Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, dans "Lutte ouvrière" les 3, 10, 17, 24 mai 2004 sur l'idée d'Europe unie et l'incitation à voter pour la liste LO-LCR lors des élections régionales 2004.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Editorial d' Arlette Laguiller
03/05/2004
L'EUROPE VRAIMENT UNIE NE POURRA ETRE QU'UNE EUROPE DÉBARRASSÉE DU CAPITALISME
Pour les cérémonies officielles marquant l'entrée de dix nouveaux États membres au sein de "l'Union européenne", la télévision nous a montré l'installation devant les bâtiments officiels de dix mâts supplémentaires, destinés à autant de drapeaux nationaux : tout un symbole de la manière dont les politiciens de la bourgeoisie veulent "construire" l'Europe... en gardant soigneusement les États nationaux hérités du XIXème siècle, quand ce n'est pas du moyen-âge. En effet, en dépit de tous les discours de circonstance sur l'amitié entre les peuples, la seule chose qui intéresse vraiment les hommes politiques et les groupes capitalistes dont ils défendent les intérêts, c'est la création d'un marché plus vaste pour placer leurs marchandises et leurs capitaux.
Quand en 1957 naquit le "Marché commun", son nom de baptême avait au moins le mérite de la franchise. Celui de "l'Union européenne" est au contraire tout à fait hypocrite. Car cette prétendue "union" n'a pas supprimé les rivalités entre les différentes bourgeoisies européennes, chacune accrochée à son État national. Elle ne constitue qu'une autre façon de les gérer.
Il y a déjà bien longtemps que les frontières nationales sont devenues un obstacle au développement économique en Europe. Cela s'est traduit par deux guerres mondiales durant lesquelles les bourgeoisies française, anglaise et allemande, pour ne citer que les plus puissantes, ont fait massacrer des millions d'hommes pour se disputer zones d'influence, colonies et sources de matières premières. Mais le résultat de ces guerres, en plus des morts, des mutilés et des destructions, ce fut de réduire ces grands États européens au rang de puissances de second ordre par rapport au géant américain.
Les "pères fondateurs" de l'Europe, contrairement à toutes les sornettes entendues ce week-end n'étaient pas de généreux pacifistes. C'étaient des hommes politiques, représentant chacun les intérêts de leur bourgeoisie respective, dans une situation où l'unique possibilité pour les puissances européennes, en fonction du rapport des forces, était d'essayer de régler leurs divergences d'intérêts à l'amiable.
Cela n'excluait même pas le recours aux armes, car s'il n'y a pas eu de conflits militaires directs durant le dernier demi siècle entre les États européens les plus puissants, bien des divergences d'intérêts entre les bourgeoisies française, anglaise et allemande, ont amené celles-ci à se combattre par peuples interposés, que ce soit en Afrique ou dans l'ex-Yougoslavie. Loin d'unifier l'Europe, les interventions des grandes puissances dans ce dernier pays ont d'ailleurs contribué à le faire éclater en cinq États différents.
En fait, l'essentiel de l'activité des institutions européennes consiste à définir des règles régissant la concurrence dans les différents domaines de l'activité économique, au terme d'âpres marchandages, où chaque gouvernement s'emploie à défendre les intérêts de sa propre bourgeoisie.
Les hommes politiques qui nous demandent de voter pour eux le 13 juin, en se présentant comme les partisans d'une Europe travaillant à faire le bonheur des peuples, nous mentent. Mais les démagogues à la de Villiers ou à la Le Pen, qui rendent l'Europe responsable de tous les maux, nous mentent tout autant car ce n'est pas à Bruxelles ou à Strasbourg que se prennent les décisions de fermetures d'entreprises ou de vagues de licenciements, mais dans les conseils d'administration, y compris de sociétés cent pour cent françaises.
Une Europe unie, débarrassée de toutes les frontières, où tous les bras, tous les cerveaux, travailleraient au bien commun, serait incontestablement une bonne chose. Mais cette Europe ne pourra pas exister tant que le pouvoir économique et politique sera dans chaque pays aux mains d'une minorité de privilégiés ne recherchant que leur seul profit personnel.
