Texte intégral
Q - Charles Josselin bonjour.
R - Bonjour.
Q - Cette semaine à Paris aura été placée sous le signe du développement, conférence de la Banque mondiale et du Conseil économique et social, réunion ministérielle de l'OCDE, et un colloque que vous ouvrez cet après-midi sur les Droits de l'Homme et le développement humain. C'est la prise de conscience qu'il faut repenser, la politique de développement menée depuis une cinquantaine d'années, Charles Josselin.
R - Oui, je crois que le développement est en question. Sur les six milliards d'hommes que compte l'humanité, la moitié vit avec moins de deux dollars par jour, 1,2 milliard avec un dollar par jour. Et je ne parle pas des inégalités encore plus criantes, en termes d'espérance de vie, d'accès à la santé, à l'éducation, etc. Et quand on compare ces résultats avec les efforts accomplis, on ne peut que s'interroger sur la nécessité de réformer profondément un système de développement qui semble montrer ses limites. C'est une crise de confiance importante dans la relation nord-sud, c'est une crise de confiance dans le développement de nos opinions publiques, qui se demandent si les contribuables sont, à juste titre, appelés à l'effort. Et puis c'est une crise de confiance surtout, pour les populations des pays en développement, qui ne voient pas les retombées, de ce développement.
Q - C'est une réponse aussi à la mobilisation anti-OMC qu'on avait observé à Seattle aux Etats-Unis ?
R - Je crois plus généralement qu'il y a une irruption de la société civile, dans le champ international, qu'il y a une expression de solidarité très forte, même si les moyens utilisés pour la remettre en question, peuvent être discutables, même s'il est vrai aussi, qu'il ne faudrait pas au moment où il y a un besoin de régulation publique très important, qu'on jette en quelque sorte, le bébé avec l'eau du bain. S'il y a lieu de réformer les institutions multilatérales
Q - Vous pensez au FMI, à la Banque mondiale ?
R - Je pense au FMI, à la Banque mondiale, je pense à l'Organisation des Nations unies. Il ne faudrait pas, parce qu'ici ou là, il y a des aménagements à apporter, considérer que ces outils sont inutiles.
Q - Quelles sont les principales failles du FMI à votre avis ? Des politiques macro-économiques qui prennent peu conscience du sort des populations elles-mêmes ?
R - Je pense qu'il y a une sorte de dictature des indicateurs, qui fait oublier parfois les retombées sociales de certains ajustements structurels, comme disent les économistes. Obliger un pays en développement à privatiser oui, réduire de 20 % les fonctionnaires oui, mais attention aux retombées sociales voire politiques d'une telle disposition, surtout dans des démocraties qui sont encore balbutiantes, où la démocratie n'est pas vraiment apprivoisée, et on a vu des violences s'exprimer autour de ces décisions. J'ajoute que la part des pays développés dans les organes dirigeants de ces institutions, est ridiculement faible. Voire parfois nulle. Et je pense que dans la réforme de ces outils, il faut aussi prévoir une place plus importante des intéressés, que sont précisément les pays du sud.
Q - Une plus grande représentation des pays du tiers monde ?
R - Oui, je crois que dans les réformes, sur lesquelles nous travaillons, cette idée est désormais bien acquise. Il reste à la mettre en pratique.
Q - La France réclame donc aujourd'hui une réforme des institutions de Bretton Woods, il faut renforcer en priorité le rôle du politique dans les décisions du FMI, et de la Banque mondiale ?
R - Je crois qu'il faut que le politique reprenne la main. Et en particulier, je le répète pour prendre en compte, non seulement les éléments économiques, voire financiers, mais aussi des éléments sociaux, et surtout se souvenir que sans adhésion de ces Etats à nos politiques, la rupture va se consolider malheureusement et je crois que ceci est lourd de conséquence pour l'équilibre de la planète.
Q - Alors la France proposerait de créer deux instances de politiques d'orientation et de décision qui réuniraient les ministres des Etats membres. Il s'agit justement d'aller dans ce sens, d'un plus grand rôle des politiques ?
R - Tout à fait, c'est une réforme que Dominique Strauss-Kahn avait proposée, à Washington voilà déjà deux ans. Que Laurent Fabius évidemment reprend à son compte. Et j'espère qu'à Prague, au mois de septembre, lorsqu'il y aura les nouvelles assemblées du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, nous pourrons constater que ces idées-là ont progressé aussi, chez nos partenaires. Mais auparavant à Okinawa, je pense que cette question, va être à nouveau à l'ordre du jour, et j'espère qu'Okinawa apportera un début de réponse à l'inquiétude exprimée par les pays en développement, mais aussi par la société civile, la nôtre, qui s'exprimera peut-être de cette manière à Millau, à la fin de la semaine.
