Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Vous voilà réunis pour le Séminaire annuel que la DGCID organise à votre intention. C'est avec plaisir que j'ai accepté d'ouvrir cette session. Je l'ai fait car je connais le travail que vous accomplissez sur le terrain. L'assistance technique que vous prodiguez n'est pas anodine. Elle s'applique au secteur névralgique des finances, un secteur dont la bonne tenue, au sens propre du terme, conditionne celle de tous les autres. Elle aussi délicate car il vous arrive, pour rester pudique et parodier le titre d'un livre politique à la mode, de détenir des vérités qui ne sont pas " bonnes à dire ". Bienvenue, donc, à vous tous.
Cette réunion comporte au moins trois objectifs : vous permettre d'échanger vos expériences, d'étudier les priorités de votre travail pour la période à venir et de replacer ce dernier dans le contexte plus global de l'aide au développement, et notamment de notre aide au développement. Je m'efforcerai de vous éclairer sur ces deux derniers aspects.
Parmi les circonstances qui entourent notre rencontre, il en est deux que je soulignerai d'entrée de jeu :
- La première, c'est la présence parmi nous de Bruno Delaye, le nouveau directeur général de la Coopération internationale et du développement, et de celle qui, auprès de lui et en même temps que lui, vient de prendre les fonctions de directrice du développement, Mireille Guigaz. Je me réjouis beaucoup que, grâce à ce séminaire, vous ayez l'occasion de les rencontrer si peu de temps après leur prise de fonction. Ils sont l'un et l'autre d'excellents connaisseurs de la coopération que nous déployons dans les pays où vous servez. Je rappellerai simplement que Bruno Delaye a été ambassadeur au Togo et que Mireille Guigaz avait fait le choix, à la sortie de l'ENA, de commencer sa carrière au ministère de la Coopération.
- La deuxième circonstance sur laquelle j'insisterai est une perspective proche, dans laquelle notre échange doit naturellement s'inscrire : la réunion des ministres des Finances de la Zone franc, les 18 et 19 septembre prochains, et la tenue, immédiatement après, des assemblées annuelles du Fonds monétaire et de la Banque mondiale.
Il y a là bien sûr une séquence " classique ". Cet agencement dans le temps est volontaire et fait partie des rites du calendrier de la coopération française. Mais cette séquence est intéressante car elle incite à inscrire vos travaux dans la perspective des débats qui verront le jour au seuil de l'automne, notamment à Prague, la ville que le FMI et la Banque mondiale ont choisi comme lieu, j'allais dire comme théâtre, de leurs assemblées.
Ces débats s'appuient notamment sur un élément de fait que vous connaissez bien : la profondeur de champ qu'offrent aujourd'hui les politiques de rigueur économique et financière. Ces politiques promues par les programmes dits d'ajustement ont désormais, dans la plupart des pays où vous servez, une certaine ancienneté. Elles sont apparues avec la crise de la dette. Envisagées du point de vue des prescriptions des bailleurs de fonds, elles ont acquis une certaine cohérence depuis 1994 puisque la dévaluation du franc CFA a coïncidé avec une harmonisation accrue entre l'action que mènent, dans le secteur qui nous occupe, la coopération française, d'une part, les institutions de Bretton Woods, de l'autre.
Cette ancienneté, ce que j'appelle la profondeur de champ, a un mérite dont nous devons tirer profit : elle permet un jugement plus serein car nourri des fruits de l'expérience et non alimenté de la seule subjectivité.
Le bilan de ces politiques peut s'exprimer en termes simples : on peut les qualifier d'incontournables, avec deux nuances.
Première nuance : leur impact varie selon les circonstances. D'un côté, rien n'est possible en termes de développement pour un pays qui ne maîtrise pas ses comptes et, à travers eux, le financement des fonctions vitales de l'Etat, et c'est ce qui fait toute l'importance de votre travail. D'un autre côté, les bénéfices de ces politiques en termes de croissance sont variables. Ils ont été très nets dans les années qui ont suivi la dévaluation car celle-ci représentait une remise en ordre. Ils peuvent s'essouffler dans le long terme si les politiques menées ne s'approfondissent pas et c'est peut-être ce que nous vivons aujourd'hui dans certains pays.
