Déclaration de M. Alain Juppé, président de l'UMP, sur le partage des fruits de la mondialisation, Paris le 4 novembre 2003.

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Circonstance : Colloque de l'UMP sur le partage des fruits de la mondialisation, à Paris le 4 novembre 2003

Texte intégral

Chère Valérie PECRESSE,
Cher Franck DEBIÉ,
Merci de vos paroles de bienvenue et merci d'avoir mis votre passion et votre énergie habituelles à la préparation de ce colloque de l'Union pour un Mouvement Populaire.
C'est avec plaisir que j'ouvre vos débats. Je vous rejoindrai ce soir pour écouter le Premier ministre, j'essayerai d'écouter aussi Alain MADELIN que je salue très amicalement ; il ne m'en voudra pas si je pars sur la pointe des pieds, pris par un autre engagement. Je salue aussi toutes les personnalités qui sont ici présentes sur la tribune et dans la salle et qui vont nous aider dans notre réflexion.
Si j'avais le goût de la provocation, je m'exclamerais volontiers en ouvrant ce colloque : "Vive la mondialisation !" D'abord parce que la mondialisation est un mouvement vieux comme le monde ; je dis souvent que depuis que les premiers hommes sont sortis du Rift africain, la mondialisation est en marche, c'est une évolution inéluctable, c'est un fait et la première règle d'or lorsqu'on essaye de s'intéresser aux affaires de la cité, c'est-à-dire de faire de la politique, c'est de tenir compte des faits et de ne pas les nier. Mais au-delà de ce constat de bon sens, je dirais que la mondialisation est aussi une chance formidable. Il ne faut pas avoir peur de le dire, le progrès des échanges commerciaux, financiers, scientifiques, technologiques, rime tout simplement avec le progrès économique et social et j'imagine que pendant cette journée de travail, bien des chiffres seront rappelés, qui montrent combien la croissance mondiale a profité de la croissance des échanges mondiaux. C'est particulièrement vrai pour notre pays, la France. Elle a beaucoup profité de la mondialisation des échanges ; plus du quart de la richesse produite dans notre pays est destinée aux marchés internationaux, un Français sur quatre travaille pour l'exportation, l'ouverture internationale contribue à l'enrichissement de la France à hauteur, disent les chiffres, d'environ 18 % depuis 25 ans.
Et au-delà de ce lien entre la mondialisation et le progrès économique, je voudrais insister aussi sur la dimension humaine de la mondialisation. Sortir de chez soi, aller vers les autres, découvrir le monde ; c'est ça aussi la mondialisation et c'est un formidable vecteur de connaissances mutuelles, d'échanges humains, d'échanges universitaires par exemple, ça fait chaud au cur lorsque je vois, un peu partout en Europe, des jeunes Français profiter du programme Erasmus ou en sens inverse, quand nous accueillons à Bordeaux des étudiants venus de la planète entière, du Japon à la Colombie. C'est le meilleur moyen de nouer et de nourrir ce dialogue des cultures que nous souhaitons tous et je crois que c'est un symbole d'avoir choisi ici l'Institut du Monde Arabe pour tenir ce colloque.
Et je vous dis même que ce dont souffre le monde aujourd'hui, ce n'est pas d'un excès de mondialisation mais, d'une certaine manière, d'une insuffisance de globalisation et de mondialisation, parce que la mondialisation est bien loin d'être achevée ; les marchés des biens, en dehors sans doute de l'énergie et des matières premières agricoles, restent principalement continentaux. Les grands mouvements de capitaux concernent surtout les grandes places financières des Etats-Unis, de l'Europe et de l'Asie extrême-orientale, les marchés du travail qui sont cloisonnés et restent fondamentalement nationaux, les pays les plus pauvres sont les premiers à faire les frais de l'inachèvement de la mondialisation ; leur commerce recule, l'émigration se complique, les investissements étrangers diminuent chez eux. Le danger pour ces pays n'est pas de s'ouvrir au monde, mais tout au contraire, de voir le monde se fermer devant eux et à l'occasion de bien des rencontres internationales, on entend s'exprimer avec de plus en plus de force, la frustration de ces pays qui s'estiment en dehors des grands flux de la mondialisation. Cette frustration s'est évidemment exprimée, parfois violemment, à Cancun. J'étais ce week-end à Tunis où je participais à un symposium sur les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne sur la rive sud de la méditerranée, ses risques et ses opportunités. Je peux vous dire que l'attente de beaucoup des pays du sud, c'est davantage d'ouverture de l'Europe, y compris aux mouvements des personnes.
Pour la France elle-même, on peut dire que l'inachèvement de la mondialisation est aujourd'hui un handicap et que notre pays a beaucoup à gagner à de nouveaux progrès des échanges. Nous sommes un grand pays de services, nous avons les premiers groupes mondiaux dans un grand nombre de secteurs de services, l'hôtellerie, la grande distribution, l'environnement. Nous sommes le troisième exportateur mondial de services et donc nous avons beaucoup à attendre d'une ouverture régulière du marché des services, qui reste encore à faire.