Mais les travailleurs eux, par delà les frontières, ont des intérêts communs. L'important est d'en prendre conscience, et d'apprendre à lutter avec nos frères de classe de toute l'Europe pour défendre ces intérêts. Ce n'est qu'ainsi que pourra naître une Europe vraiment unie et fraternelle.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 5 mai 2004)
10/05/2004
POUR UNE EUROPE UNIE, DÉBARRASSÉE DE LA DICTATURE DES FINANCIERS
Les grands partis se lancent, les uns après les autres, dans la campagne pour les élections européennes qui auront lieu dans cinq semaines. Derrière les envolées sur l'Europe, chaque camp a surtout des préoccupations de politique intérieure.
Raffarin voudrait que les résultats des listes UMP soient assez bons pour lui permettre de prétendre que le désaveu qui lui a été infligé aux régionales est accidentel. Le Parti socialiste, de son côté, voudrait que le mécontentement à l'égard de la politique du gouvernement se traduise, comme aux régionales, par un vote massif en faveur de ses listes. Ses dirigeants font appel au "vote sanction" contre le gouvernement.
A coup sûr, les élections européennes offrent une nouvelle occasion de désavouer la politique de ce gouvernement à plat-ventre devant le grand patronat et le Medef, qui, après avoir amputé les retraites, s'attaque à l'assurance maladie, au droit de se soigner convenablement. Ce serait dommage de ne pas se saisir de l'occasion.
Mais sans cautionner le P.S. qui, pendant les cinq ans où il a dirigé le gouvernement, n'a pas protégé les travailleurs contre les licenciements, au contraire, et dont bien des mesures contre les travailleurs ont préparé celles de la droite.
Contrairement aux régionales, les européennes n'ont pour enjeu ni de décider d'une majorité ni de la couleur d'un exécutif. L'électorat populaire a intérêt, tout en s'opposant clairement à la droite, à avertir qu'il n'acceptera pas qu'un nouveau gouvernement de gauche mène, comme Jospin, une politique favorable au seul grand patronat.
Faut-il ou non un référendum pour adopter la future Constitution européenne ou, encore, la Turquie fait-elle ou non partie de l'Europe ? Voilà les seules questions qui préoccupent la caste politique.
Comme si une Constitution, tout entière élaborée pour protéger la propriété privée et les intérêts patronaux, pouvait devenir meilleure si elle était adoptée par référendum ! Comme s'il était souhaitable de claquer la porte de l'Europe au nez de la Turquie alors que des millions de travailleurs turcs vivent et travaillent en France ou en Allemagne et qu'on considère les populations des restes de l'ancien empire colonial français comme européennes d'office, même si elles vivent en Amérique du sud ou en Polynésie.
Le Parti socialiste, lui, parle d'Europe sociale et se prononce même pour un salaire minimum européen. Il affirme cependant qu'il est impossible que le salaire minimum polonais ou slovène puisse être du même montant qu'en France. Mais pourquoi donc serait-il plus difficile d'imposer un salaire minimum européen, aligné sur le pays où il est le plus élevé, que d'imposer la monnaie unique, l'euro, et les contraintes budgétaires qui vont avec ?
Les travailleurs, la population, ont intérêt à une Europe unie, sans frontières entre les peuples, aussi large que possible. Mais cette Europe ne pourra être sociale ni véritablement unifiée que si elle est débarrassée de la dictature des groupes financiers. Ce n'est pas l'unification européenne, mais c'est cette dictature-là qui est responsable du chômage, des bas salaires, des retraites amputées et de l'assurance maladie menacée.
L'extrême droite, imitée par certains à gauche, brandit contre l'Europe la menace des délocalisations des usines ou celle de la venue massive de travailleurs aux salaires bas, pesant sur les salaires d'ici. Comme si, depuis plus d'un siècle, les capitaux ne se "délocalisaient" pas sans cesse pour s'investir là où ils rapportent le plus ! Comme si, bien avant l'élargissement de l'Europe, les grandes entreprises n'avaient pas l'habitude d'importer des travailleurs mal payés du Maghreb, de Turquie ou d'Afrique noire !