L'un des " approfondissements " qui s'imposent consiste à ajouter à la politique de stabilité financière d'autres politiques. C'est là ma deuxième nuance : pour indispensables qu'elles soient, les politiques de rigueur ne sont jamais suffisantes pour assurer le développement.
Et ici, on retrouve le fil de l'actuel débat sur le développement. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis le fameux " consensus de Washington " qui avait formalisé l'accord des responsables du G7 et des experts officiels autour des notions de rigueur macro-économique et de libéralisation. Ce consensus de Washington remonte à 1994, une date qui coïncida, je le note au passage, avec la dévaluation du franc CFA. Tout ce qui a été fait dans le cadre de ce consensus n'a pas été négatif. J'ai cité la recherche d'une meilleure maîtrise des comptes des Etats. Je ne suis pas gêné d'ajouter que certaines réductions de périmètre de l'Etat ont été utiles et demeurent parfois nécessaires.
Mais nous devons nous défier de l'esprit de système qui voudrait que tout cela soit suffisant et qui, finalement, aboutirait à diaboliser l'action de la puissance publique. Comme il arrive souvent dans la vie des idées, le balancier du débat revient aujourd'hui vers des notions telles que le développement humain, le développement social, le développement durable.
On le voit à la lecture des deux grands rapports internationaux qui auront marqué le débat sur le développement cette année : le rapport du PNUD sur le développement humain qui a été rendu public à Paris en juin dernier, le rapport sur le développement mondial que la Banque mondiale rendra public à la fin de ce mois à Prague. L'attention se concentre à nouveau sur les dimensions sociales et institutionnelles des politiques de développement. L'éducation primaire, la formation, la santé, que la France a toujours placées au cur de ses préoccupations, ont été trop négligées, ces dernières années, par la communauté internationale. La pauvreté et les inégalités dans les pays en développement se sont amplifiées : la moitié des habitants de la planète, soit trois milliards d'hommes et de femmes, vivent avec moins de deux dollars par jour, un milliard d'entre eux n'ont toujours pas accès à l'eau potable. Les taux d'alphabétisation et les niveaux d'éducation ont bien souvent tendance à régresser.
Ce constat s'inscrit dans un contexte local en pleine évolution. L'environnement de notre politique d'aide n'est plus le même qu'il y a une dizaine d'années. Comme vous avez été amené à l'observer à travers les analyses conduites durant vos deux derniers séminaires, de nouvelles formes d'organisation publique ont émergé en Afrique, combinant à la fois des dynamiques d'intégration régionale et de décentralisation que la France a décidé d'accompagner, en se plaçant souvent, en ce domaine, à la pointe des bailleurs de fonds.
Mais, parallèlement, les flux et les interdépendances de tous ordres que la mondialisation suscite ont créé de nouveau défis. Il y a bien sûr l'intensification des échanges économiques et financiers dans lesquels la place des pays pauvres demeure dramatiquement marginale. Il y a aussi l'apparition de nouveaux acteurs du côté de la société civile. Les ONG, les organisations professionnelles, syndicales, confessionnelles, les associations humanitaires ont désormais acquis la légitimité de participer à la conception et à la mise en oeuvre, sur le terrain, des politiques de développement, ce qui introduit un élément supplémentaire de complexité.
Dans ce contexte, la politique de développement doit désormais viser des objectifs plus ambitieux. La mondialisation ne pourra profiter à tous que si les acteurs de l'aide s'efforcent de mieux articuler leurs efforts en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités, de bonne gouvernance et de développement durable.
