Interviews de M. Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC à I Télévision le 7 janvier 2004, dans "Les Echos" du 16 et dans "La Marseillaise" du 24, sur la situation sociale, le nouveau dispositif RMI/RMA, les réformes de l'assurance maladie et le chômage.

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Média : Energies News - Les Echos - I-télévision - La Marseillaise - Les Echos

Texte intégral

Le 07/01/2004 I-TELEVISION
Jean-Jérôme Bertolus : Bienvenue sur " i Economie ". Vous avez été hier aux vux du président de la République, aux premières loges si je puis dire. Quel est votre sentiment général sur ce, pratiquement, discours de politique générale du président ?
Jean-Luc Cazettes : Effectivement, il a mis prioritairement l'accent sur l'emploi avec un certain nombre de mesures intéressantes. L'attention portée à la formation parce que c'est vrai que la formation, c'est le premier volet pour protéger l'emploi, on a quand même trop de salariés mal formés ou peu formés dans les entreprises. Le problème de la deuxième chance qui est importantQui va être acté également. Quelques mesures d'aide sur le développement du nombre d'entreprises et vraiment une volonté semble-t-il de lutter contre la désindustrialisation.
JJB : C'est vraiment le point majeur la désindustrialisation aujourd'hui ?
JLC : Oui, on voit partir quand même des pans entiers d'industries en France. On ne pourra pas être uniquement un pays de services et de loisirs. Il faut qu'on puisse conserver des industries. Moi, je vois quand même trop souvent dans un certain nombre de sociétés industrielles un freinage des investissements qui se traduit au bout de deux, trois ans par le fait que les produits, les lignes de production sont devenues obsolètes. On dit, il faut changer carrément la ligne, seulement le problème c'est qu'on ne la change plus en France, on va la changer dans un pays étranger, donc ce problème de désindustrialisation, d'aides à l'investissement productif sur place me paraît une excellente chose.
JJB : Vous êtes inquiet justement pour 2004 en matière de plans sociaux, vous pensez qu'ils vont se multiplier ?
JLC : Oui. C'est-à-dire je pense que l'arrivée des pays d'Europe de l'Est va quand même profondément modifier la donne. Là où les chefs d'entreprises hésitent actuellement à se délocaliser à l'autre bout du monde, parce qu'il y a l'incertitude politique, les transports, la qualification de la main d'uvre, le jour où ils vont pouvoir le faire à Varsovie, à Prague ou à Budapest, à une journée de camion du pays, dans la même zone de l'euro et avec des salaires à 40 % moins chers, là le risque devient considérable.
JJB : Mais vos adhérents vous font déjà remonter des signaux comme quoi
JLC : Tout à fait. On le voit bien dans l'automobile qui implante des usines de plus en plus dans les pays de l'Est. Et on le voit dans d'autres activités industrielles également. Et le vrai problème c'est cette désindustrialisation.
JJB : Alors justement, le président de la République répond effectivement exonération de la taxe professionnelle, ça, ça va dans le bon sens ?
JLC : Ca va dans le bon sens. La seule petite réserve que j'émets, c'est que dans un budget où on a déjà du mal à rentrer dans les critères de Maastricht, comment va-t-on faire un cadeau supplémentaire de quelques milliards d'euros ? Il faudra bien compenser vis à vis des collectivités locales tout en poursuivant la baisse des impôts, tout en lançant les grands travaux d'équipement et tout en accordant les aides supplémentaires pour les créations... Moi, j'ai le sentiment que c'est un peu du style " demain on rince gratis. "
JJB : Et sur les autres mesures de cette grande loi de la mobilisation sur l'emploi, on y voit un peu plus clair aujourd'hui ?
JLC : Je crois qu'on y verra plus clair dans le courant du mois, lorsqu'on aura rencontré François Fillon parce que là on va rentrer dans le détail. Dans le discours hier du président de la République, il y avait beaucoup d'annonces globales, mais entre l'annonce globale qui peut paraître attrayante, satisfaisante et puis la traduction concrète, on s'aperçoit qu'il y a souvent un écart qui n'est pas toujours en faveur des salariés. Donc nous serons très attentifs. Quand je lis les interviews de François Fillon actuellement, je suis quand même très inquiet sur le contrat de mission, sur l'obligation pour les chômeurs d'accepter des emplois uniquement en fonction de leurs compétences et c'est un tas de mesures qui risquent d'être très défavorables aux salariés.
JJB : Alors justement le contrat de mission, c'est une nouvelle forme de contrat à durée déterminée, c'est quelque chose dont vous êtes inquiet pour les salariés ?
