Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, à "RTL" le 2 juillet 2003 sur la personnalité de Jean-Pierre Raffarin et ses relations avec le parti socialiste.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


R. Elkrief-. Merci beaucoup, D. Bussereau, d'être avec nous ce matin.
- " Merci à vous de m'inviter. "
Vous êtes un ami personnel de J.-P. Raffarin. Vous étiez ensemble aux Jeunes Giscardiens, dans les années 70. Ce n'est donc pas au ministre que je m'adresse ?
- " N'exagérez pas quand même... Dans les années 74/75. "
Oui, 70. Ce n'est donc pas au ministre que je m'adresse, mais plutôt au copain, à l'ami du Premier Ministre, pour essayer de comprendre ce qui se passe. Qui est vraiment Monsieur Raffarin ? En deux semaines, il a deux "sorties", comme on dit, sur les socialistes, assez dures. Derrière l'homme rond, proche des gens qu'il nous a offert jusqu'à présent, en fait se cache un homme vindicatif, revanchard, c'est cela ?
- " Ah pas du tout ! Se cache quelqu'un que je qualifierais d'un adjectif, qui est l'adjectif de "malicieux", quelqu'un qui a un tempérament plutôt espiègle. Vous savez, ce matin, quand le téléphone a retenti et que votre rédaction m'a appelé, j'ai pensé qu'on m'apprenait un accident de train ou un accident d'auto ou d'avion, ce qui est le lot du ministre des Transports. Quand j'ai appris pourquoi, j'ai été vraiment rassuré. " !. "
Néanmoins, J.-P. Raffarin est Premier ministre. Il a composé un personnage d'homme du consensus, d'homme qui ne polémique pas avec l'opposition. Alors, ces deux "sorties", je les rappelle quand même : en juin dernier, il avait estimé que "les socialistes préféraient leur parti à leur patrie". Hier soir, à une réunion à Strasbourg du Parti Populaire Européen, il a dit : "La France n'est pas encore dans son chemin au Paradis, elle n'est qu'au Purgatoire parce qu'il y a encore des socialistes". Il a été blessé par les socialistes ? Et là, il répond vraiment ?
- " Ecoutez, d'abord en ce qui concerne la petite phrase dont vous parlez beaucoup sur votre antenne ce matin, je crois que le Premier Ministre lui-même est venu chez vous à RTL... "
Il en a parlé, absolument. On l'en remercie.
- "... au téléphone, vous dire qu'il regrettait si cette phrase avait pu peiner. Moi, j'ai encore en tête les messages du Parti socialiste au Congrès de Dijon ou à l'Université d'été de La Rochelle dans notre région. Quand quelqu'un qui est un homme d'Etat, comme L. Fabius, parle de "super menteur, de super bonimenteur", là, on est vraiment dans des choses qui pourraient affecter profondément le Premier ministre ! Quand A. Montebourg s'attaque à la personne du président de la République, ce sont des choses graves ! Quand on est dans la petite phrase d'un meeting politique ou d'une boutade, le Premier ministre répond à une boutade d'un autre invité, en l'occurrence le Premier ministre slovaque. Honnêtement, je trouve que les cris d'orfraie de Monsieur Ayrault sont bien hypocrites. Bon, il y a aussi le contexte que vous auditeurs connaissent. C'est aujourd'hui le débat à l'Assemblée nationale sur la motion de censure. Tout ça fait partie d'un jeu, plus politicien que politique. Mais je crois que J.-P. Raffarin et un homme profondément gentil, dans le sens du plus profond de son caractère, qui aime le combat politique, heureusement ! sinon il n'aurait pas des responsabilités aussi importantes que celles qu'il a actuellement. Tout ça fait partie d'un tempérament qui est le sien, qui est un tempérament à l'aspect d'espièglerie. Enfin, il aime bien rire, c'est quelqu'un de gai, c'est quelqu'un avec lequel on a envie de passer un moment. Ce n'était peut-être pas le cas de son prédécesseur. Dans ce cadre-là, il a son style. Mais tout ça n'a aucune gravité, et pas l'importance que certains socialistes veulent bien accorder ce matin à cette petite phrase. "
Restons quand même sur ce portrait psychologique de J.-P. Raffarin. Celui que vous nous décrivez finalement, est-ce qu'il a bien conscience, aujourd'hui, qu'il est le Premier ministre de la France, comme ont dit certains ?
- " Vous voyez bien qu'il est entré dans la fonction, qu'il l'assume complètement, qu'il a de l'autorité sur ses ministres. "
Je vais vous citer juste la phrase de M. Gremetz, le député communiste. Il a dit: "Quand on est Premier ministre, on ne fait pas 'du Maxime'. Moi je peux me le permettre, mais lui... bon... voilà...
