Tribune de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation et de la recherche, dans "Le Figaro" le 8 janvier 2004, sur le débat national sur l'école, notamment l'articulation entre formation initiale et formation continue.

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La formation tout au long de la vie a jusqu'à présent davantage relevé du slogan que de la réalité. Elle répond pourtant, dans nos sociétés modernes, à l'aspiration de chaque individu de posséder à tout âge des occasions de s'ouvrir, de s'épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle. Pour la première fois, cette grande ambition s'est concrétisée d'abord à travers l'accord interprofessionnel récemment adopté à l'unanimité par les partenaires sociaux, ensuite dans le cadre du projet de loi présenté par François Fillon qui va en permettre la mise en oeuvre : c'est à coup sûr la plus grande avancée de la formation continue depuis la loi fondatrice de 1971.
De telles questions ne peuvent rester en marge du débat national sur l'école que le gouvernement vient d'engager. A-t-on conscience du retard pris par rapport à d'autres pays européens où la formation tout au long de la vie est d'ores et déjà une réalité ? Nous avons encore trop tendance en France à séparer formation initiale et formation continue alors qu'aucune formation initiale, à quelque niveau qu'elle s'achève, ne peut plus suffire et satisfaire à la réussite de la vie professionnelle et personnelle. De plus, sur le plan social, nous n'avons pas encore donné tout son sens et son essor à la deuxième chance qui sera un formidable enjeu d'intégration et de cohésion sociale pour tous les jeunes, notamment ceux qui sont issus de l'immigration.
Le projet de loi va permettre la traduction de cette grande idée, portée avec force par le gouvernement. Il comporte plusieurs innovations essentielles, notamment la création d'un droit individuel à la formation pour chaque salarié, dont les conséquences seront très importantes pour l'ensemble de notre système éducatif, ne serait-ce que parce que les nouvelles dispositions devraient multiplier par cinq le volume des formations. L'Éducation nationale a des atouts : ses diplômes sont reconnus par tous et appréciés des professionnels. Elle doit cependant mettre davantage en cohérence son réseau de formation tant dans l'enseignement scolaire, en particulier les groupements d'établissements (Greta), que dans le supérieur en adaptant son offre aux nouveaux besoins. Elle devra aussi promouvoir la validation des acquis de l'expérience (VAE) qui permet aux adultes d'accéder aux diplômes grâce aux compétences acquises au cours de leur expérience professionnelle. La part des diplômes ainsi délivrés reste trop faible, souvent en raison de procédures trop complexes qui devront être rapidement simplifiées.
Dans ce nouveau contexte, l'harmonisation européenne des diplômes d'enseignement supérieur - le système LMD (licence-master-doctorat) - constituera un atout majeur pour le développement de la formation tout au long de la vie, tout particulièrement pour relancer l'ascenseur social et favoriser, par la promotion, le renouvellement des cadres partis à la retraite. Voici sans doute l'occasion de mobiliser encore davantage nos universités sur leurs missions de formation permanente.
Nous ne pourrons plus dans l'avenir concevoir la formation initiale et la formation continue comme deux mondes séparés et cette prise de conscience collective est également un enjeu du débat sur l'école. Notre action doit se développer tout autant en amont, dès la formation initiale, qu'en aval du système scolaire. Il n'est bien sûr pas question que la formation initiale se défausse de ses responsabilités fondamentales sur la formation continue : on ne peut vraiment tirer profit de celle-ci que sur la base d'une bonne formation initiale, que sur un socle de connaissances indispensables à toute formation ultérieure. Sans maîtrise de la langue par exemple, est-il vraiment possible de valoriser ses compétences et d'en acquérir de nouvelles ?
C'est pourquoi j'ai fait de la prévention et de la lutte contre l'illettrisme la première priorité de mon action. Assurer une meilleure cohérence entre formation initiale et continue, cela suppose aussi que tous les élèves aient pu s'orienter positivement et qu'ils aient eu la possibilité de découvrir les métiers au cours de leur scolarité. C'est dans cette perspective que j'ai développé au niveau du collège une véritable information sur les métiers et des dispositifs en alternance en liaison avec les lycées professionnels.
Notre système scolaire a la responsabilité de conduire tous les élèves à un niveau minimal de qualification ou de diplôme. Que 160 000 jeunes continuent de quitter ce système sans diplôme ou qualification est inacceptable. Comme je l'ai déjà dit à maintes reprises, j'ai souhaité agir "le plus en amont" en développant les politiques de lutte contre l'échec scolaire tout au long de la scolarité obligatoire. Notre action doit se poursuivre en aval.
Certains proposent aujourd'hui, sans d'ailleurs l'avoir réalisée hier, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans qui réglerait à leurs yeux la question de l'échec. Le mot d'ordre a l'avantage d'être simple et peut recevoir un certain écho : il ne résout vraisemblablement rien. En effet, une très large proportion des élèves poursuit déjà de fait une scolarité jusqu'à 18 ans, y compris une partie de ceux qui sont en échec scolaire. Ceux qui ne la suivent pas, souvent en situation de rejet ou de décrochage, voire une partie de ceux qui se maintiennent, ou que l'on maintient, en scolarité entre 16 et 18 ans ne parviendraient pas à bénéficier de cette formation.
En allongeant artificiellement l'obligation scolaire, on pervertirait à mon sens ce beau principe républicain.
Ce n'est pas cela qui permettra de réconcilier certains jeunes avec le système scolaire tel qu'il est. Il me paraîtrait aujourd'hui beaucoup plus fécond de créer un droit à la formation ultérieure, ouvert en priorité à ceux qui ont quitté le système scolaire sans qualification, ni diplôme. Plutôt que "l'obligation jusqu'à 18 ans", un "16 ans + 2 ans ultérieurs" constituerait une réponse sans doute mieux adaptée aux problèmes de l'échec scolaire.
Toutes ces questions concernent l'école et l'ensemble de notre système de formation, elles concernent l'avenir de notre pays : le débat national que nous avons ouvert doit s'en saisir.
(source http://www.u-m-p.org, le 8 janvier 2004)