JLC : Oui, parce que là où on en a besoin, c'est-à-dire pour le bâtiment, les travaux publics ça existe déjà. Là où on en a besoin pour les grands contrats, les grands chantiers d'informatiques, il y a les SSII qui permettent aux entreprises justement de ne pas embaucher à durée indéterminée. Donc la seule justification actuellement, c'est pour régler le problème des quinquas. Actuellement, toutes les entreprises nous expliquent que les seniors coûtent trop chers, c'est vrai que ce sont des gens qui ont de l'ancienneté, qui ont gravi des échelons dans l'entreprise, qui sont à des niveaux de rémunérations élevés. Et qu'il faut impérativement trouver un moyen qui coûte moins cher. Avec un contrat de mission où vous devrez tous les cinq ans renégocier votre contrat de travail, c'est clair qu'on n'aura plus des courbes de carrière linéaire. Tous les cinq ans, il sera obligé de renégocier son contrat de travail, malheureusement avec moins 15, moins 20 % par rapport à ce qu'il avait. C'est un danger énorme. Parce que ça va remettre en cause toute la notion même de contrat à durée indéterminée.
JJB : Vous parliez des interviews de François Fillon et vous regrettez qu'effectivement le ministre des Affaires sociales mette l'accent aujourd'hui, pratiquement exclusivement sur les jeunes. Ce projet de loi est plus effectivement sur les seniors comme on en parlait au moment du projet de loi sur les retraites ?
JLC : On nous a expliqué au moment de ce projet de loi sur les retraites que l'allongement de la durée d'activité imposait à tout le monde de se préoccuper de l'emploi des seniors. La formation, ne pas les mettre dans des placards, leur permettre des développements de carrières, leur trouver des tâches adaptées etc, et puis on voit que dans la réalité des faits, on s'ingénie au contraire à les inciter. Moi, je vois actuellement les gens de cette tranche d'âge de 55 ans, ils n'ont plus qu'une idée en tête, pour éviter ce qui se profile, c'est de partir le plus vite possible. Donc on va à l'encontre du but recherché qui est justement d'inciter les seniors et n'oublions pas que dans deux ans, on va manquer d'emplois qualifiés et qu'on serait peut-être bien content à ce moment-là de les retrouver toujours dans les entreprises.
JJB : Dans quel état d'esprit vous allez rencontrer François Fillon, avec lequel les rapports se sont un peu détériorés ces dernières semaines ?
JLC : Ils se sont détériorés avec la loi sur la démocratie sociale. Le fait de mettre sur le même plan maintenant, l'accord d'entreprise ou d'établissement, l'accord de branche ou l'accord interprofessionnelLa loi a été votée hier à l'Assemblée et ça va révolutionner la négociation sociale et le droit du travail. Et toutes les nouvelles mesures qui vont être mises en place dans le cadre de ce contrat seront discutées ensuite directement dans les entreprises. Vous pensez bien qu'au niveau des PME, là où il n'y a pas de présence syndicale, il n'y a pas d'équilibre, de rapport de force, il n'y a pas réellement de négociations constructives, ce qui va se passer risque d'être quand même assez dramatique en fonction justement de cette loi.
JJB : Donc la hache de guerre avec François Fillon n'est pas complètement enterrée ?
JLC : Ah ! Non, non, non. D'ailleurs j'en discutais récemment avec François Hollande qui me disait qu'il abrogerait ces dispositions et il reviendrait sur la remise en état du principe de faveur en cas d'alternance.
JJB : Le patron du Parti socialiste a pris cet engagement devant vous ?
JLC : Eh oui ! Et ça me rappelle ce que disait en 1997, juste avant les élections Lionel Jospin par rapport à la loi Thomas, qui introduisait les fonds de pension en disant, " moi, si j'arrive au pouvoir je vais abroger la loi Thomas ", ça n'a pas été neutre dans le résultat des élections en 1997.
JJB : On va voir puisqu'on rentre effectivement dans une année d'élections. Revenons un petit peu sur les négociations en cours, il y a une négociation importante, le président de la République y a fait hier allusion, sur les restructurations avec le MEDEF où en est-on ?
JLC : Pour l'instant, on est un peu dans un cul de sac, il y avait un projet présenté par le MEDEF sur lequel l'ensemble des organisations syndicales a refusé même de discuter parce qu'on était vraiment aux antipodes de ce que nous souhaitions. Nous avons à la CFE-CGC fait un contre-projet qui a été adopté, repris par l'ensemble des organisations syndicales et remis au MEDEF pour servir de base à la discussion. Mais, je pense qu'on reste attaché pour le MEDEF à ses positions initiales.
JJB : Vous êtes optimiste sur la réforme de la Sécurité sociale ?
JLC : Sur la réforme de la Sécurité sociale, je crois qu'on aura beaucoup de "pain sur la planche" parce que de toutes les façons, il faudra trouver les moyens de payer.