La lutte contre la pauvreté est sous les feux de l'actualité et le sera encore plus dans les mois qui viennent. Ce n'est pas un concept entièrement nouveau. Mais, dans le débat, il y a deux éléments nouveaux. D'abord, l'idée selon laquelle les bailleurs de fonds n'ont pas le droit de se désintéresser de l'impact de l'aide sur la répartition des ressources à l'intérieur des pays bénéficiaires de leur aide. Ensuite, le constat selon lequel les inégalités ne sont pas seulement monétaires. Elles se mesurent aussi à travers les écarts d'accès aux besoins fondamentaux : alimentation, logement, soins de santé, eau. Elles sont aussi le produit de différences dans l'accès à la formation, à l'information, à l'expression politique et aux ressources nécessaires à l'activité économique.
Ceci peut d'ailleurs enrichir une autre notion, celle de bonne gouvernance. Un consensus, désormais commun à l'ensemble des partenaires du développement, insiste sur la nécessité de l'Etat de droit et d'un ensemble de normes juridiques stables, en tant que facteurs essentiels au développement et à la croissance.
Le développement durable part du principe suivant lequel le développement doit aussi permettre de transmettre aux générations futures un patrimoine naturel intact, ou du moins capable de se reconstituer. La France, comme ses partenaires, s'est engagée au sommet de Rio en 1992 à respecter ce principe, aussi bien au niveau national qu'au niveau mondial et donc à en faire un principe directeur de l'aide.
Ces objectifs ne pourront être atteints que s'ils sont intériorisés par le pays partenaire, s'ils deviennent ses objectifs. Il est impératif que les pays bénéficiant de l'aide soient mieux responsabilisés et que, ce faisant, ils réussissent à développer une capacité de réflexion à long terme. C'est ce que l'on appelle l'appropriation. Pour certains experts, l'appropriation suppose de réduire les contrôles a priori (et, partant, de réduire la part de l'aide-projet qui va de pair avec eux) pour accroître la part des contrôles a posteriori, ce qui passe par le " pari " sur des aides budgétaires globalisées.
Une telle nouvelle démarche nécessitera des informations statistiques riches et fiables, le renforcement des capacités internes de conception, de gestion et de suivi des politiques financières, mais aussi des politiques sectorielles. Elle rendra donc encore plus important, dans ces domaines, le travail de l'assistance technique française.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous entreprenons actuellement l'élaboration d'une nouvelle doctrine communautaire en matière d'aide au développement qui devrait aboutir, le 10 novembre prochain, à l'adoption par les ministres européens du Développement d'une déclaration de politique générale du Conseil. Elle rendra plus lisible, la politique européenne d'aide au développement, telle est, du moins, l'ambition que je me suis fixée.
La France est donc particulièrement à l'aise dans le nouveau cours du débat sur le développement. Pour autant, je dois souligner que nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans une vision étroite de la lutte contre la pauvreté. Nous revendiquons au contraire une approche plus large et plus systémique, qui englobe aussi bien la lutte contre les facteurs engendrant les inégalités et la couverture des besoins de base que l'insertion dans les échanges. Il faut pour cela veiller au renforcement de la compétitivité économique, à la diversification des exportations, au soutien à la construction de l'Etat de droit, à l'aménagement du territoire et du cadre de vie et à l'appui aux intégrations régionales.
Enfin, la France veut renforcer la place des pays en développement dans les relations économiques internationales, qu'elles concernent les règles commerciales débattues au sein de l'Organisation mondiale du commerce, les flux financiers ou la question de la dette.
Concernant ce dernier point, la France revendique un rôle moteur.
C'est en effet notre pays qui, au G7 en juin 1999 à Cologne, a contribué à renforcer l'ambition de l'initiative des pays pauvres très endettés. En plus des annulations multilatérales et bilatérales déjà décidées par la communauté des bailleurs de fonds, la France s'est engagée à annuler l'ensemble de ses créances d'APD et à porter l'annulation des créances commerciales éligibles au Club de Paris à 100% pour les pays pauvres. Ce sont en tout 8 milliards d'euros de créances que la France s'est engagée à annuler. A titre de comparaison la totalité de l'effort américain est inférieur à un milliard d'euros.
