Interview de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, à LCI le 1er avril 2004, sur sa nomination au ministère de la culture et de la communication et les réformes engagées par le gouvernement notamment en matière de retraite et d'assurance maladie.

Prononcé le 1er avril 2003

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. Vous êtes ministre de la Culture depuis hier soir. C'est une maison que vous connaissez bien, vous y avez travaillé aux côtés de F. Léotard. Quand on devient ministre de la Culture, on se dit que l'on va hériter de tonnes de problèmes dont ceux des intermittents ?
R- "Oui, bien sûr qu'il y a beaucoup de dossiers difficiles, il y a à renouer le dialogue. Mais c'est aussi une magnifique maison, c'est le lieu de l'art, de la création, de ce qui est possible entre les hommes, ce qui réunit, ce qui est les liens de l'esprit. Donc je vais essayer tout simplement d'être à la hauteur de cette immense maison dont je veux qu'elle soit vraiment la maison de tous les artistes, de ceux qui commencent, de ceux qui sont confirmés, et puis la maison de la communication qui permet aux uns et aux autres d'échanger et de mieux se connaître. Donc c'est une magnifique responsabilité, très difficile."
Q- Vous y avez déjà réfléchi, vous avez passé la nuit à ça peut-être ?
R- "Quand vous êtes nommé ministre, c'est à la fois un immense honneur, et puis c'est tout de suite une espèce de poids sur les épaules, parce que là, il y a des grosses difficultés qu'il faut résoudre, il y a une sorte de méprise entre, peut-être l'image que nous avons donnée, et ce qu'il faut essayer de faire vis-à-vis de la communauté des artistes, donc c'est un lourd défi."
Q- On va y revenir, mais je voudrais que l'on parle plutôt du Gouvernement dans son ensemble. Ce matin, vous êtes littéralement "flingué" par la presse qui parle de replâtrage - on prend les mêmes, et on recommence. Bref, on ne vous donne aucune chance...
R- "Oui, je le vois bien. De ce point de vue-là, vraiment, on a reçu tous les coups de massue nécessaires."
Q- A commencer par un coup de massue électoral ?
R- "Oui. On est une équipe d'hommes et de femmes autour du Premier ministre et autour du Président de la République, tout simplement résolus à agir en écoutant, en dialoguant et en veillant à ce que toutes les initiatives que nous prenions apparaissent comme des garanties. Chaque fois que l'on prononce le terme de réforme, les Français se disent : "Qu'est-ce qu'il va encore nous piquer celui-là ? Quel effort il va nous demander ?" Nous, nous voulons tenir le langage de la vérité pour que notre pays progresse, pour que chacun ait sa place, et j'insiste là-dessus : chacun. Ceux qui travaillent, ils ont besoin d'être reconnus dans leur travail et dans leur rémunération, et ceux qui sont exclus, ils ont besoin qu'on leur tende la main et qu'on agisse avec eux. Donc on a une magnifique tâche devant nous et le comportement, si vous voulez, d'invective de la gauche aujourd'hui, leur triomphalisme, alors que nous héritons quand même d'une situation qu'ils nous ont laissée il y a à peine vingt mois, qui est très difficile... Je ne veux pas faire le coup du bilan, du passé, ça ne m'intéresse pas... "
Q- Vous ne l'avez pas assez fait à ce moment là ?
R- "Peut-être. Mais vous savez, je discutais tout à l'heure avec un chauffeur de taxi qui m'amenait ici. Il m'a dit : "Au fond, il y a des peurs dans la société française aujourd'hui, parce qu'on sent bien que l'extérieur est dangereux, que l'extérieur est menaçant, qu'il y a des concurrences. Vous nous demandez beaucoup d'efforts, mais on ne sait plus très bien où on en est." Donc je pense que l'élément le plus important, et je souhaite que ce soir le président de la République nous donne le cap, c'est-à-dire qu'il dise très clairement aux Français : "Voilà où on en est, voilà la feuille de route que je fixe au Gouvernement." Moi, j'attends sa feuille de route et celle du Premier ministre."
Q- Oui, mais il y avait une feuille de route qui avait été fixée en 2002 et manifestement elle n'a pas été tenue...
R- "Si, si, elle a été tenue."
Q- Elle n'a pas été tenue pour les déficits. La reprise n'était pas au rendez-vous, mais
R- "Il y a un certain nombre de mesures nouvelles qui ont été prises, je pense à la réforme des retraites, qui a été faite. C'était une réforme très difficile, qui a permis de vrais résultats. Vous avez presque 100.000 Français partis à la retraite plus tôt que prévu, parce qu'ils avaient travaillé très jeunes, donc c'est une vraie avancée sociale."
Q- C'était demandé depuis très longtemps...
R- "Oui, bien sûr, mais c'est quand même nous qui l'avons fait en matière de rétablissement des principes de l'autorité de l'Etat..."
Q- Et tous les autres partiront plus tard...