(source http://www.cfecgc.org, le 18 février 2004)
LES ECHOS 16 janvier 2004
Etes-vous satisfait du programme de réformes sociales annoncé pour 2004 ?
Le chef de l'Etat et le gouvernement ont mis dix-huit mois à s'apercevoir que l'emploi est prioritaire. En outre, le ministre des Affaires sociales semble être prêt à reprendre dans la loi de mobilisation pour l'emploi tout ce que Denis Kessler a essayé de faire passer en juin 2000, lorsqu'il était numéro deux du Medef, et qu'a refusé la majorité des organisations syndicales : les contrats de mission, l'obligation d'accepter un emploi sous-qualifié pour les chômeurs. Là encore, comme sur le dialogue social, le gouvernement est prêt à inscrire dans la loi tout ce que le patronat n'obtient pas par la négociation. Ce n'est pas pour cela que la majorité a été élue. Alain Madelin n'a fait que 3,5 % des voix à l'élection présidentielle.
Michel de Virville propose la création de contrats de mission pour les salariés qualifiés. Qu'en pensez-vous ?
La CFE-CGC est totalement hostile aux contrats de mission. Il y a certes quelques activités où ils sont indispensables, comme le BTP où ils existent déjà. En informatique, ces missions sont sous-traitées aux SSII. Mais ce n'est nullement une nécessité dans tous les secteurs. En cas de surcroît d'activité, il y a les contrats à durée déterminée ou l'intérim. A qui fera-t-on croire que les entreprises, qui n'ont aucune visibilité au-delà de quelques mois, ont besoin de CDD de longue durée ? En réalité, la généralisation des contrats de mission vise à peser sur les conditions de travail et les rémunérations. En plus, le rapport Virville propose de les limiter aux salariés qualifiés. Ce n'est ni plus ni moins qu'une mesure anticadres.
Le rapport Marimbert pointe les insuffisances du contrôle des chômeurs. Partagez-vous ce constat ?
Il a raison. Il y a des abus qu'il faut sanctionner. Le contrôle est peu ou mal effectué. Mais il faudrait déjà appliquer les mesures existantes avant d'inventer de nouvelles contraintes. Il serait inadmissible d'obliger les chômeurs à accepter tout emploi correspondant simplement à leurs compétences. Il faut aussi tenir compte de la qualification, de l'expérience, du niveau de rémunération.
Pensez-vous pouvoir aboutir à un accord sur les restructurations avec le Medef ?
Si le patronat persiste à refuser de prendre en compte nos revendications qui figurent dans le projet que nous avons soumis à la négociation, je pense que l'on va vers un échec. Or, vu la façon dont le gouvernement agit, je ne crois pas que le Medef ait intérêt à se battre pour obtenir un compromis avec les syndicats.
Lors de votre congrès, en novembre dernier, vous avez affirmé que vos fédérations ne signeraient plus d'accord de branche. Persistez-vous ?
Avec la réforme du dialogue social, les entreprises vont disposer d'une totale liberté. Toutes nos fédérations sont d'accord pour ne parapher que les accords de branche impératifs. Sur le plan interprofessionnel, nous risquons d'être plus radicaux encore. Compte tenu de l'attitude du gouvernement, qui fait son marché dans les accords que nous signons - dialogue social, médecine du travail -, je crains que nous soyons amenés à ne plus signer.
Sur la réforme de l'assurance-maladie, que pensez-vous des premières pistes évoquées ?
Nous sommes responsables. Nous sommes donc prêts à accepter des efforts de rationalisation des dépenses. Mais il faut que l'on mette aussi en place des financements supplémentaires, car on vieillit et la médecine progresse, devenant de plus en plus coûteuse. La façon dont la loi dépendance a été élaborée et son contenu ne me rendent pas optimiste. Je crains qu'on ne se limite à transférer des dépenses du régime général sur les complémentaires.
Les syndicats, sur ce sujet, sont-ils condamnés à une unité qui volera en éclats, comme sur les retraites ?
Toutes les confédérations sauf FO, ce qui est logique car elle change de dirigeant dans quinze jours, m'ont déjà donné leur accord pour une rencontre intersyndicale sur l'assurance-maladie. Le problème est simple : le gouvernement pense que la division syndicale lui permet de faire tout et n'importe quoi. Il serait donc bon que l'on se mette un minimum d'accord sur les dossiers chauds.
PROPOS RECUEILLIS PAR LEÏLA DE COMARMOND
(source http://www.cfecgc.org, le 18 février 2004)
La Marseillaise 24/01/2004
Michel Allione : Comment analysez-vous les différents mouvements qui se sont déroulés cette semaine et que certains de mes confrères qualifient déjà de "poussée de fièvre" ?