Ce ne sont pas les frontières qui nous protègent des licenciements ; pas plus qu'elles ne nous protègent contre les bas salaires. Ne les laissons pas nous opposer les uns aux autres. Travailleurs d'Europe, ensemble nous représentons une force capable d'interdire les licenciements et d'imposer des salaires corrects pour tous.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 11 mai 2004)
17/05/2004
VOTER CONTRE LA DROITE, MAIS AUSSI CONTRE SA POLITIQUE, MEME MENÉE PAR LA GAUCHE
Quoi qu'en disent les dirigeants politiques, les prochaines élections des députés pour le Parlement européen seront avant tout une occasion pour les grands partis de mesurer les rapports de forces électoraux.
La droite cherchera à faire oublier le désaveu cuisant qui a été infligé au gouvernement lors des élections régionales. Le Parti socialiste cherchera, comme aux régionales, à canaliser à son profit le mécontentement suscité par la politique anti-populaire de Chirac, Raffarin, Sarkozy...
A l'approche des élections, le gouvernement fait profil bas, en cédant ou en faisant mine de reculer, comme il vient de le faire pour les intermittents du spectacle. Mais les intermittents ont tout à fait raison de se méfier des paroles du ministre qui se veut apaisant. Ils savent que ce n'est pas le gouvernement mais le Medef qui décide. Ils savent aussi que les élections passées, le gouvernement peut oublier ses promesses d'aujourd'hui.
Le gouvernement reste un des plus réactionnaires que le pays ait connu depuis longtemps. Il continuera ses attaques contre les travailleurs parce que tel est l'intérêt du grand patronat et parce que le gouvernement est aux ordres du grand patronat. Ce qu'il appelle la "réforme" de la Sécurité sociale est l'amorce de son démantèlement au profit de sociétés d'assurance privées. Les mesures immédiates, présentées comme nécessaires pour combler le déficit de l'assurance maladie, rendront plus difficile l'accès aux soins pour les classes populaires. Le déficit pourrait être immédiatement comblé, si le gouvernement obligeait le patronat à payer ce qu'il doit. Si les cotisations patronales avaient augmenté au même rythme que celles des salariés, s'il était mis fin aux cadeaux faits au grand patronat au détriment de la de Sécurité sociale, si cessaient les diminutions de charges patronales.
Mais, pour le gouvernement, il n'est pas question de faire payer le patronat. Il fera donc payer plus les assurés. Même si, à la télévision, Douste-Blazy a été évasif sur les mesures précises, les assurés paieront soit directement, soit par le biais de la CSG ou de "remboursement de la dette sociale", ce RDS qui devait être provisoire à l'origine mais dont chaque gouvernement prolonge l'application. Il y aura plus de contrôles sur les arrêts maladie, un moindre remboursement des frais hospitaliers et chacun devra sans doute payer un ou deux euros à chaque consultation.
Le Parti socialiste, s'il prétend s'opposer au gouvernement sur la Sécurité sociale dit, comme la droite, qu'il faut la réformer alors qu'en réalité, il faudrait faire payer le grand patronat.
Les élections pour le Parlement européen dont le pouvoir est plus limité encore que celui de l'Assemblée ne permettent rien d'autre que d'exprimer une opinion. Autant qu'elle soit forte et claire. La gifle au gouvernement doit être en même temps un vote d'avertissement envers le P.S. pour lui dire que les salariés n'accepteront pas qu'un prochain gouvernement socialiste foule aux pieds leurs intérêts, comme l'a fait Jospin pendant cinq ans. Désavouer clairement la droite gouvernementale et sa politique, oui, mais sans amnistier la gauche pour le passé et sans la cautionner pour l'avenir.
Et l'Europe dans tout ça ? Eh bien, l'unification de l'Europe, c'est une bonne chose. Elle devrait être faite depuis longtemps d'un bout à l'autre du continent, si les possédants de chaque pays n'étaient pas accrochés à leurs États respectifs, pour pomper à leur profit l'argent public en temps de paix et, périodiquement, pour se livrer des guerres sanglantes avec la peau des classes populaires.
