lorsque certains enseignants ne peuvent pas enseigne la Shoah dans certains collèges, ça ne va pas. Il faut l'entendre, nous avons ce devoir, et c'est tout l'intérêt de la commission Stasi."
L'entendre et répondre ?
- "Et, bien entendu, répondre."
P. Mauroy dit que "la République doit envoyer des signes forts aux intégristes de tous bords". Vous êtes d'accord avec ça ?
- "Oui, je crois qu'il a tout à fait raison. Je peux vous dire qu'en Ile-de-France, où nous avons beaucoup de quartiers difficiles, beaucoup de gens attendent un message courageux. Et il faut que les choses soient claires. Tout est ouvert aujourd'hui. Nous attendons les conclusions de la commission Stasi. Mais si les lois existantes ne permettent pas de garantir la laïcité, au sens moderne du terme, il faut en tirer les conséquences."
Du président de la République, on dit qu'il est préoccupé par le problème. Est-ce qu'il montrera lui-même la voie ?
- "Oui, je crois qu'il a commencé à le faire, avec une formule, qui montre bien les choses : "La laïcité, n'est pas négociable". Reste à voir quel en est le contenu moderne aujourd'hui. Et ça, c'est essentiel."
L'Ile-de-France : J.-M. Le Pen sur Europe 1, hier soir, promet d'abord sa victoire à la présidence de la région PACA et il vous a menacé de "nombreux 21 avril régionaux"...
- "J.-M. Le Pen se nourrit de nos difficultés. Donc, à nous de montrer notre détermination. Et surtout de faire des réponses concrètes. Je vois bien, par exemple, en Ile-de-France, que ce que les gens attendent : ce n'est pas tant de la politique politicienne - je le mesure à travers les déplacements que je fais depuis deux mois -, ce sont les réponses. Par exemple, le service minimum, qui est une idée que j'ai un peu évoquée parmi mes 21 propositions en Ile-de-France... Il faut qu'on y travaille, mais qu'on y travaille rapidement. C'est un engagement que je prends et je le prends après avoir commencé à en discuter avec les uns et les autres. J'ai passé une demi-journée avec des usagers du RER et en même temps, j'ai passé une autre demi-journée avec des conducteurs de trains de la SNCF et du RER. J'ai vu à cette occasion que quand on discute avec les uns et les autres, on doit pouvoir commencer à trouver des solutions. Il faut le faire intelligemment, mais il faut le faire vite."
Ministre d'un Gouvernement attaqué, critiqué, vous ne souffrez pas sur le terrain ?
- "Eh bien, non. Parce que je pense que les gens voient bien aussi que ce Gouvernement fait son devoir. Ce n'est pas marrant sur le moment, ici ou là, je peux comprendre quelques protestations mais..."
C'est normal que vous le disiez, vous êtes Porte-parole du Gouvernement !
- "Alors, ne me posez pas la question !"
Oui, mais je pensais avoir une autre réponse !
-"Je suis très fier d'être engagé dans ce Gouvernement, parce qu'on fait bouger des choses..."
Les Le Pen vous donnent le programme : "Pendant que le PS, disent-ils, va se battre contre l'extrême gauche, et que Copé va se battre contre Santini, le Front national va avancer". Vous vous en rendez compte de ça ?
- "Déjà au niveau régional, j'ai proposé une idée : c'est que le président du conseil régional, qui n'est pas suffisamment connu aujourd'hui, soit demain un "super-maire", c'est-à-dire quelqu'un qui s'occupe de proximité. Ma conviction est que la meilleure manière de faire reculer les extrémismes, c'est de montrer aux gens que sur toute une série de sujets de la vie quotidienne, on est capables de leur apporter des réponses. C'est vrai en Ile-de-France comme dans toutes les autres régions..."
D'accord. Vous ne me dites pas que la division peut être un danger ?
- "Je vous le dis bien aisément, effectivement. Je pense que quand on peut éviter les divisions, c'est mieux. Ca aussi, ça peut nourrir les extrémismes."
On raconte autour d'A. Santini qu'un ministère lui a été offert, qu'il a refusé. Cela veut dire qu'il "en veut" vraiment, non ?
- "Je n'en sais rien. Ecoutez, ma porte lui est grande ouverte, il le sait, je le lui ai dit..."
Apparemment, il ne connaît pas l'adresse...
- "Mais pour le reste, je fais campagne, et c'est vrai, tout ce qui permet d'éviter les divisions et de se rassembler quand on pense la même chose, c'est mieux, bien sûr."
Il y a un forum de Paris Saint-Denis, qui commence dans deux jours. Fallait-il le financer ?
- "En ce qui concerne la région, je me suis fortement opposé à ce que la région Ile-de-France le finance et nous avons pu l'empêcher pour la région..."
Est-ce que c'est l'avenir ou le retour du "vieux Lénine" ?
- "Je ne sais pas si c'est son retour, mais ce qui est vrai, c'est que tout cela donne un parfum d'archaïsme, alors qu'il y a par ailleurs des sujets essentiels à traiter et qu'il y a parmi les propositions faites, sur l'altermondialisme, des choses intéressantes. Mais ce que je peux vous dire en tout cas, c'est que tout ce qui ressemble de près ou de loin à des extrémismes ou à des intégrismes, je le combattrai de toutes mes forces !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 novembre 2003