Jean-Luc Cazettes : Ce n'est pas forcément une grosse fièvre sociale dans l'immédiat. Chaque mouvement revêt des revendications particulières à chacune des entreprises dans l'action. Mais ça peut très bien le devenir dans les prochaines semaines. L'accumulation des attaques peut devenir la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Mais je pense que pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Les mouvements sont encore par trop corporatistes pour déboucher sur une action plus large.
MA : Vous vous y préparez ?
JLC : J'ai l'espoir que dans les jours qui viennent les organisations syndicales se retrouveront autour d'une table pour mettre en place une stratégie la plus large possible. Entre noël et le jour de l'an, j'ai écrit aux quatre autres leaders syndicaux (CGT, FO, CFDT, CFTC) pour le leur proposer. Lors des voeux du président de la République aux forces vives, nous sommes convenus d'une rencontre qui pourrait se dérouler dès la fin du congrès de Force Ouvrière. Mais entre temps, des rencontres se déroulent entre nos collaborateurs pour déblayer le terrain et préparer cette réunion.
MA : Depuis le 1er janvier, le nouveau dispositif RMI/RMA est entré en vigueur, modifiant considérablement le statut des travailleurs sans emploi. Comment expliquez-vous le peu de réaction des salariés à sa mise en application ?
JLC : Il faut bien le dire, il y a un phénomène d'égoïsme de la part des salariés qui ont un emploi, et nous avons bien des difficultés à les mobiliser sur ces questions. Et puis tout cela est arrivé après le mouvement du printemps dernier à propos des retraites où il faut bien dire que les gens sont restés sous le coup de la déception de n'avoir débouché sur rien.
MA : Se réjouissant des conclusions du rapport Virville, Ernest-Antoine Sellière annonçait dans une interview aux Echos, "la société française est capable enfin d'éliminer les spécificités qui la distinguent des autres pays européens". Que vous inspire cette déclaration ?
JLC : Monsieur Sellière a le droit de rêver. On connaît tous sa volonté de faire basculer la France dans un modèle social anglo-saxon. Mais il ne suffit pas de le rêver pour qu'il y parvienne... Mais il faut remarquer que toutes ces attaques sont concentrées dans un minimum de temps. Que ce soit le RMI/RMA, les diminutions de postes dans la médecine du travail, le rapport Virville qui prétend signer la mort du contrat à durée indéterminée... Tout se précipite comme si Medef et gouvernement souhaitaient aller très vite avant que les syndicats parviennent à se mettre d'accord. Et pour ce qui concerne plus directement les cadres, certaines mesures comme les contrats de missions nous visent plus directement. Je dirais que les cadres servent de cobayes dans un certain nombre d'opérations. D'où l'intérêt à nous mobiliser rapidement.
MA : Que pensez-vous de la volonté gouvernementale d'instaurer rapidement un service minimum ?
JLC : Je pense qu'il est totalement inutile de légiférer sur un dossier qui au fond ne concerne que la SNCF. En vérité, je pense qu'il y a un peu de provocation dans la volonté gouvernementale. Chacun sait que le dialogue social a permis dans la majeure partie des cas d'éviter au maximum les opérations qui peuvent retourner les salariés du privé contre les actions revendicatives.
MA : Après les événements du printemps dernier, et les désillusions qu'ils ont entrainées, qu'est-ce qui vous laisse croire qu'un accord intersyndical est aujourd'hui plus réalisable ?
JLC : On tombe aujourd'hui sur des dossiers qui rapprochent plus les organisations syndicales. Sur les retraites, nous savions que nous allions nous heurter à des différences d'analyses importantes parce qu'il y avait des gens plus orientés vers le secteur privé. Aujourd'hui, la situation a évolué. L'accumulation des sujets de mécontentements que nous énumérions tout à l'heure a commencé à faire comprendre aux gens qu'on ne pouvait plus rester dans cette situation. Je pense qu'il faut passer par une phase d'explication entre organisations syndicales pour qu'ensuite on voit ce qu'il nous est possible de faire ensemble. Vous savez, je crois, que ce qui nous a manqué au printemps dernier, c'est la clarté et la transparence.
MA : Et quelle forme pourrait selon vous prendre un mouvement social efficace ?
JLC : Ce ne sera pas forcément la grande manif mais peut-être des actions plus ciblées, plus musclées et suffisamment répétitives pour calmer le projet de démolition de notre droit social. C'est ce que les numéros 2 de nos organisations sont en train de débroussailler pour préparer la table ronde dont je parlais tout à l'heure. En tout cas, je crois qu'un signe fort de la part des organisations syndicales pourrait contribuer à rendre le punch aux salariés.
Propos recueillis par Michel Allione, la Marseillaise
(source http://www.cfecgc.org, le 18 février 2004)