Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, sur les grands choix de la diplomatie française, la construction et l'élargissement de l'Europe, la paix au Proche et au Moyen-Orient, la situation politique, le développement et la démocratie en Afrique et sur les orientations et la gestion du ministère, Paris le 9 juillet 2003.

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Circonstance : Réception offerte aux agents du département et à leurs conjoints à l'occasion de la fête nationale à Paris le 9 juillet 2003

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord chers Amis, de vous dire combien je suis heureux de vous retrouver tous, cet après-midi, avec Noëlle Lenoir et Renaud Muselier et de vous accueillir ici sur la pelouse du Quai d'Orsay. Nous regrettons l'absence de Pierre-André Wiltzer qui ne peut nous rejoindre parce qu'il est actuellement à Maputo pour le Sommet de l'Union africaine mais il est bien sûr présent parmi nous par la pensée. Je suis d'autant plus heureux de vous retrouver qu'après avoir fait, au cours des derniers mois, un certain nombre de fois le tour de la terre, je puis dire qu'aujourd'hui la grande famille diplomatique, notre famille, me manque.
En disant cela, chacun voit bien peut-être la nostalgie qu'il y a de ne pouvoir se consacrer suffisamment à sa propre maison. C'est pourtant le premier devoir d'un ministre. Et cependant, vous le voyez en lisant la presse, en regardant la télévision, les affaires du monde justifient que la France cherche à porter haut et loin sa voix.
En disant cela, je suis conscient aussi du fait que la France suscite de fortes attentes. Ici et là, il y a des critiques, toujours stimulantes à l'endroit de notre diplomatie, mais je remarque sur le terrain, partout à travers le monde, sur tous les continents, une formidable attente, une formidable inquiétude aussi devant la situation internationale. Et cette attente, nous ne devons pas la décevoir. C'est ce qui justifie la mobilisation de chacun au quotidien, ici à Paris, à Nantes. Dans chacun de nos postes, nous avons une tâche, un devoir à remplir.
Cette heureuse tradition d'un rassemblement annuel n'est certes pas, cette année, l'occasion d'un grand bilan mais c'est l'occasion de faire le point sur l'action entreprise et les perspectives qui s'ouvrent à nous. Le fondement de notre métier, c'est cet écartèlement entre la fidélité aux principes et la nécessaire adaptation aux réalités, aux contraintes du terrain. C'est également la fidélité et l'ancrage dans une terre, la terre française, et l'exigence d'ouverture à la diversité du monde. Il faut que nous soyons en permanence conscients de cela pour adapter notre outil, pour adapter notre maison, adapter nos méthodes de travail. Et aujourd'hui peut-être plus que jamais, dans le contexte budgétaire difficile que vous connaissez, nous devons nous adapter, réformer cette maison.
Au-delà, il faut constamment penser à l'évolution de notre esprit diplomatique, de nos méthodes de travail, à la transparence, aux responsabilités et à la coordination dont on a toujours davantage besoin. A l'extérieur il faut aussi prendre en compte les formidables révolutions du monde, et elles sont nombreuses : révolution dans le domaine stratégique puisque après la chute du mur de Berlin, nous ne vivons plus dans un monde figé par deux blocs mais bien au contraire dans un monde saisi par le vertige de l'inconnu ; révolution économique et sociale avec l'affirmation croissante, qui fait parfois peur, de la mondialisation ; enfin - et peut-être la plus importante pour les années à venir -, révolution identitaire où l'on constate la crispation religieuse, culturelle, le besoin d'aller vers l'autre, de s'affirmer. Cette prise en compte de l'identité est une des nouvelles données indispensable de la diplomatie.
