Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à France 2 le 19 avril 2004, sur son engagement dans la préparation des élections européennes, sa position sur la souveraineté nationale et son refus de voir la Turquie intégrer l'Union européenne.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- R. Sicard-. Vous avez été le premier à vous lancer dans la bataille des européennes. Et avec vous, pas de surprise, vous continuez à être hostile à l'Europe telle qu'elle se construit aujourd'hui. Cela dit, depuis le temps que vous dites "non", cela ne change pas grand chose ?
R- "Sauf que cela s'aggrave : les délocalisations, l'immigration clandestine... Je veux changer d'Europe pour protéger les Français. Cela veut dire les protéger dans leur sécurité..."
Q- Cela fait longtemps que vous le dites et finalement, il n'y a pas d'impact ?
R - "Il n'y a pas d'impact mais les choses vont de plus en plus mal. Regardez Alstom : le ministre de l'Economie qui va voir les ouvriers d'Alstom leur dit : "Je vais intercéder auprès de la Commission de Bruxelles pour essayer de faire en sorte que vous puissiez survivre". Et pendant ce temps-là, le Premier ministre essaye de baisser la TVA, il ne peut pas la baisser. C'est-à-dire que, quand peu à peu - et cela ne se voit pas, vous avez raison, c'est invisible -, quand vous liquidez vos pouvoirs, quand vous n'avez plus les manettes, vous n'avez plus de volant, vous n'avez plus de frein, vous n'avez plus d'embrayage, il y a la carrosserie, c'est vrai, il reste la carrosserie. Le problème, c'est que la France aujourd'hui a de moins en moins de pouvoirs, et être pour la souveraineté nationale, comme je le suis, c'est accorder une grande Europe des nations, où chacun préserve son identité, ses singularités, avec l'idée de préserver nos emplois, contre les délocalisations et le libre-échangisme de Bruxelles. Regardez..."
Q- Entre nous, personne n'est pour les délocalisations !
R - "Oui mais une fois qu'on l'a dit... Exemple : les Etats-Unis voient l'invasion du textile chinois, que font-ils - c'est une grande nation les Etats-Unis ? Ils prennent des mesures de précaution tarifaires, douanières, contre l'invasion du textile chinois. Que fait l'Europe ? Le contraire ! Et moi qui suis d'une région où il y a beaucoup de textile, [...] je peux vous dire que c'est la désespérance. Il y a 85 unions commerciales dans le monde. La moins protégée de toutes, c'est l'Europe, l'Union européenne, qui a le tarif douanier extérieur commun le plus faible au monde. Donc, protéger les emplois, protéger la souveraineté. Je ne veux plus que nos gouvernants nous expliquent, comme cela, en privé - ils ne le disent pas en public mais en privé - : "On ne peut rien faire, parce que ce n'est plus nous, c'est l'OMC, c'est Francfort, les banquiers"... Belle réussite, l'euro, qui devait relancer la croissance..."
Q- L'Europe n'est-elle pas souvent un bouc émissaire ? Car souvent on dit : "On n'y peut rien parce que c'est l'Europe", mais souvent, c'est parce qu'on ne veut rien faire aussi ?
R - "C'est vrai qu'il y la volonté. On voit bien aujourd'hui que le président de la République, après avoir nommé son Gouvernement, l'a décapité en direct à la télévision. Donc, il y a la question de la ligne..."
Q- Vous trouvez qu'il n'a pas soutenu Raffarin ?
R - "C'est-à-dire que, par exemple, il faudrait aujourd'hui abolir les 35 heures. Il faudrait le faire, le Premier ministre le sait, il voudrait le faire je pense..."
Q- Le Gouvernement a dit "non" et d'une certaine manière, on peut dire qu'il a tiré la leçon des élections des élections régionales, puisque les Français aux régionales ont dit : "On veut du social".

R - "Je pense que tirer la leçon en écoutant plutôt ses adversaires, qui en l'occurrence ont gagné, que ses supporters, ce n'est pas porteur d'avenir. Surtout, quand il s'agit de l'intérêt supérieur de notre pays. Mais aujourd'hui, nous sommes devant une situation qui est grave : c'est l'impuissance publique. C'est-à-dire qu'en fait, les électeurs ont sanctionné aux élections européennes [sic] l'impuissance publique. Nos gouvernants n'ont plus les manettes. Le 1er mai prochain, il n'y a pas un journal qui a encore écrit cela, c'est terrible..."
Q- Le 1er mai, c'est l'entrée des nouveaux pays dans l'Europe.
R - "Oui. Et ce jour-là, tous nos pouvoirs en matière d'immigration vont être transférés entre les mains de la Commission de Bruxelles. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle N. Sarkozy a quitté le ministère de l'Intérieur, parce qu'il savait qu'il n'aurait plus la possibilité, qu'il n'aurait plus les manettes là aussi. Sur l'élargissement, je vais demander audience à la sortie de ce studio, au Premier ministre, pour lui apporter un rapport, fait par mes collaborateurs, sur les conséquences de l'élargissement."
Q- Il y a dix nouveaux pays qui vont entrer dans l'Europe le 1er mai...