L'apport supplémentaire de la France, concernant l'annulation des créances d'APD, fera l'objet d'un mécanisme particulier destiné à faire en sorte que les marges de manuvres ainsi dégagées dans le budget des pays bénéficiaires soient pleinement consacrées au développement. Ce mécanisme, je l'ai baptisé " contrat de désendettement et de développement ". Sur le plan comptable, il s'agira de refinancer par dons, les échéances dues par le pays bénéficiaire. L'utilisation de cet apport s'effectuera sous le double contrôle de la partie française et du pays bénéficiaire. L'affectation ira à des mesures préconisées par le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, au bénéfice de quatre secteurs : la santé, l'éducation, l'environnement et le développement local.
Mesdames et Messieurs, avant d'achever mon propos, je voudrais encore souligner toute l'importance que la France attache au suivi, sur le terrain, de ses interventions, grâce à l'assistance technique. Jean Nemo a conduit, à ce propos, une réflexion d'ensemble. Il souligne que la dimension humaine de la coopération est un élément fondamental de sa qualité et de ses résultats. C'est un vecteur d'influence à long terme tout autant que de compréhension mutuelle.
Le rôle de l'assistance technique est donc primordial dans le dispositif de coopération français, même s'il doit évoluer vers une plus grande délégation et un assouplissement des modalités d'interventions.
Votre présence est l'un des éléments du partenariat souhaité par la coopération française et par les grands bailleurs multilatéraux. Certes, l'objectif de la France est de rendre les autorités nationales plus autonomes et ce sont elles qui élaboreront les " cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté ". L'élaboration de ces cadres et plus généralement la conception de politiques économiques nécessiteront néanmoins de grandes capacités de programmation, des moyens efficaces d'information et d'analyse économique, budgétaire et comptable.
C'est vous dire combien est précieuse, à mes yeux, la coopération apportée dans le domaine économique et financier. Je souhaite donc que cette réunion annuelle réponde à vos attentes, qu'elle soit mobilisatrice et riche d'enseignements concrets pour vos missions futures.
Merci de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 septembre 2000)
Chers Amis,
Vous voilà réunis pour le Séminaire annuel que la DGCID organise à votre intention. C'est avec plaisir que j'ai accepté d'ouvrir cette session. Je l'ai fait car je connais le travail que vous accomplissez sur le terrain. L'assistance technique que vous prodiguez n'est pas anodine. Elle s'applique au secteur névralgique des finances, un secteur dont la bonne tenue, au sens propre du terme, conditionne celle de tous les autres. Elle aussi délicate car il vous arrive, pour rester pudique et parodier le titre d'un livre politique à la mode, de détenir des vérités qui ne sont pas " bonnes à dire ". Bienvenue, donc, à vous tous.
Cette réunion comporte au moins trois objectifs : vous permettre d'échanger vos expériences, d'étudier les priorités de votre travail pour la période à venir et de replacer ce dernier dans le contexte plus global de l'aide au développement, et notamment de notre aide au développement. Je m'efforcerai de vous éclairer sur ces deux derniers aspects.
Parmi les circonstances qui entourent notre rencontre, il en est deux que je soulignerai d'entrée de jeu :
- La première, c'est la présence parmi nous de Bruno Delaye, le nouveau directeur général de la Coopération internationale et du développement, et de celle qui, auprès de lui et en même temps que lui, vient de prendre les fonctions de directrice du développement, Mireille Guigaz. Je me réjouis beaucoup que, grâce à ce séminaire, vous ayez l'occasion de les rencontrer si peu de temps après leur prise de fonction. Ils sont l'un et l'autre d'excellents connaisseurs de la coopération que nous déployons dans les pays où vous servez. Je rappellerai simplement que Bruno Delaye a été ambassadeur au Togo et que Mireille Guigaz avait fait le choix, à la sortie de l'ENA, de commencer sa carrière au ministère de la Coopération.
- La deuxième circonstance sur laquelle j'insisterai est une perspective proche, dans laquelle notre échange doit naturellement s'inscrire : la réunion des ministres des Finances de la Zone franc, les 18 et 19 septembre prochains, et la tenue, immédiatement après, des assemblées annuelles du Fonds monétaire et de la Banque mondiale.