Face à cela, il faut donc que nous fassions des choix. Et la diplomatie française aujourd'hui repose sur deux grands choix. Le premier, c'est celui de l'action, celui du mouvement. Le statu quo n'est pas acceptable. Rien ne servirait de camper sur une vision passéiste du monde, ce serait inévitablement courir le risque de se voir écarté, marginalisé. La deuxième exigence, c'est celle de la responsabilité collective. Nous sommes plus efficaces si nous agissons ensemble avec nos partenaires et si nous sommes désireux à chaque étape de les mobiliser pour agir.
Et vous me permettrez de prendre quelques exemples : l'Europe d'abord, qui reste notre priorité et au cours des derniers mois on l'a vu, les divisions européennes sur l'Irak ont peut-être obscurci la lisibilité, l'évidence de l'action qui a été menée. Et pourtant il y a des succès. Les bons résultats de la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing montrent que nous avons une feuille de route européenne, une ambition européenne avec un projet institutionnel qui fait honneur à l'Europe, parce qu'il est original, nouveau, qu'il marque clairement la volonté de renforcer chacun des grands piliers : la Commission, le Conseil, le Parlement.
Progrès aussi du côté de l'élargissement où l'on voit que l'entrée des dix nouveaux Etats se fait dans de bonnes conditions. Et de ce point de vue, l'action menée par l'Allemagne et par la France a certainement permis cette entrée dans de bonnes conditions et le quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée marque, de ce point de vue, une étape. Bien sûr, cela ne veut pas dire se replier sur le seul moteur franco-allemand, cela veut dire au contraire, à partir de ce moteur franco-allemand, tendre la main à tous les Etats européens qui veulent avancer dans la même direction.
Quelles perspectives aujourd'hui pour cette Europe ?
C'est une nouvelle ambition. Partant de la réalité européenne, ne sous-estimons pas notre capacité : 450 millions d'habitants aujourd'hui pour les vingt-cinq pays européens, demain 500 millions et peut-être 700 ou 800 millions dans une Europe qui a vocation à s'élargir. C'est une puissance démographique, c'est aussi une puissance économique, la première puissance économique et commerciale du monde. Reste à lui donner son véritable poids sur le plan politique, à tirer de cette capacité potentielle de l'Europe, sa traduction concrète, et c'est à cela que nous devons travailler en nous efforçant de mieux coordonner nos actions dans les deux domaines privilégiés où nous avons vocation à agir, la politique étrangère - et la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères de l'Europe devrait nous donner l'outil indispensable pour cette coordination -, mais aussi le domaine de la sécurité et de la défense ; et je suis heureux, dans ce contexte, des premières initiatives qui ont pu être prises en Europe avec l'opération lancée en Macédoine et également au Congo, en Ituri, à Bunia avec la première opération en dehors de l'Europe engagée par les Européens sous l'égide, vous le savez, de la France.
Deuxième exemple : le Moyen-Orient. La crise irakienne a permis à la France de marquer clairement les principes auxquels nous étions attachés, non pas seulement pour le plaisir de nous définir par rapport à ces principes mais par la conviction que, pour agir, il faut être légitime et que, pour être efficace, la légitimité donne un poids, confère une capacité beaucoup plus forte. Aujourd'hui, nos trois priorités en Irak, c'est d'abord l'exigence de relance du processus politique ; notre conviction c'est que la solution à la crise irakienne passe d'abord par cette reconnaissance de la primauté du politique. C'est aussi l'importance donnée à l'aide économique ; il faut développer et réamorcer l'engagement international et financier en Irak. Et enfin, il faut faire en sorte que l'ensemble des pays puisse participer à cela - je pense aux pays de la région, de l'ensemble de la région, mais aussi à l'ensemble des pays de la communauté internationale -, à travers les Nations unies.
Dans le conflit israélo-palestinien, il nous faut saluer des progrès importants : la feuille de route qui est désormais adoptée, le réengagement américain, deuxième point positif, mais aussi l'accord conclu entre les Israéliens et les Palestiniens. A partir de là, il y a une nouvelle chance. Bien sûr le processus de paix reste fragile. Il faut donc, là encore, accélérer les choses et nous mobiliser, nous rassembler pour rendre ce processus irréversible, prendre sa mesure globale, l'ouvrir à la Syrie et au Liban mais aussi l'appuyer avec les autres membres du Quartet.
