Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la coopération Union européenne - pays ACP, l'évolution internationale du débat sur le développement et la lutte contre le blanchiment, Paris le 19 septembre 2000.

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Circonstance : Réunion des ministres des finances de la zone franc à Paris le 19 septembre 2000

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Gouverneurs,
Mesdames et Messieurs les experts,
Chers amis,
Je suis heureux de vous retrouver à Paris pour cette nouvelle réunion de la zone franc. C'est la deuxième de l'an 2000 et, pour ce qui me concerne, la septième à laquelle je participe.
Je vous revois chaque fois avec le même plaisir. Le rythme semestriel de nos rencontres a bien des mérites : il permet un réel suivi, tout en évitant la banalisation de nos rendez-vous qui demeurent des moments privilégiés. En tant que ministre en charge de la Coopération, je mesure la place qui est la leur dans notre relation à l'Afrique et je tiens à vous dire que je l'apprécie. Je l'apprécie sur un plan humain. Je l'apprécie également en raison de la qualité, de l'intensité particulière que ce cadre monétaire commun confère à notre coopération.
Au risque de vous surprendre, je vais rompre avec un usage : l'usage qui voulait que mon allocution d'ouverture se nourrisse des principaux sujets de notre ordre du jour. Ce n'est pas par là que je vais commencer aujourd'hui car je voudrais vous dire un mot de la présidence française de l'Union européenne et de ce qu'elle signifie dans le domaine du développement.
Parmi les différents "Conseils" autour desquels s'ordonne le fonctionnement de l'Union européenne, il en est un qui est tout entier consacré au développement et c'est ce Conseil que j'ai l'honneur de présider depuis le 1er juillet après l'avoir assidûment fréquenté depuis mon arrivée rue Monsieur. Il se trouve que, durant la présidence française, le Conseil des ministres européens du développement va statuer sur des textes importants. Il va notamment s'efforcer de fixer la doctrine de l'Union en matière d'aide, à travers une déclaration de politique générale qu'il examinera le 10 novembre prochain et qui s'efforcera de déterminer les orientations de la coopération européenne pour les 5 ou 10 ans qui viennent.
Il y a bien des facteurs qui appellent cette mise au net. D'abord il y a les bouleversements intervenus dans le paysage des actions extérieures de l'Union européenne depuis la chute du Mur de Berlin. A côté de l'aide à l'Afrique et aux ACP - qui remonte pratiquement aux origines de la construction européenne - il y a des politiques plus récentes, les "petites soeurs" de la coopération Union européenne-ACP : la coopération avec les pays de la Méditerranée, l'aide aux pays d'Europe centrale et orientale, l'aide aux pays d'Amérique latine et d'Asie. Après être restées longtemps dans l'ombre, ces petites soeurs tard venues ont grandi, affirmé leurs personnalités, et on s'aperçoit aujourd'hui que les concepts sur lesquels elles sont fondées, leurs modes de gestion, la "culture d'aide" dont elles procèdent ne sont pas toujours en harmonie avec la "culture d'aide" Union européenne-ACP.
Il n'est pas question de tout homogénéiser mais le besoin de lisibilité se fait sentir et, dans l'intérêt même des actions extérieures, il importe que la politique d'aide de l'Union soit dotée d'une identité et d'une cohérence mieux affirmées.
Ensuite, cette recherche de cohérence vient pour l'Afrique au bon moment. En effet, nous venons de vivre l'aventure qu'a été la renégociation de la Convention de Lomé. Cette renégociation a abouti à la signature le 23 juin dernier de l'accord de Cotonou qui marque une authentique rénovation de la coopération Union européenne-ACP. Cette aventure est un peu notre aventure, à nous Africains et Français, car nous avions clairement choisi, chacun dans notre groupe, de nous faire les avocats du changement. J'ai dit chacun dans notre groupe mais, heureusement, nous disposions de quelques canaux de communication, de quelques fils directs dont les réunions de la zone franc n'étaient pas le moindre.