R- "Oui, parce qu'on est obligé de tenir le langage de la vérité, et simplement, c'est au service d'une garantie. Si on voulait maintenir la garantie d'un système de retraite par répartition, on est obligé de dire aux Français qu'il faut travailler un peu plus. Donc on a été obligé de faire une sorte de révolution culturelle, si vous me permettez cette expression, et il y a des moments où les gens nous disent : "Les résultats, quand est-ce qu'ils vont venir ?" Evidemment qu'il y a une forme d'impatience, de rejet. Il y a eu aussi, il ne faut pas s'en étonner, une mobilisation de la gauche qui a voulu tourner la page du premier tour de l'élection présidentielle, et qui s'est fortement mobilisée. Et nous, notre électorat nous a dit : "Franchement, les résultats ne sont pas encore là. Où est-ce que vous en êtes ?" Donc il faut que cette nouvelle équipe qui vient de se constituer se mette vaillamment au travail et personne ne nous dissuadera de mener le dialogue, d'agir pour le bien de nos concitoyens. Nous n'avons pas l'infini devant nous, nous avons au fond trois ans devant nous avant la prochaine élection présidentielle et la prochaine élection législative. Et puis il y a la situation aujourd'hui qui se trouve posée, et qu'il faut résoudre."
Q- Vous parliez des retraites, c'est-à-dire qu'il y a les mêmes sacrifices à attendre pour l'assurance maladie ?
R- "Non. La première chose, c'est que l'on veut garantir un système juste, de santé, pour tous les Français. Que vous soyez riche ou pauvre, vous avez droit au même système de soins. Voilà. On ne va pas tout bousculer, on ne veut pas la privatisation, on veut garantir à chaque Française et à chaque Français un bon système de santé ; c'est notre objectif. Alors, qu'il faille que, pour arriver à cette garantie, chacun fasse, le moment venu, peut-être un petit effort, c'est évident. Mais il faut qu'on tienne là-dessus un langage de vérité : on ne veut pas bousiller un système, contrairement à ce que veut nous faire croire la gauche, essayant de troubler l'opinion publique. On veut apporter une garantie nouvelle, il faut qu'on en explique la nécessité et les modalités aux Français. Et vous avez, de ce point de vue-là, de très bons ministres qui ont été nommés pour le faire."
Q- On l'espère pour eux. Finalement, à vous entendre, ce qui a manqué beaucoup, c'est le dialogue, c'est l'écoute ?
R- "Je ne sais pas ce qui a manqué. Ce qui a manqué, c'est que la situation elle est très difficile. [...] On n'avait pas la situation facile parce que la croissance, il a fallu qu'elle revienne, et elle revient lentement mais sûrement, et donc les marges de manuvres étaient faibles pour pouvoir agir, donc on ne pouvait pas distribuer facilement, donc on a été obligé de tenir un langage de vérité, de rétablir un certain nombre de choses. Vous savez très bien par exemple que l'application des 35 heures à l'hôpital, ça posait d'immenses problèmes, et donc, domaine par domaine, on a été obligés de tenir un langage de vérité."
Q- Et, domaine par domaine, on n'a pas un peu trop géré les intérêts catégoriels ? Vous savez que l'on a beaucoup reproché les milliards mis sur la table pour les buralistes, les restaurateurs
R- "Dans la France d'aujourd'hui vous avez des tas de gens qui vous disent : "Et moi, et moi, et moi ? Quand est-ce que vous allez penser à ma situation ?" La situation, c'est celle de l'enseignant, c'est celle du gardien d'immeuble, c'est celle du médecin, c'est celle de l'infirmier, c'est celle de l'ingénieur, c'est celle de l'ouvrier, et chacun, les gens qui bossent, ils ont envie d'être reconnus dans leur utilité et évidemment ensuite dans leur rémunération. Et puis il y a toutes celles et tous ceux qui sont exclus, et nous, on va tendre la main à chacun, en veillant - ce n'est pas contradictoire - à ceux qui ont la chance d'avoir une activité, de pouvoir en tirer une juste rémunération, et de faire en sorte que tous ceux qui sont les déshérités, les exclus, se sentent épaulés, aimés et qu'on essaie de faire en sorte de les remettre dans le jeu."
Q- Avant qu'on se quitte, vous héritez du dossier terrible des intermittents Les festivals sont menacés, comment est-ce que vous allez vous y prendre ?
R- "Je vais tout faire pour renouer les fils du dialogue et mettre un terme à cette méprise qui a séparé injustement la volonté de réforme et puis la situation des artistes. Donc je viens dans un esprit d'écoute, de dialogue, pour essayer de trouver une solution. Je ne suis pas un magicien. La période n'est pas la plus facile et la plus propice qui soit, mais je ferai tout pour avoir les moyens d'agir."
Q- Et est-ce qu'on vous en a promis une ?
R- "Si je suis nommé, c'est pour essayer de parvenir à un résultat, donc je ferai tout pour parvenir à un beau résultat qui fasse finalement que le public soit nombreux pour applaudir nos artistes."
Q- Et rendez-vous la semaine prochaine avec les représentants des intermittents ?
R- "Laissez moi arriver. Ma passation de pouvoir est ce soir. Moi, je suis quelqu'un qui bosse, donc j'ai d'abord besoin de regarder très précisément les choses avant de pouvoir tendre la main avec des éléments de réponse."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1e avril 2004