Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à La Chaîne Info LCI le 7 avril 2004, sur sa vision de la construction européenne et notamment son opposition à l'entrée de la Turquie en Europe.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Question (Anita Hausser) : Bonjour Philippe de Villiers.
Philippe de Villiers (Réponse) : Bonjour.
Question : Les régionales sont à peine terminées, pas encore digérées d'ailleurs, que vous lancez déjà la campagne des européennes. Vous prendrez la tête d'une liste souverainiste dans le Grand Ouest et vous aurez des listes dans toute la France ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Oui absolument. Je voudrais dire que vous avez l'air de me dire qu'il y a un peu de précipitation, mais en fait
Question : C'est rapide en tout cas ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Mais les élections européennes, c'est dans deux mois à peine et j'ai remarqué que c'est, tous les cinq ans, trois semaines de débat. Alors je voudrais, moi, qu'on ouvre le débat tout de suite, au moment où le destin hésite pour la construction européenne : est-ce qu'on fait l'Europe ou l'Eurasie en faisant entrer la Turquie ? Est-ce que l'on fait l'Europe indépendante des Etats-Unis ou une Europe dépendante ? Est-ce qu'on fait l'Europe des peuples, enfin, ou l'on continue avec l'Europe des technocrates ? On voit bien que l'Europe est en panne et qu'elle hésite...
Question : Est-ce qu'elle n'est pas plutôt en mouvement, qu'en panne ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Comment ?
Question : Elle n'est pas plutôt en mouvement qu'en panne ? Parce que la Constitution européenne que l'on disait compromise, va peut-être adopter prochainement, je dirais il y a même des choses qui bougent ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Alors précisément, elle peut prendre deux voies, l'Europe d'aujourd'hui. Il y a deux Europe possible, Anita Hausser, c'est très important de bien le comprendre. Il y a l'Europe qui marche : l'Europe d'Ariane, l'Europe d'Airbus, l'Europe du CERN, c'est-à-dire à l'Europe de l'accord de Malaga par exemple sur la sécurité maritime. C'est une Europe intergouvernementale ou interentreprises de la coopération inter étatique. Cette Europe-là, elle marche. Et puis il y a une deuxième Europe, celle de Bruxelles, de la Commission, l'Europe intégrée, l'Europe centralisée, l'Europe disciplinaire qui nous inflige des amendes, des punitions, et qui au lieu de nous protéger, nous détruit - détruit nos emplois, détruit notre sécurité, notre souveraineté. Cette Europe-là, elle ne marche pas. Or on va passer à 25, 30 pays. Et qu'est-ce qu'on nous propose avec la fameuse Constitution dont vous me parlez, un corset de fer, un corset constitutionnel avec, par exemple, une seule TVA pour 25 ou 30 pays, mais c'est de la folie. Ca ne peut pas fonctionner. Il n'y a pas d'autre Europe à 25 qu'une Europe avec des anneaux olympiques de la souplesse, de la proximité. L'Europe d'un seul tenant, l'empire de la norme, c'est l'Europe des années 60. Mais l'Europe de la souplesse, c'est l'Europe moderne.
Question : Oui, mais quand il y a une certaine norme, ça évite aussi des problèmes comme la délocalisation, puisque les entreprises partent dans d'autres pays, parce que la main d'uvre y est moins chère, parce que les coûts sociaux sont moins élevés. Donc une norme sociale, ça arrangerait finalement pas mal de choses ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Alors parlons-en. Parlons-en. Regardez ce qui se passe pour le textile, c'est un problème que je connais bien dans ma région. L'Europe ne fait rien depuis 20 ans, c'est une véritable hémorragie. Je parle du textile, je pourrais aussi parler des photocopieurs, de Moulinex, etc. C'est une hémorragie de nos emplois. Qu'est-ce que font les Américains ? Ils viennent de prendre une mesure de protection incroyablement audacieuse, pour protéger leur textile contre le textile chinois. En d'autres termes, le pays le plus libre-échangiste du monde, les Etats-Unis, sont aussi le pays qui veille le plus attentivement à ses intérêts. Donc ils ouvrent quand c'est leur intérêt, ils protègent quand c'est leur intérêt. Et en face de ça, nous
Question : Et l'Europe ne sait pas faire ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Savez-vous quelle est la zone commerciale du monde - il y a 85 zones commerciales dans le monde, des unions commerciales - qui a le tarif extérieur douanier le plus bas du monde ? C'est l'Europe. C'est-à-dire qu'en fait, l'Europe est incapable de se protéger, pourquoi ? Parce que la Commission de Bruxelles est traversée, imprégnée par une idéologie mondialiste, libre-échangiste et qu'elle ne veut pas lutter contre les délocalisations.