Troisième exemple, l'Afrique. Vous connaissez notre fidélité à l'égard du continent africain. Il faut faire plus et mieux. Pour l'Afrique, tirons le constat que notre sécurité, notre avenir se jouent en partie sur ce continent. Prenons la mesure des fléaux et des menaces qui frappent l'Afrique, prenons aussi la mesure des capacités de l'Afrique, du formidable réservoir potentiel qu'il constitue pour le monde et pour la France, et nous aurons alors la mesure de l'effort qu'il nous faut fournir vis-à-vis de ce continent. Les priorités vous les connaissez, la paix bien sûr, se mobiliser sur chacune des crises, se mobiliser avec la légitimité nationale, les différentes forces dans chaque pays, légitimité régionale, mais aussi légitimité internationale. C'est ce qui nous a conduit à agir comme nous l'avons fait en Côte d'Ivoire et, de la même façon, en République démocratique du Congo ou à Madagascar.
Deuxième grand enjeu : le développement. Depuis maintenant plusieurs années, vous voyez le président de la République, à chaque occasion, plaider pour l'Afrique dans toutes les grandes instances internationales et nous allons continuer à le faire, à nourrir des propositions pour donner toute sa place au continent africain.
Troisième exigence incontournable : la démocratie. Il faut avancer dans le sens de la légitimité du pouvoir en Afrique, non seulement l'accès au pouvoir mais aussi l'exercice du pouvoir.
Toutes ces ambitions que je ne fais qu'effleurer cet après-midi ne sont pas possibles sans une modernisation très forte de notre ministère et c'est la grande ambition qu'il nous faut nourrir et maintenant mettre en uvre. Les travaux que j'ai demandés pour la réforme du Quai d'Orsay approchent de leur terme. Le Comité de pilotage, présidé par le Secrétaire général, m'a remis des propositions ; nous allons les examiner durant l'été, les présenter au Comité technique paritaire et enfin adopter les grandes lignes de cette réforme qui sera définie lors de la Conférence des ambassadeurs à la rentrée fin août.
Les objectifs que nous poursuivons sont simples. Il ne s'agit pas de faire une énième réforme, de bouleverser les structures du ministère, mais beaucoup plus d'essayer de modifier l'état d'esprit et les méthodes de travail.
Trois grandes orientations doivent guider notre action :
La première, c'est rendre à ce ministère sa vraie vocation, qui est une vocation interministérielle. Nous ne sommes pas un ministère comme les autres. Qu'il s'agisse de Paris ou de nos postes, le Département a une vocation de synthèse, une vocation politique, qui est essentielle, et une vocation de coordination entre les activités et les préoccupations de chacun des autres ministères. Et dans le réseau, il est important que cet esprit prévale : par exemple aujourd'hui notre représentation permanente à Bruxelles fait, sur chaque grand dossier, la synthèse des propositions des ministères ; il faut que chaque poste bilatéral intègre de la même façon les préoccupations de l'ensemble des différents secteurs de l'administration française.
Le deuxième axe important, c'est la nécessaire traduction de toutes les actions politiques et diplomatiques dans une vision de synthèse défendue par notre pays. Trop souvent nous avons une vision, un regard cloisonnés. Trop souvent les circuits de décision hésitent et sont multipliés. Il est important que chacun puisse avoir une idée claire de ce que sont la vision et l'ambition de la France et puisse connaître sa propre feuille de route au quotidien.
Troisième axe de la réforme, c'est une révolution dans le domaine de la gestion. Des règles de gestion plus souples : déconcentration des crédits, nouvelles règles comptables, nouveaux modes d'affectation du personnel, changement dans la gestion immobilière. Tout ceci doit nous conduire à mieux anticiper les problèmes, à faire preuve de mobilité et à responsabiliser encore davantage tous les agents du Département. La Loi organique sur les lois de finance doit nous fournir le cadre qui nous permettra d'avancer par une nouvelle définition budgétaire, permettant d'avoir une vision globale, à la fois de notre ambition, et des moyens que nous voulons y consacrer.