Oui, l'unification de l'Europe est un progrès. Mais l'unification ne pourra être poussée jusqu'au bout, jusqu'à une Europe sans frontières, dont tous les travailleurs bénéficieraient des salaires et des protections sociales alignés par le haut, où les entreprises seraient empêchées de licencier pour des raisons boursières en jouant avec la vie des hommes, que lorsque sera mis fin au pouvoir incontrôlé des grands groupes industriels et financiers sur l'économie et sur la société.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 18 mai 2004)
24/05/2004
POUR UNE EUROPE LIBÉRÉE DE LA DICTATURE DES FINANCIERS
Le 13 juin, les électeurs de 25 pays seront appelés à élire le Parlement européen. Mais que les votes envoient au Parlement un peu plus de députés de droite ou, au contraire, de gauche ne pourra ni faire ni défaire les gouvernements. De toute façon, les choses décisives ne se déterminent pas dans les parlements ni nationaux ni européen.
La droite française cherchera, dans ces élections, à faire oublier le désaveu qu'elle a reçu aux élections régionales. Le Parti socialiste voudra à nouveau récupérer à son profit le mécontentement provoqué par la politique gouvernementale.
C'est pourquoi Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire présenteront des listes communes dans ces élections. Aux élections précédentes en 1999, ces listes avaient permis l'élection de cinq députés LO-LCR au Parlement européen. Une loi anti-démocratique a modifié le mode de scrutin. Ce qui a pour conséquence qu'avec plus de voix qu'en 1999, au lieu de cinq députés, nous risquons de n'en avoir aucun. Par ce trucage, le gouvernement veut empêcher que le courant politique qui s'est manifesté en faveur d'Arlette Laguiller ou d'Olivier Besancenot puisse avoir des porte-parole au Parlement européen. Cela ne nous empêchera cependant pas de défendre, dans ces élections européennes, la politique que nous défendons dans chaque élection comme hors élections.
Voter pour les listes LO-LCR, c'est exprimer une opposition radicale au gouvernement Chirac-Raffarin-Sarkozy, un des plus réactionnaires que le pays ait connu. Depuis deux ans qu'ils sont au pouvoir, toutes leurs mesures constituent autant d'agressions contre les conditions d'existence des travailleurs. Alors que le chômage augmente, ils s'en sont pris aux chômeurs. Ils se sont attaqués aux retraités d'aujourd'hui et de demain. Les salaires sont bloqués. Au lieu de s'opposer aux licenciements collectifs destinés par un patronat avide à faire produire toujours plus avec moins de travailleurs, l'État-patron, de son côté, supprime des emplois indispensables dans les services publics, des hôpitaux à l'Éducation nationale, en passant par les transports publics.
C'est un gouvernement qui obéit au doigt et à l'oeil au grand patronat. Même s'il fait mine de tenir compte du désaveu des régionales, une fois les élections passées, il reprendra ses coups contre les travailleurs. La proximité d'échéances électorales ne l'empêche d'ailleurs pas de faire payer aux assurés le déficit de l'assurance maladie, alors que ce déficit n'existerait pas si le grand patronat payait ce qu'il doit.
Si les votes en faveur des listes LO-LCR sont encore plus importants qu'aux élections régionales, ce sera une gifle pour ce gouvernement réactionnaire. Mais cela montrera aussi que tous ceux qui, dans l'électorat populaire, ont envie de désavouer la droite n'oublient pas pour autant les trahisons et les mesures anti-ouvrières des cinq ans du gouvernement Jospin.
Voter pour les listes LO-LCR, c'est aussi affirmer qu'il faut réduire le pouvoir incontrôlé que les grands groupes capitalistes exercent sur la vie publique, aussi bien par les pressions financières que par leur influence sur les gouvernements. Il faut imposer le contrôle de la population sur leurs choix économiques comme sur leurs projets à venir. Ces sociétés n'agissent qu'en fonction des intérêts égoïstes de leurs actionnaires, même si cela doit nuire à toute la société. Leur imposer un contrôle sur leurs finances, c'est aussi empêcher les licenciements collectifs qui ne sont jamais une nécessité mais toujours un choix pour plus de profit.
Enfin, en votant pour les listes LO-LCR, les électeurs se prononceront sans réserve pour l'unification totale de l'Europe d'un bout à l'autre du continent, sans frontières entre les peuples au nom desquelles, dans le passé, on les a si souvent dressés les uns contre les autres. Ils exigeront que la véritable unification de l'Europe dans l'intérêt de tous commence par mettre fin à la dictature des grands groupes industriels et financiers sur le continent.

(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 25 mai 2004)