Il y a là bien sûr une séquence " classique ". Cet agencement dans le temps est volontaire et fait partie des rites du calendrier de la coopération française. Mais cette séquence est intéressante car elle incite à inscrire vos travaux dans la perspective des débats qui verront le jour au seuil de l'automne, notamment à Prague, la ville que le FMI et la Banque mondiale ont choisi comme lieu, j'allais dire comme théâtre, de leurs assemblées.
Ces débats s'appuient notamment sur un élément de fait que vous connaissez bien : la profondeur de champ qu'offrent aujourd'hui les politiques de rigueur économique et financière. Ces politiques promues par les programmes dits d'ajustement ont désormais, dans la plupart des pays où vous servez, une certaine ancienneté. Elles sont apparues avec la crise de la dette. Envisagées du point de vue des prescriptions des bailleurs de fonds, elles ont acquis une certaine cohérence depuis 1994 puisque la dévaluation du franc CFA a coïncidé avec une harmonisation accrue entre l'action que mènent, dans le secteur qui nous occupe, la coopération française, d'une part, les institutions de Bretton Woods, de l'autre.
Cette ancienneté, ce que j'appelle la profondeur de champ, a un mérite dont nous devons tirer profit : elle permet un jugement plus serein car nourri des fruits de l'expérience et non alimenté de la seule subjectivité.
Le bilan de ces politiques peut s'exprimer en termes simples : on peut les qualifier d'incontournables, avec deux nuances.
Première nuance : leur impact varie selon les circonstances. D'un côté, rien n'est possible en termes de développement pour un pays qui ne maîtrise pas ses comptes et, à travers eux, le financement des fonctions vitales de l'Etat, et c'est ce qui fait toute l'importance de votre travail. D'un autre côté, les bénéfices de ces politiques en termes de croissance sont variables. Ils ont été très nets dans les années qui ont suivi la dévaluation car celle-ci représentait une remise en ordre. Ils peuvent s'essouffler dans le long terme si les politiques menées ne s'approfondissent pas et c'est peut-être ce que nous vivons aujourd'hui dans certains pays.
L'un des " approfondissements " qui s'imposent consiste à ajouter à la politique de stabilité financière d'autres politiques. C'est là ma deuxième nuance : pour indispensables qu'elles soient, les politiques de rigueur ne sont jamais suffisantes pour assurer le développement.
Et ici, on retrouve le fil de l'actuel débat sur le développement. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis le fameux " consensus de Washington " qui avait formalisé l'accord des responsables du G7 et des experts officiels autour des notions de rigueur macro-économique et de libéralisation. Ce consensus de Washington remonte à 1994, une date qui coïncida, je le note au passage, avec la dévaluation du franc CFA. Tout ce qui a été fait dans le cadre de ce consensus n'a pas été négatif. J'ai cité la recherche d'une meilleure maîtrise des comptes des Etats. Je ne suis pas gêné d'ajouter que certaines réductions de périmètre de l'Etat ont été utiles et demeurent parfois nécessaires.
Mais nous devons nous défier de l'esprit de système qui voudrait que tout cela soit suffisant et qui, finalement, aboutirait à diaboliser l'action de la puissance publique. Comme il arrive souvent dans la vie des idées, le balancier du débat revient aujourd'hui vers des notions telles que le développement humain, le développement social, le développement durable.
On le voit à la lecture des deux grands rapports internationaux qui auront marqué le débat sur le développement cette année : le rapport du PNUD sur le développement humain qui a été rendu public à Paris en juin dernier, le rapport sur le développement mondial que la Banque mondiale rendra public à la fin de ce mois à Prague. L'attention se concentre à nouveau sur les dimensions sociales et institutionnelles des politiques de développement. L'éducation primaire, la formation, la santé, que la France a toujours placées au cur de ses préoccupations, ont été trop négligées, ces dernières années, par la communauté internationale. La pauvreté et les inégalités dans les pays en développement se sont amplifiées : la moitié des habitants de la planète, soit trois milliards d'hommes et de femmes, vivent avec moins de deux dollars par jour, un milliard d'entre eux n'ont toujours pas accès à l'eau potable. Les taux d'alphabétisation et les niveaux d'éducation ont bien souvent tendance à régresser.