Q - D'ici là, Charles Josselin, faut-il s'attendre à une initiative de la France qui présidera l'Union européenne dans quelques jours à partir du 1er juillet ?
R - Ecoutez en ce qui concerne, le secteur dont j'ai la charge, il y a en quelque sorte, par rapport à cette présidence européenne, des figures libres et des figures imposées. La figure imposée, c'est mettre en uvre le nouvel accord qui vient d'être conclu à Cotonou, la semaine dernière, entre les pays européens et les pays dits ACP, les 15 d'un côté, et les 77 pays ACP de l'autre. Et parmi ceux-là, la plupart des pays les moins avancés, donc les plus pauvres. Il va falloir faire vivre cette nouvelle convention qui renouvelle profondément une relation tout à fait originale. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres exemples, à l'échelle du monde, d'une relation aussi importante, qui mêle des dispositions commerciales, économiques, politiques, et nous allons devoir par exemple négocier avec l'Organisation mondiale du commerce un régime transitoire qui n'est pas acquis d'avance. Bref, il y a un travail important. Parmi les figures libres, si je puis dire, il y a les initiatives en effet que nous voulons prendre pour faire avancer par exemple, le dossier de l'efficacité du Fonds européen de développement. C'est l'outil financier en quelque sorte de l'aide européenne, dans laquelle la France prend une part essentielle, presque le quart. C'est dire que la France a des raisons de vouloir lui donner plus d'efficacité. Ca veut dire modifier les procédures, chez nous, et dans les pays en développement. Ca veut dire aussi pousser plus loin, l'idée d'une organisation régionale, un peu à l'image de ce que l'Europe a fait pour elle-même, dans ces grandes régions d'Afrique en particulier. Et puis quelques dossiers : le Sida qui va certainement faire l'objet d'une initiative française de façon à prendre en compte, non seulement la prévention mais aussi le traitement. Cela pose des problèmes énormes, mais on ne peut pas imaginer que les Africains seraient à priori interdits de traitements au moment même où chez nous, nous voyons les progrès que la pharmacie a permis. Initiative aussi, en ce qui concerne par exemple et c'est important, le réseau des universités africaines. La crise de l'enseignement supérieur est une réalité, dont il faut se préoccuper. Ajoutons-y la pêche et la protection des ressources halieutiques. Bref, un programme important dont nous allons commencer à parler, dès ce soir, puisque j'invite ce soir mes collègues ministres européens du Développement, et demain nous allons continuer cette réflexion.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2000)
R - Bonjour.
Q - Cette semaine à Paris aura été placée sous le signe du développement, conférence de la Banque mondiale et du Conseil économique et social, réunion ministérielle de l'OCDE, et un colloque que vous ouvrez cet après-midi sur les Droits de l'Homme et le développement humain. C'est la prise de conscience qu'il faut repenser, la politique de développement menée depuis une cinquantaine d'années, Charles Josselin.
R - Oui, je crois que le développement est en question. Sur les six milliards d'hommes que compte l'humanité, la moitié vit avec moins de deux dollars par jour, 1,2 milliard avec un dollar par jour. Et je ne parle pas des inégalités encore plus criantes, en termes d'espérance de vie, d'accès à la santé, à l'éducation, etc. Et quand on compare ces résultats avec les efforts accomplis, on ne peut que s'interroger sur la nécessité de réformer profondément un système de développement qui semble montrer ses limites. C'est une crise de confiance importante dans la relation nord-sud, c'est une crise de confiance dans le développement de nos opinions publiques, qui se demandent si les contribuables sont, à juste titre, appelés à l'effort. Et puis c'est une crise de confiance surtout, pour les populations des pays en développement, qui ne voient pas les retombées, de ce développement.
Q - C'est une réponse aussi à la mobilisation anti-OMC qu'on avait observé à Seattle aux Etats-Unis ?
R - Je crois plus généralement qu'il y a une irruption de la société civile, dans le champ international, qu'il y a une expression de solidarité très forte, même si les moyens utilisés pour la remettre en question, peuvent être discutables, même s'il est vrai aussi, qu'il ne faudrait pas au moment où il y a un besoin de régulation publique très important, qu'on jette en quelque sorte, le bébé avec l'eau du bain. S'il y a lieu de réformer les institutions multilatérales
Q - Vous pensez au FMI, à la Banque mondiale ?
R - Je pense au FMI, à la Banque mondiale, je pense à l'Organisation des Nations unies. Il ne faudrait pas, parce qu'ici ou là, il y a des aménagements à apporter, considérer que ces outils sont inutiles.
Q - Quelles sont les principales failles du FMI à votre avis ? Des politiques macro-économiques qui prennent peu conscience du sort des populations elles-mêmes ?
