Interview de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président délégué de l'UMP, à France 2 le 28 octobre 2003, sur la situation en Irak, la position de François Bayrou sur les élections régionales et les relations entre l'UMP et l'UDF, la décentralisation et le port du voile islamique.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard-. Un mot sur la situation en Irak. On a l'impression que les Américains contrôlent de moins en moins la situation, ils demandent de l'aide aux pays occidentaux. La France ne va-t-elle pas finir par être obligée de les aider militairement ?
- "D'abord, la France ne s'est pas trompée. La guerre, c'est toujours un malheur. Le président de la République ne voulait pas la guerre, et le peuple français adhérait à la position du président de la République. Nous avons une reconnaissance très forte à l'égard des Etats-Unis d'Amérique. Mais nous avons montré notre indépendance à l'égard de ce grand pays, qui voulait nous entraîner dans un conflit que nous ne souhaitions pas, car nous avions prévu que ça se déroulerait, hélas !, de la manière dont ça se déroule. Alors, que la France donne un coup de main par l'intermédiaire de l'ONU, sur le plan alimentaire, humanitaire, etc, oui. Envoyer des troupes là-bas, en Irak, sûrement pas."
Pensez-vous que le président Bush, va, lui, finir par payer électoralement cette situation ?
- "Je pense que oui, même si on nous indique qu'il y a des messages d'amitié à l'égard du président Bush qui se traduisent par un patriotisme américain. C'est probable. Mais il est certain qu'on ne peut pas ne pas faire une comparaison avec ce qui s'est passé au Vietnam il y a quelques années. C'est une situation de laquelle j'imagine que les dirigeants américains souhaitent sortir le plus vite possible. Peuvent-ils sortir le plus vite
possible ? En tout cas, ils ne sortent pas sans dégâts."
Venons-en à la France et à la politique. Et la politique en France, en ce moment, c'est F. Bayrou. Il s'est abstenu sur le Budget, il veut présenter des listes aux élections régionales. Fait-il encore partie de la majorité ?
- "On peut de temps à autres se le demander. En tout cas, à l'UMP, nous avons tendu la main à F. Bayrou. Mais à force de tendre la main sans qu'elle soit saisie de l'autre côté, nous commençons à avoir des crampes. Car en réalité, qu'est-ce que nous proposons ? Nous proposons qu'il y ait un accord général sur l'ensemble du territoire pour les élections régionales, pour les élections cantonales, pour les élections sénatoriales qui vont suivre. Or, j'entends chez F. Bayrou plusieurs raisonnements. D'abord, F. Bayrou peut, à titre personnel, avoir des ambitions dans la vie politique, et pour 2007. Personne ne lui conteste cela."
Mais c'est cela qui le motive, d'après vous ?
- "Non. Je crois que les amis de Bayrou font en ce moment une erreur d'analyse, quand ils disent : c'est une période un peu difficile pour le Gouvernement, ça ne se passe pas très bien - nous le savons -, et par conséquent, par les vases communicants de la vie politique, l'UMP diminuera et l'UDF, au contraire, progressera. Alors, ça, il faudrait peut-être rappeler aux amis de F. Bayrou que J. Lecanuet, par le passé, nous avait expliqués ces choses-là. Le Mouvement républicain populaire, qui était quelque chose d'extraordinaire, est mort de ses élus et des ses militants qui voulaient le pousser à gauche, pendant que son électorat était à droite. Que M. Bayrou se rappelle bien comment fonctionnent les institutions de la Vème République. On est d'un camp ou on est de l'autre. Et si ça va mal pour un camp, ça va aussi mal pour l'UDF que pour l'UMP. Or, c'est une période où j'espère que les qualités du Premier ministre permettront de rétablir tout ça, où, sous l'autorité du président de la République, on traversera cette mauvaise passe. Mais si M. Bayrou joue là-dessus, il se trompe car notre électorat est foncièrement unitaire."
Vous êtes prudent mais à l'UMP il y en a qui le sont moins et qui disent carrément que F. Bayrou, ce ne sont pas les questions de fond qui le préoccupent, ce sont ses ambitions...
- "Oui... Je vous disais il y a instant, que les ambitions en politique, elles existent et elles sont légitimes pour les uns et pour les autres. Pour autant, avant d'en arriver aux élections de 2007, nous avons les échéances de 2004. Et nous ne cessons de dire depuis quelques semaines à F. Bayrou : mettons-nous autour d'une table, préparons un peu les choses, et regardons comment nous pouvons aller aux élections."