Question : Vous n'allez pas mener une campagne de peur, encore, contre l'Europe, et pas une campagne positive ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Pas du tout. Je vais vous dire, moi, ma proposition elle est double à l'occasion de ces élections : sortir la droite du coma pour sortir la France du déclin. Et pour sortir la France du déclin, changer d'Europe pour protéger les Français. Moi, je veux une Europe qui protège les Français. Aujourd'hui, non seulement l'Europe n'a pas guéri la France, mais la France est malade de l'Europe. On nous avait dit : L'euro va permettre la relance de la croissance. Regardez l'euroland dans quel état il se trouve, par rapport au reste du monde ? Même par rapport à la Suède, par rapport au Danemark, par rapport à l'Angleterre. On nous avait dit l'Europe puissance. C'est une addition d'impuissances. On nous avait dit l'Europe bouclier, c'est une écumoire. Et donc moi, je veux protéger les Français avec une Europe qui protège nos emplois
Question : Vous êtes contre l'Europe de la Défense ?
Philippe de Villiers (Réponse) : L'Europe de la Défense, quelle Europe de la Défense ?
Question : Celle qui est en train de se construire ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Si c'est pour mettre en commun certaines fabrications d'armement, pourquoi pas. Mais la question c'est quelle défense, quelle politique étrangère ? Quand vous avez par exemple, récemment, les députés de l'UMP, les députés du PS au Parlement européen, qui ont voté pour la fin du siège de membres permanents au Conseil de sécurité de la France, de quelle défense parle-t-on ? On parle d'une défense d'une Europe qui serait l'appendice de la puissance américaine, la 51ème étoile du drapeau américain ! Donc quelle défense ! Moi, je veux une Europe indépendante et le paradoxe, c'est que ce sont les souverainistes, ceux qui sont attachés à la souveraineté populaire nationale, qui sont les derniers défenseurs d'une Europe indépendante.
Question : C'est toujours ce qu'ils disent. P. de Villiers vous allez faire campagne contre l'admission de la Turquie, j'imagine ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Ca sera évidemment une question-clé. Tout simplement parce que là aussi, c'est un paradoxe. Réfléchissons un instant : les europhiles en sont aujourd'hui à vouloir faire entrer la Turquie, non mais où est-on ! J'allais dire dans quel pays est-on ?
Question : Là, vous allez être rejoint par l'UMP.
Philippe de Villiers (Réponse) : Ah ! L'UMP ! Ecoutez, c'est une gesticulation. L'UMP a voté le 11 mars dernier pour que le turc soit langue officielle de l'Union européenne, ce qui m'intéresse moi, c'est la position du président de la République. Il faut savoir que le processus de l'entrée de la Turquie a été enclenché à Helsinki lors du Conseil européen, en décembre 99, par Jacques Chirac et Lionel Jospin, qui lui ont conféré le statut d'Etat candidat. Et moi, je demande solennellement au président de la République que cette question-là, c'est un sujet grave - parce que la Turquie n'est européenne ni par son univers culturel, ni par sa géographie - soit tranchée par le peuple français par référendum.
Question : Comme pour la Constitution. Alors vous risquez d'avoir, quand même, pas mal de concurrence dans le domaine souverainiste. Jean-Marie Le Pen pour ne citer que lui, Charles Pasqua a l'intention de faire des listes également, on parle d'une liste souverainiste UMP, ça ne vous fait pas peur tout ça ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Non, pas du tout. D'abord je voudrais que la concurrence soit immense. Si tous les partis politiques pouvaient dire " on ne veut pas d'un corset constitutionnel qui fera de la France un Land de Bruxelles ", si tous les partis politiques, si toutes les listes pouvaient dire " soyons raisonnables, ne faisons pas entrer la Turquie parce qu'il y va de notre sécurité " - vous vous rendez compte ! une frontière qui irait jusqu'à l'Irak, à la Syrie, c'est de la folie... Moi je souhaite, vous savez si je suis moi dans cette campagne, c'est parce que j'ai regardé, j'ai écouté et je me suis dit mais il n'y a plus personne, je suis le chef de file de ce qu'on appelle les souverainistes au sens de la souveraineté populaire et nationale. Ce qui veut dire que, lorsque le pouvoir n'a plus le pouvoir, nous sommes dans l'impuissance publique. Et une des causes du vote du désarroi du 28 mars, c'est l'impuissance publique.
Question : Vous allez appliquer la décentralisation en tant que président du Conseil général de Vendée ?
Philippe de Villiers (Réponse) : Moi, j'appliquerais les lois. Vous savez, Michel Barnier, quand il était commissaire à Bruxelles, il n'avait qu'un mot à la bouche, comme Jean-Pierre Raffarin, comme la plupart des leaders de l'UMP : Europe des régions. Elle est belle l'Europe des régions, aujourd'hui.
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 avril 2004)