- " Bon, écoutez. Je laisse à Monsieur Gremetz ses propos. Vous savez comment on l'appelle à l'Assemblée. On l'appelle "Minime", parce que bon, ça fait partie des choses qu'on se dit dans le monde politique. Et lui-même l'accepte avec humour. Ce que je crois si vous voulez, c'est, que J.-P. Raffarin est quelqu'un qui est parfaitement conscient de sa fonction, qu'il l'assume pleinement. Il vient de montrer sa fermeté, son autorité dans la réforme des retraites. Il dirige un gouvernement, une équipe importante. Il le fait avec un talent qui est reconnu parce qu'il laisse chacun s'exprimer tout en exprimant son autorité, avec la confiance du président de la République. Alors il y a la vie publique, les meetings, etc., où on lance des petites phrases. Honnêtement, ce n'est pas la première, et pas la dernière dans notre pays venant de quiconque, qui déclenchera une polémique. Ce que je peux vous dire profondément, parce que je le crois - et c'est pour ça que vous m'interviewez : J.-P. Raffarin n'est pas quelqu'un de méchant, ce n'est pas quelqu'un qui aime la polémique, c'est pas quelqu'un qui aime blesser. C'est quelqu'un sur les pieds duquel il ne faut pas marcher, parce que c'est un homme d'Etat de premier plan, mais qui a profondément une vraie bonhomie, une vraie gentillesse, une vraie attention aux gens. Et si son propos a pu choquer - j'ai parlé avec lui il y a quelques instants -, eh bien vous savez il l'a dit, il le regrette. Mais, vraiment, il n'y avait là aucune attaque. Dans sa région vous savez, il vit au Conseil régional avec des socialistes, avec des communistes depuis des années et des années. Tout se passe très bien, parce que c'est quelqu'un de profondément respectueux des autres et des gens qui sont engagés comme lui dans la vie publique. "
Mais D. Bussereau, alors c'est quoi ? Un coup de fatigue ? Ou bien simplement, c'est le goût de la formule, le goût de ce que certains appellent "la Raffarinade". Il ne mesure pas l'impact réel ?
- " Ecoutez, c'est une phrase de meeting. Moi, je l'ai décryptée ce matin quand votre rédaction m'a réveillé parce que je ne l'avais pas entendue hier soir. Quand on a gagné une élection on dit: 'Oh la, la, superbe, c'est le Paradis'. Quand on a perdu une élection on dit: 'On est en enfer parce qu'on n'est plus au fait des responsabilités'. J.-P. Raffarin a fait une petite phrase là-dessus... "
Enfin c'est la deuxième...
- " ... Qui n'a pas d'importance, ni pour lui ni pour les autres. Simplement l'importance qu'on a voulu lui donner. "
C'est la deuxième, c'est en cela qu'il y a un petit effet répétitif. On peut se demander si finalement, le conflit sur les retraites s'achevant, la cote de popularité du Premier Ministre donc remontant, il se laisse un peu aller. Il se dit: "Ca va, j'ai gagné... c'est bon, je peux y aller" ?
- " R. Elkrief, là, c'est l'ami qui parle, c'est pas le ministre. J.-P. Raffarin est quelqu'un qui a une attitude d'humilité dans la vie publique. Il sait qu'à tout moment, après un bon moment, après une réussite, après quelque chose qui a été gagné par la volonté, il peut y avoir un moment difficile, un risque d'échec ou de choses plus complexes. Donc je ne l'ai jamais connu dans sa vie personnelle ou sa vie publique, comme heureux de la victoire, et se laissant griser par la victoire... "
Décidément, vous êtes un très bon ami.
- " Non, je le connais sous ses deux aspects. Je le vois vivre comme Premier ministre. Je l'ai vu dans ma région, en Poitou-Charentes, être président de région. Ce n'est pas simple d'être président de région, parce qu'il y a des tas de groupes politiques, il y a des tas d'intérêts, c'était assez compliqué. Je le vois comme être humain, comme ami proche. C'est quelqu'un de profondément bon, et donc s'il a vexé ou attristé certains, je crois qu'il le regrette profondément, mais honnêtement, que ceux qui hurlent comme le font ce matin monsieur Ayrault, ou comme l'ont fait quelques autres, alors que les propos qu'on entend sur le gouvernement sont d'une violence. Et là, ce sont des attaques dures. Il n'y a pas d'humour là ! Quand on traite quelqu'un de menteur il n'y a pas d'humour !... Je trouve ça un peu, pardonnez-moi vu l'heure du matin, c'est un peu fort de café... "
Dernière question quand même : ça va brider maintenant sa spontanéité ? Parce qu'à chaque fois s'il doit s'excuser ou être un petit peu en difficulté, ça ne va pas être facile.
- " Ecoutez, je crois que si les Français font confiance à J.-P. Raffarin, c'est qu'ils sentent qu'il est différent des autres. Ce n'est pas un haut fonctionnaire, c'est quelqu'un de terrain, c'est quelqu'un qui vient de l'entreprise, qui connaît la vie quotidienne, et qui s'exprime avec son coeur et son talent ! Et moi, je souhaite qu'il continue de s'exprimer avec son coeur et son talent. Si de temps en temps ça défrise, eh bien ! tant pis pour ceux qui ont avalé un parapluie de travers ! "
Il a parlé avec J. Chirac, ce matin ?
- " Ecoutez, je n'en sais strictement rien, mais vous pourrez le voir cet après-midi à l'Assemblée, l'interroger. Je crois que le président de la République est un homme aussi qui apprécie l'humour et qui apprécie le langage de vérité. Je ne pense pas au fond de lui-même que ce genre de petites phrases peut quelque part l'interpeller, comme l'on dit couramment. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2003)