Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Ouest-France" du 19 septembre 2003, sur les critiques de l'UDF relatives à la situation politique et économique française, sur la baisse de popularité du Premier ministre et sur le Pacte de stabilité européen.

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Média : Ouest France

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Députés et sénateurs UDF (ainsi que les députés européens) tiennent leurs journées parlementaires ce week-end en Côte-d'Or. L'occasion de faire le point sur la situation politique avec son président, François Bayrou.
Pensez-vous, comme certains économistes, que la France est en déclin ?
Les chiffres économiques ne sont pas bons. Surtout si on les compare à ceux des autres pays européens. Pourtant, je n'emploie pas le mot " déclin " : le déclin intervient quand on n'a plus d'atouts dans le jeu. Or, la France a beaucoup d'atouts. À commencer par le haut niveau de formation. Hélas ! Notre démocratie française fonctionne mal : pour traiter efficacement les problèmes qui se posent, il faut avoir le soutien du pays. Et, pour cela, il faut savoir le mobiliser, au-delà des frontières habituelles. Je ne connais pas d'autre moyen de le faire qu'en disant la vérité.
L'UDF manifeste ses doutes, ses critiques sur la politique gouvernementale, mais peut-elle faire autrement que de voter le budget ?
Je ne sais pas ce que sera le budget : j'attends de voir. J'espère que le Parlement aura son mot à dire et que nous pourrons l'amender. Pour le reste, chacun sait que le vote du budget est aussi le signe d'appartenance à la majorité. Je ne sous-estime pas cet aspect des choses. Reste que le premier devoir de l'UDF est de faire entendre la voix de tous ces Français, très nombreux, qui voudraient que l'oeuvre entreprise réussisse, mais qui s'inquiètent et ne sont pas entendus. Le parti majoritaire ne peut traduire cette inquiétude parce que ficelé dans une approbation automatique.
Sur le fond, en quoi l'UDF se trouve-t-elle si différente de l'UMP ?
Ces différences apparaissent nettement aujourd'hui. L'UDF croit au pluralisme. L'UMP au contraire décide seule et refuse même les courants. L'UDF croit que l'Europe est notre seul avenir, alors que les gouvernants s'en éloignent. L'UDF considère qu'on aurait dû mobiliser le pays dès les premiers mois en disant la vérité sur la situation. Enfin, nous voulons une démarche sociale parce qu'un pays n'avance que s'il a le sentiment que les efforts sont également partagés.
Quand on est au gouvernement, est-ce qu'il est de bonne pédagogie d'afficher son inquiétude devant le pays ?
Il ne faut pas compter sur une mobilisation du pays si on ne lui dit pas la vérité. Par exemple, les Français étaient prêts l'an dernier à reconsidérer les 35 heures et à rechercher des voies et moyens plus justes en matière de réduction du temps de travail. On a choisi de ne pas en parler. Aujourd'hui, c'est trop tard. Tout se passe comme si on avait laissé échapper l'état de grâce et que, désormais, ce sont les contradictions entre les intentions et l'action qui se remarquent le plus.
Pourquoi, à votre avis, le Premier ministre ne convainc-t-il pas et glisse dans les sondages ?
Parce qu'on ne voit pas bien la cohérence de sa politique. Dire une semaine qu'on va baisser l'impôt sur le revenu de 3 %, constater la semaine suivante que les impôts locaux augmentent de 2,2 %, et la semaine d'après la taxe sur le gazole, c'est une incohérence. Dire : " Nous sommes très Européens " et, en même temps, laisser filer le déficit et la dette parce que ça nous arrange, c'est une incohérence. Toutes ces contradictions découragent l'adhésion des citoyens, car il n'y a pas d'adhésion là où il n'y a pas de lisibilité forte.
Le Pacte de stabilité européen est-il à vos yeux une règle intangible ?
Ce Pacte n'est pas tant une règle européenne qu'un moyen de protection pour nous-mêmes. Une famille française moyenne est aujourd'hui endettée par l'État de 550 000 F (environ 80 000 ). Cette année on a augmenté cet endettement de 30 000 F. Ce ne sont pas les commissaires européens qui vont rembourser cette dette, mais bien les jeunes Français. Aussi devrait-on regarder un tel garde-fou comme un atout plutôt qu'un handicap. S'il faut un jour l'adapter il serait mieux d'abord de le respecter.
Recueilli par Jean-Yves BOULIC.
(source http://www.udf.org, le 23 septembre 2003)