Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "Le Monde" du 2 août 2000, sur la situation politique, notamment dans la perspective de l'élection présidentielle, en Côte d'Ivoire.

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Circonstance : Election présidentielle prévue en Côte d'Ivoire pour le 17 septembre 2000.

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Les réactions de la semaine dernière en Côte d'Ivoire à vos déclarations du 25 juillet étaient prévisibles ; ne vous y attendiez-vous pas ?
R - Pas du tout. Mes propos ont été mal compris, mal transmis peut-être, mal interprétés en tout cas par les Ivoiriens et suscitent une agitation qui n'est pas ce dont la Côte d'Ivoire a le plus besoin actuellement, pas plus que la France. J'ai eu l'occasion samedi 29 juillet de m'en entretenir longuement par téléphone avec le général Gueï. Les explications que notre ambassadeur avait été invité à donner sur place et surtout la communication de l'intégralité de mes propos avaient commencé à produire leur effet. La manière résumée dont ce que j'ai dit a été transmis et surtout les exégèses que certains ont cru bon d'en faire ont été sans doute à l'origine de ce que je tiens pour un malentendu.
Q - Qu'est-ce qui vous a poussé à donner une conférence de presse sur la Côte d'Ivoire ?
R - Depuis de longues semaines déjà nous étions sollicités, en France et dans un certain nombre de pays africains, pour que la France s'exprime sur la situation en Côte d'Ivoire. Nous n'avons pas voulu nous départir de l'attitude de neutralité qui est la nôtre depuis les événements de décembre. Nous avons attendu la première étape du processus de retour à la démocratie pour nous exprimer. Mais le silence de la France au lendemain du référendum, alors que d'autres responsables politiques d'autres pays s'étaient déjà exprimés, aurait été considéré comme de l'indifférence. Nous avons dit que la première étape du processus devant permettre à la Côte d'Ivoire de renouer avec la démocratie et de retrouver pleinement la solidarité de la communauté internationale avait été franchie, notamment en raison d'un taux de participation au référendum considéré par les observateurs comme très satisfaisant. Il n'était pas anormal qu'à cette occasion nous disions aux Ivoiriens notre espoir de voir les prochaines étapes du processus - l'élection présidentielle, les élections législatives, puis les municipales - se dérouler dans la même sérénité. Nous avons livré notre sentiment, qui est que cette sérénité suppose que toutes les sensibilités politiques puissent participer au débat. La France n'entend pas plus aujourd'hui se mêler du débat intérieur ivoirien qu'elle n'a voulu le faire en décembre 1999. Nous n'entendons pas établir la liste des candidats. C'est aux Ivoiriens à le faire, et nous pensons que les partis politiques ont un rôle important à jouer dans cette procédure. Il ne s'agit pour nous de soutenir ni d'exclure personne. Je connais trop la complexité de la situation dans ce pays pour imaginer qu'à aucun moment nous aurions pu avoir une autre attitude. Il faut en effet avoir à l'esprit, à propos de la Côte d'Ivoire, une situation économique et sociale qui reste préoccupante et qui explique très largement la chute si brutale du régime précédent.
Q - Vous avez dit que "l'uniforme se conjugue mal avec la démocratie", d'où l'on a déduit que vous étiez peu favorable à une candidature du général Gueï à l'élection présidentielle. Vous a-t-on mal compris ?
R - L'expérience que nous avons d'un certain nombre de pays, pas seulement en Afrique, est là pour l'attester : un régime militaire ne saurait que préparer la transition vers une démocratie, qui est nécessairement civile. Cela ne veut évidemment pas dire qu'une démocratie n'a pas besoin d'une armée, comme elle a besoin d'une police - je parle de l'implication de l'armée dans la vie politique. Tout citoyen ivoirien a évidemment le droit de se présenter à l'élection présidentielle, dans les conditions que fixe la nouvelle Constitution dont on espère une bonne application par les instances responsables. Mais je crois que c'est plutôt en tant que citoyens que les candidats doivent s'y présenter.
Q - Que vous a dit le général Gueï samedi ?
R - Le général Gueï souhaite lui aussi l'apaisement. Il a longuement insisté sur la relation privilégiée que la Côte d'Ivoire entretient avec la France. J'espère que la fièvre va retomber et que les Ivoiriens vont pouvoir aborder dans les meilleures conditions les prochaines étapes du calendrier électoral, dont j'ai compris qu'il n'était pas remis en cause. Plus tôt le processus démocratique sera accompli, plus vite la coopération internationale avec la Côte d'Ivoire va pouvoir se redéployer.
Q - Vous avez exprimé le 25 juillet une inquiétude quant à l'éventualité d'une "exclusion artificielle" de l'un ou l'autre des candidats potentiels de la course à la présidence. Le général Gueï vous a-t-il rassuré ?
R - Je ne préjuge pas de la manière dont les autorités compétentes vont gérer les déclarations de candidature. Il faut que toutes les sensibilités puissent s'exprimer, mais il appartient aux formations politiques de choisir leur candidat, et je pense qu'il est de leur intérêt de choisir des candidats qui répondent aux critères que la nouvelle Constitution a arrêtés. On a voulu voir dans ce que j'ai dit sur l'exclusion le signe que la France soutenait tel candidat et s'opposait à tel autre. Cela n'a jamais été dans mes intentions ni dans mes propos. S'il y a eu une réaction aussi forte, c'est parce que certains avaient compris cela, mais c'est faux.
Q - Ce que tout le monde a compris, c'est qu'en demandant que personne ne soit exclu, vous faisiez allusion à Alassane Ouattara. Dans le contexte actuel, le prétexte à son exclusion n'est-il pas prévisible ?

R - Si M. Ouattara répond aux conditions que la nouvelle Constitution prévoit, libre à son parti de le choisir comme candidat. Je rappelle que tous les partis ont appelé à voter en faveur de cette Constitution. Laisser entendre que la volonté de la France serait allée à l'encontre de la volonté des Ivoiriens, c'est quand même énorme ! Or c'est ce que certains ont voulu me faire dire. Je ne reviens pas sur le fond de ma pensée : il ne faut en aucun cas que le candidat élu puisse souffrir d'un doute ; il faut donc que les candidats se présentent dans les meilleures conditions possibles de "civilité".
Q - Avez-vous évoqué avec le général Gueï, comme vous l'avez fait le 25 juillet, la menace qui pèse sur la cohésion sociale en Côte d'Ivoire ?
R - Oui. La Côte d'Ivoire entend rester une terre d'accueil, m'a dit le général Guei ; mais il a ajouté que c'est la volonté des Ivoiriens d'avoir défini des conditions pour accéder à la magistrature suprême.
Diplomatie P.O. VALERO
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 2000)