Et donc, je suis tenté de dire que s'opposer à la mondialisation n'a pas de sens, ni pour la France, ni même au-delà de nos intérêts nationaux pour l'Europe et pour le monde.
Et puis parfois, quand je dis cela, je me demande si je ne suis pas un peu en train de rêver. Je regarde le monde tel qu'il est et je me dis qu'en réalité, il va cul par dessus tête, et qu'il faut avoir une bonne dose d'optimisme, pour ne pas dire d'aveuglement pour considérer que la mondialisation telle qu'elle va, va contribuer à la solution de nos problèmes. Je ne m'attarderai pas longtemps sur quelques constatations qui sont, somme toute, banales : l'accélération des délocalisations, notamment industrielles, traumatise nos régions. Les inégalités de développement entre le nord et le sud continuent à nourrir la misère qui est le terreau de tous les extrémismes. Le rouleau compresseur de l'uniformisation des comportements et des cultures est ressenti partout comme une menace contre nos identités. Quant au gâchis des ressources naturelles, il ne s'arrête pas ; Je lisais en venant ici, dans un grand journal du matin, un article sur les méfaits de la déforestation en Amérique Latine, qui, inéluctablement, se poursuit malgré les protestations internationales ou les conventions.
Faut-il donc en conclure que la mondialisation nous conduit dans le mur ? En tous cas, personne ne peut se satisfaire du mouvement du monde tel qu'il va. Car le monde tel qu'il va, c'est la violence qui gagne du terrain, des conflits, comme ont dit pudiquement ; en réalité des guerres, quand ce ne sont pas des génocides, le terrorisme dont on voit hélas, les méfaits aujourd'hui un peu partout sur la planète, la prolifération des armes de destruction massive qui exigent de notre part, une forte mobilisation.
Le monde tel qu'il va, je l'ai dit, c'est la destruction progressive de la planète, l'effet de serre qui s'aggrave, le mitage de la couche d'ozone, les modifications climatiques auxquelles nous ne croyons pas vraiment, mais qui nous menacent pourtant, même si le consensus scientifique est difficile à dégager sur ce point.
Le monde tel qu'il va, c'est aussi l'injustice qui prend parfois les formes les plus odieuses. J'étais, il y a quelques mois au Mali, et je visitais un centre de traitement contre le Sida et quand on voit l'inégalité d'accès au traitement contre les pandémies, à commencer par celle-là entre les pays du nord et les pays du sud, on se dit que rien ne va plus.
Faut-il lors de venir anti-mondialiste ? Je résiste bien sûr à cette tentation parce que derrière ce discours anti-mondialiste il y a souvent trop de démagogie et trop d'archaïsmes. Ou alors, alter-mondialiste Pourquoi pas ? Ce terme ne m'effraie pas si s'affirmer alter-mondialiste, c'est vouloir changer le cours des choses et inventer une autre mondialisation. Et si l'UMP a choisi d'organiser ce colloque, c'est qu'elle veut aborder cette question sans complexes et sans frilosité et c'est la raison pour laquelle j'attends beaucoup de vos analyses, de vos orientations, de vos propositions.
Je ne vais donc pas anticiper sur vos travaux en présentant ce matin, des conclusions. Ce serait un peu une erreur de méthode, mais je voudrais malgré tout avant que ne s'ouvrent vos débats, exprimer deux attentes que je ressens fortement :
La première, est de savoir comment donner des règles à la mondialisation. Il n'y a pas de débats j'imagine entre nous sur ce point. Le libre marché, la libre entreprise, le libre échange, le libre commerce sont la seule manière efficace de créer des richesses. J'imagine qu'Alain MADELIN ne me démentira pas sur ce point. Mais, l'expérience comme la théorie nous enseignent que la concurrence et le marché ne sont jamais spontanément parfaits, et qu'il faut des règles du jeu pour s'assurer que les plus forts n'écrasent pas les plus faibles. Nous avons dans ce domaine, une référence qui, bizarrement, est critiquée par ceux-là même qui veulent réguler la mondialisation, je veux parler de l'Organisation Mondiale du Commerce. Je me suis beaucoup battu quand j'étais Ministre des Affaires étrangères à l'occasion de la négociation finale de l'Uruguay round, et nous avons obtenu beaucoup de satisfactions dans ce domaine, ne serait-ce que la création de cette organisation qui édicte les règles du jeu, qui s'appliquent à tout, à tous, puissants comme plus faibles, et son organe de règlement des différends est, je crois, un exemple de gouvernance mondiale. En espérant qu'il ne sera pas déstabilisé sous le choc de l'unilatéralisme, et je me demande s'il ne faut pas essayer de transposer cette organisation à d'autres domaines. Le Président de la République a lancé l'idée d'une organisation mondiale de l'Environnement qui pourrait faire prévaloir là aussi un certain nombre de règles du jeu environnemental.