R - Je pense qu'il y a une sorte de dictature des indicateurs, qui fait oublier parfois les retombées sociales de certains ajustements structurels, comme disent les économistes. Obliger un pays en développement à privatiser oui, réduire de 20 % les fonctionnaires oui, mais attention aux retombées sociales voire politiques d'une telle disposition, surtout dans des démocraties qui sont encore balbutiantes, où la démocratie n'est pas vraiment apprivoisée, et on a vu des violences s'exprimer autour de ces décisions. J'ajoute que la part des pays développés dans les organes dirigeants de ces institutions, est ridiculement faible. Voire parfois nulle. Et je pense que dans la réforme de ces outils, il faut aussi prévoir une place plus importante des intéressés, que sont précisément les pays du sud.
Q - Une plus grande représentation des pays du tiers monde ?
R - Oui, je crois que dans les réformes, sur lesquelles nous travaillons, cette idée est désormais bien acquise. Il reste à la mettre en pratique.
Q - La France réclame donc aujourd'hui une réforme des institutions de Bretton Woods, il faut renforcer en priorité le rôle du politique dans les décisions du FMI, et de la Banque mondiale ?
R - Je crois qu'il faut que le politique reprenne la main. Et en particulier, je le répète pour prendre en compte, non seulement les éléments économiques, voire financiers, mais aussi des éléments sociaux, et surtout se souvenir que sans adhésion de ces Etats à nos politiques, la rupture va se consolider malheureusement et je crois que ceci est lourd de conséquence pour l'équilibre de la planète.
Q - Alors la France proposerait de créer deux instances de politiques d'orientation et de décision qui réuniraient les ministres des Etats membres. Il s'agit justement d'aller dans ce sens, d'un plus grand rôle des politiques ?
R - Tout à fait, c'est une réforme que Dominique Strauss-Kahn avait proposée, à Washington voilà déjà deux ans. Que Laurent Fabius évidemment reprend à son compte. Et j'espère qu'à Prague, au mois de septembre, lorsqu'il y aura les nouvelles assemblées du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, nous pourrons constater que ces idées-là ont progressé aussi, chez nos partenaires. Mais auparavant à Okinawa, je pense que cette question, va être à nouveau à l'ordre du jour, et j'espère qu'Okinawa apportera un début de réponse à l'inquiétude exprimée par les pays en développement, mais aussi par la société civile, la nôtre, qui s'exprimera peut-être de cette manière à Millau, à la fin de la semaine.
Q - D'ici là, Charles Josselin, faut-il s'attendre à une initiative de la France qui présidera l'Union européenne dans quelques jours à partir du 1er juillet ?
R - Ecoutez en ce qui concerne, le secteur dont j'ai la charge, il y a en quelque sorte, par rapport à cette présidence européenne, des figures libres et des figures imposées. La figure imposée, c'est mettre en uvre le nouvel accord qui vient d'être conclu à Cotonou, la semaine dernière, entre les pays européens et les pays dits ACP, les 15 d'un côté, et les 77 pays ACP de l'autre. Et parmi ceux-là, la plupart des pays les moins avancés, donc les plus pauvres. Il va falloir faire vivre cette nouvelle convention qui renouvelle profondément une relation tout à fait originale. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres exemples, à l'échelle du monde, d'une relation aussi importante, qui mêle des dispositions commerciales, économiques, politiques, et nous allons devoir par exemple négocier avec l'Organisation mondiale du commerce un régime transitoire qui n'est pas acquis d'avance. Bref, il y a un travail important. Parmi les figures libres, si je puis dire, il y a les initiatives en effet que nous voulons prendre pour faire avancer par exemple, le dossier de l'efficacité du Fonds européen de développement. C'est l'outil financier en quelque sorte de l'aide européenne, dans laquelle la France prend une part essentielle, presque le quart. C'est dire que la France a des raisons de vouloir lui donner plus d'efficacité. Ca veut dire modifier les procédures, chez nous, et dans les pays en développement. Ca veut dire aussi pousser plus loin, l'idée d'une organisation régionale, un peu à l'image de ce que l'Europe a fait pour elle-même, dans ces grandes régions d'Afrique en particulier. Et puis quelques dossiers : le Sida qui va certainement faire l'objet d'une initiative française de façon à prendre en compte, non seulement la prévention mais aussi le traitement. Cela pose des problèmes énormes, mais on ne peut pas imaginer que les Africains seraient à priori interdits de traitements au moment même où chez nous, nous voyons les progrès que la pharmacie a permis. Initiative aussi, en ce qui concerne par exemple et c'est important, le réseau des universités africaines. La crise de l'enseignement supérieur est une réalité, dont il faut se préoccuper. Ajoutons-y la pêche et la protection des ressources halieutiques. Bref, un programme important dont nous allons commencer à parler, dès ce soir, puisque j'invite ce soir mes collègues ministres européens du Développement, et demain nous allons continuer cette réflexion.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2000)