Cette rénovation place la coopération Union européenne-ACP en bonne position pour s'inscrire dans la reformulation des thèmes de l'aide européenne au développement. Le meilleur exemple réside dans le choix des objectifs de l'aide. A l'avenir, l'aide européenne va se concentrer sur des objectifs en nombre plus restreints : la promotion de l'intégration régionale, le développement des infrastructures de transport, l'amélioration du cadre macro-économique, la santé, et l'éducation... A l'énoncé même de ces thèmes, vous pouvez mesurer leur convergence avec les priorités de la coopération Union européenne-ACP nouvelle manière.
Cette concentration de la coopération européenne sur un nombre plus restreint d'objectifs est en partie inspirée par le souci de trouver une meilleure complémentarité entre l'aide européenne et les aides dispensées par les Etats membres. Jusqu'à présent, il faut bien, le dire la complémentarité et la coordination n'étaient pas satisfaisantes. On avait beaucoup de mal à les faire progresser, notamment parce que les aides européennes et les aides bilatérales intervenaient trop souvent dans les mêmes domaines, rendant délicat leur positionnement mutuel.
Avec la concentration de l'aide européenne sur quelques objectifs, on peut penser que l'Union acquerra une position de leadership naturel sur certains sujets, tandis que, sur d'autres, elle permettra aux Etats membres de s'affirmer davantage, soit en jouant un rôle de chef de file, soit en offrant à leurs organismes spécialisés la possibilité de jouer un rôle d'opérateurs sur des ressources ne se limitant plus aux fonds bilatéraux. Je pense notamment au rôle que pourrait jouer ici l'AFD.
C'est un peu à dessein que je vous parle d'un sujet qui pourrait passer pour un sujet " interne " aux bailleurs de fonds. Je sais en effet que la coordination de l'aide est aussi - et peut-être avant tout - utile aux récipiendaires de l'aide et c'est pourquoi nous avons décidé de nous y attaquer.
Avant d'en terminer avec la présidence française du Conseil développement, une note d'ambiance sur ce Conseil et sur l'atmosphère qui y règne. Comme vous le savez l'Union s'est beaucoup élargie et l'on pouvait se demander si les nouveaux membres allaient partager l'engagement des membres plus anciens dans la coopération avec l'Afrique. Je pense par exemple aux pays scandinaves qui sont par leur histoire et leur géographie plus loin que d'autres de l'Afrique. Or je suis frappé de leur degré de connaissance, de leur motivation, de leur implication. Le fait d'avoir au sein de l'Union ces grands donateurs d'APD que sont les Suédois est un éléments très positif du débat sur le développement et lorsque je passerai le témoin de la présidence à ma collègue suédoise, je le ferai en confiance.
Cette référence au débat sur le développement va me fournir une transition pour aller vers des sujets plus macro-économiques, dont vous ne comprendriez pas que je ne dise rien.
En effet, ce débat est marqué par un certain déplacement, un certain rééquilibrage. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis le fameux "consensus de Washington" qui avait formalisé l'accord des responsables du G7 et des experts officiels autour des notions de rigueur macro-économique et de libéralisation. Ce consensus de Washington remonte à 1994. Tout ce qui a été fait dans le cadre de ce consensus n'a pas été négatif, loin s'en faut. Mais, comme il arrive souvent dans la vie des idées, le balancier du débat revient aujourd'hui vers des notions telles que le développement humain, le développement social, le développement durable, et pour ma part, je m'en réjouis.
On peut le vérifier à la lecture des deux grands rapports internationaux qui auront marqué le débat sur le développement cette année : le rapport du PNUD sur le développement humain qui a été rendu public à Paris en juin dernier et le rapport sur le développement mondial que la Banque mondiale diffuse depuis quelques jours à l'approche des réunions de Prague. L'attention se concentre à nouveau sur les dimensions sociales et institutionnelles des politiques de développement. L'éducation primaire, la formation, la santé, que la France a toujours placées au coeur de ses préoccupations, ont été trop négligées, ces dernières années, par la Communauté internationale.