Cela n'avance pas...
- "Cela n'avance pas, et c'est dommage. Et l'UDF le paiera !"
Que peut-il se passer maintenant ? Est-ce qu'il y a une ligne jaune pour F. Bayrou à ne pas franchir ? Jusqu'où peut-il aller ?
- "F. Bayrou s'autorise sans doute à aller un peu plus loin qu'on ne pouvait l'imaginer, compte tenu du fait que l'UMP a la majorité absolue à l'Assemblée nationale et qu'elle a la majorité absolue également au Sénat. C'est peut-être cela qui autorise F. Bayrou à faire quelques incartades. Il ne faudrait pas qu'il les renouvelle trop souvent. Parce que nos électeurs, qui sont communs, n'aiment pas cela. Et que M. Bayrou n'oublie pas que s'il a aujourd'hui une trentaine de députés à l'Assemblée nationale, c'est parce qu'à l'UMP, nous n'avions pas présenté de candidats contre les siens. Sinon, il n'aurait pas ce nombre de députés. Et le nombre de députés, il faut quand même en tenir compte dans la vie politique française."
Aujourd'hui, le Sénat commence à examiner le projet sur la décentralisation. C'est un projet de loi, pour lequel tout le monde était au début, et puis maintenant, tout le monde est inquiet, et notamment beaucoup se disent : qui va payer ? Est-ce que ce sont les collectivités locales qui vont payer à la place de l'Etat ?
- "Je crois que J.-P. Raffarin a très bien compris cela, puisqu'il a été longtemps président de région : on ne peut pas donner des pouvoirs aux collectivités territoriales sans faire l'accompagnement financier. C'est clair, c'est net et c'est précis. Et le Parlement n'autorisera pas, bien entendu, que l'on fasse autrement. En clair, on ne nous fera pas deux fois le coup des lycées ; on avait donné les lycées aux régions sans nous donner les moyens de construire les lycées, et pourtant nous l'avons fait quand même. Aujourd'hui, simplement, ce que je dirai sur ce texte, qui commence effectivement, comme vous venez de le dire, au Sénat, c'est qu'il faut faire très attention de ne pas négliger aussi, par exemple, les communautés urbaines. Les communautés urbaines représentent dans le pays 6,5 millions d'habitants qui vivent dans les villes. Or, les villes ont leur politique, et elles ne peuvent pas être coiffées par exemple par des politiques supplémentaires qui seraient accordées aux régions. Associer oui, subordonner non."
Un mot sur le voile islamique. Ce matin, A. Juppé dit qu'il faudrait une loi pour l'interdire à l'école. Quelle est votre position ?
- "Si nous devons faire une loi, nous finirons par la faire. Personnellement, je préférerais que l'on s'en tienne à ce qui existe aujourd'hui dans notre pays, aux lois qui existent, et à l'esprit de la laïcité. Nous sommes dans une République, qui est une République qui reconnaît la laïcité. Pas de signes ostentatoires à l'école. Et à partir du moment où il n'y a pas de signes ostentatoires d'une religion à l'école, tout le monde considérera que les lois actuelles de la République suffisent. C'est en tout cas mon cas."
Donc, vous n'êtes pas tout à fait d'accord avec Juppé là-dessus ?
- "Ce n'est pas que je ne sois pas d'accord avec Juppé. S'il faut faire une loi, nous ferons une loi ; une de plus ou une de moins, ça ne gênera pas grand-chose. Il me semble que le respect, tel qu'il est, de la laïcité, devrait nous permettre de sortir de cette querelle qui d'ailleurs, Dieu merci, n'atteint pas toutes les villes. Et même dans certaines grandes villes, comme à Marseille, nous n'avons pas eu jusqu'à présent, Dieu merci, ce problème."
Un mot sur la Coupe de l'America. Marseille, justement, reste candidate. A-t-elle encore des chances ?
- "Nous nous battons beaucoup pour obtenir cette Coupe de l'America, cette 32ème Coupe de l'America qui est un événement international extraordinaire. Nous offrons à nos amis suisses, un site extraordinaire. Nous leur offrons aussi des investissements très importants. Encore faudrait-il qu'ils ne nous en demandent pas trop non plus."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 octobre 2003)