Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à Europe 1 le 17 mars 2004, sur le terrorisme, les résultats des élections en Espagne et la politique sociale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- J.-P. Elkabbach-. La menace terroriste est-elle ce matin réelle contre la France et les Français ?
R- "Oui, elle est réelle. Nous sommes une démocratie et les démocraties sont exposées aux attaques des terroristes. Je pense que la France l'est plutôt moins que d'autres pays en Europe, mais elle doit être vigilante et surtout elle doit être solidaire de toutes les attaques menées contre les autres démocraties."
Q- Mais sommes-nous condamnés à vivre dans ces conditions, nous aussi, sous la menace ?
R- "Sous la menace, sûrement, mais je crois que cela ne doit pas nous conduire à la panique. Il faut opposer au terrorisme une froide détermination. J'entends qu'on parle de "guerre". Je pense que c'est faire beaucoup d'honneur aux terroristes que de les traiter comme des combattants alors que ce sont en réalité des criminels. Et c'est une collaboration policière, c'est une coopération européenne que nous devons opposer, et surtout une grande sérénité, une grande détermination, et pas de panique."
Q- Pensez-vous que l'on peut s'attendre à un sursaut électoral et civique en France ?
R- "Cela je n'en sais rien, parce que l'on a tellement pollué le débat des élections régionales par des considérations nationales, maintenant on est en train de le polluer par des considérations européennes. Certains à gauche veulent faire..."
Q- Non, les questions de sécurité qui sont en train de...
R- "Elles ne sont pas au coeur du débat dans les élections régionales ; les électeurs sont intelligents, ils savent bien que ce ne sont pas les présidents de conseils régionaux qui vont gérer les questions liées au terrorisme. Je crois donc, que ce qui est en train de se passer autour de nous, ne devrait pas avoir d'influence sur le scrutin régional. Si nous sommes dans une démocratie apaisée, dans une démocratie qui sait faire la hiérarchie des échéances."
Q- Vous dites donc : ne pas nous affoler, la meilleure réponse c'est l'union et le sang-froid, et comme dit B. Delanoë, la démocratie ?
R- "Oui, la démocratie. Les terroristes ont perdu par avance. Leur combat est un combat contre le sens de l'histoire, c'est un combat contre l'humanité, c'est un combat contre la démocratie. Donc, la meilleure façon de leur résister, c'est de continuer à faire fonctionner la démocratie, plutôt d'améliorer le fonctionnement de la démocratie et de lutter contre les extrémismes. Parce que ce qui menace la démocratie en France, ce n'est pas l'abstention, ce sont les extrémistes, c'est la montée des extrémismes."
Q- Les Espagnols avaient des dirigeants bien installés, assurés de durer, ils ont été balayés. Pensez-vous que les Français peuvent être tentés d'en faire
autant ? Peut-il y avoir un "effet Aznar" ou "Zapatero" ?
R- "Non. D'abord, je voudrais rappeler que, quel que soit le résultat des élections régionales, il y a une majorité qui est élue pour cinq ans et qui continuera à gouverner. Deuxièmement, le gouvernement espagnol a été "balayé" comme vous avez dit, à la suite d'un événement exceptionnel, et après huit ans de pouvoir. Mais surtout, je crois qu'il a été balayé parce que, justement, il a cédé à la panique. Devant la violence de cet attentat, et c'est d'abord aux victimes de cet attentat que je pense, mais devant la violence de cet attentat, le gouvernement espagnol a paniqué, il a cru que les conséquences sur le scrutin seraient importantes, et il a cherché d'une certaine manière à gagner du temps, à dissimuler la vérité aux Espagnols et il a été sanctionné. Et je crois que le même phénomène se produirait dans n'importe quelle démocratie dans les mêmes conditions."
Q- Cela veut dire que les politiques qui croient avoir toujours raison, qui pratiquent le mépris, le mensonge, la condescendance, ça ne marche plus ?!
R- "Mais évidemment. Cela ne peut pas marcher. Surtout face aux terroristes, c'est-à-dire à la mort, il faut être humble, il faut être déterminé, il faut montrer que l'on a le sang-froid nécessaire pour gouverner le pays, et puis il faut donner l'information au fur et à mesure que l'on est en mesure de la donner. Et là, en l'occurrence, le gouvernement espagnol a donné le sentiment, à tort ou à raison, de tricher avec l'information."
Q- Aznar aurait confié à G. Bush qu'il ne prendra pas sa retraite, qu'il ne la prend plus, qu'il reste en politique avec son parti pour préparer la revanche et la reconquête. C'est possible ?
R- "Tout est possible. Je ne suis pas un spécialiste de la politique espagnole. J'ai compris que M. Aznar était un homme qui était assez orgueilleux au fond, et on peut comprendre qu'après une humiliation pareille, il ait envie de reprendre le combat. Mais je ne sais pas quelles en seront les conséquences pour le Parti populaire."
Q- Aujourd'hui, partout, c'est "Viva Zapatero !", inconnu il y a huit jours. Qui sont les "Zapatero français" ?
R- "Je crois qu'il faudrait qu'à gauche, on se calme sur ce sujet. Quand T. Blair a été élu, ils étaient tous "blairistes", et ils apprenaient tous l'anglais. Maintenant que M. Zapatero a pris le pouvoir, ils vont tous apprendre l'espagnol. Ils seront déçus d'abord, de la même manière parce qu'ils découvriront rapidement que le socialisme espagnol, comme "le blairisme" a peu de chose à voir avec le socialisme archaïque qui reste celui du PS français. Et puis surtout, ce n'est pas en Espagne que se fait la politique française, il faut qu'ils le comprennent. "
Q- Cela, l'UMP et l'UDF, qui faisaient des pèlerinages réguliers à Madrid, l'ont aussi appris à leurs dépens ?