Ce constat s'inscrit dans un contexte local en pleine évolution. L'environnement de notre politique d'aide n'est plus le même qu'il y a une dizaine d'années. Comme vous avez été amené à l'observer à travers les analyses conduites durant vos deux derniers séminaires, de nouvelles formes d'organisation publique ont émergé en Afrique, combinant à la fois des dynamiques d'intégration régionale et de décentralisation que la France a décidé d'accompagner, en se plaçant souvent, en ce domaine, à la pointe des bailleurs de fonds.
Mais, parallèlement, les flux et les interdépendances de tous ordres que la mondialisation suscite ont créé de nouveau défis. Il y a bien sûr l'intensification des échanges économiques et financiers dans lesquels la place des pays pauvres demeure dramatiquement marginale. Il y a aussi l'apparition de nouveaux acteurs du côté de la société civile. Les ONG, les organisations professionnelles, syndicales, confessionnelles, les associations humanitaires ont désormais acquis la légitimité de participer à la conception et à la mise en oeuvre, sur le terrain, des politiques de développement, ce qui introduit un élément supplémentaire de complexité.
Dans ce contexte, la politique de développement doit désormais viser des objectifs plus ambitieux. La mondialisation ne pourra profiter à tous que si les acteurs de l'aide s'efforcent de mieux articuler leurs efforts en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités, de bonne gouvernance et de développement durable.
La lutte contre la pauvreté est sous les feux de l'actualité et le sera encore plus dans les mois qui viennent. Ce n'est pas un concept entièrement nouveau. Mais, dans le débat, il y a deux éléments nouveaux. D'abord, l'idée selon laquelle les bailleurs de fonds n'ont pas le droit de se désintéresser de l'impact de l'aide sur la répartition des ressources à l'intérieur des pays bénéficiaires de leur aide. Ensuite, le constat selon lequel les inégalités ne sont pas seulement monétaires. Elles se mesurent aussi à travers les écarts d'accès aux besoins fondamentaux : alimentation, logement, soins de santé, eau. Elles sont aussi le produit de différences dans l'accès à la formation, à l'information, à l'expression politique et aux ressources nécessaires à l'activité économique.
Ceci peut d'ailleurs enrichir une autre notion, celle de bonne gouvernance. Un consensus, désormais commun à l'ensemble des partenaires du développement, insiste sur la nécessité de l'Etat de droit et d'un ensemble de normes juridiques stables, en tant que facteurs essentiels au développement et à la croissance.
Le développement durable part du principe suivant lequel le développement doit aussi permettre de transmettre aux générations futures un patrimoine naturel intact, ou du moins capable de se reconstituer. La France, comme ses partenaires, s'est engagée au sommet de Rio en 1992 à respecter ce principe, aussi bien au niveau national qu'au niveau mondial et donc à en faire un principe directeur de l'aide.
Ces objectifs ne pourront être atteints que s'ils sont intériorisés par le pays partenaire, s'ils deviennent ses objectifs. Il est impératif que les pays bénéficiant de l'aide soient mieux responsabilisés et que, ce faisant, ils réussissent à développer une capacité de réflexion à long terme. C'est ce que l'on appelle l'appropriation. Pour certains experts, l'appropriation suppose de réduire les contrôles a priori (et, partant, de réduire la part de l'aide-projet qui va de pair avec eux) pour accroître la part des contrôles a posteriori, ce qui passe par le " pari " sur des aides budgétaires globalisées.
