Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, dans "Le Monde" du 18 octobre 2003, sur le vote par la France de la résolution de l'ONU portant sur le transfert des responsabilités politiques aux Irakiens.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le texte de cet entretien a été relu et amendé par le ministre français des affaires étrangères.
La France a souhaité un texte clair fixant des exigences contraignantes et rapprochées pour le transfert des responsabilités aux Irakiens et elle a adopté une résolution qui ne dit rien de tout cela. Où est la cohérence ?
Depuis le début, nous avons voulu adopter une attitude de responsabilité et de lucidité. Responsabilité car, face à l'engrenage de la violence et du terrorisme qui s'aggrave, dans un contexte d'extrême tension dans l'ensemble du Moyen-Orient, il est important de faire prévaloir clairement l'unité de la communauté internationale. Lucidité ensuite, parce que la négociation qui s'est nouée à New York constitue un pas dans la bonne direction. Un certain nombre de progrès ont été enregistrés par rapport au projet précédent, comme le principe du transfert de souveraineté, la reconnaissance de l'importance du processus constitutionnel, un rôle accru pour le Conseil de gouvernement intérimaire et le contrôle de la future force internationale par le Conseil de sécurité.
Au début de la semaine, vous aviez dit que le principal défaut de ce texte est qu'il ne contient pas de calendrier pour le transfert des responsabilités politiques aux Irakiens. Or il n'y a pas de calendrier...
C'est vrai : il n'y a pas de calendrier précis. Le représentant américain en Irak conserve ses prérogatives jusqu'à la mise en place d'un gouvernement issu d'élections générales, et cette perspective risque de représenter une échéance lointaine. De ce point de vue, le texte ne va pas assez loin. Sur le rôle central des Nations unies, il reste encore limité, ce qui se conçoit tant que le régime d'occupation sera maintenu. Pourquoi avons-nous accepté de surmonter nos réserves ? Parce que, dans ce contexte de plus en plus difficile, nous choisissons l'ouverture et le mouvement ; nous ne souhaitons pas bloquer un processus. Par ce vote à l'unanimité, l'administration américaine et les forces de la coalition sont placées devant leurs responsabilités. Notre conviction, c'est qu'il faudrait agir plus vite et avec plus d'audace.
Les Etats-Unis ne risquent-ils pas d'en tirer la conclusion qu'ils ont obtenu un blanc-seing pour poursuivre ce que la France a appelé l'"occupation" de l'Irak ?
L'heure n'est pas à la satisfaction ou à l'autosatisfaction à partir d'un vote au Conseil de sécurité. Depuis la fin de la guerre, tous les votes ont été obtenus à l'unanimité. C'est dire à quel point nous avons tous conscience de l'enjeu. Mais, je le redis, cette résolution est encore trop timide ; elle n'est pas encore à la hauteur des besoins en Irak. Les Américains, aujourd'hui, estiment qu'ils ne sont pas en mesure de faire davantage. Nous leur disons : "Ce n'est pas suffisant pour créer les conditions d'une véritable reconstruction de l'Irak, mais nous osons croire que la dynamique ainsi créée va permettre d'avancer". Donc nous ne bloquons pas, tout en disant aux Américains qu'il leur appartient de faire évoluer la situation. C'est notre rôle d'ami et d'allié, c'est notre devoir de Français et d'Européens. La tentation, pour une puissance occupante, c'est toujours de considérer qu'un pays n'est pas prêt à prendre en main son propre destin. Il faut avoir le courage de tirer les leçons de l'histoire, qui s'est avérée si souvent tragique lorsqu'on agit trop tard.
Propos recueillis par Laurent Zecchini
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 octobre 2003)