Je n'ouvrirai pas d'autres pistes sur les aspects plus politiques de la gouvernance mondiale, mais les règles du jeu, c'est aussi des règles en matière de guerre et de paix et on ne peut pas ne pas évoquer, bien sûr, dans la recherche de cette démocratie planétaire ou de cette gouvernance mondiale, le rôle des Nations Unies et ce qui se passe à l'heure actuelle au Proche-Orient et en Irak, conforte la thèse française selon laquelle on ne règle bien les conflits du monde que si la communauté internationale s'y engage et si notamment, le Conseil de Sécurité joue pleinement son rôle. Il faut donc des règles, mais il faut que ces règles, pour être acceptées, se fondent sur des valeurs. Et sur des valeurs partagées et c'est ma deuxième attente : comment donner des valeurs à la mondialisation ?
Pour être bref, afin de ne pas retarder le début de vos débats, je résumerai peut-être cette idée autour de ce que j'appellerai les trois respects fondamentaux.
D'abord le respect de la dignité de la personne qui doit être réaffirmé fortement comme notre objectif, comme notre idéal. Respect de la personne humaine en tant qu'individu, c'est sa santé. Je pense que vous allez vous pencher sur ce problème. C'est le respect de la personne humaine, dans ce qu'elle a de plus fragile, l'enfance. Et c'est donc tout naturellement la mise en uvre de normes qu'on appelle parfois sociales pour faire respecter ces principes fondamentaux dans le commerce mondial, en particulier qu'ils soient éthiques ou responsables. Respect de la dignité de la personne humaine aussi, en temps que peuple et c'est tout le défi de la réduction des inégalités de développement : comment agir ? Quelles formes d'aides ? On sait les critiques qui ont été adressées aux politiques traditionnelles d'aide au développement. Faut-il imaginer des ressources nouvelles pour faciliter cette réduction des inégalités ? J'étais très intéressé par la mission que le Président de la République a confiée à Monsieur Jean-Pierre LANDAU, en lui demandant de réfléchir, je le cite, à la possibilité de nouvelles contributions financières internationales pour réduire la pauvreté, favoriser le développement, financer les biens publics globaux, tels que l'environnement, la santé publique ou les ressources rares, une fraction des richesses créées par la mondialisation doit pouvoir être utilisée au service de ces objectifs. Je n'ai jamais été un enthousiaste de ce qu'on a appelé la taxe Tobin, qui me paraissait une lubie assez irréaliste mais ça n'est pas une raison pour se fermer la porte de la réflexion sur ce sujet comme Monsieur Jacques CHIRAC a souhaité le faire.
Respect de la personne humaine, respect ensuite de l'avenir de notre planète. Je ne m'y attarderai pas longuement, j'ai déjà évoqué ce point. Les normes environnementales sont incontournables, si nous voulons donner à ce concept du développement durable toute sa portée, c'est-à-dire, tout simplement, laisser à nos enfants une planète Terre qui les accueille dans les meilleures conditions possibles.
Enfin, troisième respect, respect de la liberté. Et pour moi la liberté s'incarne dans la diversité. Biodiversité dans la nature, bien sûr, mais aussi, diversité des cultures et des langues. Et c'est un sujet, si j'ai bien compris ce qu'a dit tout à l'heure Valérie, qui vous préoccupe tout particulièrement. Je crois qu'un certain consensus apparaît pour dire que certains biens, comme certains services, ne doivent pas être soumis au droit commun du libre - échange, parce que tout simplement, ils sont l'expression de quelque chose de plus profond qu'une production matérielle, parce qu'ils sont l'expression de l'âme des hommes et de l'âme des peuples. Et de ce point de vue, je voudrais saluer la part que la France a prise dans l'adoption par la dernière assemblée générale de l'UNESCO d'une résolution je crois, d'une décision, visant à l'élaboration d'une convention mondiale sur le respect de la diversité culturelle, c'était une idée que la France avait lancée et après des débats âpres, l'assemblée générale de l'UNESCO, à une très large majorité, a validé cette proposition et la faite sienne. Et pour conclure, ceci m'amène à la thématique qu'évoquait tout à l'heure Valérie en commençant, qui est celui du rôle de la France dans tout ce mouvement. Je ne vois pour ma part aucune contradiction entre le mouvement de la mondialisation et la recherche accrue des identités qui nous définissent. Je crois même que ces deux mouvements vont de pair et que nous devons les consigner. Je crois que l'ouverture au monde est un progrès, je l'ai dit en commençant, non seulement économique mais également humain, c'est ça, le dialogue des cultures, à la recherche duquel nous sommes, mais en même temps, nous voulons être de quelque part. Et cette aspiration à la protection de nos racines, à l'expression de nos racines est extrêmement forte et profonde, et je crois que la France a un rôle particulier à jouer, parce que sur la scène mondiale, sa parole de ce point de vue là est attendue, je le constate souvent dans mes déplacements. Il y a une sorte de besoin de France qui fait qu'on attend de notre pays qu'il dise des choses tout haut, que les autres pensent tout bas. C'est un peu notre rôle de poil à gratter. On l'a vu récemment dans certaines crises internationales.
Voilà, Mesdames et Messieurs, mes Chers Amis, quelques réflexions que je voulais vous livrer. Ce que je souhaite, en tous cas, c'est que l'UMP soit en première ligne dans cette réflexion et dans ce combat parce que ce sont une réflexion et un combat d'avenir.
Merci de votre attention.

(source http://www.u-m-p.org, le 7 novembre 2003)