R - "Voilà. Alors, conséquences en termes de délocalisation, d'immigration, aussi en termes de ponction fiscale, puisque d'après les études de Bercy, la ponction fiscale supplémentaire va être de 7 milliards d'euros..."
Q- C'est votre rapport ou le rapport de Bercy ?
R - "Cela s'appuie évidemment sur les chiffres de Bercy. 45 milliards de francs, c'est l'équivalent de la climatisation dans toutes les maisons de retraite. Et ça sera le double avec l'entrée de la Turquie. Alors, vous me dites que "les choses ne changent pas". Si !"
Q- L'entrée de la Turquie, il n'en est pas question pour le moment...
R - "Ce qui change c'est que, petit à petit, on nous explique - en tout cas le président de la République, qui l'a dit encore la semaine dernière - que l'entrée de la Turquie est une chose qu'il faut aujourd'hui envisager."
Q- M. Barnier, le ministre des Affaires étrangères, disait hier que "ce n'était pas envisagé à court, ni à moyen terme".
R - "Il ne peut pas dire cela..."
Q- Il l'a dit.
R - "Il m'a dit le contraire à l'Assemblée, il y a quinze jours, et pour cause. Il y aura une recommandation de la Commission de Bruxelles en octobre prochain..."
Q- Ce que dit J. Chirac, justement, c'est qu'il attend le rapport de la Commission pour se prononcer.
R - "C'est-à-dire qu'en fait, ce que disent J. Chirac et M. Barnier, c'est : "Enjambons les élections européennes pour que surtout on ne parle pas..."."
Q- C'est vous qui dites qu'ils disent cela. Eux, ne disent pas cela !
R - "Ecoutez, c'est évident ! Et puis ensuite, en octobre, il y aura la recommandation de la Commission de Bruxelles, qui est naturellement favorable à l'entrée de la Turquie, puisque c'est elle qui a initié le processus de négociation déjà depuis très longtemps, depuis la Conférence d'Helsinki, où J. Chirac avait dit : "La Turquie est européenne par son histoire et sa géographie". Et puis, à la fin de l'année, on nous expliquera qu'on ne peut pas faire autrement."
Q- Mais l'UMP a dit qu'il n'en était pas question.
R - "Justement, c'est très intéressant, c'est même un cas unique.
J. Chirac n'écoute plus son inspirateur, A. Juppé. J. Chirac est pour l'entrée de la Turquie, il l'a répété..."
Q- Il ne dit pas vraiment cela, il dit qu'il attend le rapport de la Commission...
R - "La position de la France, dit-il, reste "inchangée". Or, c'est lui avec
L. Jospin, en décembre 1999, à Helsinki, qui a dit que la Turquie doit pouvoir rentrer dans l'Union européenne si elle remplit les conditions. Alors, les conditions, ce sont les droits de l'homme, la fin des pendaisons, etc. Ce sont quand même de toutes petites conditions..."
Q- Mais laisser la Turquie à la porte de l'Europe, n'est-ce pas un risque de la poussée vers l'islamisme radical ?
R - "Vous vous rendez compte : on aura une frontière commune avec l'Irak !"
Q- Je rappelle que ce n'est pas à court terme. Parmi les dix pays qui rentrent, il n'y a pas la Turquie dedans.
R - "Non, mais d'accord. Mais l'entrée de la Turquie, si le processus de négociation est engagé comme prévu à la fin de l'année, c'est une question d'années. Or, la Turquie n'est européenne ni par la géographie, ni par l'histoire, premier point. Deuxième point, elle est la plate-forme du terrorisme, de la préparation du terrorisme, des mafias, de la drogue et de l'immigration clandestine, tout le monde le sait. Elle a une frontière commune avec l'Irak, il suffit de regarder France 2 pour comprendre ce que cela veut dire. Et troisièmement, ce que les Français ne savent pas forcément - ils ne sont pas tous des techniciens du droit -, c'est que la nouvelle Europe, celle de Nice et celle de Giscard avec la Constitution européenne, s'appuiera sur le poids démographique des Etats. Par exemple, la France n'a plus que 72 députés européens, l'Allemagne 99. Vous voyez comment on décroche. Et la Turquie en aura plus de 100, puisque le nombre des voix au Conseil et le nombre des députés européens, sera indexé sur le poids démographique. Alors, vous imaginez : 70 millions de Turques, plus 300 millions de turcophones !"
Q- Franchement, on n'en est pas là, ce n'est pas le débat de ces élections !
R - "Je me souviens très bien - ce n'était pas vous, vous étiez trop jeune ! -, au moment de Maastricht, un matin, comme cela, un journaliste me dit : "Mais attendez, mais non, mais l'euro c'est pour plus tard, la monnaie unique" etc. Mais tout arrive ! C'est-à-dire que les commissaires de Bruxelles, qui sont nos nouveaux maîtres, et dont nos gouvernants ne sont plus que des contremaîtres, ils avancent, ils avancent, ils veulent faire un Etat fédéral. Et je n'accepte pas que mon pays, la France, devienne un Land de Bruxelles !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2004)