Une telle nouvelle démarche nécessitera des informations statistiques riches et fiables, le renforcement des capacités internes de conception, de gestion et de suivi des politiques financières, mais aussi des politiques sectorielles. Elle rendra donc encore plus important, dans ces domaines, le travail de l'assistance technique française.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous entreprenons actuellement l'élaboration d'une nouvelle doctrine communautaire en matière d'aide au développement qui devrait aboutir, le 10 novembre prochain, à l'adoption par les ministres européens du Développement d'une déclaration de politique générale du Conseil. Elle rendra plus lisible, la politique européenne d'aide au développement, telle est, du moins, l'ambition que je me suis fixée.
La France est donc particulièrement à l'aise dans le nouveau cours du débat sur le développement. Pour autant, je dois souligner que nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans une vision étroite de la lutte contre la pauvreté. Nous revendiquons au contraire une approche plus large et plus systémique, qui englobe aussi bien la lutte contre les facteurs engendrant les inégalités et la couverture des besoins de base que l'insertion dans les échanges. Il faut pour cela veiller au renforcement de la compétitivité économique, à la diversification des exportations, au soutien à la construction de l'Etat de droit, à l'aménagement du territoire et du cadre de vie et à l'appui aux intégrations régionales.
Enfin, la France veut renforcer la place des pays en développement dans les relations économiques internationales, qu'elles concernent les règles commerciales débattues au sein de l'Organisation mondiale du commerce, les flux financiers ou la question de la dette.
Concernant ce dernier point, la France revendique un rôle moteur.
C'est en effet notre pays qui, au G7 en juin 1999 à Cologne, a contribué à renforcer l'ambition de l'initiative des pays pauvres très endettés. En plus des annulations multilatérales et bilatérales déjà décidées par la communauté des bailleurs de fonds, la France s'est engagée à annuler l'ensemble de ses créances d'APD et à porter l'annulation des créances commerciales éligibles au Club de Paris à 100% pour les pays pauvres. Ce sont en tout 8 milliards d'euros de créances que la France s'est engagée à annuler. A titre de comparaison la totalité de l'effort américain est inférieur à un milliard d'euros.
L'apport supplémentaire de la France, concernant l'annulation des créances d'APD, fera l'objet d'un mécanisme particulier destiné à faire en sorte que les marges de manuvres ainsi dégagées dans le budget des pays bénéficiaires soient pleinement consacrées au développement. Ce mécanisme, je l'ai baptisé " contrat de désendettement et de développement ". Sur le plan comptable, il s'agira de refinancer par dons, les échéances dues par le pays bénéficiaire. L'utilisation de cet apport s'effectuera sous le double contrôle de la partie française et du pays bénéficiaire. L'affectation ira à des mesures préconisées par le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, au bénéfice de quatre secteurs : la santé, l'éducation, l'environnement et le développement local.
Mesdames et Messieurs, avant d'achever mon propos, je voudrais encore souligner toute l'importance que la France attache au suivi, sur le terrain, de ses interventions, grâce à l'assistance technique. Jean Nemo a conduit, à ce propos, une réflexion d'ensemble. Il souligne que la dimension humaine de la coopération est un élément fondamental de sa qualité et de ses résultats. C'est un vecteur d'influence à long terme tout autant que de compréhension mutuelle.
Le rôle de l'assistance technique est donc primordial dans le dispositif de coopération français, même s'il doit évoluer vers une plus grande délégation et un assouplissement des modalités d'interventions.
Votre présence est l'un des éléments du partenariat souhaité par la coopération française et par les grands bailleurs multilatéraux. Certes, l'objectif de la France est de rendre les autorités nationales plus autonomes et ce sont elles qui élaboreront les " cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté ". L'élaboration de ces cadres et plus généralement la conception de politiques économiques nécessiteront néanmoins de grandes capacités de programmation, des moyens efficaces d'information et d'analyse économique, budgétaire et comptable.
C'est vous dire combien est précieuse, à mes yeux, la coopération apportée dans le domaine économique et financier. Je souhaite donc que cette réunion annuelle réponde à vos attentes, qu'elle soit mobilisatrice et riche d'enseignements concrets pour vos missions futures.
Merci de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 septembre 2000)