R- "Cela n'a jamais été mon cas. Je pense que le Parti populaire nous avait donné un exemple sur un sujet : c'était le rassemblement des différentes tendances de droite. Et de ce point de vue-là, il a bien réussi."
Q- M. Zapatero est devenu le symbole d'une politique sans mensonge. Peut-on essayer, tous les deux, ce matin...
R- "Oui, il n'a pas encore commencé à gouverner."
Q- Vous voulez dire qu'il changera. Mais en tout cas, la Sécurité sociale, c'est 30 milliards d'euros de déficit et l'appel à des banques pour payer les fins de mois. Le Gouvernement, vous, vous savez comment et à quel coût vous allez réformer la Sécurité sociale. Pourquoi ne pas le dire tout de suite ?
R- "Non, non, parce qu'aujourd'hui on n'a pas encore fait tous nos choix. On a engagé une concertation avec les organisations syndicales mais aussi avec les professions médicales. Ma conviction profonde, c'est que l'on ne réussira pas à réformer la Sécurité sociale en France sans y associer les médecins et sans associer au processus de gestion les professions médicales. Donc, on est en train d'essayer de faire ce travail, cela prend du temps. Il y a plusieurs orientations possibles, les choix ne sont pas faits."
Q- J.-C. Mailly de FO, redoutait à 7h45 sur Europe 1, "une réforme imposée par ordonnance". La vérité c'est...
R- "C'est absurde. Aujourd'hui, il y a un texte qui passe devant le Conseil des ministres, qui concerne la simplification du régime des artisans, des commerçants et des indépendants pour qu'ils aient plus qu'un seul interlocuteur au plan social. Cela n'a rien à voir avec l'assurance-maladie. Et à force de désinformation sur ces sujets, un certain nombre de nos interlocuteurs nous donnent le sentiment qu'en réalité, ils n'ont pas envie de réforme de la Sécurité sociale."
Q- De qui est-ce, je cite : "Avec ce Gouvernement, c'est la précarité croissante, la baisse d'impôts pour les plus riches, le sort fait aux plus faibles des plus démunis", F. Hollande, Fabius, B. Delanoë, J. Dray ?
R- "Oh, cela peut être n'importe lequel, ils disent tous la même chose."
Q- F. Bayrou ?
R- "Et si c'est F. Bayrou, c'est pire, parce que c'est la démonstration faite que F. Bayrou a entrepris un travail qui un travail plutôt de démolition que de construction. Or, notre pays, il faut..."
Q- Mais n'a-t-il pas le droit de faire vivre l'UDF ?
R- "Si, il a le droit de faire vivre l'UDF. La question est de savoir si les valeurs qu'il défend sont des valeurs qui sont plus proches des nôtres que celles de la gauche. Aujourd'hui, notre pays n'est pas dans une bonne situation, parce que depuis des années, notre pays a manqué de dirigeants courageux. Ce qui manque le plus en France, c'est le courage. On ne veut pas affronter l'impopularité et donc on laisse faire les choses, et on laisse la Sécurité sociale se dégrader. On a laissé les régimes de retraite aller à vau-l'eau. On fait croire aux Français que l'on peut réussir à protéger notre système social en travaillant moins. Aujourd'hui, on est au pied du mur. Il va falloir réformer notre pays en profondeur, et pendant de nombreuses années, pour l'adapter à la situation internationale. Pour cela, on a besoin de courage et on a besoin d'être rassemblés. Si M. Bayrou ne partage pas nos convictions, s'il ne partage pas nos valeurs, il faut qu'il le dise !"
Q- Les oreilles doivent lui siffler ce matin. Puisque vous voulez toujours dire la vérité, dans quels domaines le gouvernement Raffarin réussit-il le mieux : la sécurité ou le social ?
R- "Je crois que ce sont deux domaines qui sont liés. Au plan de la sécurité, nous avons impulsé une politique volontariste, mais qui était du ressort de l'Etat. Au plan social, nous avons commencé par faire en sorte que notre pays puisse retrouver la croissance, et là, on est obligé de composer avec une situation économique internationale. Et maintenant, nous sommes proches de la reprise, en termes d'emploi, puisque nous savons que depuis le mois de septembre, on assiste à une stabilisation progressive."
Q- Vous maintenez votre promesse : moins de chômage en 2004 ?
R- "Non seulement je maintiens ma promesse mais je dis que tous les analystes qui ont répété, sur toutes les antennes, que le chômage allait monter à 10 % avant la fin de 2003 se sont trompés. Moi, j'ai toujours dit que c'était au début de 2004."
Q- Mais attention aux conséquences de l'insécurité avec le terrorisme.
R- "Il y a évidemment ce risque-là qu'il ne faut pas négliger."
Q- Un mot. Je ne vous ai pas entendu parler du PS et de F. Hollande ou presque pas. Le PS pense que les fantômes du 21 avril ont disparu, qu'il va gagner des régions.
R- "Je ne le crois pas. Je crois que pour avoir fait campagne depuis plusieurs semaines, je crois que les Français ne sont pas du tout tentés par le retour vers le socialisme, et ils sont très agacés par le discours que tiennent justement F. Hollande et les responsables du PS, qui passent l'essentiel de leur temps à déformer la réalité de la politique du Gouvernement. Non, les Français sont surtout impatients que l'on aille plus vite et plus loin dans les réformes."
On verra, on attend encore quelques jours. Merci.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mars 2004)