Le fait que l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés se traduise par l'élaboration de plans de lutte contre la pauvreté est l'un des reflets de ce rééquilibrage du débat. La lutte contre la pauvreté n'est pas un concept entièrement neuf. Mais, dans le débat, il y a deux éléments nouveaux. D'abord, l'idée selon laquelle les bailleurs de fonds n'ont pas le droit de se désintéresser de l'impact de l'aide sur la répartition des ressources à l'intérieur des pays bénéficiaires de leur concours. Ensuite, le constat selon lequel les inégalités ne sont pas seulement monétaires. Elles se mesurent aussi à travers les écarts d'accès aux besoins fondamentaux : alimentation, logement, soins de santé, eau. Elles sont aussi le produit de différences dans l'accès à la formation, à l'information, à l'expression politique et aux ressources nécessaires à l'activité économique.
Néanmoins, ce rééquilibrage du débat ne retire rien à la nécessité d'un cadre financier et macro-économique sain. D'abord, les politiques sociales ont elles-mêmes besoin d'être gérées, ce qui réclame des outils financiers adaptés et la continuité qu'autorise, seule, la stabilité économique et financière. Ensuite, la réduction de la pauvreté a besoin de croissance et les conditions structurelles de la croissance demeurent, pour l'Afrique un vrai sujet. C'est un sujet que les données naturelles rendent difficile. Mais c'est aussi un sujet qui continue d'appeler un effort d'organisation, de bonne gestion et de persévérance dans les réformes.
Laissez-moi vous dire sur ce plan que ce qui peut être entrepris au niveau régional est extraordinairement important car cela permet de faire fructifier les biens communs que sont votre monnaie et vos Unions régionales. C'est tout l'enjeu du débat sur la convergence qui va s'engager dans un instant.
Pour ne prendre qu'un exemple - mais je ne le choisis pas au hasard - le phénomène des arriérés intérieurs est un véritable fléau pour la zone franc. Tant que l'on ne parviendra pas à éradiquer ce phénomène, les pays que vous représentez continueront de voir s'envoler une partie des bienfaits de la stabilité monétaire.
La phase de croissance que traverse l'économie mondiale est une raison de plus de se mobiliser car cette croissance représente un ensemble d'opportunités à saisir. Nous devons vous y aider en favorisant votre insertion dans l'économie mondiale. Vous devez de votre côté saisir les occasions en attirant les investissements et en menant une politique capable d'accroître l'offre productive de vos économies. Tel est notre pari commun et tel est votre défi.
Bien sûr, ce pari et ce défi supposent la paix. La paix est sans doute pour un pays, pour une société, le plus précieux de tous les biens. Traditionnellement et si l'on regarde le long terme, les pays de la zone franc se sont plutôt mieux portés que leurs voisins à l'aune de ce critère. Mais n'oublions jamais que c'est un acquis fragile.
Je le dis aussi en pensant à un sujet que nous évoquerons plus tard dans la matinée, celui du blanchiment des capitaux. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet qui sera présenté par Jean-Pierre Michau, conseiller du gouverneur de la Banque de France et président du groupe de travail que nous avons décidé de constituer sur cette question. Mais s'il fallait une raison, une seule raison de se méfier de l'argent du crime, c'est sans doute dans notre attachement à la paix que nous pourrions la trouver. Le blanchiment alimente tous les trafics, celui des matières précieuses, celui des armes, celui de la drogue. Il nourrit tout ce qui peut miner la paix et je voulais, sans y insister plus avant, vous y rendre attentifs, en souhaitant que la zone franc et les pays qui la composent demeurent, sur ces sujets graves, du bon côté.

Le Sommet du Millenium qui a réuni à New York les principaux chefs d'Etat de la planète a été l'occasion de faire le point des opérations de maintien de la paix menées par les Nations unies. Il a mis en évidence le besoin d'accroître les moyens consacrés à ces opérations et je redoute le moment où cette autre forme de solidarité internationale deviendrait un facteur limitatif de l'aide au développement. Raison de plus pour préserver la paix quand on a la chance d'en bénéficier.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2000)