Dans ce contexte, vous le voyez, il faut poursuivre une double tâche. Et c'est un peu comme toujours sur la scène internationale, quand les défis frappent, ils frappent tous au même moment. Ce qui veut dire qu'il nous faut à la fois faire un gros effort sur la scène internationale pour préciser les positions de la France, pour formaliser des propositions au service d'un nouvel ordre international - et nous voyons tous les jours à quel point il y a besoin d'une nouvelle architecture mondiale, qui passe par une réforme des Nations unies, une réforme du multilatéralisme -, mais nous voyons aussi qu'il faut dans le même temps nous adapter, nous réformer, changer notre esprit et nos méthodes de travail.
Dans ce contexte, il y a une tâche spécifique sur laquelle je veux attirer votre attention, parce que c'est l'une de nos vocations premières : défendre les intérêts des Français à l'étranger, défendre la sécurité de nos compatriotes, ce qui veut dire bien sûr, là encore, réformer la fonction consulaire, renforcer la sécurité de nos installations, réformer le droit d'asile, moderniser notre réseau consulaire. Et de ce point de vue, je suis heureux de saluer aujourd'hui la libération de notre compatriote, Vincent Reynaud, ainsi que de son collègue belge qui ont pu quitter le territoire laotien il y a quelques heures, libres. C'est là encore une grande satisfaction, et je forme le vu pour tous ceux de nos compatriotes qui sont encore emprisonnés ou retenus contre leur gré à l'étranger qu'ils puissent retrouver la liberté. Je pense tout particulièrement à notre compatriote Ingrid Bétancourt.
Dans ce contexte, vous le voyez, c'est un message de travail, mais aussi de sérénité, de confiance et d'optimisme que je souhaite adresser. Car, lorsque je regarde en arrière, au cours de ces derniers mois, je mesure le chemin parcouru. Je mesure aussi que cette tâche ne serait pas possible sans vous, sans votre enthousiasme, sans votre conviction, sans votre mobilisation. Ce ministère est sans doute celui qui, le soir tard, alors que la plupart des autres ministères sont déjà fermés, veille. Nous veillons, comme nos postes veillent, à toutes les heures du jour et de la nuit, y compris le week-end. Je crois que c'est ce qui fait peut-être la marque de fabrique de ce ministère : l'esprit de service public, quelles que soient les vicissitudes de cet esprit au cours des dernières décennies, reste vivant dans cette maison. Et c'est un motif de grande satisfaction, parce que, nous le voyons bien, les Français comptent sur nous, les Français comptent sur leur diplomatie pour les aider, à travers les écueils de ce nouveau monde, à avancer, à anticiper. Ils comptent sur nous pour garantir leur sécurité, et je crois que c'est sans doute le message le plus exaltant qu'il nous appartient de retenir aujourd'hui : la place de la diplomatie française dans les grands enjeux de la Nation, la place de l'ambition nationale, de l'ambition de la France dans les défis à relever pour le gouvernement et pour l'ensemble des forces vives de notre pays.
Et je tiens à dire à quel point, dans cette mission, dans cette tâche, la place qui est la vôtre, quel que soit le lieu où vous servez, est tout à fait essentielle. Et, avec Noëlle Lenoir, Pierre-André Wiltzer, Renaud Muselier, au cours de tous nos déplacements, au cur des dossiers qu'il nous appartient de traiter, nous constatons, à chaque occasion, le dévouement, la vigilance, la force de proposition qui est la vôtre. Nous pouvons faire encore mieux et c'est ce qui doit motiver la perspective pour chacun d'entre nous.
Une fois de plus, merci
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2003)